Bien installés dans les fauteuils en cuir, on attend "Nadiet",  la personne dont les deux hommes parlaient cette nuit. Je regarde avec mélancolie Kenny embrasser passionnément sa petite amie, et je commence à fredonner un air triste. Quelques personnes nous rejoignent peu à peu, mais je ne fais pas vraiment attention. Tout à coup, les conversations se taisent, et un être entre dans la salle enfumée. Je dis bien "un être", car il est loin d'être un banal humain. Ses traits sont très fins, presque trop, et j'hésite tout d'abord entre l'homme efféminé et la femme. Sa musculature développée et le reste de son corps me confirment qu'il s'agit d'un homme. Ses yeux sont semblables à ceux de Kenny et de sa copine, ils brillent d'un éclat minéral. Autre hésitation quant à l'âge du personnage qui se tient devant nous: ses cheveux sont blancs aux reflets irisés, mais son visage est celui d'un jeune homme. Devant l'absence de rides, je conclus que sa couleur de cheveux est juste... très étrange. Je n'arrive pas à savoir s'il est extrêmement beau ou très bizarre. Son visage est d'une symétrie parfaite, comme celui de Kenny et de sa dinde de compagnie. Il ne desserre pas les lèvres, qu'il étire dans un sourire poli. Je comprends vite qu'il s'agit de Nadiet.

Lorsque cet étrange personnage s'assoit, j'ai l'impression que le reste du groupe recommence à respirer. L'expression "à couper le souffle" n'a jamais été aussi vraie. Quelques personnes, arrivées tout à l'heure, lorsque j'étais perdue dans mes pensées, s'approchent de lui et lui parlent à voix basse. D'un air sérieux, il se contente d'acquiescer.  Le silence retombe, pesant. Au bout d'une minute, il se racle la gorge et énonce:

"-Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que vous faites, et jusqu'où nos actes peuvent aller. Vous avez le monde entre vos mains. Vous avez le pouvoir.

 La société d'aujourd'hui est bancale, elle ne tient pas compte des erreurs passées, et est fondée sur les inégalités, les préjugés, et la méfiance. Nous ne pouvons pas nous permettre de remettre l'avenir à des gens peu fiables. Nous allons donc vous éprouver. 

Avant de passer à notre mission finale, celle de renverser le gouvernement et de rendre le monde meilleur, nous avons quelques petites choses à régler. Chacun d'entre vous se verra donc attribuer une petite mission à effectuer avant d'être intégrer dans le plan le plus important. Il ne s'agit pas de risquer votre vie, juste de nous rendre service tout en prouvant votre bonne foi. Vous serez aidés par un des fondateurs du groupe. Rosie, ici présente, va vous donner vos ordres de mission et vous indiquer qui vous aidera. Bonne chance!"

Rosie se trouve être la belle rousse aux yeux d'améthyste. Génial. 

Je me demande comment ils font, pour avoir ces iris comme incrustés de pierres précieuses. Ce sont peut-être des lentilles, comme celles que nous avons portées hier... J'ai complétement oublié l'endroit où je les ai posées d'ailleurs... 

J'attends derrière les autres pour recevoir mon "ordre de mission", à la queue-leu-leu, avec la sérieuse impression qu'on nous infantilise. Rosie me tend une feuille plastifiée, avec des titres en couleur. Ils ont du budget à dépenser, apparemment. Une alarme retentit alors, et, tandis que je panique à l'idée d'une effraction ou d'un incendie, une voix s'élève:

"- Dans cinq minutes, le musée ouvre ses portes au public, et ce jusqu'à midi. Pendant ce laps de temps, veuillez éviter de faire du bruit. De plus, sortir de la zone privée est interdit. Merci!"

L'alarme se tait. Nous sommes surpris, mais Rosie et ses semblables n'ont même pas interrompues leurs actions. Elle agite la feuille sous mes yeux d'un air impatient, et je la prends.  Elle me désigne du menton un groupe de trois personnes installées dans un canapé, et je me hâte de les rejoindre. Mélodie parle avec une fille brune, la vingtaine, yeux d'onyx et grand sourire. Je comprend vite que cette fille, Keira, est chargée d'aider Mélodie dans sa mission. La troisième personne est aussi une jeune femme: chignon châtain et regard de saphir, elle semble assez embêtée de m'avoir dans les pattes, mais elle me sourit tout de même. J'apprend plus tard qu'elle se nomme Serena, et que je devrais réussir ma mission à ses côtés. 

