C'est dans leur voiture pour rentrer chez eux qu'Estelle a commencé à perdre les eaux. Arrivés à l'hôpital, ils ont été pris en charge très vite par les médecins.

Heureusement, Éden et Éthan ont pu assister à l'accouchement. Il a eu lieu il y a déjà quelques années et il faut bien avouer que Félicie avait raison : c'était des jumeaux. Ils n'avaient juste pas souhaité nous le dire pour nous faire la surprise...

C'est d'abord une petite fille qui est sortie, brune aux yeux bleus, toute petite et toute frêle mais en excellente santé. Après il a fallu sortir le garçon mais ça a été plus compliqué...
Au début, impossible de le faire sortir, puis après de très longues minutes ils ont réussi mais le bébé était déjà mort peu de temps avant, dans le ventre, asphyxié par le cordon ombilical enroulé autour du cou. Ils ont tenté de le ranimer mais c'était trop tard.

Estelle a beaucoup culpabilisé, croyant que c'était de sa faute alors que ce n'est évidemment la faute à personne.

Le test de paternité a révélé que ces deux bébés venaient d'Éden. Nous sommes tous très heureux pour lui mais aussi très tristes.
Éthan a souhaité nommer le garçon, blond comme sa mère, Nathan. Ils lui ont ensuite donné leurs trois noms de famille.

L'enterrement fut atroce pour Estelle. À peine sortie de l'hôpital, elle avait du mal à tenir debout à cause de la fatigue et de sa douleur due à la perte si soudaine d'un enfant. Les parents de ses compagnons étaient présents et ont énormément soutenu Estelle, ils étaient vraiment adorables.
Mais ses parents à elle n'ont pas souhaité venir, ils ont prétendu que la mort d'un enfant non voulu et surtout venant d'un couple immoral était sans intérêt. Je ne sais pas comment ils font pour vivre avec la conscience tranquille, aucune mère en deuil ne devrait entendre ça de ses propres parents.

J'aurais bien voulu leur casser la gueule mais Félicie s'est chargée de leur faire la morale, elle a déversé toute sa haine sur eux et c'était pas beau à voir... Ils étaient choqués et moi aussi.
Qu'on s'en prenne à sa meilleure amie ainsi l'a fait péter un câble. Mais je pense que c'est surtout la mort de Mila qui l'a mise dans cet état...

Nous l'avons enterré dans le jardin, c'est normalement interdit mais nous refusons de nous séparer de notre bébé. Elle a vécu et grandit avec nous ici et elle restera ici, point. Elle avait à peine 4 ans, soit 28 ans je crois en âge humain, l'âge de Félicie à ce moment-là...

Il a fallut des mois pour s'en remettre, enfin plutôt pour réussir à continuer à vivre. Nous avons beaucoup voyagé, versant toutes nos économies là-dedans sans compter. On avait vraiment besoin de se changer les idées, de changer d'air.

À nos amis aussi ça les a beaucoup affectés, surtout Estelle. On a tous les cinq perdu un enfant la même nuit, il n'y a pas plus horrible.

Quatre ans se sont écoulés depuis la naissance de notre merveilleuse Éléa.
Éden voulait l'appeler Élie et Estelle voulait à tout prix l'appeler Léa, en hommage à ma propre sœur. Quand elle me l'a dit je me suis mis à pleurer, ne comprenant pas vraiment son choix mais en étant très reconnaissant. Ils ont donc fait un mélange des deux qui a donné Éléa.

C'est un vrai petit rayon de Soleil, elle respire la joie de vivre comme sa mère qui, peu à peu, l'a retrouvé aussi grâce à elle. Elle est également très souriante, calme et très polie, un peu comme Éden, et adore passer du temps avec Éthan qui devient sa " copine " lorsqu'ils jouent à la dinette.
Ce dernier a mit du temps à s'en remettre aussi. D'apparence il restait imperturbable, toujours là pour soutenir ses amours, mais au fond il était dévasté et forcément déçu de ne pas être le père biologique.

