Arc 3 - Chapitre 14
Le chaos règne sur le champ de bataille. Les troupes des camps Crusch, Emilia, et Anastasia s'organisent, mais la Baleine Blanche continue de dominer. Le cercle rouge au-dessus de sa tête brille comme un avertissement funeste, et sa brume mortelle s'étend, menaçant de tout effacer. Les soldats hésitent, certains se replient, d'autres vacillent sous la pression.
Je suis sur le dos de Patrasche, observant la scène. La fatigue pèse sur les troupes. Les blessures s'accumulent. Les murmures de désespoir se propagent.
Je prends une profonde inspiration.
— Si je ne peux pas être le héros, alors je serai le survivant, murmuré-je pour moi-même.
Mais pour survivre, il faut parfois faire le choix le plus risqué.
— Otto !
La voix de mon frère résonne faiblement dans mon communicateur.
— Quoi encore ? Je viens à peine de reprendre mon souffle...
— Couvre-moi. Je vais être l’appât.
Un silence abasourdi me répond.
— Tu es sérieux ? Wilfried, c’est de la folie !
— Exactement. C’est pour ça que ça va marcher.
Je fixe le dos de Patrasche, lui caressant doucement l'encolure.
— Prête, ma belle ? On a une folie à accomplir.
Elle hennit doucement, comme pour m'encourager.
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Je m’élance à travers le champ de bataille, galopant droit sur la Baleine Blanche. Les soldats s’écartent, criant mon nom, tentant de me retenir.
— Wilfried !
— Arrêtez-le, il est fou !
Je les ignore, concentré sur ma cible. Le monstre tourne lentement sa tête massive vers moi, ses yeux rouges brillant d’une haine instinctive.
— Allez, regarde-moi ! Regarde celui qui ose te défier !
Je dégaine mon katana et l’épée de la vie, levant les deux lames vers le ciel.
— Moi, Wilfried, le survivant brun, je suis ton adversaire !
Le rugissement de la Baleine Blanche secoue l’air, et elle charge dans ma direction.
— Otto, à toi maintenant !
— Tu es vraiment un idiot, murmure-t-il avant que sa voix ne devienne ferme. Les oiseaux m’informent... elle arrive sur ta gauche, prête-toi à dévier !
Je tire légèrement sur les rênes de Patrasche, qui pivote avec une agilité surprenante. Le monstre manque de peu de m’écraser, mais je profite de l'ouverture pour lui taillader le flanc avec mes lames.
Son hurlement de douleur attire l’attention des troupes. Wilhelm, en première ligne, brandit son épée avec une intensité renouvelée. Julius et les Crocs Blancs coordonnent une attaque sur ses flancs, profitant de ma diversion.
— Crusch, c’est le moment ! hurle Emilia.
À l’arrière, Crusch monte sur un rocher, élevant sa voix au-dessus du chaos.
— Soldats ! Ne cédez pas à la peur ! Cette bataille n’est pas seulement pour nous, mais pour tous ceux qui comptent sur nous ! Si nous battons cette Baleine Blanche, nous prouverons que rien n’est impossible si nous restons unis !
Son discours galvanise les troupes, et je vois les soldats se redresser, serrer leurs armes et charger à nouveau.
Je continue de harceler la Baleine Blanche, chaque coup visant à détourner son attention des autres.
— Otto, où est le cercle rouge ?
— Il bouge... il est juste au-dessus de toi maintenant !
Je serre les dents.
— Pas de magie, compris.
Je range l’épée de la vie et attrape une bombe à air accrochée à ma ceinture.
— Wilhelm, prépare-toi à l’achever !
Le vieux guerrier hoche la tête depuis sa position, ses yeux brillants de détermination.
Je lance la bombe à air directement sur le cercle rouge, provoquant une explosion qui fait vaciller la Baleine Blanche. Elle rugit, titube, et s’effondre sur un genou massif.
— Maintenant !
