Arc 3 - Chapitre 10
Le combat contre Petelgeuse est terminé. Ses hurlements résonnent encore dans ma tête alors que je traverse la forêt dense, m’éloignant de la clairière où tout s’est joué. Mes mains sont toujours fermement accrochées à l’épée déguisée, et chaque pas que je fais semble alourdir mon corps.
Le chemin qui mène au manoir Roswaal est sombre, mais je connais les dangers de ce monde. Rester alerte est une nécessité, même si mes muscles hurlent de douleur et que ma vision vacille.
Quand enfin les murs du manoir apparaissent à l’horizon, je ressens un mélange de soulagement et de crainte. Le combat est terminé, mais une autre bataille m’attend : celle des mots, des regards et des vérités à partager.
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Je m’approche de l’entrée principale, mon uniforme de collège couvert de saleté, de sueur et de sang. L’épée est cachée sous ma cape noire, mais son poids contre mon dos me rappelle à chaque instant ce que je viens d’accomplir.
À l’entrée, Emilia m’attend. Ses cheveux argentés captent la lumière de la lune, et ses yeux violets brillent d’une inquiétude qu’elle ne cherche pas à masquer.
— « Wilfried... » commence-t-elle, mais sa voix se brise, comme si elle hésitait à poser la question qui brûle ses lèvres.
Je m’arrête à quelques pas d’elle, incapable de masquer ma fatigue.
— « C’est fini, Emilia. Petelgeuse ne reviendra pas. »
Ses yeux s’écarquillent, et je vois un mélange de soulagement et de confusion. Elle veut poser des questions, comprendre, mais je lève une main pour la faire taire.
— « Pas maintenant. Je suis fatigué. »
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Elle insiste malgré tout, sa voix douce mais déterminée :
— « Tu ne peux pas entrer comme ça sans m’expliquer. Je t’ai vu partir, et tu étais prêt à tout risquer. Maintenant, tu reviens… différent. Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Je soupire, passant une main dans mes cheveux blancs, déjà en bataille.
— « Beaucoup trop de choses, Emilia. Mais rien de tout cela ne te concerne directement. J’ai fait ce qu’il fallait. C’est tout. »
Elle croise les bras, son expression durcissant légèrement.
— « Ne me dis pas ce que je devrais ou non savoir, Wilfried. Tu as pris des risques insensés, et je mérite de comprendre pourquoi. »
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Je sais qu’elle a raison, mais je n’ai pas l’énergie pour une confrontation. Pourtant, je sens que fuir cette conversation ne fera qu’empirer les choses.
— « Très bien. Allons à l’intérieur. Si tu veux entendre toute l’histoire, tu l’auras. Mais prépare-toi, ce n’est pas une jolie histoire. »
Elle acquiesce, et nous entrons dans le manoir. Les couloirs sont silencieux, presque oppressants. Tout le monde dort, sauf nous.
Nous nous installons dans le salon principal. Je m’assois lourdement dans un fauteuil, tandis qu’Emilia prend place en face de moi. Elle me fixe, patiente mais déterminée.
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Je commence mon récit.
— « Petelgeuse. L’archevêque de la Paresse. Il était un monstre, Emilia, mais pas seulement dans son apparence. Il était un parasite, capable de posséder les corps de ceux qui le tuaient. C’est pour ça que c’était si compliqué. Je ne pouvais pas simplement l’abattre comme je l’ai fait avec Lye. »
Ses yeux s’élargissent légèrement.
— « Un parasite ? Tu veux dire qu’il aurait pu… te posséder ? »
J’acquiesce.
— « Exactement. Mais j’avais une arme spéciale, une épée qui détruit non seulement le corps, mais aussi l’âme. Avec elle, j’ai pu le vaincre pour de bon. »
Elle reste silencieuse un moment, digérant mes mots.
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— « Et Lye ? » demande-t-elle finalement.