Aujourd'hui on reçoit leur visite, Félicie s'est faite belle pour l'occasion, elle ne veut pas leur montrer qu'elle est encore affectée par toute cette histoire.
En quatre ans on a très peu fait de choses, que ce soit sur le plan sexuel ou même amoureux. J'ai fait de mon mieux pour lui remonter le moral et raviver la flamme entre nous mais j'ai parfois l'impression que cette mort a créé un fossé dans son cœur et qu'il a emporté ses sentiments aussi...

~

« - Marraine Félichiiie !

- Oooh ma beeelle, comment vas-tu ?

- Très bien !

- C'est Fé-li-cie ! »

Estelle est à chaque fois dépitée qu'à son âge elle ne sache pas dire mon prénom correctement. Personnellement, ça ne me dérange pas.

« - Répète après moi : Fé.

- Fé.

- Li.

- Li.

- Cie.

- Cie.

- Fé-li-cie.

- Fé-li-chie !

- Mais c'est qu'elle fait exprès cette chipie ! »

C'est maintenant parti pour une bataille de guilis entre la mère et la fille qui fait rire tout le monde.

« - On fait comme on a dit ?

- Oui, les hommes au bar et nous au shopping !

- Ça fait très cliché...

- On s'en fou ! On a besoin de se retrouver entre nous et rien de mieux qu'une telle balade. »

Estelle me jette un clin d'œil et je lui sourit à peine. Honnêtement, aucun voyage n'a pu me faire oublier Mila, ce n'est pas cette promenade qui changera quoique ce soit !

~

« - Comment ça se passe avec Luck ?

- Bien. »

Nous nous sommes arrêtées en priorité dans une boutique pour Éléa, elle grandit si vite qu'il faut lui acheter de nouveaux vêtements sans arrêt.

« - Menteuse. »

Tout en lui faisant essayer des vêtements, elle continue à me parler.

« - Rappelle-moi la dernière fois que vous avez fait des trucs torrides ensemble ?

- Il n'y a pas que le sexe dans la vie.

- Félicie...

- Cinq mois...

- QUOI ?! »

Elle plaque ensuite immédiatement sa main sur sa bouche tandis que les clients les plus proches nous dévisagent.

« - Cries pas maman.

- Oui, excuses-moi. Cinq mois ?! Et je parie que niveau D/s ça fait plus longtemps que ça... T'as de la chance qu'il soit fidèle. »

Les larmes me montent alors aux yeux.

« - Oh non ma belle pardon, c'est pas ce que je voulais dire... Écoute, je sais que c'est difficile pour toi, ça l'est pour tous, mais ça fait quatre ans ! Personne ne pourra les publier, jamais, mais il faut avancer maintenant et le seul qui peut vraiment t'aider c'est Luck. Lui aussi a besoin de toi, vous avez tous les deux besoin de l'autre et de retrouver votre complicité.

- Je sais, mais je n'arrive plus à me faire belle, et à le... le...

- Chauffer ?

- En quelque sorte... Lui essaie à chaque fois de me remonter le moral, il est très attentionné et patient, mais ça fait un bon moment qu'il a arrêté de me regarder avec envie.

- Ça peut s'arranger.

- Comment ?

- Rappelle-toi ce que tu m'as dit lorsque j'étais au plus mal pendant ma grossesse... Il faut juste que tu fasses confiance aux gens qui t'aiment et que tu aimes. Parles à Luck, dis-lui ce que tu ressens, tes craintes, tout ce qui te tracasse et il sera là pour toi, pour t'aider. Lui-même va mal, tu le sais. Mais tu sais aussi que jamais il ne fera le premier pas pour en parler.

- Tu crois vraiment qu'on arrivera à redevenir aussi heureux qu'avant ?

