Arc 4 - Chapitre 7
La porte se referme derrière moi dans un claquement sourd. Un silence lourd enveloppe la pièce, à peine perturbé par le crépitement discret d’un feu dans l’âtre. Roswaal est là, allongé dans son lit comme un roi sur son trône, vêtu de sa tenue exagérément théâtrale. Son sourire peint semble se moquer de tout, y compris de moi.
— "Wilfried, mon garçon, je dois admettre que je suis impressionné. Tu t’en es bien tiré, oh oui."
Je m’avance lentement, mes yeux ne quittant pas les siens.
— "Et par ‘bien tiré’, tu veux dire que je ne suis pas encore mort, c’est ça ? Toujours aussi encourageant."
Il rit doucement, un rire presque sincère, mais ses intentions ne le sont jamais. Je le sais.
— "Tu comprends mal mes paroles, oh oh. Mais cela n’est pas surprenant. Après tout, tu es encore jeune dans ce monde, bien que ton âme, elle, semble si vieille... si fatiguée."
Je m’arrête à quelques mètres de son lit, croisant les bras.
— "Épargne-moi tes jeux de mots, Roswaal. Tu m’as fait appeler pour quoi ? Me féliciter ? M’insulter ? Peut-être même m’utiliser encore un peu plus ?"
Son sourire s’élargit.
— "Un peu de tout cela, peut-être. Mais surtout... pour te parler d’avenir."
Un plan, ou une obsession ?
— "Ah, l’avenir," dis-je en inclinant légèrement la tête. "Ton obsession. Emilia est censée être au centre de tout cela, non ? La grande héroïne destinée à briser le cycle. Mais bizarrement, tout tourne toujours autour de toi, et de tes désirs égoïstes."
Il pose son menton sur sa main, son sourire se transformant en quelque chose de plus sombre.
— "Tu juges bien vite. Et pourtant, tu es un homme de stratégie, n’est-ce pas ? Tu sais aussi bien que moi qu’un plan n’a jamais qu’un seul centre."
Je fronce les sourcils, m’approchant d’un pas.
— "Emilia, moi, ce sanctuaire, les habitants humains et demi-humains... tout cela n’est qu’un jeu pour toi. Tu parles d’un avenir meilleur, mais je ne vois rien d’autre que de la destruction derrière toi."
Il rit à nouveau, cette fois plus fort.
— "Destruction ? Peut-être. Mais la destruction est nécessaire pour créer quelque chose de nouveau, Wilfried. Tu le sais mieux que quiconque, non ? Tu as vécu assez longtemps, vu assez de vies être détruites et reconstruites, pour comprendre ce principe fondamental."
Je serre les poings, mes ongles s’enfonçant dans mes paumes.
— "Alors, dis-moi, Roswaal. Qu’est-ce que tu veux de moi ? Parce que je ne crois pas une seule seconde que tu m’as convoqué juste pour discuter philosophie."
Le dilemme
Son sourire se fige, et son regard devient plus sérieux.
— "Oh, tu es perspicace, comme toujours. Très bien, allons droit au but. Je veux savoir... jusqu’où es-tu prêt à aller pour protéger Emilia et tout ce que tu prétends chérir ?"
Je reste silencieux un moment, analysant ses mots.
— "Et pourquoi devrais-je te répondre ? Tu connais déjà la réponse, Roswaal. Je ferai tout ce qui est nécessaire. Mais je ne suis pas toi. Je ne sacrifierai pas des innocents pour un ‘avenir’ hypothétique."
Il éclate de rire, cette fois de manière presque hystérique.
— "C’est là où tu te trompes ! Nous sommes bien plus semblables que tu ne le penses. Oh, tu peux jouer les justiciers, mais au fond, tu sais que tu es prêt à salir tes mains. Tu l’as déjà fait, n’est-ce pas ?"
Je serre les dents, mes pensées revenant à ces moments où j’ai dû prendre des décisions difficiles.
