45. Lutte de classes
HAZEL
13 juin 2004
Le regard de Karl croise le mien et nous nous pinçons furieusement les lèvres pour nous empêcher d'éclater de rire. Face à nous, un gigantesque immeuble en verre se dresse fièrement, encadré par d'énormes berlines qui luisent plus que les yeux d'un gamin la veille de Noël. De ces dernières sortent des couples élégamment vêtus, qui se saluent mutuellement et s'adressent des sourires crispés.
C'est à vomir.
Je risque un nouveau coup d'œil vers mon ami et manque de glousser bêtement en le voyant engoncé dans sa chemise trop grande et son pantalon d'un gris douteux. Je n'ose pas m'attarder sur ma propre tenue, fort semblable à la sienne, et réalise dans un rire nerveux que notre origine sociale est définitivement inscrite sur nos gueules. A quel moment on a réellement pensé que venir ici était une bonne idée ?
Karl doit songer à la même chose que moi puisqu'il m'adresse un sourire crispé en se mettant à triturer les manches de sa chemise. Nous n'avons rien à foutre ici, c'est indéniable. Et en même temps, quelle autre occasion nous avons d'essayer de plaider notre cause auprès de ceux qui font comme si nous n'existions pas ?
Bordel... J'aimerais que Sethy soit là.
En réalité, c'est le cas : il est à l'intérieur de l'immeuble, sûrement parfaitement intégré au milieu de ces bourges hypocrites qui se font des courbettes mais n'hésiteraient pas à se planter un couteau dans le dos. Tel est son univers.
Ma mâchoire se contracte douloureusement et je profite de cet élan désagréable pour me reconnecter à la réalité et avancer d'un pas assuré vers l'entrée du building. Karl m'imite et nous nous approchons des hommes en costard et des femmes en robes de cocktail. Mon estomac se tord d'angoisse.
Juste parler au père de Sethy. Puis partir. Rien de plus.
L'entrée est libre, Sethy me l'a confirmé. Rien ne peut nous arriver.
Et pourtant, je remarque très vite que ce n'est pas le cas lorsque des regards insistants s'accrochent à nos dos et que les visages poudrés se crispent de dégoût en nous apercevant. Par réflexe, j'arrange le col de la chemise rapiécée que j'ai volée à mon frère et tente de lisser mes cheveux désordonnés. Karl a pâli.
Mes yeux fendent la foule à la recherche du père de Sethy. Karl et moi nous sommes placés dans un coin à l'ombre, à l'abri des regards, mais ressemblons désormais à deux gamins préparant un mauvais coup. L'image que nous renvoyons doit être terrible pour tous ces gens abreuvés d'informations mensongères sur les gamins des quartiers. Est-ce qu'ils pensent que nous nous apprêtons à caillasser leur vitrine ?
La tension a désormais envahi tous mes membres. Raide comme la corde d'un arc, je garde mes poings serrés contre mes cuisses et ravage ma lèvre inférieure de mes dents.
Finalement, j'aperçois le visage sévère tant espéré, surmonté d'une épaisse chevelure ébène et décoré de lunettes à la monture épaisse. Je fonce vers son propriétaire et me retrouve au milieu d'un groupe de businessmen, tous occupés à parler affaires en employant des mots que je ne comprends pas.
Monsieur Lim se tourne vers moi et ses yeux bridés restent impassibles. Je sens Karl se stopper juste derrière moi.
— Hazel, me salue l'homme sans ciller. Je peux savoir ce que tu fais ici ?
Son ton, bien qu'aussi neutre qu'à l'habitude, m'arrache un frisson désagréable. Je me sens soudainement d'un ridicule sans nom et me mets à me balancer d'un pied à l'autre.
— Je... Sethy m'a dit que je pouvais venir... Et puis je... Enfin, on aurait aimé vous parler.
Mes balbutiements me font grincer des dents et je tente de réprimer la honte qui me bouffe les entrailles.
— En fait, on a appris que vous comptiez racheter une des tours de Basse-mer et euh... mon ami y habite, du coup on voulait savoir si vous alliez vraiment expuls...
— Écoute Hazel, me coupe l'homme de sa voix grave, ton ami et toi n'avez rien à faire ici. Allez vous amuser ailleurs, d'accord ? C'est une soirée importante et je ne veux pas de débordements.
