Arc 4 - Chapitre 4
Point de vue : Wilfried Brownvivor
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Je me tiens au centre d’une salle exiguë dans le chalet du Sanctuaire, les yeux balayant chacun des visages présents autour de moi. Frederica, droite et digne, bien que son regard trahisse une pointe d’inquiétude. Otto, nerveux mais attentif, les mains crispées sur son carnet. Ryuzu Bilma, paisible en apparence, mais dont le sourire aimable ne parvient pas à cacher la tension dans ses épaules. Garfiel est adossé au mur, bras croisés, ses yeux dorés fixés sur moi avec une intensité qui m’oblige à rester concentré.
Je prends une profonde inspiration. Je n’ai pas le droit à l’erreur.
— "La situation est pire que vous ne pouvez l’imaginer," dis-je en rompant le silence.
Tous se redressent instinctivement, attentifs.
— "Roswaal a prévu chaque détail. Ce n’est pas seulement Emilia qu’il manipule. C’est nous tous. Chaque mouvement, chaque choix, chaque hésitation que nous faisons joue en sa faveur. Si nous ne faisons rien, tout le monde ici mourra, que ce soit par son plan ou par les conséquences de ce qu’il déclenche."
Otto fronce les sourcils, prêt à m’interrompre, mais je lève la main pour l’arrêter.
— "Écoutez-moi jusqu’au bout."
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Le plan de Roswaal
Je commence à exposer la situation. Roswaal ne se contente pas de vouloir qu’Emilia échoue aux épreuves. Non, son but est bien plus vicieux. Il veut la pousser à un point de rupture, qu’elle perde toute confiance en elle et se tourne uniquement vers moi pour survivre.
— "Il prépare un choix impossible pour moi : abandonner Emilia, ou abandonner tout le monde."
— "Et toi, tu choisis quoi ?" interrompt Garfiel, son ton provocateur.
Je le fixe, un sourire glacé aux lèvres.
— "Je ne choisis pas. Parce que je refuse de jouer à son jeu."
Garfiel plisse les yeux mais ne réplique pas. Frederica, elle, incline légèrement la tête.
— "Mais pourquoi aller jusqu’à provoquer cette situation ?" demande Otto, visiblement perdu.
— "Parce que Roswaal croit que je suis comme lui. Obsédé, prêt à tout sacrifier pour une obsession démesurée. Il pense que je vais me plier à ses règles pour protéger Emilia. Et il sait que si je ne le fais pas, alors ce Sanctuaire, ses habitants, et même ceux restés au manoir, sont condamnés."
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Les dangers imminents
J’explique ensuite les conséquences du plan de Roswaal. Si Emilia échoue aux épreuves et cède à sa détresse, elle risque de perdre le contrôle de ses pouvoirs et de geler tout le Sanctuaire. Si elle ne le fait pas, Roswaal prévoit de faire tomber de la neige magique.
Frederica arque un sourcil.
— "De la neige magique ? C’est ridicule."
— "C’est ce que je pensais au début," dis-je en me tournant vers elle, "jusqu’à ce que je ressente quelque chose de bien pire. Le Grand Lapin."
Un silence lourd tombe dans la pièce.
— "Le Grand Lapin ?" murmure Bilma, son visage pâlissant légèrement.
— "Une Bête Démoniaque créée par la Sorcière de la Gourmandise. Il se nourrit de mana et se multiplie à l’infini. Si la neige magique tombe ici, c’est une invitation. Et si le Grand Lapin arrive, il ne restera rien de ce Sanctuaire, ni personne pour en sortir vivant."
Otto déglutit bruyamment, et même Garfiel semble troublé.
— "Et ça ne s’arrête pas là," repris-je. "Roswaal a engagé Elsa pour attaquer le manoir. Elle ne va pas seulement viser Rem et Béatrice. Elle va soit tuer Meili, soit la kidnapper pour l’emmener à leur soi-disant mère."
Les mots tombent comme une pierre dans un lac.
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Les implications
Frederica serre les poings, le visage dur.
— "Tu veux dire que cette enfant… Meili… est impliquée dans tout cela à cause de Roswaal ?"