Je fronce les sourcils, un poids se faisant sentir sur ma poitrine.
— « Lye était l’archevêque de la Gourmandise. Celui qui vole les noms et les souvenirs des gens. Je l’ai éliminé avant qu’il ne puisse faire de dégâts supplémentaires. Une balle, directement dans le cœur. Rapide et efficace. »
— « Tu parles de tout ça avec une telle froideur… » murmure-t-elle, plus pour elle-même que pour moi.
Je serre les poings, sentant une vague de frustration monter en moi.
— « Froideur ? Emilia, tu ne comprends pas. Dans ce monde, la survie passe avant tout. Si je ne fais pas ce qu’il faut, personne ne le fera. Ce n’est pas de la froideur, c’est de la nécessité. »
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Elle secoue la tête, son expression adoucie par une pointe de tristesse.
— « Je comprends que tu veuilles protéger tout le monde, Wilfried, mais… à quel prix ? Ce fardeau que tu portes, il te détruit, même si tu refuses de l’admettre. »
Son regard croise le mien, et je sens une fissure dans mon armure émotionnelle.
— « Peut-être que tu as raison, Emilia. Peut-être que je suis déjà brisé. Mais tant que je peux avancer, tant que je peux faire la différence, je continuerai. Parce que si je ne le fais pas, qui le fera ? »
Un silence lourd s’installe entre nous, seulement interrompu par le crépitement des braises dans la cheminée.
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Elle se lève finalement, s’approchant de moi avec hésitation.
— « Tu n’es pas seul, Wilfried. Tu n’as pas à tout porter sur tes épaules. Nous sommes là, moi, Roswaal, Rem… tout le monde. »
Je détourne le regard, incapable de soutenir son regard bienveillant.
— « Peut-être… Mais dans ce monde, Emilia, je ne peux compter que sur moi-même. C’est la seule vérité que je connais. »
Elle semble vouloir protester, mais elle se contente de poser une main légère sur mon épaule.
— « Alors je serai là pour te rappeler qu’il existe d’autres vérités. Repose-toi maintenant. Tu en as besoin. »
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Je reste seul dans le salon après son départ, les yeux fixés sur les flammes vacillantes. Ses paroles résonnent encore en moi, mais je ne peux m’empêcher de douter.
Dans ce monde impitoyable, peut-on vraiment se permettre de dépendre des autres ?
Le sommeil me gagne finalement, mais même dans mes rêves, je ressens le poids des batailles à venir.
Le soleil perce à travers les rideaux lorsque j’ouvre les yeux. Mon corps est toujours lourd, mais la fatigue semble un peu moins oppressante qu’hier soir. En tournant la tête, je la vois : Rem, assise sur une chaise près de mon lit, sa tête reposant sur le matelas. Elle a dormi là, veillant sur moi.
Je cligne des yeux, incapable de détourner le regard.
— « Rem… » murmuré-je doucement, la gorge encore sèche.
Elle ne bouge pas, ses respirations régulières trahissant un sommeil profond. Mon cœur se serre en réalisant ce qu’elle a fait pour moi.
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Je reste allongé quelques minutes de plus, les pensées tourbillonnant dans ma tête.
— « Je suis désolé, Rem… » soufflé-je presque inaudiblement.
Elle ne peut pas m’entendre, bien sûr, mais ces mots, je les dois à moi-même autant qu’à elle. Je repense à la nuit dernière, à l’instant où Petelgeuse l’a enlevée, où je n’ai pas pu empêcher cet acte. Je peux rationaliser tout ce que je veux, me dire que c’était hors de mon contrôle, mais la vérité est là : elle a été en danger parce qu’elle s’inquiétait pour moi.
Et ça, je l’ai ignoré.
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Je me redresse doucement, prenant soin de ne pas la réveiller. Mon uniforme est encore sale, et je sens la nécessité pressante d’une douche. Avant de quitter la chambre, je m’arrête un instant et pose une couverture sur ses épaules.
