21
Douze braque son autre revolver vers le banni qui lève machinalement les mains en l'air.
— Je... Je ne sais pas. Je vous jure que c'était lui. Je suis XY91-13, j'étais en Unité de recherches en médecine, je vous l'ai dit.
— Pourquoi tu aurais été banni si tu avais ta place dans une Unité ?
Nouveau silence.
— Parce qu'il avait vu Maxance.
Les regards se posent sur moi. Il faut que je leur dise.
— Maxance n'a...
J'hésite. Je n'ai pas envie de faire ça. C'est avec lui que j'ai fait mes entraînements, avec qui j'ai rejoint cette Unité... Mais justement. Dans l'Unité je ne suis pas seule. Je ne suis plus seule.
— Maxance n'a pas de tombe au Cimetière.
Ash secoue la tête sans comprendre.
— Mais... Tu as dit que tu n'avais pas tout cartographié. Et Evie n'en n'a pas non-plus.
— J'ai menti. J'ai menti parce que je voulais poser la question à Maxance avant de vous en parler. Ce que j'étais en train de faire avant que ça dégénère. J'ai relevé tout le Cimetière. Même lui (je montre le garçon) en a une. Et Evie aussi.
— Je vais reposer ma question blondinet. C'est quoi l'entourloupe ? Qu'est-ce que tu nous caches ?
— Et pourquoi... (Evie se tourne vers le banni) C'est quoi ton prénom ?
— Demetri.
Elle le dévisage un moment comme si elle se souvenait vaguement de quelque chose avant de se concentrer sur moi.
— Pourquoi Demetri aurait été banni pour avoir vu Maxance ?
Je n'ai pas la réponse.
— Parce que je suis le fils des Dirigeants.
La réponse me paraît lointaine. Irréelle. Je vois Ash et Evie fixer Maxance. L'Arbalète a reculé d'un pas et Douze, le regard complètement vide, le lâche pour reculer en titubant presque. Sans savoir d'où ça me vient, comme si le contrôle ne venait pas de moi, je fais quelques pas jusqu'à Maxance qui se tient le cou et sans qu'il s'y attende je lui décroche une droite avant de reculer pour être face à lui. Il relève la tête, ses yeux gris croisent les miens et j'ai l'impression que tout prend un sens, que son regard et ses traits sont tout à coup hérités du Dirigeant.
— Ton humour laisse à désirer.
Je fais bouger les doigts de ma main qui vient de frapper mon coéquipier pour les détendre. La scène me paraît irréelle, mais la douleur elle, est bien réelle.
— Il ne rigole pas.
Son expression ne ment pas. Lui non plus. Je n'arrive pas à réagir alors qu'intérieurement j'ai envie de lui hurler dessus. Mais je me contiens et j'attends la suite. L'Arbalète retient Douze et le pousse pour attraper Maxance et le traîner jusqu'au canapé où il le force à s'asseoir à côté d'Evie qui est maintenant assise, sa jambe blessée allongée sur la table basse. Maxance se met la tête dans les mains avant de nous regarder, tous debout face à lui, moi un peu plus en retrait que les autres.
— Alors blondinet. Sois tu parles,
Douze braque à nouveau son revolver en direction de sa tête.
— Sois tu meurs.
Maxance met un moment avant de commencer à parler. Il hésite, il tremble et son expression corporelle montre clairement qu'il n'est pas serein. Mais il nous a menti. Maintenant, comme Douze le lui a dit, c'est parler ou mourir. Maxance ou pas, la révélation faite quelques instants plus tôt remet tout en question. Il a suffi de quelques secondes pour que je ne le connaisse plus.
— Je suis le fils des Dirigeants. Je suis né et j'ai grandi au Bâtiment. Caché des autres. Les Dirigeants ne m'ont jamais laissé quitter notre étage. Les professeurs venaient me faire cours dans ma chambre, des surveillants venaient m'entraîner dans une salle, seul, ou la nuit ils m'emmenaient dans le Jardin. Si j'avais envie d'un livre, on me le faisait monter. Je ne descendais jamais à la bibliothèque ou au Réfectoire. Tout se faisait à l'écart des autres. Les personnes qui ont pris part à mon éducation... Ils ont été bannis après. Je l'ai pas compris tout de suite. On me tenait à l'écart de ce qu'il se passait au sein du Bâtiment, je connaissais seulement les grandes lignes de la cause. On me disait que les jeunes détectés comme « dangereux » étaient envoyés dans d'autres Bâtiments spécialisés pour être traités et soignés avant de pouvoir intégrer une Unité. Quand t'es gamin et qu'on te dit qu'on fait tout pour sauver les gens, t'y crois.
Il marque une pause.