Ses mots me glacent le sang et je sens Karl se tendre brutalement à mes côtés. Alors que les yeux sombres s'arrachent des miens, mon cœur chute à mes pieds et ma tête se met à tourner dangereusement.
— Sethy a dit qu'on pouvait venir, articulé-je d'une voix blanche, les mains agitées de tics nerveux.
— Hazel, regarde autour de toi, soupire le père du concerné en saluant d'un signe de tête deux femmes passant à nos côtés.
Il nous pousse dans un coin, à l'abri des regards, et ce geste me retourne l'estomac.
— Je sais que vous voulez bien faire, mais ce n'est pas votre monde, OK ? continue-t-il d'une voix calme mais sévère. C'est une soirée importante pour la boîte et nous ne pouvons pas nous permettre qu'il y ait... des imprévus.
Ses yeux s'attardent un peu trop longtemps sur nous et la bile remonte le long de mon œsophage.
— Mais Sethy... tenté-je.
— Sethy n'a pas son mot à dire, me devance l'homme, cette fois d'un ton sec. Il ne comprend pas l'enjeu de cette soirée et ces temps-ci il a tendance à... se disperser. A ne plus savoir hiérarchiser ses priorités. Et je crains que tu n'en sois la cause.
Ses yeux sombres se font soudainement accusateurs et je crains aussitôt de vomir sur ses souliers vernis.
— Écoute Hazel, reprend le chef d'entreprise en soupirant doucement, je sais que tu es un garçon bien, je n'en doute pas, mais l'influence que tu exerces sur mon fils est néfaste. Je refuse qu'il détruise son avenir sur un coup de tête et pour une... amitié de passage.
Il a hésité sur le mot employé. Et j'ai bien vu la réticence traverser son regard.
Mes dents s'enfoncent si fort dans ma langue que le goût du sang envahit ma bouche.
— Tu dois comprendre que Sethy a un futur prometteur, développe l'homme sans réaliser le malaise qu'il vient de créer en moi. Il est extrêmement intelligent et peut accomplir tout ce qu'il souhaite. Sa mère et moi avons travaillé dur pour lui offrir des conditions de vie aussi propices à son épanouissement personnel et professionnel. J'aimerais donc que tu cesses de le côtoyer aussi souvent, du moins pendant quelque temps. Tu comprends ce que je veux dire ?
Seul le silence lui répond. Ma bouche est devenue si pâteuse que les mots se collent à ma langue et se heurtent à la barrière de mes lèvres. Je suis incapable de riposter.
— C'est votre fils qui lui court après, rétorque Karl à ma place, d'un air mauvais. Vous croyez qu'c'est Hazel qui le suit partout où il va ? Il s'en branle d'votre richesse et d'votre vie parfaite, c'est votre fils qui lui colle au cul !
L'homme glisse son regard impassible vers mon ami dont le visage est crispé par la colère.
— Sethy ne sait pas ce qu'il fait, il ne se rend pas compte des bâtons qu'il se met dans les roues en faisant cela, répond calmement le père du concerné. Il est jeune et il est enfermé dans une petite ville dans laquelle il ne peut s'épanouir entièrement ; il a dû être intrigué par votre mode de vie plus... sauvage.
Mes yeux sortent de leurs orbites tandis que Karl s'étrangle à mes côtés.
— Sauvage ? gronde celui-ci en serrant les poings.
— Vous comprenez ce que je veux dire, assène l'homme dont l'aura est désormais écrasante. Il est jeune, il s'ennuie, il a envie de sortir de son quotidien, de s'amuser. Il a dû voir cette... amitié comme un défi. Comme un passe-temps. Mais vous réalisez bien que cette dernière ne signifiera plus rien lorsqu'il partira d'ici, n'est-ce pas ? Il aura enfin la possibilité de déployer toutes ces capacités et son entourage va changer du tout au tout. Il ne pourra plus côtoyer des personnes... comme vous. Cela ferait tâche. Je sais que mes propos sont limites et je m'en excuse, mais votre univers et le nôtre ne peuvent pas cohabiter harmonieusement. Je ne peux accepter que vous tiriez mon fils vers le bas.
