Arc 2 - Chapitre 7

Dans le bureau de Roswaal, une tension palpable règne alors qu’il me pose la question fatidique. Je m’assieds, les jambes croisées, un sourire calculé sur les lèvres. Ses yeux perçants sont fixés sur moi, attendant ma réponse.

— Alors, Wilfried, dit-il avec cette intonation exagérément chantante, devenir chevalier de Lugnica, est-ce un rôle que tu acceptes ? Ou préfères-tu demeurer… indépendant ?

Je prends un instant, croisant mes doigts sous mon menton, réfléchissant à la manière de formuler ma réponse. La vérité est simple : il n'y a pas de meilleure couverture pour agir librement dans ce royaume que celle de chevalier. Ma citoyenneté fraîchement acquise est un outil précieux, et ce poste m’offre une autorité qui pourrait bien faire pencher la balance dans des situations critiques. Mais ce n’est pas une décision que je prends sans conditions, et certainement pas sans confronter Roswaal sur ses intentions.

— Je vais accepter, Roswaal, dis-je calmement. Mais avant, il y a des choses dont nous devons parler.

Son sourire s’élargit, comme s’il attendait cela depuis le début. Il joint ses mains devant lui, ses longs doigts tambourinant légèrement sur son bureau.

— Je suis tout ouïe, Wilfried. Pose tes questions.

Je me redresse légèrement dans ma chaise, fixant son regard avec une intensité calculée.

Première question : Volcanica et la forêt givrée

— Premièrement, dis-je, si c’est bien toi qui as libéré Emilia de la glaciation de la forêt givrée, pourquoi lui avoir parlé du sang de Volcanica ? N’est-ce pas une manœuvre visant à atteindre un objectif caché ? Peut-être même à ressusciter une sorcière ?

Roswaal éclate d’un rire clair, presque mélodieux, mais je vois une lueur d’amusement dans ses yeux. Il sait que ma question touche un point sensible, mais il ne se précipite pas pour répondre.

— Oh, mon cher Wilfried, quelle imagination fertile ! Volcanica, le sang, la résurrection… Il fait un geste théâtral de la main. Mais, soit, je te répondrai : je n’ai aucun intérêt à ressusciter une sorcière. Pas directement, du moins. Mon intérêt pour Emilia est bien plus… pragmatique. Elle est un pion essentiel pour atteindre mes objectifs. Et toi, Wilfried, tu es en train de devenir un pion tout aussi fascinant.

Je serre légèrement les poings. Il contourne ma question sans nier son implication. Cela confirme mes soupçons sans les éclaircir.

Deuxième question : Elsa, Meili et le livre de la sagesse

— Deuxièmement, je continue, ma voix plus ferme, pourquoi avoir engagé Elsa et Meili pour attaquer le village d’Arlam et voler l’insigne d’Emilia ? As-tu suivi des informations provenant de ton volume du livre de la sagesse ?

Cette fois, son sourire s’efface un peu, remplacé par une expression plus sérieuse. Il croise les doigts devant lui, un geste qui me met immédiatement sur mes gardes.

— Ah, cette fameuse attaque… Il est vrai que certaines informations du livre ont guidé mes décisions. Mais ne te méprends pas, Wilfried. Chaque action que je mène est calculée pour faire avancer le jeu. L’insigne, l’attaque, même toi… Tout cela sert un objectif plus grand que toi ou Emilia ne pouvez imaginer.

Je hoche la tête, dissimulant la colère qui gronde en moi. Son détachement m’écœure. Il voit des vies comme des outils, des sacrifices nécessaires pour ses ambitions.

Troisième question : Manipulation et survie

— Enfin, je dis en me penchant légèrement vers lui, est-ce que tout cela vise à faire de moi un autre toi ? Quelqu’un qui ne se soucie que d’aider Emilia, quitte à sacrifier tout le reste ? Est-ce là ton objectif ? Rem et Ram ne sont-elles que des pions dans ton grand jeu ?