— Avec le temps j'ai grandi et j'ai commencé à m'ennuyer enfermé dans ma chambre à jouer à des jeux vidéos, lire des bouquins ou étudier. J'ai demandé à sortir, à entrer en contact avec les autres de mon âge. C'était tellement frustrant de rester des heures derrière les portes à entendre des rires et des voix sur lesquels je ne pouvais pas mettre de visage ou de noms... (Nouvelle pause) Alors un jour je me suis faufilé à l'étage de surveillance et j'ai commencé à passer des heures à regarder les caméras de surveillance du Bâtiment, puis plus tard de la ville et des Zones. J'ai appris à connaître les jeunes d'ici à travers les écrans. Les écrans étaient mon seul lien avec l'extérieur, si proche de moi et pourtant si loin à la fois. Et puis... j'ai appris à vous connaitre vous. À travers la Simulation.
— Comment ça ?
Toujours en retrait, je reste silencieuse et ne le quitte pas des yeux. À ce moment précis, je ne sais plus qui il est. Je ne le connais plus. Il a l'air de souffrir des souvenirs qu'il se remémore mais le mensonge est trop gros pour que j'éprouve n'importe quelle compassion. Il nous a manipulé. J'attends de savoir jusqu'où. J'ai peur de savoir jusqu'où. De comment je vais réagir.
— Les Dirigeants ont décidé de me laisser avoir une place au sein du Bâtiment. J'ai vu plusieurs Unités mais ils m'ont placé au sein d'une pour la Simulation, là où évidemment je ne croiserais pas de jeunes d'ici qui risqueraient de se poser des questions. Je devais être discret pour me déplacer quand je me rendais à mon poste. On m'a d'abord apprit ce qu'était la Simulation, une période et comment c'était crée puis mis en place. Comment on décidait qui connecter, qui réveiller et quand. J'ai d'abord regardé mon tuteur faire, c'était loin d'avoir l'air d'un jeu vidéo comme on aurait pu le croire. Vous êtes dans un casier, dans votre cercueil, connectés et vous évoluez sous les yeux de la personne qui...
Il relève les yeux vers moi et ne me quitte pas du regard pendant toute la suite de son discours.
— Gère votre période au sein de la Simulation. Elle vous met en situation, intègre les personnes qui vont faire partie de vos vies, répondent parfois à vos envies, vos pensées. Elle connaît votre période par coeur, elle vous connaît par coeur, elle anticipe vos réactions. C'est comme si elle vous contrôlait entièrement même si vous gardez votre pleine conscience. Pour que ça paraisse le plus réel possible pour vous, évidemment. Les Dirigeants demandent des rapports et quand ils jugent que vous êtes prêts pour la Réalité, ils demandent à ce que l'on sorte vos dossiers avant de vous déconnecter et procéder à votre Réveil.
— Ça n'explique toujours pas pourquoi t'es là. Dans cette Unité.
Je le regarde. Je ne veux pas qu'il le dise mais il le faut pour que j'en prenne conscience. Réellement.
— J'ai géré Noa dans la Simulation. De sa connexion à son Réveil. (Il marque une nouvelle pause et un bref sourire passe sur son visage) J'ai demandé à ce qu'elle soit réveillée. Je me suis vraiment attaché à la personne que je (il mime des guillemets mais ça ne change rien à la portée du mot) contrôlais, j'avais l'impression d'être enfin proche de quelqu'un, de partager des choses. Je lui... (il marque une pause pour se reprendre) Je t'ai transmis des choses pour que l'on ait des goûts en commun.
— C'est pour ça que tu me rappelles tellement Alexander.
Ma phrase est presque un murmure. Comme si nous étions que tous les deux. Ce que j'ai ressenti lors de notre première rencontre, la familiarité, la proximité que j'avais avec Alexander. C'était lui. En partie. Mais c'était lui à travers un autre visage. Je n'étais pas complètement seule. Tout n'était peut-être pas complètement faux.
— Les choses que tu as dites qui arrivaient quand tu y pensais c'est moi qui faisais en sorte que ça se produise et les Dirigeants ont remarqué que des bugs commençaient à apparaître avec toi, notamment par le biais des sensations de 'déjà-vu'. Tu as commencé à te poser des questions, à avoir des doutes, des absences et des sursauts pendant tes siestes. Ça a crée des lésions au niveau de ton cerveau et de ton système nerveux. Il a fallu te réveiller sans pouvoir attendre que la mort vienne jouer l'élément déclencheur. On n'avait plus le temps. Tu te serais réveillée dans la Simulation et ça t'aurait tué dans la Réalité. Tu n'étais pas encore prête. C'est de ma faute. J'étais tellement borné, enrôlé dans la Simulation et l'amitié que je nous avais crée, à vouloir partager de plus en plus de choses, te donner ce dont tu avais envie et besoin que je n'ai pas pensé aux conséquences. J'ai été égoïste. J'avais personne à part toi même si tu n'étais pas physiquement présente. J'ai voulu faire les choses vites pour que tu puisses me rejoindre ici mais j'ai foiré. Les Dirigeants ont procédé à ton Réveil et je ne pouvais pas m'empêcher de demander des informations. Ils ne me laissaient pas te voir, j'étais de retour dans ma chambre avec ma routine d'avant. Puis pendant un moment d'inattention j'ai réussi à m'échapper de mon étage à la suite du Dirigeant pour le suivre. La Dirigeante lui avait demandé de venir te parler pour te convaincre de passer les examens. Et je t'ai vu, à travers le hublot. Quelques secondes seulement mais ça m'a suffi. T'étais là. Pour de vrai. Pas sur un écran.