— « Merci… et désolé. »
Je quitte ensuite la pièce, mes pas résonnant doucement dans le couloir vide.
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La douche est rapide, mais nécessaire. L’eau chaude apaise mes muscles endoloris et lave les traces de la bataille d’hier. En sortant, je prends ma cape noire, encore légèrement imbibée des odeurs de la forêt. Elle m’a protégé, rendu invisible, mais maintenant, elle a une autre utilité.
Je retourne dans ma chambre, où Rem dort toujours. Sans un mot, je dépose la cape sur elle, couvrant ses épaules et ses bras pour qu’elle soit plus à l’aise. Elle mérite au moins ça.
Puis, je quitte la pièce, laissant le poids de ma culpabilité derrière moi pour un instant.
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Dans le couloir, je tombe sur Ram, qui semble m’attendre. Ses bras sont croisés, son expression aussi froide qu’une lame.
— « Ah, le grand héros daigne enfin se réveiller. Et maintenant, tu comptes quoi, continuer à ignorer ceux qui tiennent à toi ? »
Son ton est tranchant, et je sens qu’elle ne va pas me laisser passer facilement.
— « Ram… Je n’ai pas le temps pour ça. » dis-je en tentant de passer.
Mais elle se plante devant moi, me bloquant avec un regard chargé de reproches.
— « Pas le temps ? Tu n’avais pas le temps de prévenir Rem hier. Tu n’as pas le temps de penser aux sentiments des autres. Mais bizarrement, tu as toujours le temps pour jouer les héros solitaires, n’est-ce pas ? »
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Je serre les dents, une vague de frustration m’envahissant.
— « Ce n’est pas comme ça, Ram. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour tout le monde. Pour toi, pour Rem, pour Emilia. Pour protéger ce manoir, et ce que vous représentez. »
Elle hausse un sourcil, clairement pas convaincue.
— « Protéger ? Et qui te protège, toi, Wilfried ? Hier, c’est Rem qui s’est mise en danger pour toi. Et toi, tu ne vois même pas ses sentiments. Tu es tellement concentré sur ta survie que tu oublies que tu n’es pas seul. »
Ses mots frappent juste, mais je ne peux pas m’empêcher de contre-attaquer.
— « Parce que si je ne fais pas ce que je fais, Ram, personne ne le fera. Si je compte sur les autres, qui me dit qu’ils ne seront pas blessés ? Hier, Rem a été enlevée à cause de moi. Imagine si j’avais été moins prudent. Elle aurait pu… »
Ma voix se brise, et je détourne le regard.
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Ram reste silencieuse un instant, puis soupire.
— « Wilfried… Tu ne peux pas porter tout le poids du monde sur tes épaules. Ce n’est pas ce que Rem voudrait. Elle s’inquiète pour toi parce qu’elle tient à toi, pas parce qu’elle attend que tu sois parfait. Elle t’a suivi hier parce qu’elle voulait être là pour toi, pas parce qu’elle voulait que tu sois un héros. Réfléchis à ça. »
Je lève les yeux vers elle, surpris par la sincérité dans sa voix.
— « Et maintenant ? Tu vas continuer à ignorer ses sentiments ? Ou tu vas enfin ouvrir les yeux ? »
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Je ne réponds pas tout de suite. Ram finit par s’écarter, me laissant le passage.
— « Va la voir, quand elle se réveillera. Et cette fois, écoute-la. Ce n’est pas si difficile. »
Je hoche la tête, incapable de trouver les mots.
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En retournant vers ma chambre, je me sens plus lourd que jamais. Ram a raison. Rem mérite plus que mes excuses silencieuses et mes tentatives de rationaliser mes actions. Elle mérite que je la reconnaisse, pleinement, pour ce qu’elle est.
Mais suis-je prêt à le faire ?
