7
Le 4x4 secoua à nouveau ses occupants en passant sans ralentir sur un nid de poule au milieu de la route.
— Oh mais tu peux ralentir, depuis le temps on doit être loin de la ville.
— Je n'avais pas vu, il fait nuit.
Douze prit la parole, toujours en regardant par la fenêtre la forêt qui s'étendait sur le côté de la route.
— Justement, on devrait faire une pause. Tu ne tiendras pas jusqu'à Arlington. Ou alors passe le relais.
— On va s'arrêter à la prochaine ville et on dormira dans la voiture en se relayant pour monter la garde.
— L'incident du motel ne t'a pas convaincu, tu veux à nouveau visiter une ville ?
Le conducteur ne répondit rien et Maxance prit la parole à sa place.
— Je pense que L'Arbalète a raison, une ville est une enceinte plus sûre que le bas côté de la route.
Le silence dans la voiture régna jusqu'à ce qu'un panneau indique l'entrée de la ville de Uniontown. L'Arbalète s'engagea dans une grande rue et contrairement à la première, cette bourgade-là tenait encore à peu près debout. Maxance se pencha légèrement vers l'habitacle avant.
— On dirait le clocher dans The Vampire Diaries...
Evie leva les yeux au ciel.
— Est-ce que tu peux arrêter de faire des références à des choses que l'on ne peut pas connaître, ni comprendre.
— Je suis plutôt d'accord, surtout que le terme 'vampire' à mon époque ne signifiait rien de bon.
Le blond tourna la tête vers Ash avec une expression désolée sur le visage mais il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit car Douze pointa un bâtiment, ou plutôt un mur, du doigt.
— Regardez ! Vous pensez que c'est qui ?
L'Arbalète ralentit au niveau du bâtiment et du pan de mur où était peint le portrait d'un homme accompagné d'un message de bienvenue et d'un slogan : « L'innovation n'est jamais trop » - sans doute l'une de ses citations - aux couleurs du drapeau américain.
— Je ne sais pas, mais il a pas l'air commode. Et son slogan, sans vouloir l'offenser, vu la tournure des événements est à remettre en question...
— Je... J'ai du mal à imaginer le monde avant. Cette ville, ou du moins cette partie, paraît si normale...
— Il en manque simplement les habitants.
La brune leva à nouveau les yeux.
— Tu sais très bien ce que je veux dire.
L'Arbalète reprit la route et se gara un peu plus loin au niveau d'un parc avant de couper le contact. Tous les membres descendirent du véhicule pour respirer l'air extérieur.
— Gardez vos armes, on ne sait jamais.
Aucun ne répondit, Maxance et Ash partirent à l'opposé d'où ils étaient pour examiner les alentours avant de revenir une dizaine de minutes plus tard en indiquant qu'il n'y avait rien d'étrange à signaler.
— Tant mieux, on va pouvoir manger un morceau.
— On l'a bien mérité.
Evie et L'Arbalète distribuèrent des sandwichs pris dans l'un des sacs donnés par Ulrich et mangèrent en silence.
Douze était installé sur le toit du 4x4, plus bas à sa droite sur le siège conducteur se trouvait Evie et L'Arbalète adossé contre la portière. Ash et Maxance étaient debout face à eux. Ils sursautèrent quand un bruit de cloche retentit pour sonner trois heures du matin.
— Je vous avais dit que ce clocher était flippant.
— Vous vous rendez compte de ce que ça veut dire ? Que depuis la Période Noire, depuis que cette ville a été désertée, les cloches continuent malgré tout de sonner et de résonner dans le vide.
L'Arbalète referma le sac à dos après avoir récupéré les déchets de chacun.
— Vous devriez essayer de dormir un peu à l'arrière du 4x4. Je vais prendre le premier tour de garde.
Ash, Maxance et Evie s'exécutèrent, Douze resta à sa place et L'Arbalète partit faire une ronde aux alentours du parc.
*
— Tu ne veux pas dormir ?
— Non et (il fit un signe de tête vers le parc derrière lui) je crois que L'Arbalète s'est endormi sur un banc.
Evie leva la tête vers la lune, pleine cette nuit, qui éclairait l'endroit.
— Tu les avais vu toi aussi.
Douze, toujours sur son perchoir, resta un moment silencieux, le nez en l'air vers le ciel.
— Je n'étais pas sûr. Le soleil aurait pu juste nous jouer un tour. Une branche qui bouge, un animal...
— Tu penses qu'ils sont partout ? Qu'il y en a beaucoup comme ça ?