Wilhelm s’élance, son épée brillante d’une lumière mortelle. Il saute haut, évitant les derniers mouvements désespérés du monstre, et plante sa lame dans son crâne avec une précision parfaite.
Un silence tombe sur le champ de bataille alors que la Baleine Blanche pousse un dernier hurlement et s'effondre, immobile.
Je descends lentement de Patrasche, les jambes tremblantes, mais un sourire satisfait sur les lèvres.
— C'est fini, murmuré-je.
Otto arrive à mes côtés, essoufflé mais vivant.
— Tu es complètement cinglé.
Je ris doucement.
— Peut-être. Mais on a gagné, frère. On a gagné.
La lune brille haut dans le ciel tandis que les feux de camp illuminent le champ de bataille. Les soldats des trois camps célèbrent la victoire, leurs rires et leurs chants résonnant à travers les bois. Mais moi, je suis assis seul près d’un arbre, à l’écart de cette effervescence.
Je vérifie mon équipement en silence. Mon sniper est intact, une bonne nouvelle après tout ce chaos. Par contre, mon katana… il est fichu. La lame est fissurée et émoussée, incapable de supporter un autre combat.
Je l’observe un instant, le poids des souvenirs liés à cette arme pesant sur mes épaules. Finalement, je me lève, murmure un adieu silencieux, et j’utilise le feu pour réduire le katana en cendres. Pas question de laisser un objet de mon monde entre des mains étrangères.
Je m’assois à nouveau et reprends le nettoyage de mes armes restantes : le khukuri et l’épée de la vie. Les mouvements répétitifs me calment, me permettent de retrouver un semblant de normalité après la bataille.
Je m’apprête à utiliser une magie de soin sur mes blessures lorsque je sens une présence derrière moi.
— Pas besoin de faire ça, dit une voix douce mais pleine d’assurance.
Je lève les yeux pour voir Félix, les bras croisés et un air contrarié sur le visage.
— Tu es vraiment insupportable, tu le sais ?
Avant que je puisse répondre, il s’approche et commence à me soigner, ses mains diffusant une lumière apaisante.
— Tu ne fais que te jeter dans les ennuis, murmure-t-il en concentrant sa magie sur mes blessures.
— Et pourtant, je suis encore là, dis-je calmement.
Félix secoue la tête, agacé, mais ne répond pas.
Un autre mouvement attire mon attention. Julius s’approche, son déguisement abandonné, révélant son uniforme élégant. Il s’arrête à quelques pas, ses bras croisés et une expression sérieuse.
— Wilfried, dit-il simplement.
Je hoche la tête en guise de salutation.
— Julius.
Le silence s’installe un moment, tendu mais pas hostile. Félix termine de me soigner et s’écarte, laissant Julius prendre la parole.
— Nous devons parler, dit-il finalement.
Je repose mon khukuri et l’épée de la vie, croisant les bras.
— Je t’écoute.
Julius s’assied face à moi, son regard perçant fixé sur le mien. Félix, curieux, reste à proximité, mais ne dit rien.
— Depuis la sélection royale, ton comportement intrigue. Tu te tiens à l’écart, tu agis sans prévenir personne, et pourtant, à chaque fois, tes actions s’avèrent essentielles.
Il marque une pause, cherchant ses mots.
— Alors je te demande directement : quel est ton objectif, Wilfried ?
Je le fixe un moment, pesant ma réponse.
— Survivre, dis-je simplement.
Julius arque un sourcil, clairement insatisfait de ma réponse.
— Et qu’est-ce que cela signifie, exactement ?
Je prends une profonde inspiration, puis je réponds avec plus de sérieux.
— Mon objectif est simple : protéger ceux que je considère comme ma famille, mes alliés. Peu importe les moyens. Peu importe si cela me fait passer pour un idiot, un égoïste ou un lâche.
Félix, jusqu’ici silencieux, intervient.
— Et c’est pour ça que tu t’es jeté sur la Baleine Blanche comme un appât ? Pour eux ?
Je tourne mon regard vers lui, puis vers Julius.
— Oui. Parce que si je ne l’avais pas fait, personne ici n’aurait survécu.