Je lis mon ordre de mission:

"Mission 43/50: Les cartes

Pour entrer dans un bon nombre de bâtiments du centre-ville, une carte est nécessaire. Elle est distribuée aux SUPs qui la demande et dont la requête est étudiée avant d'être autorisée. Il est donc très difficile de s'en procurer, même pour les SUPs de classe moyenne. En voler à un SUP est inconcevable: ils y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. Il faudra donc les voler à la source, c'est-à dire au centre de la presqu'île d'Amadouin. Cette presqu'île est située au nord de la ville, à quelques minutes de navette. Quand la marée est haute, Amadouin est complétement coupée de la ville, il faudra donc avoir un timing parfait. 

Vous devrez aller à la gare la plus proche, prendre la navette avec votre parrain/marraine de mission, puis entrer dans le commissariat et dérober les cartes.

Un plan de la presqu'île vous sera remis, évitez à tous prix la plage tout au Nord d'Amadouin. 

Niveau de dangerosité: 3.5/5"

Cela ne m'apprend pas grand-chose. Ah si, c'est dangereux. Super.

"- Euh, Serena?

- Oui? Excuse-moi, tu peux me rappeler ton prénom ? J'ai oublié...

-Karina... J'ai pas vraiment compris l'ordre de mission.  Y'a une presqu'île juste à côté d'ici? Et puis c'est quoi cette histoire de plage dangereuse?

- Oula, il vous faut un cours de rattrapage à vous. Attends, je vais voir avec Nadiet s'il ne peut pas vous faire un résumé."

Je la vois s'éloigner, et j'aperçois quelques mèches couleur saphir dans son chignon châtain. Je ne vois pas en quoi avoir des mèches de la même couleur que ses yeux est une coquetterie, mais bon, chacun ses goûts. Elle s'approche de l'être à l'aura surnaturelle qu'est Nadiet, et lui parle avec un grand sourire. Je crois même apercevoir ses joues rosirent quand Nadiet lui frôle la main. Je reporte mon attention sur Mélodie qui relit pour la troisième fois son ordre de mission. Keira regarde par-dessus son épaule et fronce les sourcils. J'espère que la mission de ma meilleure amie n'est pas trop périlleuse... 

J'aperçois Lucas en pleine discussion avec une femme au teint cuivré. Cette dernière a un immense sourire sur les lèvres alors que le chef de notre petite bande a une expression de concentration intense, le contraste est assez comique. Je repère aussi Lucie, assise dans un fauteuil, recroquevillée sur elle-même. J'aimerais lui demander ce qu'il ne va pas, mais Serena arrive:

"-Dis à tes amis qu'ont les attend dans la salle de gauche. Et tu ne leur cries pas hein, sinon on est foutus."

Résistant à l'envie de hausser la voix pour prévenir tout le monde d'un coup, je fais passer le message. Je ne comprends absolument pas pourquoi Serena veut que l'on se rassemble, et pourquoi dans la salle de gauche et pas dans celle-là, mais j'obéis tout de même.

Peu à peu, le groupe se dirige vers la pièce désignée. Celle-ci ressemble fortement à une salle de cours, avec ses bureaux deux par deux, son tableau, sa carte du monde et sa frise chronologique. Nadiet, sur l'estrade, nous demande de nous asseoir. Je me mets avec Lucie, et tous les parrains et marraines de mission restent debout au fond de la pièce. Lucie a les yeux rougis, et ses cils sont perlés de larmes.

"- Karina?

-Oui?

-Ma mission...

-Ben quoi?

- Elle a un niveau de dangerosité de 4.5/5.

-Ah...

-J'vais mourir, hein?

-Mais non. Tu vas demander à échanger avec quelqu'un d'autre!

- Pour qu'il meure à ma place? Hors de question. Le problème, c'est eux, ces gens qui croient sauver le monde mais qui mettent en danger des adolescents et tuent des innocents!

-C'est de nous que tu parles? demande Nadiet, à l'autre bout de la pièce.  Je mets un moment avant de comprendre qu'il parle bel et bien à Lucie, et qu'il nous a entendu chuchoter à plusieurs mètres de distance.

