36. Des mots sur mes silences

SETHY

2 février 2004


— T'es sûr qu'on devrait pas plutôt l'emmener à l'hôpital ? Il arrive à peine à ouvrir les yeux.

Tim supporte le poids de Hazel tandis que je me détache légèrement d'eux pour glisser la clé dans la serrure. Lorsque je me retourne, les yeux verts de mon ami me scrutent avec insistance et je ne peux que remarquer l'expression soucieuse qui déforme ses traits.

— C'est bon, je m'en charge, me contenté-je de répondre en glissant mon bras autour de la taille de Hazel pour l'attirer à moi.

Tim reste planté sur le perron et passe une main nerveuse dans ses cheveux.

— T'es sûr de toi, mec ? Imagine qu'il ait un traumatisme crânien ou un truc du genre ! Qu'est-ce que tu vas faire ?

— Il est plus solide qu'il en a l'air, rétorqué-je en couvant le concerné d'un regard que je m'efforce de rendre neutre.

Pas si neutre que ça puisqu'une étincelle suspicieuse s'allume dans les yeux de Tim. Au lieu de partir et de nous laisser tranquilles, ce dernier continue de me dévisager en pinçant les lèvres de désapprobation.

— Tu prends un risque, insiste-t-il.

— Et toi, tu m'emmerdes, riposté-je d'une voix un peu trop virulente.

Mon ami hausse un sourcil sous mon ton agressif. Je soupire longuement, agacé par son insistance et par le fait que toute ma frustration de la soirée se déverse sur lui.

— Écoute, je gère, OK ? Je vais prendre soin de lui. J'ai l'habitude.

Tim hoche lentement la tête mais ne détourne pas le regard. Il semble mal à l'aise, triturant ses doigts comme s'il souhaitait dire quelque chose mais ne l'osait pas.

— C'est nul, tu sais, marmonne-t-il dans sa barbe.

— De quoi ? le pressé-je d'une voix tendue.

— Ce qu'ils ont dit les gars tout à l'heure... Sur Hazel. Sur... Tu sais.

Ma main se crispe autour de la poignée et je ferme brièvement les yeux pour refluer le flot d'émotions qui menace de tordre mon visage.

— C'est des conneries, grommelé-je entre mes dents.

— Même. C'était nul. Y a pas de mal à ça...

— Tim, l'avertis-je.

— Non mais c'est vrai, bafouille mon ami. C'est... Tu sais.. Enfin, chacun fait ce qu'il veut... On s'en fout... Et... Ouais 'fin... C'était nul quoi. Nul d'insulter comme ça. Et aussi... Si c'est vrai et que... enfin que Hazel et toi... Tu sais ? Bah c'est pas grave.

— Tim, insisté-je d'une voix plus forte.

— J'veux dire, continue le concerné en se balançant d'un pied à l'autre, ça changera rien quoi... C'est pas grave... J'm'en fous...

— Tim, tu crois pas qu'il est temps que tu rentres chez toi ?

L'interpellé me fixe de longues secondes en clignant bêtement des yeux, puis une émotion fugace traverse son visage et il hoche vivement la tête.

— Ouais... Ouais, ouais, t'as raison, euh... Je vais y aller. Bon ben... Bonne soirée ! Et euh... Occupe toi bien de Hazel !

Bégayant à moitié, mon ami manque de trébucher en reculant puis agite maladroitement sa main avant de disparaître au milieu de l'allée de gravier blanc.

Je pousse un soupir de soulagement et passe ma deuxième main dans ma nuque pour essayer de dissiper le malaise qui a tendu mes cervicales. Pourquoi cet imbécile s'est-il senti obligé d'aborder ce sujet ?

— Mmh... N'est où ?

Un grognement émis près de mon oreille me reconnecte à la réalité et je croise le regard vitreux de Hazel, à peine perceptible à travers ses paupières à moitié soulevées. Ses yeux bleus dérivent lentement vers les miens et se contentent de me dévisager comme s'ils ne me reconnaissaient pas. Finalement, il fronce les sourcils et grimace de douleur en portant une main à son front.

— Ooow, j'mal au crâne... Qu'est'ce passé ?