— "Exactement. Il sait que je ne peux pas l’abandonner. Pas après ce qu’elle a vécu."
— "Et Rem ?" demande Garfiel.
Je hoche la tête.
— "Elle est en danger aussi. Tout comme Béatrice. Roswaal sait que je vais essayer de les protéger. Il veut que je sois submergé par trop de choix, trop de responsabilités, pour que je finisse par échouer quelque part."
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Un dilemme moral
— "Alors, tu fais quoi ?" demande finalement Garfiel, son ton toujours sceptique mais un peu plus sérieux.
Je prends un moment pour répondre, mon regard balayant les visages autour de moi.
— "Je vais tout faire pour empêcher son plan de se réaliser. Mais je ne peux pas le faire seul."
Je m’adresse à Frederica :
— "Tu connais Elsa mieux que personne. Je vais avoir besoin de toi pour protéger le manoir. Mais tu ne peux pas le faire seule."
Elle acquiesce, bien que son regard soit sombre.
Je me tourne ensuite vers Otto :
— "Otto, je vais avoir besoin de toi pour négocier avec les habitants du village et leur expliquer ce qui se passe. Ils doivent rester calmes, même si les choses empirent."
Otto semble hésiter mais finit par hocher la tête.
Puis, je fixe Garfiel :
— "Quant à toi… Si tu veux vraiment protéger ce Sanctuaire, il est temps de prouver que tu es son bouclier. Pas en intimidant les étrangers, mais en affrontant la véritable menace."
Il ne dit rien, mais je peux voir dans ses yeux qu’il réfléchit.
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Une conclusion glaciale
Ryuzu Bilma s’avance légèrement, rompant le silence :
— "Et moi, qu’attendez-vous de moi ?"
Je la fixe avec gravité.
— "Préparez les clones. S’ils doivent fuir ou se battre, ils doivent être prêts. Et plus important encore…"
Je fais une pause, mes mots pesant lourds :
— "Ils doivent savoir que nous allons nous battre pour leur liberté, pas pour les chaînes de Roswaal."
Elle acquiesce lentement, le poids de mes paroles résonnant dans l’espace confiné.
En mon for intérieur, je sens la pression monter. La situation est complexe, mais je n’ai pas le droit d’échouer. Roswaal a peut-être prévu tout cela, mais il n’a pas anticipé une chose essentielle : ma capacité à survivre, à m’adapter, et à renverser la table.
Je serre le poing.
— "Il est temps de jouer, Roswaal."
Je marche lentement dans la nuit calme, le vent frais du Sanctuaire soufflant doucement sur mon visage. Garfiel, fidèle à sa nouvelle promesse de coopération, reste à une distance respectable, adossé à un arbre, observant sans intervenir. Ses yeux dorés suivent chacun de mes pas, mais cette fois, il ne me retient pas.
Seul, je m’enfonce dans les ombres de la forêt, mon esprit alourdi par le poids des responsabilités que je porte. Soudain, une présence familière se matérialise devant moi. Une silhouette petite et féline, ses yeux brillants me fixant avec une étrange intensité : Puck.
Il n’a pas l’apparence joviale et espiègle à laquelle je suis habitué. Non, cette fois, il émane de lui une gravité qui me fait immédiatement comprendre que quelque chose a changé.
— "Puck," murmuré-je en fronçant les sourcils. "Pourquoi es-tu ici ? Tu n’es pas censé être avec Emilia ?"
Puck incline la tête légèrement, une expression presque triste traversant son visage.
— "Je ne peux plus être avec elle," dit-il calmement. "J’ai rompu notre contrat."
Ces mots me frappent comme un coup de poing.
— "Tu... Quoi ?"
Il continue, son ton toujours posé mais chargé d’une lourde mélancolie :
— "J’ai récupéré tous mes souvenirs, Wilfried. Et avec eux, la vérité. Je ne peux pas continuer à lui mentir ou à prétendre être quelque chose que je ne suis pas. Emilia doit avancer seule, et moi... je ne peux plus être son bouclier."
Je serre les poings, essayant de contenir l’indignation qui monte en moi.