Il me regarde en silence pendant un moment, puis esquisse un sourire énigmatique.

— Wilfried, mon cher, chacun de nous est un pion dans un jeu bien plus vaste. Même moi, je ne suis qu’un acteur jouant un rôle… Mais pour répondre à ta question, non. Je ne cherche pas à faire de toi un autre moi. Tu as quelque chose que je n’ai pas : une volonté brute de survie. Cela fait de toi un joueur intéressant. Et Rem et Ram… Il hausse les épaules. Elles sont ce qu’elles ont toujours été : mes domestiques. Mais si elles choisissent de jouer un autre rôle, cela ne dépendra que d’elles.

Ma réponse finale

Je me redresse, prenant une inspiration profonde. Mon sourire s’élargit, glacé, calculé, et peut-être un peu cruel.

— Alors écoute-moi bien, Roswaal, dis-je lentement, articulant chaque mot. Ce qui compte pour moi, c’est ma survie. Et toi, tu t’es attaqué à ma survie. Ce faisant, tu as franchi une ligne que personne ne peut franchir impunément.

Je le vois hausser un sourcil, intrigué, mais je continue sans lui laisser le temps de répondre.

— Je ne fais pas ça pour Emilia. Je ne fais pas ça pour Rem, ni pour le village, ni pour Lugnica. Je fais ça pour moi. Et si jamais tu te dresses en travers de mon chemin, je te ferai subir une mort aussi atroce que toutes les horreurs que tu as orchestrées. Toi, ton esprit immortel, et tout ce que tu représentes. Je te détruirai, Roswaal.

Il éclate de rire, mais cette fois, il y a une certaine nervosité dans son regard.

— Eh bien, Wilfried, tu es vraiment… fascinant. Mais es-tu certain de vouloir accepter ce rôle ?

Je me lève, le regardant droit dans les yeux.

— J’accepte de devenir le chevalier d’Emilia. Mais ne crois pas une seconde que cela signifie que je suis ton allié. Si jamais tu me trahis, sache que d’un seul clic, tout le royaume saura ce que tu es vraiment. Et peu importe ce qui arrivera à Emilia dans ce cas-là, ce sera toi qui en portera la responsabilité.

Je tourne les talons, quittant son bureau sans attendre sa réponse. Ma décision est prise, et mon chemin est tracé. Que le jeu commence.

Dans les douves sombres et froides, Meili est assise contre le mur, ses genoux repliés contre sa poitrine. Ses yeux me fixent avec une dureté qui ne cache pas la peur sous-jacente. Rem, fidèle à mes côtés, garde une distance prudente, ses bras croisés et son regard attentif.

Je m’avance calmement, la lumière vacillante des torches projetant des ombres dansantes sur les murs. Mon cœur bat lentement, rythmé par une tension que je connais trop bien : celle d’un combat silencieux, non pas avec des armes, mais avec des mots et des vérités inavouées.

— Meili, dis-je doucement, presque religieusement, je suis navré qu’il ait fallu que cela se termine ainsi entre nous.

Elle rit amèrement, un rire sans joie qui résonne dans l’air glacial.

— Navré ? répète-t-elle avec un ton acide. Tes excuses auraient peut-être été moins froides si je n’avais pas menacé ta précieuse survie. Non, je me corrige.

Elle relève la tête, me regardant droit dans les yeux, défiant mon calme apparent.

— Tu es une anomalie, Wilfried. Une épine dans le pied de ce moment, un être qui arrive toujours au bon endroit au bon moment. Mais toi… Elle marque une pause, sa voix se faisant plus basse, presque un murmure chargé d’émotions contradictoires. Quiconque ose s’attaquer à toi, tu le détruis sans vergogne. Pas avec la cruauté d’une abomination comme ma mère, mais avec une froideur méthodique, un calcul parfait, une… survie glaciale. C’est pour ça que je te considère comme mon père.