Ses phrases entrecoupées sont rendues presque incompréhensibles par sa voix pâteuse et sa diction maladroite. Il essaie de faire un pas en avant mais trébuche sur le perron et se rattrape comme il le peut à ma veste.

— Ouuuh j'vois pas net, marmonne-t-il en gardant une main pressée sur sa tête.

Son attitude pourrait presque être risible si elle ne m'avait pas procuré un tel souci une heure plus tôt. A contrecœur, j'esquisse un semblant de rictus lorsqu'il tourne à nouveau les yeux vers moi, comme si je cherchais à le rassurer alors qu'il n'a fait montre d'aucune inquiétude à mon égard. Pourquoi suis-je celui qui semble être le plus anxieux alors que c'est lui qui se battait comme un animal sauvage quelques instants auparavant ?

Ses yeux bleus ne cillent pas et restent ancrés aux miens, deux perles marines brillant au milieu de l'obscurité nocturne.

Et soudain, une paume s'échoue sur ma joue, diffusant une chaleur réconfortante qui descend jusque dans ma poitrine.

— T'es beau, lâche Hazel d'un air toujours un peu abruti.

Sa phrase me laisse bouche bée et je me contente de l'observer de longues secondes, incertain d'avoir bien entendu ses propos. Mon regard balaie son visage éclairé par la lumière du porche et s'attarde sur ses paupières lourdes et le sang qui macule son menton.

— Ce connard t'a frappé plus fort que je pensais, grommelé-je en guise de réponse. Va sûrement falloir que je te frappe à mon tour pour te remettre les idées en place.

Un petit sourire étire les lèvres de Hazel avant qu'il ne laisse retomber sa tête sur mon épaule. Sans un mot, ses bras s'enroulent autour de ma taille et m'attirent à lui dans une étreinte emplie d'une tendresse si sincère qu'elle me coupe le souffle. Les mains tremblantes, je le serre contre moi et pose mon menton sur le sommet de son crâne. Mes yeux s'égarent vers les étoiles accrochées à la voûte céleste et je prie silencieusement pour que l'une d'entre elles protège le garçon blotti entre mes bras.

Ma mâchoire se crispe. Merde, pourrai-je seulement un jour le laisser s'éloigner de moi ?

***

L'aiguille du réveil émet un son particulièrement désagréable ce soir. Je n'avais encore jamais remarqué à quel point ce bruit était affreux jusqu'à aujourd'hui. Pour commencer, qui, à part mon père, place un réveil dans une salle de bain pour vérifier qu'il ne perd pas une seule minute sur son emploi du temps ? Personne.

Assis sur un tabouret en face de moi, Hazel est silencieux depuis une bonne dizaine de minutes. Les derniers effets de l'alcool et de la cocaïne ont déserté son corps et son visage me semble bien plus las, bien plus abîmé par les événements de la soirée.

Agenouillé entre ses jambes, je m'applique à désinfecter chacune de ses blessures, toujours impressionné par celle qui a déchiré sa tempe et le côté droit de son crâne. Je pense avoir retiré chaque bout de verre. Heureusement, aucun n'avait pénétré profondément sa peau. Mais il gardera une belle cicatrice, sûrement pour toute sa vie.

Hazel n'a pas croisé mon regard non plus. A partir du moment où j'ai commencé à essuyer le sang sur son visage, ses yeux se sont rivés au carrelage de la salle de bain et ses mains se sont jointes un peu trop brusquement. De temps à autre, mon attention dérive vers ses phalanges égratignées, mais je n'ose pas l'obliger à desserrer sa poigne.

A la place, j'écarte les cheveux qui s'obstinent à se coller sur la blessure qui strie sa tempe et enroule tant bien que mal un bandage autour de son crâne. Il ne réagit pas.

Je reste accroupi quelques secondes à ses pieds, incapable de trouver les mots pour apaiser le malaise que je devine le ronger. Puis, j'attrape délicatement son menton entre mes doigts et l'oblige à relever la tête vers moi. Immédiatement, je me noie dans ses yeux opacifiés par une émotion sérieuse que je ne lui connais pas.

