XIII.
Des bruits de portes qui s'ouvrent et se referment résonnent dans l'appartement, très vite accompagnés de chuchotements inintelligibles.
Il ne me faut attendre que très peu de temps pour que des pas précipités, sensiblement plus proches, retentissent, alors que le murmure tantôt indiscernable devient cette fois bel et bien perceptible :
— Noa ?
Je relève la tête et aperçois le latino qui passe de nouveau le seuil du salon. Ses yeux parcourent rapidement la pièce et finissent par se poser sur moi, légèrement dissimulé par un meuble.
— Qu'est-ce que tu fais ? Je pensais te trouver endormi, déclare doucement le brun en s'avançant dans ma direction.
— J'ai cassé un verre, réponds-je, la voix étranglée par l'émotion que je ne réussis pas à réprimer. Je suis désolé.
— Ce n'est pas grave. Je vais m'en occuper, tu vas te couper.
Incapable d'accomplir cette besogne moi-même, je la délègue à mon colocataire sans émettre la moindre objection. Aussitôt, celui-ci éloigne les morceaux tranchants de ma portée, puis se munit de l'équipement nécessaire pour finaliser cette tâche. Lorsque c'est chose faite, il me murmure avec un calme qui est en totale contradiction avec sa mauvaise humeur antérieure :
— Tu vas bien ?
— Je suis fatigué, chuchoté-je dans un souffle d'honnêteté.
— Tu devrais aller te coucher dans ce cas, lance le brun en me tendant ses mains pour que je m'en serve comme appui le temps de me mettre debout.
Toujours vexé et morose des propos qu'il a vociférés ultérieurement, j'ignore les deux membres qui se présentent devant moi et tente maladroitement de me relever, sans y parvenir. M'avouant vaincu, j'étire mes bras vers le latino qui s'empare de mes poignées et exerce une légère impulsion pour m'aider à me redresser.
Une fois sur mes deux pieds, mon colocataire relâche sa prise, tandis que j'adopte une démarche titubante en direction du couloir, alors qu'il reste à bonne distance prêt à parer une éventuelle chute.
Les quelques mètres qui me séparent de la chambrette me paraissent interminables à parcourir. Lorsque le lit apparaît enfin à l'horizon, je m'y avachis et m'assoupis immédiatement.
Ayant perdu la notion du temps, je ne sais si ce sont des secondes ou des heures qui se sont écoulées depuis mon endormissement, quand mon sommeil est interrompu par mon colocataire qui me souffle :
— Noa, déshabille-toi et mets-toi sous les couvertures.
J'ouvre douloureusement les yeux et prends conscience au vu de ma position que j'empiète sur la place du brun et qu'il n'a par conséquent pas l'espace pour se coucher.
Dans une roulade mal maîtrisée, je rejoins mon côté du lit et m'assieds pour me dévêtir. Ôter mon pull est un acte anodin d'ordinaire. Or dans mon état, mes gestes désordonnés me compliquent prodigieusement la tâche.
Mon désarroi perceptible encourage mon cohabitant temporaire à venir me prêter main forte. Une fois mon sweat disparu, je m'étends de nouveau confortablement.
Replongeant dans les bras de Morphée, j'en suis arraché presque instantanément lorsque je sens qu'Elio commence à abaisser doucement mon jogging.
J'ouvre des yeux horrifiés et rattrape in extremis mon vêtement.
— Tu seras plus à l'aise sans, m'explique le brun quand il capte ma stupeur.
Il tire de nouveau sur mon pantalon, pensant à tort que ces justifications m'ont convaincu, mais je l'en empêche en maintenant fermement le tissu par la ceinture. Mon ivresse ne m'a par chance pas fait perdre toute ma lucidité sur l'état de mon caleçon troué que je porte et qui laisse entrevoir des parties de mon anatomie.
Le latino déconcerté par mon manque de coopération me demande surpris :
— Tu ne veux pas le retirer ?
— Ce n'est pas ça... Je ne peux pas c'est tout, précisé-je honteux.
— Tu vas avoir très chaud cette nuit à cause de l'alcool. Tu ne devrais pas le garder.
— Si je l'enlève, ce sera gênant pour toi comme pour moi, déclaré-je sans plus de justification.
Le brun qui lâche immédiatement mon jogging bafouille :
— Ah, euh OK.
Posant mon avant-bras sur mon visage pour cacher mon embarras, j'encourage involontairement mon colocataire à apaiser mon trouble. C'est par ces quelques mots qui se veulent bienveillants que celui-ci tente de me rassurer :
— Hé, c'est normal que ça arrive de temps en temps, c'est naturel pour un homme. C'est même plutôt bon signe dans ton état. Ça prouve que tu es en bonne santé.
