40. Ô cruelle angoisse !
SETHY
Les pneus crissent sur le gravier lorsque j'effectue le virage permettant d'entrer dans le chantier naval. Le moteur a à peine le temps de s'éteindre que je me jette hors de la voiture, échevelé, le visage déformé par l'inquiétude.
Cela fait plus de deux heures et demie que Vic a disparu, et Hans et moi avons beau avoir ratissé la ville, il reste introuvable. Mon collègue tente par tous les moyens de me rassurer et de trouver des hypothèses rationnelles pour me rassurer, mais rien n'y fait. Mon angoisse augmente proportionnellement au temps qui passe. Je veux savoir où est mon enfant. Maintenant.
Alors que Hans continue de longer le littoral, j'ai décidé de me rendre au chantier naval en désespoir de cause. Peut-être que Vic a cru que j'étais ici... Peut-être qu'il a été curieux des bateaux... Peut-être... Putain.
Mes pas battent le béton tandis que je cours comme un forcené vers le premier entrepôt qui s'élève devant moi. Devant, trois hommes me dévisagent comme s'ils avaient vu un démon.
— Est-ce que vous avez vu un gamin passer ? hurlé-je à travers le vent qui ne fait que s'intensifier. Petit, brun, les yeux en amande, une grosse parka jaune ?
Les ouvriers continuent de me fixer avec de gros yeux avant de secouer la tête de gauche à droite en signe de négation. Mon cœur se serre davantage et le nœud dans ma gorge m'étrangle un peu plus. Bon Dieu... Je crois que je pourrais chialer.
Alors que je fais volte-face pour me diriger vers un atelier encore allumé, une voix hésitante retentit derrière moi.
— Sethy... ?
Je me retourne et tombe nez-à-nez avec deux grands yeux bleus dans lesquels danse la flamme de l'incompréhension.
Hazel.
Je me précipite vers lui et l'attrape durement par les épaules, le secouant plus que nécessaire et rapprochant mon visage du sien.
— Bordel Hazel, est-ce que t'as vu Vic ? Il est passé par ici ? Tu sais où il est ?
Les yeux bleus s'écarquillent davantage et j'y vois mille émotions passer.
— Est-ce que t'as vu Vic ? répété-je désespérément.
Hazel semble reprendre contenance et la stupeur déserte son visage pour être remplacée par un air sérieux qui ne fait que m'inquiéter davantage.
— Non, je l'ai pas vu, m'avoue-t-il de sa voix grave.
Un gémissement plaintif s'échappe de mes lèvres tandis que je titube en arrière, une main affolée enfouie dans mes cheveux. Les tremblements de mes membres s'intensifient et je suis obligé de fermer les yeux de toutes mes forces pour garder le contrôle de mon corps et ne pas m'effondrer au sol. Vic, Vic, putain, où peux-tu être ?
— T'as essayé de voir chez moi ?
Je soulève mes paupières avec toutes les peines du monde puis tourne les yeux vers Hazel qui semble réfléchir, les sourcils froncés. Lorsqu'il remarque qu'il a happé mon attention, il s'empresse de préciser.
— Il est déjà venu quelques fois, il a peut-être oublié que je travaillais et a voulu venir parler.
Un fol espoir se diffuse dans mes veines et doit certainement illuminer mon regard car Hazel écarquille une nouvelle fois les yeux, choqué par la violence des émotions qui traversent mon visage.
— Montre-moi, ordonné-je simplement en me hâtant vers ma voiture stationnée en travers du quai.
L'interpellé court derrière moi et nous grimpons dans le véhicule. Une seconde après, je démarre en trombe et m'engage sur la route qui longe le littoral.
— Fais comme si t'allais chez Karen, m'indique Hazel sans s'étaler davantage.
Je ne cherche pas à en savoir plus, obnubilé par ce dernier espoir qui scintille au loin, ultime repère de ma conscience qui cherche à s'évaporer entre mes doigts.