— "Tu l’abandonnes maintenant, alors qu’elle a besoin de toi ?!"
Puck secoue doucement la tête.
— "Ce n’est pas un abandon, mais une libération. Elle ne peut pas continuer à fuir son passé. Et toi, tu devrais savoir mieux que quiconque ce que cela signifie."
Je reste silencieux, ses mots frappant une corde sensible.
— "Tu as toujours su, n’est-ce pas ?" poursuit-il. "Qu’elle ne se souvient pas de son passé. Tu l’as vu dans ses yeux, dans ses hésitations."
Je hoche la tête lentement.
— "Oui. Mais je pensais que tu serais là pour l’aider, pour lui donner un point d’ancrage."
Un léger sourire étire les lèvres de Puck.
— "Et toi, Wilfried ? Tu n’es plus ce jeune homme naïf et sans tact que j’ai rencontré pour la première fois. Tu as changé, mûri, et tu es capable de lui offrir ce qu’elle cherche. Va la voir. Elle a besoin de toi plus que jamais."
Avant que je puisse répondre, il disparaît en une lumière éthérée, me laissant seul face à mes pensées.
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Une rencontre en larmes
Je reprends ma marche, mon cœur lourd mais déterminé. Lorsque j’atteins enfin le chalet, je vois Emilia, assise sur les marches, la tête enfouie dans ses mains. Ses épaules tremblent, et je devine qu’elle pleure silencieusement.
Sans réfléchir, je m’approche d’elle, mes pas résonnant doucement dans la nuit.
— "Emilia," murmuré-je, ma voix tremblant légèrement.
Elle sursaute et lève les yeux vers moi. Son visage est baigné de larmes, et dans ses prunelles violettes, je vois une douleur profonde.
— "Wilfried... Je... Je suis désolée..." balbutie-t-elle, sa voix brisée.
Je ne dis rien. Les mots me manquent. Alors, sans réfléchir davantage, je m’agenouille devant elle et l’enlace doucement. Mes bras entourent ses épaules tremblantes, et je sens ses larmes imbiber ma chemise.
— "Ce n’est pas ta faute," chuchoté-je, ma voix à peine audible.
Elle sanglote contre moi, son corps secoué par des spasmes, et pour la première fois depuis longtemps, je ressens une émotion que je pensais avoir enterrée : la tristesse.
— "Je suis faible," murmure-t-elle entre deux sanglots. "Je ne peux même pas réussir le premier test. Tout le monde compte sur moi, et je..."
— "Tu n’as pas à porter ce fardeau seule," dis-je en la serrant un peu plus fort. "Nous sommes là pour t’aider, Emilia. Moi, Otto, Frederica, Garfiel... Tous. Tu n’es pas seule."
Elle reste silencieuse un moment, ses sanglots se calmant légèrement.
— "Puck m’a quittée," finit-elle par dire, sa voix presque inaudible.
Je ferme les yeux, une douleur sourde perçant ma poitrine.
— "Je sais," répondu-je doucement. "Mais il ne l’a pas fait pour te blesser. Il l’a fait parce qu’il croit en toi. Et moi aussi."
Ses yeux rencontrent les miens, et dans leur profondeur, je vois une étincelle vacillante d’espoir.
— "Tu crois vraiment en moi ?" demande-t-elle, sa voix tremblante.
Je souris faiblement, une larme solitaire roulant sur ma joue.
— "Plus que jamais, Emilia."
Elle me fixe un long moment, puis hoche lentement la tête, ses larmes se tarissant peu à peu.
Cette nuit-là, alors que je reste à ses côtés, je fais une promesse silencieuse : peu importe les épreuves, peu importe les sacrifices, je ferai tout pour protéger cette lumière vacillante en elle. Parce qu’elle est bien plus forte qu’elle ne le croit.
Le silence retombe après nos paroles échangées, mais je ne bouge pas. Je reste là, près d’elle, assis sur les marches du chalet, à regarder les étoiles qui scintillent au-dessus de nous. Emilia respire encore de manière irrégulière, mais ses sanglots se sont calmés. L’air est frais, presque froid, mais je ne ressens rien d’autre que la chaleur douce de sa présence.