Je réalise en entendant cette phrase à quel point le latino a mal interprété mes dires. Je comprends qu'il présume désormais que je suis en érection. Horrifié qu'il puisse imaginer qu'en sa présence, j'ai ce genre de réaction physique, je me défends aussitôt :
— Non, non, ce n'est pas ça. C'est juste que mon caleçon est troué. Je n'ai pas de... enfin, tu vois, je ne... non.
Le rire sincère qui résonne dans la pièce semble instantanément apaiser l'ambiance embarrassante qui s'était installée. C'est d'un ton enjoué que mon colocataire me propose comme alternative :
— Mets-toi sous la couverture et enlève-le ensuite.
— Je préfère le garder, dis-je en me glissant sous le duvet.
Lorsque je n'ai plus besoin de son intervention, le brun se dépouille de ses vêtements à son tour et vient se coucher à mes côtés. Nous sommes tous deux sur le dos à fixer le plafond, au moment où celui-ci me demande apparemment soucieux :
— As-tu l'impression que tu vas vomir ?
Je suis victime de plusieurs effets secondaires, mais mon estomac ne fait pas des siennes. Or j'ai bien compris précédemment que c'est un sujet qui agace particulièrement mon colocataire, alors je lui réponds pour apaiser son esprit à propos de ce sujet :
— Je ne crois pas, mais si ça arrive je ramasserai, je te promets que tu n'auras pas à le faire.
Soudain, alors que jamais le brun ne franchit cette ligne invisible qui met de la distance entre nous lorsque nous sommes dans le lit éveillé, il se rapproche sensiblement. Dans sa lancée, il effectue une rotation et a ainsi une vue complète sur l'un de mes profils. Il reste muet le temps d'une seconde, puis finit par se justifier après avoir soupiré bruyamment :
— Je n'ai pas dit ça sérieusement tout à l'heure. Je suis désolé si je t'ai fait de la peine. J'ai essayé de te faire comprendre que je n'en pensais pas un traître mot, mais apparemment ça n'a pas marché.
Je ne sais si mon cœur s'emballe à cause de notre proximité ou parce que je me sens soulagé d'entendre que mon colocataire n'était pas honnête lorsqu'il a prononcé ces mots durs il y a peu, mais quand il reprend, j'écoute avec intérêt ses explications :
— Ce n'était que des paroles en l'air lancées sur le coup de la colère.
— Tu étais fâché contre moi ? demandé-je aussitôt inquiet.
— Bien sûr que non, tu n'as rien fait de mal. J'étais énervé après les filles, de t'avoir, j'en suis sûr, forcé la main d'une manière ou d'une autre à boire. Comme je l'étais parce qu'elles t'ont dit ou fait quelque chose qui t'a fait pleurer.
— Ce ne sont pas elles qui m'ont fait de la peine, lancé-je sans prendre le temps de réfléchir avant de parler.
Stupéfait par cette révélation, le brun se redresse sur son coude et me regarde avec confusion avant de me demander :
— C'est moi qui ai fait quelque chose ?
J'ai bien conscience d'être trop bavard, mais je n'arrive pas à me taire. Sans doute est-ce la fameuse désinhibition tant espérée de tout à l'heure qui s'extériorise par un débit de parole incontrôlé envers mon colocataire.
— Oui, enfin pas vraiment...
— Il va falloir que tu m'expliques, parce que je n'ai aucune idée de ce que j'ai fait, s'enquiert le latino qui semble déterminé à découvrir ce qui a pu me blesser.
Étant troublé au possible par notre proximité et par le regard clair qui est posé sur moi, je ferme les yeux pour fuir l'ébranlement que cela me provoque, avant de répondre :
— J'ai juste eu de la peine, parce que tu as dit ne pas vouloir rendre visite à ta mère pendant les vacances.
— C'est pour ça ? Ce n'est rien du tout, je ne vais pas chez mes parents à chacun de mes breaks. Ma mère ne s'offusque pas quand je refuse de rentrer. Ça t'ennuie parce que tu aimerais aller voir la tienne et que tu ne peux pas ?
— J'irais, moi, m'emporté-je vigoureusement.
— Je suis désolé Noa, je ne te suis pas. Tu ferais mieux de dormir. On en reparlera demain, m'annonce le brun en éteignant les lumières.
Le silence règne désormais dans la chambre, et je pourrais facilement stopper là cette conversation qu'Elio croit terminée, mais ma langue se délie une dernière fois dans un souffle :
— Je vais me recueillir sur sa tombe aussi souvent que je le peux.
J'entends alors que je me laisse définitivement happer par le sommeil une voix emplie de contrariété me murmurer au creux de l'oreille :
— Je suis désolé Noa, je ne savais pas.
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