XXI.
Sur le visage d'Elio, une satisfaction discrète s'inscrit brièvement. Cependant, il connaît ma propension à me rétracter, et pour tenter d'enrayer le moindre fléchissement, il s'éloigne avec rapidité.
D'un geste vif, il ouvre l'armoire de la chambre pour en extraire un sac de voyage.
— Accorde-toi un moment de repos pendant que je m'occupe de préparer tes affaires. Je vais informer mes parents de ta compagnie, et d'ici une heure, nous quitterons discrètement l'appartement pour éviter de croiser les filles. Je suis persuadé que tu préfères t'abstenir de devoir leur expliquer d'où proviennent tes blessures, affirme-t-il tout en explorant le contenu de mon tiroir à vêtements.
Il a entièrement raison. Je n'ai aucune envie de confronter mes colocataires, et surtout, je tiens à préserver Kiara de toute inquiétude. Si elle venait à me découvrir dans cet état, elle serait complètement désemparée. J'aime à croire qu'elle me pense en toute sécurité depuis que je vis ici, et je ne souhaite pas lui révéler que ce n'est pas le cas.
Je suis conscient que si elle apprend que je ne me sens pas encore suffisamment en confiance pour être totalement honnête avec elle, cela la peinera. À ce jour, je ne suis pas prêt à m'engager dans une transparence absolue avec qui que ce soit. Elio demeure le seul à avoir réussi à fissurer légèrement la façade que je me suis construite, parvenant à recueillir quelques éclats de sincérité au passage. Cela, à mon grand désarroi, mais aussi à mon plus grand soulagement.
Je laisse au latino la tâche de faire ma valise sans intervenir. Habituellement, il n'est pas dans ma nature de déléguer une responsabilité qui m'incombe, mais curieusement, je ne ressens aucune gêne, même lorsque mes vêtements démodés, usés, voire troués, sont saisis sans ménagement.
Je sais pertinemment que toute tentative de ma part pour l'aider serait vaine de toute façon. Je m'allonge donc et l'observe faire des allers-retours dans la petite chambre. Un sentiment de sécurité si fort m'envahit à cet instant précis que je m'abandonne à la seule action que je ne croyais pas être capable d'accomplir : je m'endors paisiblement.
***************
Un souffle doux caresse délicatement mon nez, me tirant agréablement de ma torpeur. Mes paupières s'ouvrent lentement, révélant la silhouette d'Elio, agenouillé près du lit. Son visage se trouve à quelques centimètres à peine du mien.
Je reste immobile, captivé par cette proximité troublante. Mes yeux se perdent dans ceux du brun, et mon esprit semble s'enfoncer dans l'océan de mystère qu'ils renferment. Bien que j'aie croisé ces prunelles claires à plusieurs reprises, il m'apparaît pourtant que je les découvre véritablement pour la première fois. Je prends le temps d'observer leurs teintes, un panel de bleu tendre qui crée une symphonie visuelle envoûtante. Leur forme en amande, encadrée par des cils délicats, leur confère une élégance ensorcelante. Ces pupilles qui se dilatent sous mon inspection me subjuguent, ajoutant une profondeur nouvelle à ce regard que je pensais connaître, mais que je n'avais jamais réellement admiré.
Nous demeurons quelques instants les yeux rivés l'un dans l'autre. Puis, Elio rompt le silence ambiant d'une voix murmurante :
— Tout est prêt, nous nous mettons en route dans quelques minutes.
Il ne s'éloigne pas pour autant, et une douce courbe apparaît soudainement sur ses lèvres pleines. En réponse à cette expression bienveillante, mes propres lèvres s'étirent également en un sourire. Empreint par une légère timidité, je mets fin à notre échange visuel en chuchotant :
— Entendu.
Je repousse la couette qui me couvre, enfile ensuite mon haut, et me lève laborieusement sous la surveillance du brun, paré à me venir en aide en cas de besoin. Une fois prêts, nous nous glissons hors de l'appartement dans un silence feutré. Le soleil a déjà fait son apparition, mais l'aube persiste, créant une atmosphère matinale paisible. Le latino se déplace devant moi avec une agilité impressionnante, camouflant ainsi ma silhouette derrière la sienne. Sa présence évoque celle d'un garde du corps en mission. Ses mouvements révèlent une vigilance palpable alors que nous avançons en file indienne dans la rue qui s'étire devant nous. Malgré son manque d'informations précises sur mon agresseur et ses motivations, son aplomb demeure inébranlable. Que mon adversaire soit imposant et musclé comme lui, ou simplement ordinaire, cela ne semble pas le troubler le moins du monde, aucune once d'inquiétude n'altérant sa démarche. Il affiche une préparation manifeste à affronter quiconque croiserait notre chemin, prêt même à engager le combat si mon assaillant surgissait à cet instant précis. Il persévère à me penser en danger, pourtant, à ce moment précis, je ne risque rien. Mon père est en train à cette heure-ci de cuver son excès d'alcool.
Après une courte, mais un peu éprouvante marche de mon côté, nous atteignons rapidement le Range Rover d'Elio. Sa voiture, tout comme ses autres possessions, témoigne de la stabilité financière dont il jouit. Celle-ci découle sans aucun doute du soutien généreux de ses parents, puisqu'il est étudiant et n'a pas encore débuté de carrière professionnelle. Cette réflexion suscite en moi une remise en question profonde quant à ma place au sein de cette famille apparemment chaleureuse et prestigieuse qui se prépare à me recevoir. Qui suis-je pour m'imposer dans ce foyer pendant quelques jours ? Moi, le jeune homme paumé, dépourvu des subtilités du monde social.
Tout à coup, un poids sombre s'installe dans ma poitrine, une présence pesante qui me rappelle le secret obscur que je porte en moi, une ombre qui plane au-dessus de ma tête. Une amertume profonde m'envahit à la seule pensée de ce secret, de cette réalité que je dissimule avec un soin méticuleux. Une autre question obsédante me tourmente soudain : serais-je la bienvenue chez ces gens s'ils découvraient l'étendue des actes qu'un jour j'ai pu commettre ? Il est évident que non.
Ce qui est plus terrifiant encore, c'est d'imaginer qu'Elio puisse à tout moment être confronté à la vérité. Envisager l'horreur qui pourrait se dessiner dans ses yeux, comprendre que je ne suis pas l'individu qu'il croit, mais plutôt un être malveillant indigne de son soutien, de sa protection, voire même de son amitié, me semble insupportable. Car ce qu'il ne sait pas et que je voudrais garder au plus profond de mon âme, c'est que je ne suis rien d'autre qu'un monstre qui a malheureusement ôté la vie à celle qui m'aimait le plus au monde.
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