La pluie se met à tomber au moment où je m'engage dans le sentier boueux qui mène à l'ancien village de pêcheurs. Mes roues s'embourbent dans la terre collante, mais je ne ralentis pas, inconscient du danger que représente le fait de rouler si vite sur un chemin aussi tortueux.
Je m'arrête devant la première cabane et la portière côté passager s'ouvre à la volée. Hazel s'extirpe dans le froid nocturne et je le vois courir vers une façade bleutée qui s'élève à quelques pas de nous. Je le suis sans réfléchir, manquant de glisser maintes fois dans les flaques de boue.
Au moment où j'atteins la cabane dans laquelle il a disparu, il en ressort, les traits crispés par l'inquiétude.
— Il n'est pas là, me crie-t-il à travers les bourrasques de vent.
Une chape de plomb s'abat sur mes épaules et je fais un pas en arrière, sonné. La bile me brûle désormais tellement l'œsophage que j'ai l'impression que je peux vomir à tout moment.
Face à moi, Hazel court vers la jetée qui s'avance vers la mer puis met ses mains en porte-voix.
— Vic ?! hurle-t-il contre les éléments. Vic ?!
Je l'imite aussitôt et, en dépit de mes genoux flageolants et de l'angoisse qui étreint mon estomac, je fais le tour de la cabane pour m'enfoncer dans le petit bois.
— Vic ?! m'époumoné-je avec désespoir. Vic ?!
Du coin de l'œil, je vois Hazel se précipiter vers les autres cabanes et toquer pour interroger leurs habitants. Je m'apprête à le rejoindre lorsque mon portable se met à sonner. Le nom de Hans apparaît sur l'écran et je m'empresse de décrocher.
— Tu l'as trouvé ? crié-je d'un ton affligé.
— Non, pas encore, s'excuse Hans. Mais je continue à chercher ! Je descends vers les quartiers Sud, t'es où toi ?
— A l'ancien village de pêcheurs, révélé-je d'une voix blanche. Avec Hazel...
— OK, bon, continuez à chercher de ce côté, on se tient au courant ! Et Sethy ? On va le retrouver, OK ? J'appelle les gars du poste.
Je ne prends pas la peine de répondre et raccroche, soudain vide de toute émotion. Alors que jusqu'ici j'étais envahi par un tourbillon de sentiments, un gouffre abyssal s'ouvre au milieu de ma poitrine et je reste là, les bras ballants, incapable de faire le moindre mouvement. Mon regard se perd dans le vide et mon portable m'échappe des mains, s'échouant dans une flaque de boue à mes pieds. Mes genoux le rejoignent immédiatement et je pose mes mains par terre, insensible à la terre collante qui s'infiltre sous mes ongles et à la pluie qui me gifle le dos.
— Sethy !
J'entends vaguement mon prénom résonner derrière moi, mais ne réagis pas, les yeux rivés sur un point invisible se situant quelque part au sol, entre mes mains.
— Sethy !
Cette fois, la voix retentit plus distinctement et l'instant d'après, un corps s'agenouille face au mien.
— Sethy, regarde-moi !
Je lève pitoyablement les yeux vers la figure dégoulinante de Hazel. Ses cheveux décolorés sont plaqués sur son front et ses habits de travail sont maculés de terre. Sans hésiter, il encadre mon visage de ses mains avant de m'attirer vers lui, une profonde détermination ancrée dans le regard.
— On va le retrouver, assure-t-il d'une voix forte. On va le retrouver, OK ? Je te le promets.
Mon cœur se fissure et je ferme les yeux pour accueillir cette nouvelle vague d'émotions douloureuses. Vic... Où es-tu ?
Je tente de me concentrer sur les paumes de Hazel contre mes joues pour me raccrocher à un élément tangible et reprendre pied avec la réalité. Soudain, son front s'échoue contre le mien et je relève vivement les yeux pour les plonger dans les siens.
— Faut qu'tu te reprennes, Seth, dit-il d'une voix douce. Faut pas qu'tu perdes espoir, t'es pas comme ça... On va le retrouver, OK ? Tous les deux. On n'arrêtera pas tant qu'on l'aura pas retrouvé. Mais faut que tu te reprennes, sinon on arrivera à rien. OK ?