- Ce sera forcément un peu différent mais je pense que oui. Ça ne veut pas dire que vous allez oublier Mila, moi-même je ne peut oublier Nathan et parfois je rêve de lui la nuit, ce qu'il serait aujourd'hui et dans 20 ans... Mais je suis entourée de quatre êtres extraordinaires qui m'apportent tout l'amour dont j'ai besoin, dont toi, alors j'ai réussi petit à petit à me relever, d'abord pour vous et ensuite et surtout pour moi-même. Vous vous aimez tellement avec Luck que c'est sûr que ça s'arrangera. Il suffit d'un coup de baguette magique !

- Comme la bonne fée ?

- Oui Éléa, comme la bonne fée.

- Tu n'es, ni ma marraine, ni une fée. Et puis les contes de fée n'existent pas !

- Oulala, marraine est très ronchon aujourd'hui ! »

Éléa se met à rire et il est vraiment très communicatif. Après avoir rient toutes les trois, Estelle m'emmène dans une boutique de lingerie et me propose trois modèles différents.

« - Allez, choisit !

- Ils sont tous très beaux mais...

- Ok, je te les paye.

- Quoi ?! Tous ?!

- Oui et c'est non négociable. En échange, t'as intérêt à lui faire une belle surprise pour son anniversaire ou je viendrai te botter le cul.

- Maman, t'as dit un gros mot !

- Le cou je voulait dire, le cou... »

Je pouffe de rire et Éléa me suit ce qui me vaut un regard noir venant de ma meilleure amie.

C'est vrai que Luck a toujours essayait d'organiser des soirées romantiques pour mes anniversaires, mais à chaque fois ça finissait en pleure... Pour ses anniversaires à lui, il préférait le passer avec Éden et Éthan, se doutant sûrement que je n'avais aucune idée de quoi lui préparer. J'ai énormément culpabilisé mais Estelle a raison, faut que je me remette en selle le plus tôt possible et ça ira.

D'ailleurs, son regard s'adoucit et elle me jette un clin d'œil. Ce serait ça alors son " coup de baguette magique " ? Ces achats ? Ce n'est qu'un coup de pouce, mais je pense avoir enfin une idée de ce que je vais faire. Il faut juste que je trouve le courage...

Mais peut-être est-ce déjà trop tard... Peut-être ne m'aime-t-il déjà plus ?

~

Quand je rentre chez moi il est déjà presque 22h. J'ai à peine bu un verre et on a passé la soirée à parler de mon couple. Ils m'ont conseillé cette fois de ne pas rentrer le lendemain, de fêter mon anniversaire avec Félicie, mais je sais d'avance qu'elle n'en aura pas la force.

Je ne sais plus quoi penser. Je l'aime toujours mais j'ai vraiment peur qu'elle non et qu'elle me quitte, comment faire, comment savoir ?

Je dépose mes affaires à l'entrée puis passe au bureau. À ma grande surprise, Félicie n'est pas couchée en boule dans le panier de Mila. C'est pourtant ce qu'elle fait presque chaque soir. Au début elle s'endormait là, en pleurant, pendant les premiers mois, puis elle a cessé de pleurer mais continuait à s'y allonger.

« - Félicie ? »

Je m'approche de la chambre et ouvre la porte. Je la voit à genoux, les mains tendues avec un stylo plume posé sur elles. Elle porte son collier et un nouvel ensemble de lingerie. Elle fixe le sol et semble comme apeurée, angoissée. En même temps cela fait si longtemps...

Je prends le stylo et l'observe un moment. Il est noir et nos initiales y sont gravées dessus en doré.

Je m'approche ensuite d'elle et soulève son menton. Elle me regarde dans les yeux et je remarque qu'ils sont humides.

« - Il est magnifique, merci. »

Elle me sourit sincèrement et moi-même je commence à être ému. Mais là j'ai des choses plus urgentes à faire avec elle que pleurer de joie...