— "Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour survivre. Pas pour satisfaire une obsession."
Il secoue la tête, son sourire se faisant plus sinistre.
— "Tu te voiles la face, Wilfried. Tu crois que tu es différent de moi, mais tu ne l’es pas. Et c’est pour cela que tu es ici, avec moi, dans cette pièce, à parler d’avenir. Parce que toi aussi, tu comprends que le sacrifice est parfois nécessaire."
Le pari
Je me penche légèrement, le fixant droit dans les yeux.
— "Alors, dis-moi, Roswaal. Quel est ton véritable plan ? Et épargne-moi les généralités sur les sacrifices. Parle-moi clairement, pour une fois."
Il prend une grande inspiration, comme s’il savourait ce moment.
— "Très bien. Voici mon pari, Wilfried. Emilia échouera à briser ses chaînes si elle n’est pas poussée à bout. Pour cela, il faut la briser complètement. La forcer à choisir entre toi, les habitants du sanctuaire, et son propre destin. Une neige éternelle pourrait suffire à cela... ou pire encore."
Je recule légèrement, mon regard se durcissant.
— "Tu veux la détruire pour la reconstruire à ton image. Mais je te le dis maintenant, Roswaal : je ne te laisserai pas faire."
Il sourit à nouveau, mais cette fois, il y a une lueur de défi dans ses yeux.
— "Oh, tu peux essayer de m’arrêter, Wilfried. Mais rappelle-toi ceci : tu marches sur un fil. Un pas de travers, et tout ce que tu cherches à protéger disparaîtra."
Je me redresse, le regardant une dernière fois avant de tourner les talons.
— "J’ai entendu ce que tu avais à dire, Roswaal. Mais laisse-moi te donner un conseil : n’oublie pas que je ne suis pas seul. Et que je suis prêt à tout pour te faire tomber."
Je quitte la pièce sans attendre sa réponse, mes pensées bouillonnant. Ce jeu est devenu bien plus dangereux. Mais une chose est sûre : je ne jouerai jamais selon ses règles.
Une fois hors de la pièce, je ferme la porte avec une lenteur délibérée, prenant soin que le bruit résonne comme un glas dans l'air lourd. Ram se tient là, impassible comme à son habitude, mais je sens la tension dans ses épaules. Elle a tout entendu.
Je croise son regard, et un sourire amer étire mes lèvres.
— "Si seulement Rem savait avec qui tu travailles..." dis-je d'une voix basse mais acérée. "Elle serait tellement déçue de toi."
Son visage reste figé, mais quelque chose dans ses yeux vacille. Elle ne dit rien, et je n'attends pas de réponse. Mes mots ont porté leur coup, et c'est tout ce qui compte.
Je descends lentement les marches du chalet, laissant derrière moi cette tension oppressante. L’air froid de la nuit m’accueille, et je prends une profonde inspiration. Dehors, seul Otto est resté. Il se tient près de la clôture, visiblement nerveux, le regard perdu dans l’obscurité.
Je m’approche de lui, retirant le sniper que je portais sur mon dos.
— "Otto," dis-je, attirant son attention.
Il se tourne vers moi, ses yeux s’élargissant légèrement en voyant l’arme.
— "Qu’est-ce que... c’est ?" demande-t-il avec hésitation.
Je lui tends le sniper, le tenant par le canon.
— "Un cadeau," dis-je simplement.
Otto reste figé, les yeux passant de l’arme à moi.
— "Pourquoi... pourquoi me donner ça ? Et qu’est-ce qui s’est passé avec Roswaal ?"
Je pose le sniper dans ses mains, puis croise les bras, fixant l’horizon.
— "Il se passe exactement ce que tu craignais, Otto. Roswaal joue un jeu dangereux, et il ne se soucie pas de qui il écrase pour atteindre son objectif. Emilia, Garfiel, toi, moi... personne n’est hors de portée de ses manipulations."
