Arc 4 - Chapitre 6
Pourquoi faut-il toujours que tout dégénère ?
Je me frotte la joue pour la énième fois, alors que Minerva s'apprête à me coller une autre droite. Cette fois, je l'attrape par le poignet avant qu'elle ne puisse finir son mouvement.
— "Ok, ça suffit. J'ai compris. Tu es en colère."
— "En colère ?!" s'exclame-t-elle, ses yeux brillants de frustration. "Trois suicides, Wilfried. Trois ! Tu te rends compte à quel point c'est insensé ?"
— "Bien sûr que je m'en rends compte," je réponds calmement, relâchant doucement son poignet. "Mais arrête de me donner des coups. Ça ne changera rien, et ça commence à être agaçant."
Elle me dévisage, sa rage diminuant légèrement, remplacée par une sorte de désespoir. Daphné, toujours dans son cercueil, intervient avec un ton curieux.
— "Tu es fascinant, Wilfried. Trois suicides, plusieurs morts... et pourtant, tu es encore debout. Pas détruit, pas brisé. Un miracle. Peut-être que tu n’es pas humain ?"
Je croise les bras, lançant un regard noir vers elle.
— "Daphné, tu as créé des monstres capables d'annihiler des civilisations entières. Tu es la dernière à pouvoir parler de miracles."
Elle rit doucement, un son presque enfantin mais teinté de quelque chose de sinistre.
Pendant ce temps, Typhon me fixe avec son expression innocente, mais ses yeux, pleins de jugement, me transpercent comme des flèches.
— "Tu es un pécheur, Wilfried," dit-elle doucement, sa voix mélodieuse mais implacable. "Tu dis que tu es sain, mais est-ce vraiment le cas ? Je peux le voir, tu sais. Ton cœur est lourd."
Je soupire, détournant les yeux.
— "Je ne me considère pas sain, Typhon. Et franchement, je n’ai jamais prétendu l’être. Mais si tu veux me juger, vas-y. Ce n’est pas comme si ça allait m’arrêter."
Elle fronce les sourcils, mais ne dit rien de plus. Carmilla, elle, reste en retrait, à moitié cachée derrière son voile, marmonnant quelque chose d’incompréhensible. Sekhmet, comme toujours, est étendue par terre, baillant avec une lassitude écrasante.
— "C’est fatiguant," murmure-t-elle. "Tout ce chaos, toutes ces disputes. Pourquoi ne pas juste dormir et oublier tout ça ?"
Je l’ignore. Elle pourrait probablement dormir au milieu d’un incendie, alors son avis n’a pas vraiment de poids ici.
C’est alors qu’Echidna reprend la parole, sa voix tranchant à travers l’atmosphère tendue comme une lame bien aiguisée.
— "Wilfried sait déjà tout, mes chères sœurs." Elle sourit, son expression calculatrice et charmante à la fois. "Il sait à propos de moi, de mes intentions, et même des conséquences de ses actes. N’est-ce pas, Wilfried ?"
Je la fixe, mon regard froid.
— "Bien sûr que je le sais. Tu n’as jamais caché tes intentions, Echidna. Ce qui te rend dangereuse, ce n’est pas ton pouvoir, mais ta transparence. Tu dis tout avec un tel détachement que ça en devient presque convaincant."
Son sourire s’élargit, satisfait.
— "Et pourtant, tu as failli signer mon contrat. Pourquoi donc, Wilfried ?"
Je serre les poings, inspirant profondément avant de répondre.
— "Parce que malgré tout ce que je sais, il y a une part de moi qui veut croire qu’il y a une solution facile. Une voie où je n’ai pas à mourir encore et encore pour protéger les autres. Mais..." Je marque une pause, regardant les autres sorcières. "Je sais que ce serait une erreur. Je suis prêt à souffrir si cela signifie que je peux sauver ceux que j’aime."
Minerva, qui s’était calmée, hoche doucement la tête, presque respectueuse.
— "C’est la première chose sensée que tu as dite depuis que je te connais."
Echidna, cependant, éclate de rire, un son doux mais profondément déstabilisant.
— "Oh, Wilfried, tu es vraiment fascinant. Et tellement prévisible. Mais ne te méprends pas : ce n’est pas parce que tu refuses mon contrat aujourd’hui que je ne trouverai pas une autre façon de t’avoir."
Je la fixe, impassible.
— "Essaie autant que tu veux, Echidna. Mais je ne suis pas aussi facilement manipulable que tu le crois."
Le silence s’installe, chaque sorcière dans la pièce me regardant avec une expression différente. Minerva semble enfin apaisée, Daphné intriguée, Typhon toujours jugeante, Carmilla nerveuse, et Sekhmet indifférente. Echidna, quant à elle, me fixe avec une intensité qui me met mal à l’aise.
Je me redresse, les regardant toutes avec une détermination renouvelée.