— Noa aura su quoi faire.
— Ce n'est pas seulement Noa. Ce que je veux dire, c'est qu'avant d'être ce qu'ils sont, ce sont simplement des Bannis. Comment ont-ils pu arriver jusqu'ici ? Comment le Bâtiment peut-il les laisser... libres ? Comment ils ont pu quitter les Zones Interdites ? Quelque chose nous échappe...
— Tu veux mon point de vue honnête ?
Les lèvres d'Evie s'étirèrent légèrement en un sourire.
— Je pense qu'on a vécu assez de choses pour que tu ne prennes plus la peine de me préserver.
— Tu ne penses pas que le Bâtiment s'en fiche tout simplement ? Une fois dans les Zones Interdites, les Bannis ne sont plus leur problème. Ils doivent se retrouver, devenir une communauté et s'il arrive qu'ils s'enfuient, qu'ils s'échappent... Ou juste qu'ils partent, ça ne m'étonnerait pas que rien ne les retienne, c'est ça de moins pour les Dirigeants. Et pour ceux qui restent, on sait maintenant ce qu'il en advient.
La jeune fille resta un moment silencieuse à encaisser les paroles de son coéquipier.
— Il y a des choses qui ne collent pas. Pourquoi ils se contente de les bannir, pourquoi ne pas les tuer directement si ce sont des cas irrécupérables. Ils ont l'air tellement détaché de ce qu'il se passe à l'Extérieur.
— Vous ne dormez pas ?
Les deux membres de l'Unité tournèrent la tête vers Ash et Maxance qui venaient de faire leur apparition.
— Evie refait le monde.
— C'est au Bâtiment de s'en charger, vous savez bien (il mima des guillemets avec ses doigts) la cause.
— Balivernes. Je pense qu'il n'y a aucune cause, aucune mission sauvetage. On est juste là pour nous faire miroiter un avenir qui ne peut pas exister. Et entre deux on nous apprend à tuer.
— Tu penses ça toi ?
Ash se tourna vers Douze.
— Quoi ?
— Evie se demandait pourquoi faire des Bannis, pourquoi ne pas tuer les Éveillés déficients directement. Tu penses qu'ils leurs servent pour les Unités d'Élites ? Comme un entraînement supplémentaire.
— Je ne sais pas. Je vous assure que depuis notre première rencontre avec l'un d'eux, ça me retourne le cerveau. Pas vous ?
— Quelle était ton hypothèse la plus crédible ?
— Crédible je ne sais pas. J'ai tellement réfléchi sur le sujet que ça en devenait irrationnel. La plus plausible serait qu'en effet ils sont un entraînement pour quelque chose... d'autre ?
— Des Dégénérés ?
Le garçon haussa les épaules et Maxance enchaîna.
— Vous avez remarqué la vitesse de ceux du motel ? Vous pensez que c'est une transformation génétique ? Une mutation ?
— Je vois que la nuit a été écourtée.
L'Arbalète apparut à son tour de derrière le 4x4 et la question de Maxance resta en suspens.
— Si plus personne n'a l'intention de dormir, autant reprendre la route maintenant. Il doit rester trois cents kilomètres et on a déjà perdu du temps.
Ses paroles ne sonnaient pas comme une question, aucun des membres ne répondit et chacun reprit sa place dans le véhicule, les pensées dans tous les sens et davantage d'inquiétudes concernant Noa. Notamment après la mésaventure du motel.
*
Evie était accoudée sur le rebord de la vitre brisée qui donne sur l'habitacle avant, la tête posée sur ses bras croisés et tournée vers la fenêtre côté passager. Le soleil commençait à se lever et sa couleur rouge orangé donnait l'impression que le ciel était en feu. La brune ne le fixait pas directement pour ne pas se brûler les yeux mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander s'il s'agissait de sa couleur d'origine ou si c'était ce que ce monde avait connu qui l'avait rendu comme ça. Si la météo pouvait avoir été altérée, pourquoi pas l'espace ?
Depuis leur départ d'Uniontown, après que L'Arbalète ait interrompu leur conversation, la jeune fille ne cessait d'essayer de rapprocher ce qu'elle voyait défiler devant ses yeux à ce qu'elle imaginait avoir été le monde d'avant. La route sur laquelle avait réussi à s'engager L'Arbalète était presque déserte en comparaison avec celle qu'ils avaient tenté de prendre hier. D'après le peu de panneaux croisés, il s'agissait à l'époque d'une route privée reliant les États-Unis d'un bout à l'autre, uniquement par les personnalités importantes, dont les forces militaires. Les véhicules abandonnés ici appartenaient sans doute aux familles qu'il avait été impératif de sauver... ce qui avait visiblement été un échec. Tout comme VISION...