Par réflexe, mes mains s'entourent autour de ses poignets et je ferme les yeux quelques secondes, le temps de prendre une profonde inspiration.
Il a raison. Je ne peux pas me laisser aller ainsi, c'est de mon fils dont on parle, bon Dieu !
Je hoche doucement la tête, les paupières toujours closes, concentré sur ses pouces qui tracent des cercles réconfortants sur mes pommettes. Je consens enfin à rouvrir les yeux et me noie aussitôt dans une mer paisible qui contraste avec la tempête qui se déchaîne dans mon cœur.
— On y va ? demande Hazel en me souriant doucement.
J'acquiesce sans un mot et nous nous relevons péniblement, les vêtements imbibés de boue et d'eau glacée. Alors que nous nous dirigeons vers la voiture, la voix rauque de mon coéquipier d'infortune s'élève à nouveau.
— Est-ce que tu lui as parlé d'un endroit en particulier ? Un lieu auquel tu serais attaché ou que tu lui as tout simplement conseillé de visiter ?
Je réfléchis en ouvrant la portière côté conducteur puis m'échoue sur le siège en cuir.
— J'en sais rien, avoué-je d'une voix cassée par la fatigue.
Pourtant, à l'instant-même où j'allume le moteur, une idée me traverse la tête.
— Le phare ! m'exclamé-je avec force.
Hazel se tourne vers moi, l'air hésitant.
— Le phare ?
Je l'ignore et crispe mes mains sur le volant, le cerveau en ébullition. Une nouvelle vague d'espoir déferle dans ma poitrine et je prie tous les dieux auxquels je ne crois pas de réaliser cette ultime prière que je leur adresse : faîtes que Vic soit là-bas.
Fébrile, j'effectue une marche arrière trop brusque et manque de m'encastrer dans un arbre. Les roues patinent difficilement dans la boue collante et le moteur mugit lorsque je tente d'accélérer pour me désembourber. Au bout de quelques secondes, la voiture tressaute avant de faire un bond en avant, projetant Hazel, qui n'avait pas attaché sa ceinture, contre le tableau de bord.
Je ne prends pas le temps de m'excuser et m'empresse de rejoindre la route du littoral. Là, je consens enfin à expliquer le fond de ma pensée.
— Il y a quelques jours, commencé-je d'une voix tendue, je lui ai parlé du vieux phare où tu m'avais emmené. Il voulait absolument qu'on aille se promener au bord de la mer et je lui ai promis que je l'emmènerai là-bas. Sauf que j'ai été pris par l'enquête et j'ai pas eu de temps à lui accorder. Peut-être... Peut-être qu'il a voulu aller le voir quand même...Peut-être qu'il est sur la digue et...
— Seth ?
Je m'interromps dans mon discours puis coule un regard nerveux sur mon passager. Ce dernier a rabattu la capuche de sa veste sur sa tête et se frotte vigoureusement les yeux.
— Le phare n'existe plus, m'annonce-t-il d'un ton rêche. Il s'est écroulé lors d'une tempête.
— Oh...
Pourquoi mon cœur se serre-t-il désagréablement à cette nouvelle ? Ce n'est pourtant pas le premier vestige de mon passé à s'effondrer lamentablement.
— La zone est très accidentée, continue-t-il en appuyant sa tête contre la vitre glacée. Plus personne n'y va.
Mes mains se crispent autour du volant et ma respiration me brûle la gorge. Hazel doit remarquer la tension qui émane de mon corps car il se reprend immédiatement.
— Mais ça va le faire, hein ! Même si c'est dangereux, ça reste accessible. On va retrouver ton gamin, je te le promets !
Ses traits sont tirés, son regard déterminé. Il croit ce qu'il dit.
Alors pourquoi cette promesse glisse-t-elle sur moi comme sur une roche trop polie ?
NDA : Bon, on est sur des " retrouvailles " pas très gaies entre nos deux protagonistes... Vont-ils réussir à retrouver Vic ?
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