18
— Tout le monde a ce qui lui faut ?
On acquiesce avant de suivre Ash jusqu'à la porte. Je passe en dernière pour refermer derrière eux et on descend les escaliers pour rejoindre la rue et marcher jusqu'au sous-sol. Je remarque que maintenant qu'ils sont au courant de ce que j'ai vécu pendant nos mois de séparations, ils sont attentifs à ce qu'il se passe autour d'eux. Leurs yeux cherchent instinctivement les caméras qu'il peut y avoir et ils guettent aussi les ruelles et les toits des bâtiments. Nos vieux réflexes nous rattrapent facilement quand on se retrouve au contact de la ville.
Arrivé au niveau du sous-sol, je repasse devant pour leur ouvrir la porte et on s'engouffre à l'intérieur jusqu'au 4x4. Ash et L'Arbalète vérifient que tout le nécessaire pour notre petite escapade -mission 'profanage de tombe'- est là. Comme plus tôt dans la journée, Evie, Maxance, Douze et Ash montent à l'arrière et je m'installe côté passager pour guider L'Arbalète. Il démarre et on quitte le sous-sol en direction du pont pour quitter Washington et rejoindre le Cimetière à Arlington.
— Vous avez entendu ?
Ash se penche vers l'avant. Un autre bruit se fait entendre. Une détonation.
— Là (il pointe du doigt un quartier éloigné où de la fumée monte vers le ciel).
Je regarde la ville qui s'éloigne derrière nous avant de me concentrer à nouveau sur la route.
— Accélère.
Je sens que L'Arbalète me regarde en coin.
— La nuit est tombée depuis un moment, ils sortent pour régler leurs comptes. Il vaut mieux ne pas traîner dans les parages.
Il ne répond rien mais je sens que le véhicule prend de la vitesse jusqu'à atteindre le pont. Une fois passé, je lui indique de continuer tout droit avant de prendre à gauche pour longer la forêt qui a repris ses droits et contourner le Cimetière qui est dissimulé derrière. En prenant cette route, ça leur permet de voir un peu les restes de la ville presque fantôme d'Arlington.
Au bout d'une vingtaine de minutes on arrive au niveau de l'une des entrées du Cimetière. L'Arbalète coupe le moteur et éteint les phares. On descend pour rejoindre les autres à l'arrière qui ont déjà commencé à sortir le matériel, que Ash et Douze nous distribuent. Evie prend une pelle et les deux cordes, Maxance prend la deuxième pelle et le râteau, L'Arbalète prend une des lampes et m'en tend une deuxième. Ash met la perceuse dans son sac à dos avec les gants et Douze prend le pied de biche et la masse.
— Ça va t'es pas trop encombré.
Comprenant que la remarque s'adresse à lui, mon coéquipier se tourne vers Evie.
— Il faut bien que quelqu'un puisse répliquer s'il se passe quelque chose.
— Allons-y, le Cimetière est grand et en plus il fait nuit. Il va nous falloir une dizaine de minutes avant d'arriver à la zone où est la tombe.
L'Arbalète ferme les portes du 4x4 et on commence à marcher, moi devant avec la lampe.
— Tu n'as pas pris de plan ?
Je ne prends pas la peine de me retourner pour répondre.
— Rassure-toi, vu tout le temps que j'ai passé ici ces derniers mois, je peux un minimum m'y orienter. Et entre nous, oublier où se trouve ma propre tombe, ça me semble impossible.
On déambule entre les pierres tombales avec la simple lumière de nos lampes et celle de la lune au-dessus de nous.
— On marche sur les morts quand même.
— Ça faisait longtemps tiens.
— On est en pleine nuit dans un cimetière pour aller ouvrir une tombe. C'est glauque.
— T'as jamais pris de risque dans ta vie ou quoi Saint blondinet ?
— Mes parents ne me laissaient pas faire d'erreurs.
Douze ricane.
— Pas de place pour les faibles.
— Tu ne crois pas si bien dire.
Un silence suit la réponse de Maxance et on continue de marcher jusqu'à ce qu'Evie émette un cri.
— Ah merde !
On se retourne tous brusquement, les lampes braquées sur elle qui a maintenant la main sur la bouche.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Elle retire sa main et se penche pour ramasser sa pelle.
— Rien, j'ai trébuché sur la pelle.
Avec la lumière je vois L'Arbalète froncer les sourcils.
— Par tous les Saints, Evie ! C'est ni le moment, ni l'endroit pour crier.
— Les morts vont se réveiller.
— Ah ! Oh !
Douze se masse l'arrière du crâne là où Ash vient de lui mettre une tape. J'éclaire une pierre tombale sur ma gauche.
— On n'est plus très loin.
On recommence à marcher et L'Arbalète et moi guettons les Matricules gravés sur les tombes avec nos lampes.