— Donc c'est pour ça que vous nous dégagez d'chez nous ? grince Karl dont les épaules contractées à l'extrême trahissent son état avancé d'énervement. Qu'vous foutez les pauvres à la porte ?
— Cela n'a rien à voir, tempère notre interlocuteur en détachant chacun de ses mots comme si nous étions des idiots. Le rachat de cet immeuble est prévu depuis de longs mois et notre entreprise va en financer la restauration. Sans cela, il aurait fini par s'effondrer sur lui-même. Tout est fait pour que les habitants soient dédommagés et relogés, donc ne vous inquiétez pas pour cela.
— Vous pouvez pas nous dégager comme ça sans demander notre avis ! éructe mon ami en faisant un pas menaçant vers l'homme. On s'en branle d'être relogés, c'est chez nous, vous pouvez pas nous dégager comme des rats !
— Écoute jeune homme, répond le père de Sethy en durcissant son regard, la décision est prise alors cesse de verser dans la provocation. Et contente-toi de rassembler tes affaires.
Est-ce la phrase de trop ? La main de Karl s'abat fortement sur l'épaule du chef d'entreprise et le bouscule en arrière sans autre forme de cérémonie. L'homme se retient au dernier moment au poteau planté à ses côtés et se redresse, imposant, furieux.
— Partez immédiatement d'ici, siffle-t-il en retirant son masque de cire. Encore un débordement de la sorte et j'appelle la sécurité. Il est hors de question que l'on voit deux camarades de mon fils faire un tel scandale.
— Quoi, parce que ça ternirait sa réputation ? craché-je en sortant enfin de ma torpeur. Ou la vôtre ?
Le père de Sethy se tourne vers moi et ses yeux bridés, si semblables à ceux de son fils, se verrouillent aux miens.
— Les deux, admet-il sans broncher, inconscient du tourbillon dévastateur que ses mots alimentent dans mon estomac.
— On a le droit de rester, m'emporté-je en serrant les poings jusqu'à m'en faire craquer les phalanges. C'est une putain d'entrée libre !
— Et moi je vous ordonne de décamper !
— Allez vous faire foutre ! vocifère Karl en poussant une nouvelle fois l'homme.
Sans le réaliser, nous avons haussé le ton et un groupe de curieux s'est formé autour de nous. Des murmures commencent à traverser la foule et je vois bien que cela déplaît forcément à l'organisateur de cette soirée. Loin de me calmer, ce constat fait grimper une excitation malsaine en moi, une envie dévorante de l'humilier et de gâcher sa foutue fête où l'accueil de tous se restreint tout de même au nombre de zéro sur son compte en banque.
Pourtant, à l'instant où je m'apprête à prendre le parti de mon ami, une voix s'élève à quelques pas et me foudroie sur place.
— Hazel ?
Horrifié, je tourne lentement la tête vers Sethy qui vient d'apparaître, resplendissant dans son costume fait sur mesure. Ses cheveux noirs sont plaqués en arrière et ses yeux sombres me fixent avec incompréhension. Il avise la main de Karl, crispée autour de l'épaule de son père, et son regard s'obscurcit immédiatement. Il s'avance d'un air furieux puis projette mon ami contre le poteau situé derrière lui. Aussitôt, Karl perd le peu de contrôle qui lui restait et bondit en avant, prêt à étriper son adversaire.
Il n'a que le temps de lever son bras qu'il se fait ceinturer par deux agents de sécurité et brutalement tirer en arrière. La colère me prend à mon tour et je me jette sur ces derniers pour les obliger à lâcher mon ami. Mais ma main se referme à peine sur le bras de l'un d'entre eux qu'un autre me fait une clé de bras implacable. Encore. Pour la énième fois de la semaine.
Mon regard furieux se tourne vers les Lim et je vois le père nous toiser avec condescendance.
— Sortez-les d'ici, ordonne-t-il de sa voix redevenue d'une affreuse neutralité. Et empêchez-les d'entrer à nouveau.