— "Si c’est tout, j’aimerais sortir de cet endroit. J’ai des gens qui comptent sur moi, et je n’ai pas de temps à perdre ici."
Echidna sourit, mais son regard me suit alors que je tourne les talons, prêt à quitter ce rassemblement étrange et oppressant.
— "À bientôt, Wilfried. Je suis sûre que nous nous reverrons."
Je ne réponds pas, mais dans mon esprit, une pensée claire se forme : "Pas si je peux l’éviter."
Je me redresse, l’esprit encore un peu engourdi par l’expérience que je viens de vivre. Tout autour de moi, le Sanctuaire est exactement comme je l’ai quitté : calme, presque paisible, comme si rien ne s’était passé. Mais je sais que ce n’est qu’une illusion.
Zéro seconde. Pas une seule. Tout ce que j’ai vécu, tous ces dialogues, cette confrontation avec Echidna, ce qu’elle a essayé de faire, tout cela s’est déroulé en dehors de la réalité temporelle. Et pourtant, je ressens encore le poids de cette interaction, comme si cela avait duré des heures.
La porte s’ouvre brusquement, et Emilia entre, un sourire radieux illuminant son visage.
— "Wilfried !" s’exclame-t-elle en courant vers moi, sa voix emplie d’une joie enfantine. "J’ai réussi le test ! Je l’ai fait !"
Avant que je ne puisse répondre, elle est déjà trop près. Beaucoup trop près. Elle agrippe mes bras avec excitation, ses grands yeux brillants d’émotion.
— "Je savais que je pouvais le faire, mais c’est aussi grâce à toi. Tu m’as donné le courage de continuer. Merci, Wilfried."
Je m’efforce de sourire, mais son contact me met mal à l’aise. Emilia est adorable, certes, mais ce niveau de proximité est... perturbant. Je tente de reculer légèrement, mais elle ne semble pas s’en rendre compte.
Quelqu’un ? Un peu d’aide ici ?
Par chance, ou par miracle, Garfiel débarque à son tour, son expression indéchiffrable.
— "Oy, Princesse, arrête de coller Brownvivor comme ça." Sa voix est bourrue, mais il a un léger sourire au coin des lèvres. "J’ai besoin de causer avec lui."
Emilia me lâche à contrecœur, mais elle reste rayonnante.
— "D’accord, mais ne sois pas trop dur avec lui, Garfiel."
Il roule des yeux avant de me faire signe de le suivre. Je hoche la tête, soulagé de cette intervention providentielle, et je m’éloigne avec lui.
En privé
Nous trouvons un endroit tranquille à l’écart du Sanctuaire, un coin ombragé où personne ne peut nous entendre. Garfiel croise les bras et me fixe d’un regard intense.
— "Alors, Brownvivor. Tu vas m’expliquer pourquoi t’as l’air si fatigué. C’est Echidna, pas vrai ?"
Je soupire, passant une main sur mon visage.
— "Oui, c’est elle. Elle m’a fait passer le premier test, et je l’ai réussi."
Ses yeux s’écarquillent, mais ce n’est pas de la surprise. C’est de la colère.
— "Cette foutue sorcière..." grogne-t-il entre ses dents. "Elle t’a manipulé, c’est ça ? Qu’est-ce qu’elle t’a montré ?"
Je hausse les épaules, choisissant mes mots avec soin.
— "Elle a essayé de gagner ma confiance. Elle m’a montré un souvenir... modifié, je pense. Quelque chose pour me faire croire qu’elle était digne de confiance. Mais je ne suis pas stupide, Garfiel. Je ne tomberai pas dans son piège."
Il semble se détendre un peu, mais son expression reste sombre.
— "T’as bien fait de pas lui faire confiance. Elle est pire qu’une vipère. Et crois-moi, elle est encore plus cruelle avec les autres. Surtout avec Emilia."
Cela me fait froncer les sourcils.
— "Emilia... ?"
— "Ouais." Il grince des dents, visiblement frustré. "J’ai pas vu son test, mais d’après ce que je sais, elle a dû affronter des trucs bien pires. Cette sorcière joue avec nos têtes. Avec nos cœurs. Elle adore ça."
Un silence tendu s’installe avant qu’il ne reprenne.
— "Tu devrais pas parler à Roswaal, Ram, ou même Emilia de ce que t’as fait. Garde ça pour toi, d’accord ?"
— "Pourquoi ?"
— "Parce qu’ils te mettront une pression que t’as pas besoin d’avoir. Emilia... elle croit qu’elle doit tout porter sur ses épaules. Roswaal a ses propres plans tordus. Et Ram..." Il hésite, son regard s’assombrissant. "Disons qu’elle est loyale à un point qui pourrait te surprendre."
Je hoche la tête, comprenant l’importance de son avertissement.
— "D’accord. Je garde ça entre nous."
Il semble satisfait, mais avant que nous ne puissions continuer, Ram apparaît, son expression neutre mais son regard perçant.
