27. Destination danger

Je réajuste ma veste en cuir d'un air appréciateur : je n'ai jamais été  aussi bien habillée, sauf le jour de mon mariage peut-être.

Le contact de cette matière m'apaise et me rappelle que je suis toujours en vie malgré les évènements de cette nuit.

       Si dès la naissance j'avais eu cette apparence, aurai-je pu vivre avec Ismaël ? Peut-être serions nous mariés, ou en voyage pour faire de longues études, des Infs à notre service et assez d'argent en poche pour vivre sans travailler...

          Je prends une grande inspiration, emplissant mes poumons du parfum des produits d'entretien. Une SUP de classe moyenne entre comme une tornade dans les toilettes, m'adresse un sourire, se poste devant le miroir à côté de moi et rectifie son maquillage. Elle n'est pas mieux habillée que moi, en tenue de voyage, et ne me prend pas de haut. Je jubile intérieurement et lui offre mon plus beau sourire. J'aimerai lui parler, la voir me répondre comme si j'étais son égale. La forte lumière des néons rend presque transparents ses iris bleus. Elle n'a pas besoin de lentilles, elle...

             Tout à coup je me rend compte que mon groupe est parti sans m'attendre. Sous le regard étonné de la jeune SUP, je me rue hors des toilettes, jettant des œillades paniquées à travers la gare. La lumière crue noie les visages de ces gens qui se pressent, attendant leur train. Le hall s'est rempli d'un seul coup, des messieurs à l'air important et des femmes à l'air pincé affluant encore par les deux grandes portes.

             Aucun visage familier ne me sauve de cette tempête de parfums capiteux et de lourdes valises. Je vois quelques Infs de la classe aisée porter les bagages des SUPs: courbés, la tête baissée, les yeux brillants d'or ou d'argent, ils obéissent sans protester.

            Je me fais bousculer, essayant d'avoir l'air assuré pour ne pas paraître suspecte. Je me rappelle avec horreur qu'en partant avec précipitation des toilettes, j'ai oublié mon sac. Je cours donc en sens inverse mais, sans surprise, mon sac n'y est plus. Il ne me reste plus que mon billet de train dans la poche arrière de mon short. Je regarde l'heure du départ, et je comprends qu'il me reste vingt minutes. Il faut que je retrouve les autres et mon sac en vingt minutes.

            J'hésite à demander à la personne au guichet si elle a vu mon sac, mais je ne trouve pas cela prudent. Chaque fois que j'aperçois une femme aux cheveux bruns, je crois voir Mélodie, et à chaque fois qu'un bagage coloré passe dans mon champ de vision, j'ai l'impression qu'il s'agit de mon sac.

         Finalement, je décide d'aller attendre sur le quai où doit se trouver mon train; les rebelles s'y  trouveront forcément, et peut-être auront-ils récupéré mon sac.

            Je suis donc les panneaux. Il me faut passer dans un couloir en sous-sol, où l'on me bouscule allègrement, repérer mon numéro de quai, grimper quatre à quatre des escaliers, et, enfin, émerger à l'air libre.

           Le train est déjà là. Je n'en ai jamais vu d'aussi près, à l'arrêt. D'habitude, je ne vois qu'une forme si rapide que je n'en retiens qu'une impression de couleur, une sensation de vitesse, un avant-goût de voyage. Là, le monstre de métal semble s'être assoupi, et me dire que je vais monter dans cette machine me fait un peu peur. Une bourrasque de vent m'arrache à cette contemplation. J'essaye de repérer mon groupe, que j'identifie enfin tout au bout du quai, commençant à entrer dans le wagon. Un sourire étire mes lèvres ; je n'ai jamais été aussi heureuse de les voir!

             Je cours dans leur direction, mes cheveux se plaquant contre mon visage à cause du vent. Lucas me regarde avec indifférence :

"– Ah t'es là ! Allez t'es encore une fois la dernière, dépêche-toi de monter! Et il est où ton sac?

– C'est-à-dire que... Dans la précipitation...

– Non mais je m'en fous. Si t'es pas capable de surveiller tes affaires, c'est pas mon problème après tout. Je t'ai posé la question par politesse, t'étais pas obligée de répondre !"

                   Irritée, je dévisage les traits du chef: son visage poupin est crispé, il attend visiblement que je m'active. Ses yeux sont couleur noisette et, si je me souviens bien, ils sont striés d'acier sans ses lentilles. Il soupire et lève les yeux au ciel face à mon inaction, puis me pousse sans ménagement dans le wagon. Je bute sur les marches, et je tombe plus que je n'entre à l'intérieur. Je me tourne et appuie sur un bouton pour ouvrir deux grandes portes, qui révèlent des rangées de siège numérotés.