Les agents de sécurité nous tirent en arrière sans ménagement et j'entends Karl ruer et insulter chaque membre de leurs familles sur au moins quatre générations. Quant à moi, je jette un regard terrible derrière mon épaule et tente de capter celui de Sethy. Lorsque ses yeux noirs s'accrochent aux miens, je perds de ma colère et sens mon estomac se crisper désagréablement. Le temps d'une seconde, j'ai le fol espoir qu'il intervienne et qu'il prenne mon parti. Qu'il tente de comprendre. Qu'il ne me rejette pas aussi facilement. Qu'il ne se range pas de ce côté de la société qui nous méprise tant. Qu'il me prouve que j'ai eu raison de lui faire confiance.
Mais son regard reste aussi inexpressif que celui de son père et il n'esquisse pas un geste dans ma direction.
***
La rage m'étouffe. Elle me déchire l'estomac, me brûle l'œsophage, s'enroule autour de ma gorge et me coupe la respiration. Elle me fait tourner la tête, m'explose le cerveau et me martèle le crâne. Elle fait trembler mes mains autour de ma bouteille de vodka et m'incite à tracer ma quatrième ligne de coke de la soirée.
Assis à mes côtés, Karl fixe le vide de ses pupilles dilatées, les traits du visage déformés par la colère. Il ne bouge plus, ne dit plus rien. Sûrement qu'il s'est retranché loin dans son esprit, là où l'alcool, la drogue et la fureur ne forment plus qu'une seule et même chose terrifiante. Sa chemise trop grande est maculée de terre par endroit et les cheveux qu'il avait désespérément tentés de plaquer en arrière tombent pitoyablement sur son front luisant de sueur.
Du coin de l'œil, je capte les regards graves que posent Garen et Tommy sur moi. Nous les avons rejoint juste après avoir été dégagés de la soirée et nous nous sommes tous réfugiés sous l'abri-bus où Sethy m'a déposé tant de fois.
Sethy...
Sa simple pensée me fait grincer des dents et ma rage augmente d'un coup. Pourquoi il n'a pas réagi ? Pourquoi il n'a pas essayé de creuser plus loin que les apparences ? Pourquoi il n'a pas essayé de prendre ma défense ? Son père aurait donc raison ? Il va m'abandonner à la première difficulté ? Il a honte de moi ? Bordel, je suis si furieux que je voudrais ravager son visage de mes poings. Lui infliger une douleur abominable, au moins aussi terrible que celle de l'humiliation que je subis depuis des semaines. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'ils s'obstinent tous à nous marcher dessus ? Je refuse que l'on me marche dessus ! Je veux être libre ! Libre...
— On va se venger.
La voix grave de Karl brise le flot de mes pensées et je reporte difficilement mon attention sur lui. Une veine tressaute follement sur sa tempe gauche et ses yeux écarquillés à l'extrême lui donne un air fou.
— On va se venger, répète-t-il comme une condamnation. On va se venger.
Ses yeux accrochent les miens et je comprends immédiatement ce qu'il a derrière la tête.
— On va les détruire, affirme-t-il avec force sans détourner son regard exalté de mes pupilles dilatées. On va leur faire goûter ce qu'on subit tous les jours.
Est-ce l'alcool, la drogue ou ce foutu sentiment d'injustice qui me suit depuis ma naissance qui me fait acquiescer ? Je l'ignore... Toujours est-il que je hoche gravement la tête tandis que la rage qui me tord les entrailles exulte de se faire entendre.
***
Adossé contre un arbuste du jardin, je peine à tenir debout tant j'ai abusé de la vodka. En venant jusqu'ici, chaque pas a été une épreuve et j'ai trébuché un nombre incalculable de fois. Pourtant, en dépit de ces signes alarmants et du mal de tête lancinant qui me brouille la vision, je porte le goulot de la bouteille à mes lèvres et laisse le liquide brûlant désagréger mon œsophage. Un haut-le-cœur me stoppe dans ma lancée.
Mes paupières lourdes me permettent à peine d'apercevoir Karl et Garen vider les derniers contenants de kérosène sur le paillasson et le bord des fenêtres. Leurs ombres se mélangent à celle de la villa qui semble bien plus imposante dans la noirceur de cette nuit sans étoiles.
Un nouveau hoquet m'échappe et je me plie en deux, prêt à régurgiter l'entièreté de mon estomac. Mais rien. A la place, je reste penché, les mains lourdement appuyées sur les genoux, la tête pendant pitoyablement dans le vide. La gorge affreusement nouée.