Je repense à la soirée, à son visage déformé par la fureur, à ses lèvres ensanglantées et aux coups désespérés qu'il balançait vers son adversaire. Je me souviens de la rage qui l'habitait, du bruit sec de la bouteille s'écrasant contre son crâne, de l'excitation animale qui émanait de la foule, de cet affreux sentiment d'impuissance qui pétrifiait mes membres.

Et je flanche.

Alors qu'il est celui qui a reçu les coups, une douleur sourde se diffuse dans mon corps et mon cœur se serre, comme pris dans un étau impitoyable. Je vois mes doigts se mettre à trembler autour de sa mâchoire et une boule que je ne parviens pas à déglutir se coince dans ma gorge.

Mon visage doit certainement refléter ma détresse puisque les yeux de Hazel s'écarquillent et ses mains encadrent soudainement mes joues dans un geste censé m'empêcher de sombrer.

Je crispe la mâchoire. Là, tout au fond de ma poitrine, une émotion étouffante me submerge, m'ôtant toute parole et toute capacité de raisonnement.

Je crois que j'ai envie de chialer.

Parce que je m'en veux. Je m'en veux terriblement de ne pas avoir su réagir lorsque Hazel a pris de la coke cet après-midi, je m'en veux de ne pas m'être interposé immédiatement entre lui et son adversaire, je m'en veux de ne pas savoir atténuer cette misère poisseuse qui lui colle à la peau. Mais plus que tout, je m'en veux d'être incapable de mettre des mots sur mes sentiments, de ne pas savoir ce que je veux ni ce que je ressens, de désirer Hazel autant que je le déteste, de le vouloir pour l'éternité sans avoir la conviction que je saurai endosser cette responsabilité.

Je ne contrôle plus rien.

Et ça me terrifie.

Tout à coup, une pression contre mon front m'extirpe de mes pensées et je réalise que Hazel vient d'y coller le sien.

Ses mains toujours autour de mon visage, il appuie son nez contre le mien et trace de petits cercles autour de mes pommettes avec ses pouces.

Puis, sa tête s'incline légèrement sur le côté et ses lèvres viennent effleurer les miennes dans une caresse aérienne qui me soutire des frissons. Par réflexe, je pose mes mains sur ses hanches et me penche en avant dans l'espoir d'approfondir le baiser.

Avec un petit sourire, Hazel obtempère et unit nos lèvres, m'accordant enfin ce contact tant désiré qui déploie une vague de chaleur dans ma poitrine.

Très vite, un besoin irrépressible s'empare de moi et j'accentue le baiser en investissant sa bouche de ma langue et en glissant mes mains sous son t-shirt maculé de sang et de sueur. La sensation de sa peau sous mes doigts fait faire une embardée à mon cœur.

Sans un mot, je glisse mes mains sous ses fesses et le soulève comme s'il ne pesait rien, ce qui l'oblige à entourer mes cuisses de ses jambes pour ne pas tomber.

Son petit hoquet de surprise s'échoue sur mes lèvres, mais je repars à l'assaut des siennes pour ne pas le laisser pas réagir. Je sens la chaleur de son corps à travers ses vêtements et cela ne suffit pas. J'en veux plus. Beaucoup plus.

Trébuchant à moitié, je le porte jusqu'à ma chambre et le laisse tomber sur mon lit avant de m'écrouler sur lui. Aussitôt, ses bras s'enroulent autour de ma nuque et ses pieds se nouent à l'arrière de mes cuisses pour m'attirer à lui. Avec une certaine sauvagerie que je ne contrôle pas, je tire ses cheveux sur le côté pour dévoiler la peau fine de son cou que je m'empresse de dévorer de baisers, enivré par l'odeur si familière que j'y retrouve.

Fébriles, mes mains se faufilent sous son t-shirt et flattent la peau hâlée qu'il dissimule. Du bout des doigts, je retrace chaque courbe, chaque muscle, chaque aspérité de son torse, comme si je cherchais à en ancrer le souvenir dans ma peau.

Hazel se cambre sous mes caresses, tendant impatiemment ses lèvres contre les miennes et s'agrippant violemment à mes épaules.

Très vite, nos vêtements volent à travers la pièce et je ne peux réprimer un soupir de soulagement lorsque ma peau nue entre enfin en contact avec la sienne. Soudain, c'est comme si l'urgence qui m'habitait jusque-là avait disparu d'un coup et je me fige, le visage enfoui dans le cou de Hazel, mes bras enroulés autour de ses épaules.