                    Je marche entre les sièges, rassemblés en îlots de quatre, et trouve enfin ma place. Je suis à la place quarante-deux, à côté de la fenêtre, en face de Mélodie et à côté de la fille qui s'est fait mal à la cheville au début du périple. La place à côté de Mélodie est vide et entre elle et moi se trouve une petite table. Ma voisine s'appelle Lucie, et ses yeux ont une drôle de couleur : ses yeux sont bruns et cuivre à l'origine, mais elle a hérité de lentilles vertes qui ne couvre pas bien la teinte foncée de ses iris, faisant ainsi un curieux mélange de brun et de vert.

                Soudain le train se met en branle. Je saisis la table de mes deux mains, craignant une brusque secousse. Cependant, la machine démarre avec douceur, puis tombe dans un rythme lent et répétitif. Le paysage défile de plus en plus rapidement, m'éloignant de ma zone de confort. J'ai les larmes aux yeux lorsque j'aperçois les dernières maisons Infs...

            Petit à petit, la conversation entre Mélodie et Lucie s'étoffe, elles parlent de plans et de ravitaillement, de groupes en détresse et... d'éléphants. Je crois qu'il s'agit d'un nom de code. Elles conversent en chuchotant, m'expliquant que même s'il n'y a personne dans le wagon qui ne fasse partie du groupe, il peut y avoir des caméras. Je regarde le paysage, impressionnée par la vitesse de l'engin dans lequel nous nous trouvons, mais ce spectacle me laisse vite. J'essaye alors de comprendre de quoi parlent les filles, qui semblent m'avoir oublié. Au bout d'un certain temps, leur indifférence à mon égard m'agace et j'attire leur attention :

"–Bon les filles ! Vous voulez bien m'expliquer tout depuis le début ? Je suis perdue là ! On fait partie d'un groupe isolé ou d'un grand réseau organisé de résistants possédant armes, contacts haut placés et plan d'attaque ?

– Deuxième option, répond Lucie en échangeant un regard avec Mélodie, on lui explique?

– On est bien obligé. Elle peut faire tout foirer si elle ne sait pas tout, dit ma meilleure amie avant de prendre une grande inspiration, par quoi commencer ?

– Par le début ? proposé-je.

Laisse-moi le temps d'en parler à Lucas, il y a peut-être des détails qu'il me faut te cacher. Ce n'est pas contre toi, je ne sais pas tout moi-même."

    Elle se lève donc et se dirige vers le chef, qui parle activement avec un petit roux aux yeux bleus. Tout à coup, les hauts parleurs grésillent et une voix enjouée se fait entendre :

"- Chers voyageurs SUPs, ce train s'arrêtera à Olbo, Perity, Martez avant d'arriver au terminus Disbor, notre belle capitale ! Des drones passeront dans chaque wagons pour vous proposer boissons, nourriture ou articles de mode, vous garantissant ainsi un agréable et confortable voyage ! Pour les SUPs voyageant en première classe, les voitures cinéma et restaurant vous sont accessibles sur présentation de votre carte Premium! Des tablettes sont à votre disposition sous votre siège ! Sur ce, nous vous souhaitons un bon voyage à bord du Supexpress!"

                     La voix robotique se tait enfin, laissant un grand silence. Lucie se baisse pour attraper la tablette sous son siège, et découvre en même temps qu'il y a aussi une télécommande. Nous nous amusons à appuyer sur les boutons : certains ferment et ouvrent les stores, d'autres règlent la musique ou l'éclairage, et il y en a même un qui fait apparaître une petite télévision !

               Nous choisissons de regarder les informations concernant notre petite ville, pour voir s'ils ont déjà remarqué mon absence. Normalement, ils devraient vite s'en rendre compte, les gardes devant ma porte sont complètement inutiles, mais ils ont un minimum de jugeote. Pendant une heure, le présentateur télé ne parle que de politique (les élections se rapprochent) et de la femme du maire qui vient d'accoucher. Puis, un flash spécial est annoncé, et je vois ma photo avec un signalement, ma maison encerclée de policiers, ma mère interviewée, un air perdu sur le visage et puis... Célestin.

         Son œil au beurre noir ressort encore plus à la télé, les policiers le brutalisent, ils le sortent de la maison et l'embarquent. J'éteins la télé, sonnée, et Lucie me regarde avec compassion... Mais qu'est-ce que j'ai fait...

                      ★★★★★

Voilà voilà!

Dites-moi tout ce que vous pensez du chapitre, il me tient à cœur !

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