-Moi? Non... Je... Je parlais à Karina de...

-La recette de l'omelette! Lucie est une vraie pro! Pas vrai Lucie?

-Ouais.

-Bien sûr. Bref, écoutez mesdemoiselles, ou vous risquez d'être perdues! dit Nadiet en reprenant son discours.

-La recette de l'omelette? Sérieux? me chuchote Lucie avec un air mi-offensé mi-amusé.

-J'ai fait avec ce que j'ai pu. Concentre-toi maintenant, ce qu'il va t'apprendre pourra sans doutes t'aider dans ta mission, ou même te sauver la vie."

La voix de l'étrange personnage m'hypnotise presque, et il m'apprend plus de choses que je n'en ai découvertes au cours de ma vie:

"- Comme vous le savez tous, il existe deux catégories d'humains connues: les Infs et les SUPs. Ce que vous ignorez cependant, c'est qu'il existe une troisième catégorie, nous, les Extras. Les hommes ont créé les Extras pour leur servir de guide dans la crise climatique et politique qui a déchirée le monde il y a deux siècles.

                Nous étions censés inspirer le respect et faire obéir les hommes aux mesures écologiques très strictes définies pour rétablir un semblant d'équilibre sur Terre. Malheureusement, les hommes n'ont pas apprécié d'être surpassés. Nous avons alors été lâchés dans la population avec l'ordre de nous faire discrets. La plupart des dirigeants de ce groupe sont des enfants d'Extras ou des métis Extras/SUPs ou Extras/Infs. 

                                  Les Infs ont été créés après les Extras, et devaient être des gens obéissant ne remettant pas en question les lois écologiques et autres prises dans l'urgence de la situation. Ainsi, à votre naissance, à l'hôpital, vous avez tous subi une opération sans le savoir: vos cœurs sont programmés pour s'arrêter à cinquante ans, et, toute votre vie, on vous exploitera. De cette façon, vous n'avez pas assez de temps pour vous faire votre propre idée sur le monde. Votre caractère docile n'est pas seulement dû à cela: on ignore encore comment, mais de longues recherches en laboratoire ont été faites, et votre soumission est génétique. Ainsi, même si vos enfants sont élevés comme des SUPs , ils auront le réflexe de baisser les yeux quand on leur adresse la parole. Vos yeux métalliques sont juste le fruit d'un groupe de scientifiques fantaisistes, les mêmes qui ont décidé que les Extras auraient des iris de pierres précieuses. Ils s'amusent bien, au labo... 

                                        Au départ, une seule génération devait partiellement devenir Inf, mais les hommes ont pris goût à ces sous-hommes qui faisaient tout ce qu'ils demandaient. Vraiment tout. Les SUPs ont commencé à vraiment abuser de la situation. C'est pourquoi vous avez sûrement presque tous du sang SUP dans les veines. Je ne sais pas si vous avez compris, mais élections ont été reportées à cause de certains événements, comme un attentat ayant tué dix personnes la semaine dernière. Nous ne sommes pas les seuls à vouloir du changement. Une candidate en particulier a retenu notre attention: Lucrèce Bagrio. 

Elle aimerait rétablir une seule "sorte" d'hommes. Malheureusement, ses idées sont un peu radicales: elle veut stériliser toutes les Infs. Dans moins de cinquante ans, tous les Infs auraient disparus.

- Et que compte-elle faire pour les Infs encore vivants? questionne Mélodie,Les enfants Infs payent la retraite de leurs parents, il faudrait que l'Etat donne une grosse somme à chaque famille Inf pour compenser l'absence du revenu que leur aurait donné leur progéniture.

-Elle ne parle pas d'améliorations ou d'aides pour les Infs, répond Nadiet. Son but est juste de les... éradiquer. Et, même si cela ne figure pas dans son programme, je suppose qu'elle compte faire pareil avec les Extras... "

La conversation se poursuit, mais ne m'intéresse pas. Je pense sans cesse à ma mission. Plus j'y réfléchi, plus elle me paraît floue. Mais j'ai confiance en cet homme aux yeux adamantins: il saura nous guider. 