*
Trois heures et demi de route et de détours plus tard à cause de l'état des routes, l'Unité allait enfin voir le bout du calvaire.
— D'après le dernier panneau il reste une cinquantaine de kilomètres.
Douze déplia brièvement la carte d'Ulrich en fronçant les sourcils avant de regarder un panneau vert sous lequel ils passèrent.
— On est pas loin de Washington ?
L'Arbalète haussa les épaules en jetant un regard en coin à la feuille.
— Peut-être, oui.
— C'est une ville importante ça.
— Tu comptes nous faire un cours de géographie ?
— Le nom de cette ville est marquée en rouge, c'est simplement un constat. Je ne suis pas d'ici.
— Tu es d'où ? (Maxance se mordit la lèvre) Enfin, par rapport à ta période dans la Simulation.
Douze lança un regard au blond dans le rétroviseur extérieur.
— Pas d'ici blondinet. Je viens d'le dire.
Maxance fronça les sourcils. La relation entre lui et son coéquipier avait toujours été conflictuelle. Il savait que leur arrivée avec Noa au sein de l'Unité avait bousculé les habitudes. Et il avait beau tenter de faire des efforts, le plus jeune n'avait pas l'air déterminé à fraterniser aveuglément avec lui.
Il ne savait pas combien de temps il avait laissé son esprit divaguer, mais L'Arablète le tira de ses pensées après un long moment sans avoir pris la parole, trop occupé à se concentrer sur la route sans prêter attention aux mauvais conseils de son co-pilote perdu avec la carte.
— On arrive.
La voiture ralentit devant un tas de gravats et les trois têtes à l'arrière se rapprochèrent pour voir les restes de la ville à travers le pare-brise.
— C'est... un mur ? Enfin ce qu'il en reste ?
— Peut-être que dans la Réalité c'était une ville fortifiée ou un truc comme ça ?
— Les habitants voulaient peut-être se protéger ?
— Ou protéger quelque chose ?
— Le Cimetière ?
L'Arbalète fit une marche arrière avant de prendre la sortie de route sans doute apparut à la suite d'une explosion. Le 4x4 bringuebala, secouant les passagers, avant de retrouver une tenue de route correcte. Les membres de l'Unité fixèrent le panneau d'entrée de la ville et L'Arbalète prit une première rue résidentielle au hasard, puis une autre en prenant soin de ne pas pénétrer directement dans la ville.
— Vous avez vu comment ça a l'air propre malgré la Période Noire ? Comme si quelqu'un était chargé d'entretenir un minimum l'endroit.
— Si le Bâtiment envoyait des convois ici, ils ont sans doute dû réhabiliter la zone. Peut-être en envoyant des Unités.
— Là ! Regardez !
Evie se pencha encore plus en avant et pointa quelque chose du doigt. Le conducteur qui ne s'attendait pas à ce qu'elle s'exprime d'un coup aussi fort enfonça brusquement la pédale de frein, ce qui arracha un juron de mécontentement à son co-pilote.
— Quoi ? Il y a quelque chose sur la route ?
Ash ferma les yeux.
— Pas un Dégénéré, pitié pas un Dégénéré. Pas jusqu'ici.
— Non ! Non ! Le panneau que tu viens de passer !
Sa tête disparut de l'habitacle avant et elle se dirigea vers l'arrière du véhicule pour en descendre, ses coéquipiers sur les talons. L'Arbalète descendit précipitamment jurant en français, son arme à la main, regardant autour d'eux le paysage désertique, peut-être un peu trop calme.
— Qu'est-ce qui te prend ? Remonte ! (Il regarda les autres membres) Et vous aussi ! On ne sait pas où l'on est je vous rappelle !
La brune, figée devant le panneau, ne répondit pas et attendit qu'ils la rejoignent avant d'utiliser sa manche pour essuyer et faire apparaître les écritures plus nettement.
— Cimetière d'Arlington à 2,2 kilomètres.
— Donc c'est un vrai cimetière ?
Evie se tourna vers Ash pour le dévisager.
— Tu t'attendais à quoi ? Un ranch ? Une salle des fêtes ?
Le garçon leva les yeux au ciel mais ne répondit rien.
— On va y aller à pied.