Ses mots me frappent, non pas par leur amertume, mais par ce qu’ils révèlent. Dans ses yeux, je vois une vérité déformée par la peur, la haine, et peut-être… un semblant d’admiration. Elle me jauge, tentant de trouver une faille, mais je reste impassible.

Je m’agenouille à son niveau, mon regard planté dans le sien.

— Est-ce là ce que tu crois ? Que je suis devenu ton père, après tout ce qui s’est passé ? Après ce que tu as voulu faire ? Après ce que j’ai fait pour t’arrêter ?

Elle ne répond pas, mais son regard s’embue légèrement. Je sais ce qu’elle ressent. Une colère refoulée. Une peur viscérale. Et une douleur qu’elle n’avouera jamais.

— Tu sais que je t’ai empêchée de tuer davantage de gens. Que je t’ai amenée ici pour t’interroger. Tu sais pourquoi.

Elle détourne les yeux, mais je continue, ma voix basse et implacable.

— Mais toi, Meili, que veux-tu vraiment faire ?

Un silence pesant s’installe. Finalement, elle murmure, d’une voix si basse que je dois tendre l’oreille pour l’entendre.

— Je sais que j’ai échoué. Que ma mère va me punir… ou pire. Je ne veux pas retourner à la guilde.

Sa voix se brise légèrement, mais elle reprend, plus forte cette fois.

— Mais… Elsa… Elsa va venir. Elle va détruire ce manoir, me tuer, vous tuer tous. Et Roswaal le sait. Il veut que ça arrive. Il veut que tu sois forcé de choisir…

Elle s’arrête, incapable de continuer, mais je termine sa pensée à sa place.

— Il veut me forcer à faire un dilemme du tramway. Sacrifier quelques-uns pour en sauver d’autres.

Elle hoche la tête, ses yeux remplis de terreur. Je me redresse légèrement, fixant un point au loin. Roswaal pense que je suis pris à son propre jeu. Mais il ne comprend pas que je n’ai jamais vraiment appartenu à ce monde, que mes proches, ceux pour qui je pourrais faire ce genre de sacrifice, ne sont pas ici.

Je me retourne vers Meili, et sans un mot, je tends une main pour caresser doucement sa joue. Elle tressaillit d’abord, mais ne recule pas.

— Meili, dis-je avec une douceur qui contraste avec mes paroles précédentes, si tu veux que je sois ton père, alors j’accepte. Mais sache une chose : ma relation avec toi sera différente de celle que tu avais avec ta mère.

Elle me fixe, son regard troublé par une lueur d’espoir mêlée d’incertitude.

— Cette fois, tu n’auras pas à craindre la violence ou la manipulation. Mais cela signifie aussi que tu dois changer, Meili. Je ne tolérerai aucune excuse pour les atrocités de ton passé. Compris ?

Elle hoche lentement la tête, incapable de répondre. Je me tourne vers Rem, qui observe la scène avec un mélange de scepticisme et de résignation.

— Rem, dis-je calmement, emmène Meili dans une des chambres scellées. Elle restera cachée des autres habitants du manoir pour le moment. Assure-toi qu’elle ait tout ce dont elle a besoin, mais surveille-la de près.

Rem me regarde, hésitante, avant d’acquiescer.

— D’accord, Wilfried. Mais… sois prudent. Elsa viendra pour elle. Et pour toi.

— Je le sais, réponds-je avec un sourire glacial. Mais si elle vient, alors elle tombera dans son propre piège. Tout comme Roswaal.

Je me détourne, laissant Rem et Meili derrière moi. La partie est loin d’être terminée, et cette fois, je m’assure d’avoir toutes les cartes en main.

---
Le jour tant attendu est enfin arrivé. La cérémonie d'adoubement, marquant mon passage de simple majordome à chevalier d'Emilia, se déroule aujourd'hui au manoir. Roswaal a convié plusieurs de ses connaissances, dont la plupart me sont inconnues.