— Bla-bla-bla, toujours pas de réponse à ma question.
Ash fait signe à Douze de se taire pour laisser Maxance parler.
— Le fait que tu refuses de t'alimenter et de te faire examiner ont fait naître des doutes. Les Dirigeants pensaient que tu étais peut-être trop consciente, dangereuse. J'ai passé des jours à les convaincre de te laisser intégrer le Bâtiment, que tu t'adapterais. Et je me suis proposé pour te surveiller et transmettre le moindre problème. Alors ils m'ont fait intégré le Bâtiment. Au bout de dix-neuf ans. On a mis en place toute mon histoire par rapport à la Simulation et très vite j'étais prêt. Je me suis arrangé pour être dans le même groupe aux entraînements puis j'avais demandé à ce que l'on soit dans la même Unité. Sauf que je n'avais pas prévu que ce soit une Unité d'Élite. Je te jure que je leur avais dit pour la mécanique, l'Histoire, tout ça. Ils m'ont devancé.
— Tes parents t'ont poussé dans la gueule du loup ? Tu crois qu'on va gober ça ? Pitié...
Maxance ne relève pas la réflexion et je remarque que depuis le début il ne les qualifie que par le terme 'Dirigeants' jamais par 'parents' ou 'père, mère'. Il omet des détails, ça se sent. Mais je ne relève pas.
— Avant notre première sortie à l'Extérieur ils ne m'ont rien dit de spécial, seulement des mises en garde et que le moment venu : « Je devrais tous vous ramener ». Mais je ne savais pas qu'on nous laisserait dans la ville ce soir-là. J'étais perdu mais je savais qu'il y avait des caméras dans la Zone 7.
Silence. Evie soupire pour montrer sa déception.
— Je vous ai laissé y aller. Je me suis dit qu'en nous voyant pénétrer à l'intérieur ils réagiraient, j'aurais dû comprendre que quelque chose clochait quand on a réussi à passer si facilement alors que le grillage aurait dû être électrifié. Mais il y a eu les Dégénérés et j'ai compris en même temps que vous pour les Bannis et ce qu'ils attendaient de nous. Le jour où Noa est partie et qu'ils ont débarqués pour nous récupérer, c'était un coup de chance qu'avec Ash on soit dehors. Quand on est retournés au Bâtiment et que l'on s'est séparés... J'ai été les avertir que le dernier membre était là.
— T'es vraiment un enfoiré. Tu nous as délibérément trahi.
Je ne dis toujours rien mais beaucoup de choses s'éclairent. Son aisance à déambuler dans le Bâtiment, son côté j'en foutiste, le fait qu'il ne s'inquiète pas des caméras lors de notre première rencontre, la salle des Cercueils.
— Tu as passé ton temps devant les écrans et tu n'as pas remarqué que quelque chose clochait dans les Zones interdites ?
— Ces Zones-là ne sont pas dans la même pièce que celles où évoluent les Unités.
— Les Dirigeants. Enfin, tes parents, t'ont laissé te faire torturer avec nous juste pour brouiller les pistes ?
Maxance lève les yeux et dévisage longuement Evie sans répondre.
— Quand Douze a avoué pour Noa et qu'Ulrich a proposé son aide, j'ai pensé à faire en sorte qu'ils nous laissent partir. Plusieurs fois ils ont essayé de me faire parler sur Noa, ils ont proposé de nous laisser partir pour venir la chercher, persuadés qu'on savait où la trouver.
— Tu as échangé notre liberté contre Noa ?
— Non !
Il essaye de se lever du canapé pour protester mais Douze arme son revolver et Maxance se rassoit.
— J'ai refusé. Même après les mois qu'ils nous ont fait passer, je n'ai rien dit. Je vous ai trahi vous. Je les ai trahi eux.
— Ça ne t'excuse pas.
— Je ne cherche pas à ce que l'on m'excuse.
— Et lui ?
L'Arbalète fait un signe vers Demetri.
— Quand je sortais de la salle de Simulation un soir, il retournait à son étage et on s'est croisés dans les escaliers. Vous connaissez la suite.
— Et le Cimetière ? Tu étais au courant ? Tu savais ce que c'était ?
— Je savais qu'ils emmenaient les cercueils vides ailleurs mais j'ai toujours pensé qu'ils les détruisaient, pour effacer toutes preuves.
Et là s'en est trop. Toutes les informations, toutes les réponses assaillent mes pensées et ça me donne le tournis et la nausée.
— Il faut que je prenne l'air.
Sans attendre de réponse, je quitte l'appartement pour descendre dans la rue.
💥💥💥
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top