Je sais pas si mon envie de vomir est due à ma consommation excessive de drogue et d'alcool ou à l'ouragan d'émotions qui me ravage le ventre.
Mes bras tremblent sous le poids de mon corps. Je ne suis plus capable de réfléchir.
— Haz, chuchote une voix près de mon oreille.
Je tourne péniblement la tête pour tomber face au visage exalté de Karl.
— On a fini de vider les pots, m'informe-t-il en contenant mal son sourire violent. Tu veux allumer ?
Le temps d'un instant, je songe à l'empêcher de continuer, mais je me contente de secouer négativement la tête. Au milieu de tous mes malheurs, j'ai besoin de me raccrocher à quelque chose, de sentir que je fais partie d'un groupe, qu'il existe en moi quelque chose qu'on ne pourra jamais m'arracher. Et actuellement, ce sont les yeux de Karl, brillant d'une détermination violente, qui jouent ce rôle.
Une main massive se pose sur mon épaule et le visage de Karl s'adoucit pour se parer d'un sourire complice qui dénoue légèrement mon estomac.
— On va plus se laisser faire, me promet-il sans ciller. Plus jamais.
Ces mots ravivent en moi la flamme de la vengeance et je presse à mon tour son épaule, scellant ainsi cette promesse silencieuse de toujours nous soutenir quoi qu'il arrive.
Alors, lorsqu'il revient sur ses pas et rejoint Garen et Tommy, je ne bronche pas. Le dos droit et les mains enfoncées dans les poches, je les observe avec une joie malsaine balancer des allumettes sur les surfaces préalablement recouvertes de kérosène. Les flammes s'élèvent sur le champ, lèchent les murs et dévorent les volets avant d'éclater en une multitude d'étincelles qui font penser à un feu de joie.
Sans attendre, nous foutons le camp en hurlant de rire, abominablement ravis d'avoir appliqué ce que nous estimons être la loi du talion.
Mais soudain, alors que nous avons bondi hors de la propriété, un cri strident retentit derrière nous. Le son me glace le sang et me stoppe net dans ma course.
Je croise le regard inquiet de Karl et je me retourne d'un bond, subitement horrifié par les nuées de fumée que je vois s'échapper derrière les arbres. Mon cerveau embué par la cocaïne me crie des signaux de détresse auxquels mon corps refuse de répondre. Par réflexe, j'esquisse un pas en avant, mais la main de Karl se referme impérieusement autour de mon bras.
— Qu'est-ce que tu branles ? me presse-t-il en regardant autour de lui comme un animal traqué. Faut qu'on se barre d'ici !
— Y a quelqu'un, murmuré-je d'une voix blanche, incapable de détacher mon regard des flammes. Y a quelqu'un dans la maison.
L'horreur de notre acte me heurte alors de plein fouet et le choc suffit à dissiper le brouillard de mon cerveau. La situation m'apparaît dans son affreuse réalité.
— Chea, réalisé-je en pâlissant à vue d'œil.
Mon corps chancelle brusquement en avant et Tommy me rattrape d'une main crispée par l'angoisse.
— Faut se barrer, Haz, s'étrangle-t-il en me tirant derrière une voiture. Faut se barrer d'ici.
— Non, je... Putain, Chea... Y a Chea à l'intérieur, balbutié-je en hoquetant d'épouvante. La mère de Sethy... Je... On doit y retourner... On doit...
— Putain Haz, ferme-la ! éructe Karl en me poussant violemment contre un mur. On se barre de là ! Si on se fait choper, on est vraiment dans la merde, tu captes ça ? Et puis, regarde, des gens commencent à sortir !
En effet, des portes se mettent à claquer au milieu du crépitement des flammes et des visages inquiets émergent dans l'obscurité. Très vite, des cris d'alarme résonnent dans la rue et des lumières s'allument aux fenêtres.
Les gars me tirent un peu plus loin dans une ruelle et je me laisse ballotté comme un bateau à la dérive.
— Faut qu'on court les gars, siffle Garen entre ses dents. Maintenant.
Karl me tire brutalement derrière lui et je manque de m'étaler au sol tant mes jambes refusent de bouger. Je finis par m'élancer à leur poursuite, le regard rivé derrière mon épaule et le cœur au bord des lèvres.
Le hurlement de Chea tourne en boucle dans mon crâne.
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