VI.

Je blêmis immédiatement en entendant cette phrase teintée de controverse.

Très vite, je réalise, en voyant un rictus se dessiner sur le visage de la brunette, que son irritation était factice. J'essaie un sourire maladroit pour dissimuler ma gêne, mais le rire sonore qui résonne m'informe que la jeune femme n'est pas dupe de mon manège et qu'elle s'amuse énormément de mes réactions.

— Tu avais raison, il est du genre timide, déclare celle-ci à l'intention de son fiancé.

J'oriente mon regard vers mon colocataire, qui ajoute aussitôt qu'il croise le mien, pour se dédouaner de la situation :

— Je n'ai pas dit ça pour que tu le mettes mal à l'aise.

Le sourire que la brune arborait fièrement jusqu'ici perd quelque peu de son authenticité. Elle paraît vexée que son amant ne la soutienne pas.

— Avoue que c'était tentant tout de même... insiste-t-elle en prenant une moue boudeuse.

La douceur dans sa voix est en inadéquation avec son expression corporelle qui dégage un tout autre discours. Je trouve démesuré qu'une si petite affaire engendre une telle amertume chez la jeune femme, mais je ne décrédibilise pas les raisons qui l'alimentent. Ne voulant pas accentuer davantage la déplaisante première impression que je donne à la compagne de mon colocataire, je bredouille pour déserter les lieux au plus vite :

— Je vous laisse, je vais me doucher. Heureux de t'avoir rencontrée Alix.

Je ne lui sers pas un mensonge à travers ces quelques mots, mais pas une vérité non plus. Rien dans l'échange bref que nous venons d'avoir ne me permet d'affirmer ou de réfuter l'exactitude de mes dires.

Je capte sur le visage de mon interlocutrice un léger haussement de lèvre involontaire qui me prouve que dans son cas, elle n'est pas ravie d'avoir fait ma connaissance.

Je suis encore en train de longer le couloir, quand la voix de la brune retentit à nouveau :

— Il n'a pas l'air si sympathique que ça ton coloc. Ça ne te dérange pas de devoir partager ta chambre avec lui ? Vu sa réaction, il est peut-être homo...

— Tu n'es pas sérieuse là ? Tu ne vas tout de même pas me resservir ce genre de conneries. Arrête avec ta jalousie mal placée. Tu sais très bien que je n'aime que toi, la coupe sévèrement le latino.

Un « Mouais » chétif qui prouve le manque de conviction de celle qui le prononce me parvient alors que j'arrive devant la salle de bain. Ayant conscience que je ne devrais pas être témoin de cette conversation, j'ouvre et referme discrètement la porte derrière moi une fois glissé à l'intérieur de la pièce.

Je plonge ensuite sous une douche, que je rends la plus rapide possible, car l'eau qui fouette mon corps meurtri me provoque une douleur lancinante sur les plaies encore à vif qui ornent mon dos.

Ma routine matinale est si brève que je pense retrouver le couple là où je l'ai laissé lorsque je reviens sur mes pas, mais c'est une Kiara en pyjama et toute ébouriffée que je trouve à leur place. Elle déjeune avec appétit l'une des nombreuses pâtisseries qui constellent toujours la table. Apparemment les amoureux ont quitté les lieux.

À ma vue, un sourire sincère naît sur les lèvres de mon amie. Sa bonne humeur communicative m'encourage à la rejoindre.

— Tu as bien dormi ? me demande-t-elle alors que je m'assois en face d'elle.

Tout comme je l'ai fait avec le latino, je censure mon véritable ressenti quant à cette question en répondant simplement :

— Bien et toi ?

Elle acquiesce en se redressant sur sa chaise, puis pose le bout de gâteau presque terminé qu'elle tient toujours entre ses doigts, pour se concentrer réellement sur moi et m'interroge :

— J'ai entendu de ma chambre que tu discutais avec la copine d'Elio, elle est sympa ?

Je ne saurais franchement dire, donc je lance un vague :

— Sûrement...

Depuis hier, j'ai pu constater à de nombreuses reprises que mon amie ne connaît rien du latino. Même si je conçois qu'elle ne l'ait jamais rencontré physiquement depuis qu'elle vit avec Millie, il me semble étonnant qu'elle ait l'air complètement étrangère à tout ce qui le concerne. S'il est un proche de sa colocataire, elle aurait dû au moins entendre parler de lui au détour d'une conversation. Légèrement piqué par la curiosité, je lui demande :

— Mais tu n'as jamais été présentée à ce gars avant ? Il n'était jamais venu ici ?

Kiara qui se penche vers moi par-dessus la table, comme si elle allait me confier un grand secret, m'explique :

— En fait, moi et Millie, nous sommes juste des connaissances de fac à l'origine. Nous avons emménagé ensemble en début d'année pour de simples raisons pratiques. On ne se parle pas vraiment. C'est bien pour ça que nous avons commis l'erreur de trouver chacune un colocataire. Si nous en avions discuté toutes les deux, ce ne serait pas arrivé.

Notre conversation s'interrompt soudain quand la fameuse Millie apparaît justement dans le salon, vêtue d'une nuisette en satin bien trop légère pour être portée en public.

— Où est Elio ? nous demande-t-elle simplement sans même nous saluer au préalable.

Kiara, qui semble complètement abasourdie, ne répond pas à celle qui jette un œil vers le couloir qui mène à ma chambre et, par conséquent, celle du brun.

— Il est parti, l'informé-je dans un chuchotis.

— Déjà ! s'emporte immédiatement la blonde, qui sans plus attendre s'élance en jurant vers la salle de bain. Pour ne pas faillir à son rôle de Drama queen, qu'elle incarne à merveille, la jeune femme claque délibérément la porte de la pièce avec force, me faisant sursauter violemment par la même occasion.

Certes, j'ai conscience que cet accès de colère est ponctuel et ne va engendrer aucune conséquence, mais la peur incontrôlable qui s'insinue vicieusement en moi m'empêche de relativiser plus longuement.

Kiara, qui se lève et s'insurge à son tour, hurle :

— Charmant !!! Qu'est-ce qui t'arrive ce matin ?

La jeune femme n'accueille que le silence pour réponse et se rassoit en soupirant bruyamment. Elle pose de nouveau son regard sur moi. Son expression contrariée s'évapore immédiatement pour laisser place à une inquiétude bien visible.

Sans doute a-t-elle compris ce qui se joue en moi par ma gestuelle, qui est plus parlante encore que si j'essayais de coucher des mots sur mon état actuel.

— Ça va ? me demande celle-ci avec beaucoup de douceur dans la voix.

— Je... Je dois partir en cours, lançai-je pour toute réponse, en me levant.

Mes jambes flageolent, mais je réussis à ne pas m'effondrer.

Kiara, qui assiste impuissante à mon tourment, trouve alors les mots justes, les seuls qui freinent instantanément les prémices de la crise d'angoisse qui s'annonçait. D'une voix apaisante et confiante, la jeune femme m'affirme avec une conviction dont j'avais cruellement besoin :

— Tu n'as pas à avoir peur Noa, tu es en sécurité ici. Personne ne te fera de mal.

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