La réunion se termine. Le groupe se réunit autour de biscuits pour parler de ces révélations, et j'apprends que d'autres "cours" auront lieu, par exemple sur la géographie de l'endroit, ce qui devrait m'expliquer l'histoire de la plage dangereuse. Moi, je m'en fous du pourquoi et du comment. Tout me semble si incroyable, de toutes manières... 

Je me réfugie au dortoir, où je trouve Lucas sur son ordinateur portable.

"- Y'a du nouveau? demandé-je.

-Oh que oui. Et ça te concerne. Viens voir!"

La vidéo provient de la caméra que j'ai (inconsciemment) placée chez Ismaël et date d'il y a environ une heure. Je vois la porte d'entrée s'ouvrir sur Ismaël suivi de... Camille. 

J'avoue que je suis surprise. Elle qui me reprochait de rester avec ce SUP car je ne le méritais pas... J'entends mal les voix, mais Camille à l'air de se demander ce qu'elle fait ici. Lucas monte le volume et je peux entendre la discussion:

"-Inférieure à vous, respect et obéissance, murmure Camille. Pourquoi m'avez-vous emmenée ici? Vos parents vont me chasser.

- Ne me vouvoie pas. Et oublie cette formule de politesse à la con. Mes parents sont partis il y a trois heures pour la capitale, voyage d'affaires. Tu peux te détendre, personne ne va te faire du mal, lui assure mon ancien petit ami.

- Désolée, c'est juste que je vous... que je te connais très peu et...

- J'ai remarqué que tu me regardais souvent en cours.

-Moi? Certainement pas! Je veux dire... balbutia Camille.

-Tu m'aimes.

- Je n'ai ni le droit ni la prétention de vous infliger une telle honte!

- Embrasse-moi."

Je mets la vidéo sur pause et regarde Lucas, énervée. S'il me montre ces images seulement pour me blesser et m'humilier, c'est réussi! Je m'apprête à lui demander des explications, mais il pousse un long soupir et relance la vidéo:

"-Je ne peux pas, répond Camille, qui recule et blêmis.

- Je suis un SUP, tu es une Inf. Je te donne un ordre, tu l'exécutes. Embrasse-moi."

                                          Et, écœurée, je vois la petite brune s'approcher du beau ténébreux. Il ne bouge pas d'un millimètre. Elle se hisse sur le pointe des pieds, et, du bout des lèvres, embrasse Ismaël. Je détourne le regard, sentant une colère indescriptible monter en moi. L'odieux Supérieur finit par intensifier le baiser avec mon ancienne meilleure amie, et je décide de fermer carrément les yeux. Au bout de quelques instants, j'ose rouvrir mes paupières, et je les vois se séparer avec regret. La brunette a l'air toute bouleversée, et je la comprend; il embrasse terriblement bien. Le brun finit par reprendre la parole:

"- Tu m'aimes?

-Seulement si vous m'en donnez l'autorisation.

- Je te donne l'obligation de m'aimer, répond Ismaël, que les paroles de Camille ont fait sourire.

- C'est pour cela que vous m'avez demandé de passer chez vous?

-Tutoie-moi je t'ai dit. Non, tu es là car j'aimerais te demander un service.

-J'écoute.

- Retrouve Karina.

-Je ne sais pas où elle est.

- Trouve.

- Tu l'aimes encore?"

Pour toutes réponses, Ismaël l'embrasse de nouveau. Il la raccompagne ensuite à la porte et la salue.

Lucas éteint l'ordinateur et me regarde. Je lis dans ses yeux qu'il me demande ce que j'en pense:

"- Il a embrassé Camille! dis-je d'une voix étouffée.

-C'est tout ce qui te choque?

-Il veut me retrouver! Et il n'a pas dit qu'il ne m'aimait plus.

-Karina... C'est pas ça l'important... Il est prêt à tout! S'il s'obstine vraiment, on est dans la merde... T'es un vrai danger pour le groupe!"

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Ce chapitre a énormément de retard... Si quelqu'un sait comment régler un wattbug (je pense que ça vient de moi, les gens sur wattpad ne s'en plaignent pas) n'hésitez pas.

Que pensez-vous du chapitre?

Que pensez-vous de Nadiet? Et des missions?

Aimez-vous les nouveaux personnages?

Camille et Ismaël?

L'histoire des Infs et des Extras?

Dites-moi ce que vous en pensez!!!