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L'étape suivante fut de le prendre en filature : la fouineuse se mit à suivre rigoureusement les journées de sa cible et tapie dans l'ombre, l'observait sans le moindre mot.
Sa proie, égale à elle-même, ne laissait jamais rien transparaître de ses émotions et continuait à vaquer à ses occupations habituelles. Il fallait trouver une autre façon de procéder ; alors qu'elle observait l'échoppe de son père, qui était le potier du village, Reina eut l'idée d'interroger leurs voisins pour en apprendre un peu plus.
Un vieux monsieur se prélassait sur un banc, astiquant paisiblement son épaisse moustache tout en fumant sa pipe. Tout près de là, une des fermières tirait de l'eau du puit tout en bavardant avec quelques autres femmes. La petite rousse s'approcha en sautillant et d'un air enjoué se mêla à la discussion.
« Dites, vous connaissez la famille du potier ? »
Toutes eurent l'air un peu surprises par cette étrange question ; puis après s'être toute regardées quelques instants, les langues se délièrent. La femme du potier se trouvait être la fleuriste, une femme assez jolie mais éteinte, dont l'éclat se ravivait seulement lorsqu'elle assemblait ses compositions. La famille en elle-même ne semblait pas très unie : le père, fier de sa force et de son travail, s'était constitué une féroce réputation de brute misogyne dans le voisinage. En dehors de ça, il était compétent et son efficacité reconnu de tous. Et le fils ? Les regards se détournaient, des soupires retentissaient sans retenue. « Un fainéant ! », lâcha une première personne. « Son père a honte de lui, ils se disputent beaucoup », ajouta une autre tout bas. « Un bon à rien », conclue la fermière avec une pointe de révolte dans la voix.
« Autre chose ? »
Tous semblèrent hésiter un instant ; leurs regards se croisaient, leurs visages devenaient plus tendus. Étrange. Les adultes lui secouèrent la tête, chassant de leurs pensées ce qui venait de les perturber. Il fallait se rendre à l'évidence, ceux là ne lui diraient rien de plus.
Le bilan n'était pas brillant. Le problème résidait peut-être là, Silas n'avait visiblement pas d'attache ni personne en qui avoir confiance. Pour ne pas s'écrouler face à toutes ces mauvaises langues, il prenait les devants et attaquait, chassant par lui-même quiconque s'approchant trop près et occupait son esprit en absorbant sans cesse une quantité impressionnante d'informations.
Reina se sentit un peu triste en repensant à tout ce qu'elle venait de découvrir. Elle savait ce que c'était le poids du regard des autres, mais sa chance était que son père n'avait jamais cessé de la soutenir et de lui manifester une affection indéniable. Une vie de solitude tout en étant entouré de personnes qui ne cherchent même pas à comprendre, voilà qui devait être douloureux. Le nabot en question avait beau avoir été désagréable à souhait, à cet instant là, tout ce qu'elle ressentait n'était que de la peine pour lui.
« Ah, je ne dois pas me laisser aller ! »
Reina redressa fièrement son dos et pleine d'une détermination nouvelle, se dit qu'elle sortirait ce petit lapin de son trou.
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