Je tourne légèrement la tête pour la regarder. Ses cheveux argentés capturent la lumière de la lune, et même dans son état vulnérable, elle dégage une beauté presque surnaturelle. Mais ce n’est pas ça qui retient mon attention. Ce sont ses yeux. Ces prunelles violettes pleines de douleur, mais aussi d’une force qu’elle refuse de reconnaître.
— "Tu devrais dormir un peu," dis-je doucement.
Elle secoue la tête, un sourire faible mais sincère étirant ses lèvres.
— "Je ne veux pas être seule ce soir."
Je reste silencieux un instant, pesant mes mots, puis je hoche la tête.
— "Alors, je resterai avec toi. Toute la nuit, s’il le faut."
Elle me regarde, surprise, puis baisse les yeux, comme gênée.
— "Tu fais déjà tellement pour moi, Wilfried. Je ne veux pas te déranger davantage."
Je ris doucement, un son presque inaudible.
— "Crois-moi, Emilia. Si ça peut t’aider, ce n’est pas un dérangement. Je suis là pour toi."
Elle reste silencieuse, mais je vois ses doigts se crisper légèrement sur sa robe. Puis, avec une hésitation palpable, elle se redresse et me regarde dans les yeux.
— "Tu peux rester avec moi à l’intérieur ? Juste pour parler. Je... je ne veux pas m’endormir tout de suite."
Je me lève doucement, lui tendant une main qu’elle accepte après une seconde d’hésitation. Nous entrons dans le chalet, l’air tiède contrastant agréablement avec la fraîcheur de la nuit.
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Une nuit de confidences
Dans la petite pièce éclairée par une lampe à huile, Emilia s’assied sur un canapé, enroulant ses jambes sous elle. Je prends place sur une chaise en face d’elle, gardant une certaine distance par respect.
— "De quoi veux-tu parler ?" demandé-je.
Elle réfléchit un instant, son regard se perdant dans le vide.
— "De toi," finit-elle par dire, surprenant. "Je me rends compte que je ne te connais pas si bien que ça. Tu es toujours là, à m’aider, mais je sais si peu de choses sur toi."
Je reste interdit, cherchant mes mots.
— "Moi ? Il n’y a pas grand-chose à dire, tu sais. Je suis juste… quelqu’un qui essaie de survivre. Rien d’exceptionnel."
Elle fronce les sourcils, clairement mécontente de ma réponse.
— "Tu dis ça, mais tu es toujours là pour tout le monde. Pour moi, pour les autres. Même Garfiel te respecte maintenant. Ça, ce n’est pas rien, Wilfried."
Je détourne les yeux, un sourire amer sur les lèvres.
— "Si tu savais tout ce que j’ai dû faire pour en arriver là, tu ne dirais pas ça."
Elle penche la tête, curieuse, mais ne pousse pas.
— "Alors raconte-moi. Ce soir, je veux savoir qui tu es vraiment."
Je la regarde un long moment, hésitant. Puis, lentement, je commence à parler. Pas de tout, bien sûr, mais de morceaux de moi, de mes doutes, de mes échecs, de ces décisions qui me hantent encore. Elle écoute attentivement, ses yeux jamais détournés, comme si chaque mot avait de l’importance.
À mesure que les heures passent, l’atmosphère devient plus légère. Emilia commence à parler à son tour, partageant des anecdotes sur son enfance, bien que floues, et ses espoirs pour l’avenir. Nous rions doucement, échangeons des pensées, et peu à peu, je sens son cœur s’alléger.
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Le matin arrive
Lorsque les premières lueurs de l’aube traversent les fenêtres, Emilia s’est endormie, la tête posée sur le bras du canapé. Je la regarde un moment, un léger sourire sur les lèvres. Elle semble paisible, presque enfantine dans son sommeil.
Je me lève doucement, prenant une couverture pour la recouvrir.
— "Tu es plus forte que tu ne le crois, Emilia," murmuré-je en éteignant la lampe.
Je sors ensuite en silence, le soleil commençant à illuminer le Sanctuaire. La nuit a été longue, mais pour la première fois depuis un moment, je me sens un peu plus léger moi aussi.
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