Otto fronce les sourcils, serrant l’arme comme si elle pouvait lui apporter un semblant de contrôle dans ce chaos.
— "Et toi, Wilfried ? Qu’est-ce que tu comptes faire ?"
Je le regarde, un sourire sans joie sur les lèvres.
— "Je vais faire ce que je fais toujours, Otto. Survivre. Et si pour cela je dois détruire Roswaal, alors il en sera ainsi."
Otto avale difficilement, mais il hoche la tête.
— "Tu crois qu’on peut vraiment le battre ?"
— "On n’a pas le choix," dis-je en tournant les talons. "Et toi, garde ce sniper. Si les choses dégénèrent, il pourrait te sauver la vie."
Je commence à m’éloigner, laissant Otto avec ses pensées et son nouveau fardeau. Mais alors que je m’enfonce dans la nuit, une seule idée me hante : Roswaal a joué ses cartes, mais il ne sait pas encore que j’ai gardé un atout dans ma manche.
La nuit est calme, mais mes pensées ne le sont pas. Je marche lentement à travers le Sanctuaire, cherchant Garfiel. Mon plan initial était de le trouver pour discuter de notre prochain mouvement, mais mes pas me mènent plutôt aux clones de Ryuzu.
Elles sont rassemblées près de l’un des cristaux magiques, immobiles comme des statues. Leur présence silencieuse est toujours un peu dérangeante, mais ce soir, elle m’apaise étrangement.
— "Vous avez vu Garfiel ?" je demande en m’approchant.
L’une des Ryuzu se tourne vers moi, son expression neutre comme toujours.
— "Il est parti avec Frederica," dit-elle simplement.
Je fronce les sourcils.
— "Partis ? Où ?"
Elle incline légèrement la tête.
— "Ils se dirigent vers le manoir Roswaal."
Je reste figé un instant. Tout devient clair dans mon esprit : Garfiel et Frederica ont pris une décision. Ils sont partis pour défendre le manoir, ou plus précisément, pour affronter Elsa. Cela signifie qu’ils me laissent, ainsi qu’Otto, responsables du Sanctuaire pendant qu’Emilia continue les tests.
Un mélange de fierté et d’inquiétude me traverse. Ils savent ce qu’ils font, mais c’est un risque énorme.
Je les remercie rapidement et reprends ma marche. Cependant, je n’ai pas fait dix pas qu’une voix familière m’interpelle.
— "Wilfried ?"
Je me retourne pour voir Emilia s’approcher. Elle a cet air doux mais déterminé qu’elle affiche souvent lorsqu’elle veut discuter sérieusement.
— "Qu’est-ce qu’il y a ?" je demande, m’arrêtant.
Elle hésite un instant, jouant avec une mèche de cheveux.
— "Je voulais te parler... mais, avant ça, tu devrais me dire ce qui se passe vraiment."
Je la fixe un moment, pesant mes options. Puis je soupire.
— "D’accord. Je vais tout te dire."
Nous nous asseyons sur un tronc d’arbre tombé, et je commence à parler. Pas seulement de ce qui se passe ici, mais aussi de moi. De mon passé.
Je lui raconte tout. Mes parents négligents, ma relation avec mon grand-frère Thierry, le harcèlement que j’ai subi, le contrôle que j’ai fini par exercer sur un pays entier pour survivre, mon arrivée au Japon, ma rencontre avec Hakurei et les Yakuza. Je parle de mon kidnapping, de ma fuite constante, et finalement, de ma mort avant d’atterrir dans ce monde.
Elle écoute sans m’interrompre, ses yeux reflétant une multitude d’émotions : la tristesse, la surprise, l’incompréhension, mais aussi une forme d’admiration.
— "Tu as traversé tellement de choses..." murmure-t-elle quand j’ai fini.
Je ris doucement, un rire sans joie.
— "Ce n’est rien comparé à ce que toi tu as vécu, Emilia. Moi, je suis simplement un survivant. Toi, tu es bien plus que ça."