Vêtu de la tenue de cérémonie, une cape blanche ornée de broderies argentées, et portant une épée symbolique à ma ceinture, je me tiens dans le grand hall, transformé pour l'occasion en salle de cérémonie. Les murs sont décorés de tentures aux couleurs d'Emilia, et une estrade a été érigée au centre, où se tiendra l'adoubement.

Les invités murmurent entre eux, jetant des regards curieux dans ma direction. Je ressens une pointe de nervosité, mais la présence rassurante de Rem, debout non loin, m'aide à garder mon calme.

La musique s'arrête soudain, et tous les regards se tournent vers l'entrée principale. Emilia fait son apparition, resplendissante dans une robe blanche aux reflets argentés, ses cheveux d'argent flottant délicatement autour d'elle. Elle avance avec grâce jusqu'à l'estrade, où Roswaal l'attend, un sourire énigmatique aux lèvres.

Je m'avance à mon tour, montant les quelques marches pour me tenir face à Emilia. Nos regards se croisent, et je perçois une lueur d'émotion dans ses yeux violets. Roswaal lève les mains pour demander le silence, puis prend la parole d'une voix claire.

— Mesdames et messieurs, nous sommes réunis aujourd'hui pour assister à l'adoubement de Wilfried en tant que chevalier de Dame Emilia. Par cet acte, il jure de la protéger et de la servir fidèlement, en toutes circonstances.

Il se tourne vers moi, m'invitant à m'agenouiller. Je m'exécute, posant un genou à terre devant Emilia. Elle prend l'épée de cérémonie que lui tend Roswaal, puis la place délicatement sur mon épaule droite.

— Wilfried, jurez-vous de me servir loyalement, de me protéger et de m'assister dans toutes les épreuves que nous pourrions rencontrer ?

Sa voix est douce, mais empreinte de solennité. Je lève les yeux vers elle, puis réponds avec conviction.

— Je le jure, sur mon honneur et ma vie.

Emilia déplace l'épée sur mon épaule gauche, puis la retire avant de la remettre à Roswaal. Elle tend ensuite la main vers moi, m'invitant à me relever. Je prends sa main, me redressant pour me tenir à ses côtés.

— Par les pouvoirs qui me sont conférés, je vous nomme chevalier de Dame Emilia. Puissiez-vous être un exemple de courage et de dévouement.

Les invités applaudissent chaleureusement, et je ressens une vague de fierté m'envahir. Emilia me sourit, puis, dans un geste inattendu, tire légèrement la langue, ajoutant une touche d'humour à la solennité de l'instant. Je ne peux m'empêcher de sourire en retour, appréciant cette complicité entre nous.

La cérémonie se poursuit par des félicitations et des échanges cordiaux avec les invités. Bien que je ne connaisse pas grand monde, leur accueil est chaleureux, et je sens que ma nouvelle position est acceptée. Rem reste proche de moi, veillant à ce que tout se passe bien, tandis que Roswaal observe la scène avec son éternel sourire mystérieux.

Plus tard, alors que le soleil commence à décliner, Emilia et moi trouvons un moment pour nous isoler sur la terrasse du manoir. La brise fraîche du soir caresse nos visages, et nous restons un instant en silence, profitant de la quiétude.

— Merci, Wilfried, dit-elle finalement, sa voix emplie de sincérité. Votre présence à mes côtés signifie beaucoup pour moi.

Je me tourne vers elle, touché par ses mots.

— C'est un honneur de vous servir, Emilia. Vous êtes ma première amie, et je ferai tout pour être à la hauteur de votre confiance.

Elle sourit, et je ressens une chaleur réconfortante en moi. La route à venir sera sans doute semée d'embûches, mais en cet instant, je sais que nous les affronterons ensemble, en tant que chevalier et dame, mais surtout en tant qu'amis.

La nuit tombe doucement sur le manoir, marquant la fin d'une journée mémorable et le début d'un nouveau chapitre dans nos vies.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top