— "Vous deux," dit-elle d’une voix calme mais ferme, "le dîner est prêt. Venez au chalet."
Garfiel et moi échangeons un regard. Il hausse les épaules avant de commencer à marcher, me laissant le suivre.
En route vers le chalet
Je ne peux m’empêcher de réfléchir à tout ce qui vient de se passer. Le test, Echidna, les clones de Ryuzu que je peux maintenant contrôler en tant qu’apôtre de l’Avarice... Et surtout, les avertissements de Garfiel.
Je dois jouer intelligemment.
Ce Sanctuaire est un champ de mines, et chaque mouvement que je fais pourrait avoir des conséquences désastreuses. Mais pour l’instant, tout ce que je peux faire, c’est avancer.
Le dîner touche à sa fin. Je repose mes couverts, observant la dynamique autour de la table. Frédérica a préparé un excellent repas, comme toujours. Ram, quant à elle, est restée fidèle à son rôle d’observatrice distante, bien qu’il soit clair qu’elle méprise chaque bouchée qui n’est pas destinée à Roswaal.
Quant à moi, je suis... partagé. Mon humeur oscille entre satisfaction et exaspération. Otto est assis à ma gauche, jetant des regards nerveux autour de lui, probablement inquiet des implications de tout ce qui se passe. Garfiel, lui, tente à plusieurs reprises de lancer des plaisanteries qui tombent à plat, alternant entre taquiner Frédérica et échouer à attirer son attention romantique.
Et puis il y a Emilia. Toujours assise un peu trop près de moi. Son enthousiasme, ses sourires, et sa manière de me toucher légèrement le bras ou l’épaule... Elle est heureuse, et cela fait plaisir à voir. Mais, en même temps, son insouciance me met mal à l’aise. Elle ignore totalement les tensions qui flottent autour d’elle. Elle ne voit pas la guerre de nerfs qui se joue.
Je lâche un soupir imperceptible. Roswaal est le seul absent. Et ce n’est pas par hasard.
Après le dîner
Le repas terminé, Frédérica s’affaire à débarrasser la table tandis que Ram reste immobile, fixant tout le monde avec son habituel regard indéchiffrable. Elle finit par briser le silence :
— "Roswaal-sama souhaite te voir."
Je lève les yeux vers elle. Mon expression reste neutre, mais à l’intérieur, une tempête gronde.
Enfin.
Je me lève lentement, remerciant Frédérica d’un signe de tête avant de me tourner vers les autres. Otto semble prêt à protester, Garfiel reste impassible mais ses sourcils se froncent légèrement, et Emilia, toujours souriante, n’a pas la moindre idée de ce qui se prépare.
Je souris légèrement. C’est le signal.
— "Emilia, tu devrais aller te reposer avec les autres."
Garfiel comprend immédiatement. Il se lève et prend doucement le bras d’Emilia.
— "Viens, Princesse. On va te montrer le coin tranquille que t’aimes bien, ouais ?"
— "Mais Wilfried—" commence-t-elle, mais je lui adresse un regard apaisant.
— "Je te rejoindrai plus tard. Promis."
Elle hésite, puis hoche la tête avant de suivre Garfiel et Otto hors de la pièce. Frédérica les suit rapidement, refermant la porte derrière eux.
Ram, en revanche, ne bouge pas.
— "Je t’ai dit de me conduire à Roswaal," dis-je calmement.
Elle me fixe, ses yeux froids comme la glace, avant de répondre :
— "Je suis là pour protéger Roswaal-sama, pas pour obéir à tes ordres."
Je la fixe intensément, mon regard devenant tranchant.
— "Ram, écoute bien. Si tu tentes de l’arrêter ou de te mettre en travers de ma route, je te jure que je te briserai. Alors, sois intelligente. Conduis-moi à lui."
Un long silence s’installe. Puis, à contrecœur, elle se détourne et commence à marcher.
— "Suis-moi."
Je la suis, mes pensées tournant à toute vitesse. Ce Roswaal... Faux malade. Faux désespéré. Véritable manipulateur. Il veut me voir ? Très bien. Mais il regrettera de m’avoir convoqué.
Devant la chambre de Roswaal
Ram s’arrête devant une porte massive et élégante. Elle se tourne vers moi, son expression toujours aussi neutre.
— "Tu ferais mieux de surveiller tes paroles, Wilfried."
Je ne lui réponds pas. Je pousse la porte et entre sans attendre.
La chambre est comme je m’y attendais : extravagante, presque théâtrale, à l’image de son occupant. Roswaal est allongé dans un grand lit, son visage peint de ses habituelles couleurs excentriques. Il me fixe de son œil unique, un sourire calculateur sur les lèvres.
— "Wilfried. Bienvenue. Nous avons tant à discuter, n’est-ce pas ?"
Je referme la porte derrière moi, m’approchant lentement.
— "Oh, ne t’en fais pas, Roswaal. Moi aussi, j’ai beaucoup de choses à te dire."
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