Elle secoue la tête, des larmes dans les yeux.
— "Non, Wilfried. Tu es bien plus que ça. Tu as toujours trouvé un moyen de continuer, peu importe ce qui t’arrivait. Moi, j’aurais abandonné depuis longtemps à ta place."
Ses mots me touchent plus que je ne veux l’admettre. Je détourne le regard, gêné, mais elle attrape ma main.
— "Merci de m’avoir raconté tout ça. Ça me fait me sentir... plus proche de toi."
Je serre doucement sa main en retour, incapable de répondre.
À cet instant, je comprends une chose : malgré tout ce que j’ai traversé, malgré les horreurs et les pertes, il y a encore des moments comme celui-ci qui rendent tout ça supportable.
Je serre doucement la main d’Emilia avant de me lever, la regardant dans les yeux avec sérieux.
— "Écoute-moi bien, Emilia. Tu dois te concentrer totalement sur les épreuves. Peu importe ce qui se passe ici ou au manoir, tu ne dois pas intervenir. C’est une promesse que je te demande de faire."
Elle cligne des yeux, surprise, puis fronce légèrement les sourcils.
— "Mais, Wilfried... Si quelque chose de grave arrive, je veux pouvoir aider. Je ne peux pas rester à ne rien faire pendant que vous risquez votre vie."
Je secoue la tête avec un sourire calme.
— "C’est justement pour ça que tu ne dois pas te mêler de tout ça. Emilia, tout le monde joue un rôle ici. Frederica et Garfiel sont partis au manoir, Otto gère les choses au Sanctuaire, et moi, je vais faire ce qu’il faut pour que tout le monde s’en sorte. Mais toi, ton rôle est crucial. Tu es la seule qui peut libérer le Sanctuaire. Si tu échoues ou te mets en danger inutilement, tout ce qu’on fait ici n’aura servi à rien."
Elle hésite, le conflit visible dans ses yeux.
— "Mais Wilfried... et toi ? Tu risques ta vie aussi, non ?"
Je ris doucement, mais cette fois avec une chaleur sincère.
— "Bien sûr que je prends des risques. Mais c’est mon rôle. Je suis ton chevalier, après tout. Protéger, me battre, m’assurer que tu peux avancer sans t’inquiéter de ce qui se passe derrière toi. C’est pour ça que je suis là."
Son expression s’adoucit, mais je vois qu’elle lutte encore avec l’idée de rester en retrait.
— "Emilia, fais-moi confiance," dis-je en me penchant légèrement pour être à son niveau. "Tu as déjà beaucoup sur les épaules. Laisse-nous gérer le reste. Toi, concentre-toi uniquement sur ce que toi seule peux faire."
Elle prend une profonde inspiration, puis hoche la tête, bien que je devine qu’elle n’est pas entièrement convaincue.
— "D’accord, Wilfried. Je vais faire de mon mieux."
Je pose une main sur son épaule, un sourire rassurant aux lèvres.
— "C’est tout ce que je te demande. Laisse-moi m’occuper du reste. Maintenant, va te reposer. Tu auras besoin de toutes tes forces pour les prochaines épreuves."
Elle me regarde une dernière fois, puis se détourne et retourne vers le chalet. Je la suis du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse à l’intérieur, puis je pousse un soupir.
Je sais que ce que je lui demande est difficile. Elle veut aider, elle veut se battre aux côtés de tout le monde. Mais parfois, le plus grand courage réside dans la patience et la confiance.
Je resserre la sangle de mon équipement et me dirige vers Otto.
— "Alors, on commence ?" dis-je en arrivant à sa hauteur.
Il me regarde, l’expression sérieuse.
— "Tu as un plan ?"
Je souris, un éclat de détermination dans les yeux.
— "Bien sûr. Chacun a son rôle à jouer. Et moi, je vais faire ce qu’il faut."
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