*
— XX96-15.
Je braque ma lampe en direction de la pierre blanche devant laquelle est posté L'Arbalète. On se regroupe autour de lui.
— Ça fait très réel d'un coup.
— Les pelles.
— Donc on va vraiment le faire ?
L'Arbalète lève les yeux au ciel et prend la pelle des mains de Maxance en lui donnant la lampe en échange.
— Ash, avec moi. Noa et Maxance, braquez les lampes sur nous. Douze et Evie gardez vos armes et faites le guet au cas ou.
Ash attrape la pelle que lui tend Evie pendant qu'elle récupère le sac à dos. Les deux garçons délimitent une assez grande zone autour de la pierre tombale avant de commencer à creuser.
Au bout de cinq minutes ils s'arrêtent pour se passer une main sur le front et retirer leur blouson.
— Lumière !
Maxance qui venait de tourner sa lampe vers la forêt se braque à nouveau sur les garçons.
*
Ça fait une trentaine de minutes que les garçons continuent de creuser et ils sont maintenant dans un trou où on ne leur voit que le haut du corps, un tas de terre de chaque côté de la tombe.
— Lumière ! Noa ! Maxance !
On s'approche un peu plus du trou pour que la lumière éclaire le fond.
— Encore une pause ? Vous rigolez ou quoi ? On va pas y passer la nuit.
L'Arbalète tourne la tête vers Douze qui est assis dans l'herbe contre la tombe d'à côté.
— Non mais tu pourrais creuser aussi.
— Il n'y a que deux pelles et on m'a demandé de faire le guet.
— T'as plutôt l'air de te prélasser que de réellement faire le guet.
— Il ne peut rien se passer. No stress.
— Les gars, là c'est une masse qu'il va nous falloir. Venez voir.
Douze se relève pour s'approcher avec Evie. Une fois tous autour du trou, Ash donne plusieurs coups contre le fond. Un bruit sourd se fait entendre. Il tend le manche de la pelle à Evie pour qu'elle la tienne pendant qu'il dégage la terre. Du béton.
— C'était évident, il fallait s'en douter. Ils n'allaient pas mettre les cercueils à même la terre.
— Douze va enfin pouvoir se salir les mains.
— Je peux tenir la lampe si tu veux blondinet.
— On va dégager la dalle au maximum et avec toute ta douceur tu n'auras qu'à la casser.
Ash reprend sa pelle et au bout de quelques minutes on peut enfin presque totalement distinguer la dalle. Les garçons jettent leurs pelles sur le côté avant de prendre appui sur le bord pour ressortir du trou et laisser Douze, qui a retiré son blouson, sauter dedans à son tour, la masse à la main. Il fait tourner l'outil comme si c'était un nunchaku et il donne le premier coup sur le béton. Vu le bruit que ça fait, heureusement que l'on est seuls.
— Putain, on risque pas de les voler leurs cercueils.
— C'est sans doute pour dissuader les gens de faire ce qu'on est en train de faire.
— Tu sais que le dire à voix haute sans faire de sous-entendus, ce n'est pas un blasphème.
Maxance fait une grimace en guise de réponse à la moquerie d'Evie.
*
Douze s'acharne sur la dalle en béton pendant qu'Evie et Ash, équipés des gants, sortent les plus gros des morceaux de pierres.
— Il y a autre chose en dessous.
— Quoi ! Encore ?
Evie se penche pour dégager les gravats avec sa main et cogner avec son poing.
— C'est une plaque de verre.
— Pour un cercueil vide ? Ça fait beaucoup d'épaisseur.
— Finissez d'enlever les gros morceaux que je donne un coup sur la vitre.
— Mais ça risque d'abimer le cercueil.
Douze me regarde en clignant les yeux plusieurs fois d'un air interloqué.
— Tu te soucies plus que j'abime la chose qui te terrifie depuis ton Réveil plutôt que le risque que je prends à briser la vitre juste sous mes pieds ?
— Vous avez entendu ?
On se tourne vers Ash, la lumière braquée sur lui.
— Ah non. Pas encore hein.
— Désolé. J'ai cru entendre un bruissement de feuilles venant de la forêt.
Je dirige la lampe vers la forêt mais je ne distingue rien et la remet sur Douze avant qu'il ne trouve encore une occasion pour faire une réflexion. Il s'assoit sur le rebord le temps que les autres finissent de déblayer la pierre et il redescend pour donner un coup sur la vitre en verre qui ne cède pas tout de suite.
— Ils n'imaginent pas à quel point je peux les maudire. La Réalité c'est l'enfer.
— Et on est bloqués ded-
Maxance n'a pas le temps de finir sa phrase que Douze passe au travers de la vitre et tombe sur le dos contre le cercueil dans un bruit sourd. Evie se penche sur le trou pour l'éclairer.