Julius semble réfléchir à mes mots, son expression se radoucissant légèrement.
— Tu es imprévisible, Wilfried, dit-il finalement. Mais peut-être est-ce ce dont ce monde a besoin.
Félix, bien que toujours sceptique, hoche la tête à contrecœur.
— Mais si tu fais encore une folie comme ça, je te griffe, prévient-il.
Je souris légèrement.
— Noté.
Nous restons là un moment, dans un calme relatif, alors que les échos de la fête continuent autour de nous. Une trêve tacite semble s’être installée entre nous trois, une compréhension silencieuse née de cette bataille.
La nuit est paisible, mais je n’arrive pas à fermer l’œil. Les rires et les chants des soldats se sont éteints peu à peu, remplacés par le silence pesant des heures tardives. Tout le monde semble épuisé, repu après avoir mangé la chair de la Baleine Blanche. Moi, je me suis abstenu. Mon estomac ne supporte pas ce genre de viande, et à vrai dire, l’idée même de manger une créature démoniaque ne m’enchante pas.
Alors que je m’apprête à me lever pour prendre l’air, une silhouette apparaît à l’entrée du camp. Crusch Karsten. Sa posture droite, son regard inébranlable… Même à cette heure tardive, elle incarne la discipline.
— Tu ne dors pas, Wilfried ? demande-t-elle calmement, s’avançant vers moi.
— Non, réponds-je simplement. Et vous non plus, apparemment.
Elle s’installe à quelques pas de moi, ses yeux perçants fixés sur mon visage. Après un moment de silence, elle pose une question, sans détour, comme à son habitude.
— Est-ce vrai que tu as tué des membres du Culte de la Sorcière seul ? Dont deux archevêques du péché ?
Je sens immédiatement le poids de sa bénédiction divine. Cette femme ne peut tolérer le mensonge, et je sais que toute tentative de déformation de la vérité serait futile.
— Oui, dis-je sans hésitation.
Ses yeux se plissent légèrement.
— Lesquels ?
— Paresse et Gourmandise, précise-je. Enfin, la facette du Gourmet.
Elle reste silencieuse un moment, analysant mes mots. Puis, à ma grande surprise, elle me pose une question à son tour.
— Est-ce que tu savais que je t’ai fait espionner ? Ou bien que je suis venue moi-même vérifier ?
Je la fixe, mes yeux plantés dans les siens.
— Oui, dis-je calmement. Vous savez que je le savais, car vous avez vu leurs corps.
Un sourire léger, presque imperceptible, traverse son visage.
— Tu es surprenant, Wilfried, dit-elle.
Je me lève, croisant les bras, mal à l’aise sous son regard scrutateur.
— Pourquoi me dire ça maintenant ?
Elle se lève à son tour, sa stature imposante et son aura de leader rendant son discours encore plus solennel.
— Parce que ce soir, tu as prouvé que tu étais plus qu’un simple survivant. Que ce soit contre la Baleine Blanche ou contre le Culte de la Sorcière, tu as agi comme un héros.
Je secoue la tête, agacé par ses mots.
— Vous vous trompez, Crusch. Mon objectif n’a jamais été d’être un héros. Tout ce que j’ai fait, c’était pour survivre. Moi, et ceux que je considère comme ma famille.
Elle me regarde longuement, comme si elle pesait chacune de mes paroles.
— Peut-être, dit-elle finalement. Mais parfois, ce sont ceux qui n’ont pas l’intention d’être des héros qui accomplissent les plus grands exploits.
Je ne réponds pas, détournant les yeux. Son regard, bien que sincère, est trop lourd à porter en cet instant.
— Bonne nuit, Wilfried, dit-elle en s’éloignant.
Je reste là, seul sous le ciel étoilé, à réfléchir à ses mots. Un héros ? Non. Je ne suis qu’un survivant. Rien de plus. Et pourtant, au fond de moi, une petite voix chuchote que peut-être, elle n’a pas tout à fait tort.
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