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Ce fut ainsi que démarra leur amitié improbable : la fougueuse lionne du village et le morveux à la langue acérée. Reina était supposée incarner tout ce qui l'horripilait, et pourtant, quelque chose l'appelait : elle et Silas n'étaient pas si différents et c'est très rapidement qu'ils découvrirent que tout deux nourrissaient secrètement l'espoir de mettre les voiles, partir du village et embrasser une nouvelle vie loin des impératifs qui les entravaient depuis toujours.

Si eux trouvèrent du réconfort dans cet amitié, ce fut très mal vu auprès des villageois qui eux, subissaient deux fois plus de dégâts.
Au fil des années, ils étaient devenus absolument inséparables ; comme une évidence, ils partageaient tout.

Dans un premier temps, Clyde fut profondément heureux de voir sa fille nouer des liens avec quelqu'un ; malheureusement ce doux sentiment fut bref. L'homme vivait seul avec sa fille depuis de longues années et en dehors d'elle, il n'avait personne d'autre.
La maison restait vide après l'école. En plus de cela, leurs discussions se raréfiaient et quelque part, la sensation de distance s'installait. Ne plus être l'unique confident de sa fille l'attristait et pire encore, il y avait cette sensation qu'elle lui cachait des choses ; même lorsqu'ils passaient du temps tous les deux, son esprit semblait ailleurs. Clyde le savait, c'était ridicule et puéril mais bien malgré lui, il commençait à détester cet avorton qui lui volait sa fille.
Le brave homme avait toujours travaillé durement : cultiver la terre, nourrir le monde par la force de ses mains calleuses, voilà qui avait toujours fait sa fierté. Sa famille, comme un peu toutes celles qui constituaient ce hameau perdu au cœur des montagnes, n'était pas très éduquée. Lui-même ne savait pas lire et forcément, ce manquement avait également porté préjudice à sa fille unique, qui présentait de nettes lacunes en classe. Le père de famille n'en avait pas honte et comme il aimait le penser, il contribuait autrement.
En les voyant grandir, un détail l'avait frappé ; Silas, ce sale gosse, était incroyablement fainéant ! Le gamin, pas motivé pour un sou, refusait toute corvée physique. « La terre, huh... ça me dégoûte », soupirait-il souvent face aux instructions du potier, son père. Celui-ci s'arrachait les cheveux en tentant vainement de lui inculquer les bases de son métier, inutile de dire que la calvitie gagnait du terrain. Le gamin semblait échouer à tous les niveaux et collectionnait les défauts, alors pourquoi sa fille, dont il connaissait la gentillesse et la noblesse de cœur, s'entourait-elle de cet effronté ? Le père de famille en avait la conviction, ce fauteur de trouble allait tout gâcher.

Bien sûr, ce détail n'avait pas échappé à la petite rouquine ; elle lisait dans les yeux de celui qui lui avait tout appris un profond dédain pour son seul ami et confident. Silas s'en rendait compte lui aussi, mais ne s'en offusquait absolument. Ca lui glissait dessus, comme tout le reste. C'était assez habituel en fin de compte et en plus de ça, il admettait volontiers que lui non plus n'aimait pas grand monde. Quand venait l'heure pour lui de rentrer, Silas prenait toujours un plaisir infini à raccompagner sa comparse et à adresser un large sourire malicieux à ce cher Clyde. Il nourrissait paisiblement la rage du père de famille tout en sachant qu'il ne pourrait absolument rien y faire : plus qu'il ne le haïssait, il adorait sa fille et n'oserait jamais la priver de la seule personne qui l'acceptait telle qu'elle était. Reina avait beau dire à son vaurien de complice d'éviter de jeter de l'huile sur le feu, il n'en faisait rien : sûr de son emprise sur son amie, Silas savait pertinemment qu'il ne risquait absolument rien et que quoi qu'il se passe, elle reviendrait inévitablement vers lui.  

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