Je retourne dans ma chambre, le cœur lourd mais décidé. La porte s’ouvre doucement et je la vois, réveillée, assise sur le lit. Ma cape noire repose toujours sur ses épaules, comme une couverture improvisée. Ses yeux bleus me fixent avec douceur, mais je perçois une lueur de tristesse dans son regard.
— « Wilfried… » commence-t-elle doucement.
Je referme la porte derrière moi et avance jusqu’à une chaise à côté du lit. Je m’assois en silence, cherchant mes mots.
— « Rem… je… »
Les mots restent coincés dans ma gorge. Elle me regarde patiemment, mais je sens qu’elle attend une réponse, une explication, quelque chose pour apaiser le poids qui semble peser sur nous deux.
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— « Je suis désolé. »
Ces mots sortent finalement, presque comme un murmure.
— « Désolé de t’avoir mise en danger hier. Désolé de ne pas avoir pensé à ce que tu ressentais. Désolé de t’avoir fait vivre ça… »
Rem incline légèrement la tête, ses mains se serrant sur la cape.
— « Wilfried… Ce n’est pas pour ça que je suis triste. »
Je relève les yeux vers elle, surpris.
— « Ce n’est pas pour ça ? Mais hier, tu as été… »
Elle m’interrompt doucement, sa voix calme mais ferme.
— « Oui, j’ai été enlevée, et oui, c’était dangereux. Mais ce n’est pas ce qui me fait mal. Ce qui me fait mal, c’est de te voir porter tout ça seul. »
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Je reste figé, incapable de répondre.
— « Hier, j’ai vu ton visage avant de perdre connaissance. Tu étais… accablé. Pas par les ennemis, mais par toi-même. Tu crois que tu dois tout affronter seul, mais ce n’est pas vrai. Rem est là pour toi, Wilfried. Toujours. Alors, pourquoi continues-tu à t’éloigner ? »
Ses mots me frappent comme un coup direct.
— « Je ne m’éloigne pas, Rem. Je fais tout ça pour vous protéger. Pour toi, pour Ram, pour Emilia… »
Elle secoue la tête, un sourire triste sur les lèvres.
— « Mais te protéger, toi, qui s’en occupe ? Tu penses que nous ne voulons pas t’aider ? Que nous ne voulons pas te soutenir ? Tu te fais du mal, et tu nous fais du mal en refusant notre aide. »
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Je baisse les yeux, les poings serrés sur mes genoux.
— « Je… Je ne veux pas que vous soyez blessées. Hier, c’était déjà trop. Si quelque chose t’était arrivé… si je t’avais perdue… »
Rem pose doucement une main sur la mienne, m’obligeant à relever les yeux vers elle.
— « Et si c’est toi que Rem perdait, Wilfried ? Tu crois que ça lui ferait moins mal ? »
Je reste silencieux, incapable de répondre.
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Elle serre ma main un peu plus fort.
— « Rem sait que tu veux protéger tout le monde. C’est ce qui fait de toi quelqu’un de si fort et de si gentil. Mais tu ne peux pas tout faire seul. Rem veut être là pour toi, pas seulement comme une spectatrice, mais comme une alliée. Tu peux compter sur Rem, tout comme Rem compte sur toi. »
Ses mots sont simples, mais leur sincérité me touche profondément.
— « Rem… je ne veux pas te perdre. »
Elle sourit doucement, une larme roulant sur sa joue.
— « Et Rem ne veut pas te perdre non plus. Alors arrête de penser que tu dois tout affronter seul. Parce que tu n’es pas seul, Wilfried. Tu ne l’as jamais été. »
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Je hoche lentement la tête, sentant une chaleur nouvelle naître dans ma poitrine.
— « D’accord… Je vais essayer. »
Elle me regarde, un sourire lumineux sur les lèvres.
— « C’est tout ce que Rem voulait entendre. »
Dans ce moment simple mais profond, je réalise que, pour la première fois depuis longtemps, je peux réellement compter sur quelqu’un.
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