— Ça va ?
— Je dois avoir quelques morceaux de verre dans les mains mais c'est bon. Aidez-moi à sortir.
L'Arbalète et Maxance le hisse en dehors de la tombe et je lui tends la lampe pour qu'il puisse s'éclairer les mains. En effet, des petites incisions dues aux morceaux de verres laissent voir un peu de sang sur ses mains mais ça n'a pas l'air grave. Il lui suffira de désinfecter en rentrant. En attendant il enfile une paire de gants après s'être essuyé avec un t-shirt.
— On procède comment maintenant ? On le sort avec les cordes ?
— Je pense que ça va être trop lourd.
— Il est vide. (Il marque une pause) Normalement.
On tourne les yeux vers Ash.
— Ne me dites pas que vous n'avez pas un doute quand même. Vous avez vu ce qu'il y avait au-dessus ? Pour une boîte vide ?
— Les garçons ont creusés assez large pour que l'on puisse passer autour. On va le laisser dans le trou.
L'Arbalète et Ash descendent en premiers et se placent chacun d'un côté de la boîte après l'avoir dégagé des morceaux de verre qui la recouvrent. Maxance hésite un moment avant de sauter à l'intérieur, à droite, aux côtés de L'Arbalète. Ash aide de son côté Evie à descendre et Douze qui a déjà son pied de biche en main fait un saut agile pour se retrouver vers le bas du cercueil. Je mets un moment à réagir. Le cercueil sous mes yeux c'est beaucoup de souvenirs, et pas les plus agréables, qui resurgissent. C'est vraiment le mien, celui d'origine. Pas une copie. J'étais à l'intérieur plusieurs mois auparavant et j'ai du mal à le croire tellement il s'est passé de choses depuis. En le voyant je ne peux pas nier le sentiment d'oppression qui me prend à la gorge. J'ai l'impression de me retrouver à nouveau dedans, enfermée.
— Ne dis pas que tu ne veux plus le faire.
— Je te jure que si tu changes d'avis je te mets dedans de force.
— Hors de question. Qu'elle soit d'accord ou pas, je l'ouvre.
Douze commence à placer son pied de biche au niveau de l'ouverture du cercueil.
— Non, attends.
Un silence s'installe le temps que je prenne une grande inspiration. Je tends la lampe à Maxance le temps de sauter dans le trou. Ils me regardent tous d'un drôle d'air.
— Ça va aller. C'est moi qui l'ai voulu. Vas-y Douze.
Sans se faire prier, il se met à faire le tour du cercueil, sauf le côté où sont les fixations du couvercle, en faisant un mouvement régulier de lever-pousser avec son pied de biche. Il arrive vers le haut et au dernier coup on sent que le couvercle a cédé. Il retire sa barre et nous regarde.
— À vous de jouer maintenant.
Je redonne la lampe à Maxance qui est entre L'Arbalète et moi et vais me placer au bout pour que l'on soulève le couvercle.
— Faites attention derrière, normalement il tient tout seul mais on sait jamais.
Mon coéquipier me fait un signe de tête.
— C'est sans doute lourd, t'es prête ?
J'acquiesce et place mes mains entre le couvercle et l'espace crée par Douze.
— À trois. Un, deux, trois.
Et on lève le couvercle quand la lumière disparaît soudainement.
— Regardez !
Maxance pointe le même endroit que Ash un peu plus tôt.
— Ça a bougé. J'en suis sûr.
On se tourne vers lui.
— Cette histoire de tombe vandalisée te monte à la tête.
Evie et Ash qui étaient derrière le couvercle se décalent pour éclairer et voir à l'intérieur.
— Est-ce qu'on doit être étonnés de ne rien trouver ?
En effet, l'intérieur est le même que celui dans lequel j'étais. Blanc. Vide. Rien a bougé.
— Qu'est-ce qu'on doit en déduire ?
— Qu'on en est toujours au point mort et qu'on a perdu notre temps.
— Ils enterrent des cercueils vides. Qu'est-ce qu'ils faut comprendre ?
Nolan était sûr qu'il y avait une raison ou une explication logique alors je réfléchis. Les tombes, les Matricules, les cercueils vides. Bannis, non-bannis. Il y a forcément un point commun à tous.
— C'est purement symbolique.
Les regards de mes coéquipiers se relèvent vers moi.
— Il y a les cercueils des bannis et les nôtres. Le seul lien qui nous rapproche, c'est le Réveil. Ils enterrent les cercueils une fois qu'on a été réveillés et intégrés au Bâtiment. C'est...
— Comme une mort symbolique. (Ash hausse les épaules) Ouais. Ça peut prendre un sens.
Douze s'apprête à prendre la parole mais un point rouge passe rapidement sur nous. On se regarde tour à tour. Nous ne sommes pas seuls.
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