— Pourquoi ?
— La discrétion Ash.
L'Arbalète fit demi-tour pour retourner vers le 4x4.
— Prenez vos armes, les sacs, équipez-vous.
Les membres de l'Unité s'exécutèrent et allèrent récupérer le nécessaire pour s'équiper avant de s'aventurer dans la ville pour trouver le Cimetière. Douze lança les clés à L'Arbalète après avoir fermé le véhicule et il les mit dans sa poche.
— On n'a pas de carte et pas d'indication à part un panneau. J'espère que Noa n'est pas trop bien cachée.
— Restez sur vos gardes. On est dans un lieu inconnu et... on sait ce que ça a donné par le passé.
Les cinq jeunes se regardèrent d'un air entendu avant de prendre la route.
*
Dans cette ville, la nature avait vraiment repris ses droits. Plus que dans les deux bourgades où l'Unité s'était arrêtée. Le quartier des affaires qui se dressait au loin à en juger par la taille des immeubles condensés à un même endroit avait l'air entouré d'une forêt qui ne devait pas se trouver là avant. Les végétations auraient empêchées de se déplacer en voiture sur une trop longue distance de ce côté.
Le groupe marchait avec synchronisation entre les arbres afin d'avoir un oeil partout et de guetter le moindre mouvement ou présence. Ash en tête s'arrêta d'un coup et mit un bras en travers de la route pour arrêter ses coéquipiers et faire un signe de tête pour qu'ils regardent quelques mètres plus loin.
— Par tous les Saints, Dieu merci que cette voiture soit la moins discrète du monde.
Les autres membres dévisagèrent L'Arbalète qui venait encore de prononcer une expression en français qu'ils ne comprirent pas et qu'ils ne cherchèrent pas non plus à comprendre. La Camaro jaune et noire était garée à une vingtaine de mètres d'eux.
— Noa voulait peut-être qu'on puisse la voir.
Personne ne répondit à Ash et ils marchèrent rapidement, sans courir, jusqu'à arriver dans une espèce de parc pour voir la voiture. Evie et Maxance en firent le tour.
— Elle est intacte et n'a pas l'air abandonnée.
— Les gars...
Les membres de l'Unité pivotèrent vers Douze qui avait profité du moment pour escalader un reste de statue. Ne voyant pas ce que lui avait sous les yeux et lui donnait ce ton inquiet, ils firent de même.
— Alors là...
Une étendue d'herbe entourée d'arbres en contrebas s'offrit à leurs yeux, surplombée par des milliers de pierres blanches.
— Ce sont des tombes ?
— Dans la Simulation, c'était un cimetière militaire.
— Mais est-ce que c'est le Cimetière ?
— On va tout de suite le savoir.
Douze remit son fusil sur son épaule et sauta de la statue pour partir d'un pas déterminé en direction des pierres les plus proches avant de s'arrêter pour s'accroupir en face de l'une d'elles et y lire une inscription gravée dessus.
— XY12-31. C'est un Matricule.
Ash qui était parti d'un autre côté confirma leur intuition.
— Il y en a partout.
— Ce sont des tombes destinés aux jeunes du Bâtiment.
Maxance regarda ses pieds avec dégoût.
— Vous voulez dire qu'on marche sur des jeunes comme nous là ?
— Oui. Sauf qu'ils sont morts. Pour de vrai.
Pour une fois ce fût Douze qui se fit dévisager d'un air blasé par les autres.
— Vous pensez que Noa est quelque part dans le Cimetière ?
— Ce dont on est sûrs c'est qu'elle est normalement dans cette ville.
— Comment on est censés la trouver ? Vous avez vu la taille de ce cimetière ? Il s'étend sur au moins trois kilomètres. Et la ville n'en parlons pas.
— On va parcourir ce lieu, aussi glauque et grand soit-il, de fond en comble s'il le faut.
*
— Ça va faire une heure qu'on déambule entre les morts et toujours rien.
— Ne parle pas trop vite.
À ses mots, Evie fit un signe de tête en direction d'une rangée de tombes à quelques mètres d'eux. Ils suivirent son regard et il fut impossible de décrire le sentiment de soulagement qui les envahit quand ils virent la silhouette de la blonde postée devant l'une des tombes blanches, dos à eux.
— Noa ?
À l'entente de son nom, la blonde s'arrêta dans son mouvement, son crayon en suspend au-dessus de sa feuille et elle pivota sur elle-même vers la voix qui venait de l'appeler. Elle était là.
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