Un peu surpris, ce dernier se met à caresser maladroitement mon dos, cherchant à déceler mes pensées à travers mes actions irrationnelles.

Alors je le serre plus fort. Je le serre si fort que je l'entends couiner et ses mains s'immobilisent sur mes hanches, prêtes à me repousser loin de lui.

— Seth ? m'appelle-t-il d'une voix incertaine.

Refusant de lui répondre et de croiser son regard dans lequel j'ai trop peur d'affronter mon propre reflet, je dégage l'une de mes mains pour attraper sa cuisse gauche et l'écarter davantage, m'offrant ainsi un espace plus grand entre ses jambes pour caler mon bassin. Lorsque nos sexes entrent en contact, Hazel pousse un soupir de contentement mais garde ses doigts enfoncés dans ma peau, sûrement encore perplexe vis-à-vis de mon comportement.

Ma bouche glisse de son cou à ses clavicules, caresse le haut de ses pectoraux, taquine ses tétons érigés et redessine ses abdos naissants. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine et la boule douloureuse dans ma gorge ne cesse d'enfler. Elle est désormais si imposante que j'ai peur qu'un simple soupir ne la fasse exploser en sanglots.

Je ne comprends rien. Et je ne veux rien comprendre.

Je n'aime pas ça.

Alors j'ignore la sollicitation silencieuse de Hazel, j'ignore ses mains qui tirent doucement mes cheveux pour m'inciter à remonter vers lui, et je continue de dévorer son corps.

Ouais. Ça, je connais. Ça, je maîtrise. Sa peau brûlante sous la mienne, les battements effrénés de son cœur sous mes lèvres, la contraction de ses muscles sous mes caresses. C'est ça que je veux. Je veux me raccrocher à ça pour me prouver que tout ne m'échappe pas, qu'il me reste encore un point d'ancrage dans cette réalité qui s'obstine à me filer entre les doigts.

— Sethy.

Cette fois, la voix de Hazel s'est faite plus forte. Plus impérieuse.

L'une de ses mains encadre ma mâchoire pour me tirer impitoyablement vers le haut. Je tente de résister, mais il se dégage d'un coup de bassin et me fait rouler sur le dos avant de monter à califourchon sur moi.

En dépit de l'obscurité ambiante, je distingue parfaitement son regard inquisiteur rivé sur moi et cela me rend mal à l'aise. La mâchoire contractée et les poings serrés le long de mes cuisses, je baisse les yeux, tentant de redevenir maître de mes émotions. Merde, ça ne me ressemble pas d'être à ce point bouleversé !

— Dis-moi.

La voix de Hazel brise une nouvelle fois le silence de la chambre, mais je garde la tête baissée, refusant obstinément de mettre des mots sur ce que je ressens.

Sauf qu'il ne lâche pas l'affaire.

— Dis-moi ce qu'il y a dans ta tête, répète-t-il en gardant ma mâchoire entre ses doigts.

— Y a rien, grommelé-je en tentant de me dégager.

Il ne faiblit pas.

— Si. Dis-moi. Et regarde-moi. Regarde-moi, Seth.

Malgré moi, je lui obéis et plonge mon regard dans le sien. La faible lueur de ma lampe de chevet projette des ombres dansantes sur son torse et je ne peux m'empêcher de m'attarder sur toute cette peau qui s'offre à moi. Rapidement, je me heurte toutefois aux yeux insistants de mon ami, m'obligeant à serrer les dents pour ne pas déverser mon agacement sur lui.

— Je vais bien, m'assure Hazel. Il m'a rien fait.

— Je sais, rétorqué-je en fuyant son regard.

— Je m'en remettrai, insiste-t-il.

— Je sais.

— Je suis plus fort que tu crois.

— Je sais...

Ma voix se brise sur le dernier mot et mes dents se serrent un peu plus fort.

— C'est moi qui le suis moins que ce que je pensais, complété-je dans un souffle douloureux.

Les yeux bleus de Hazel m'incitent à continuer et je referme mes mains sur ses cuisses dans l'espoir illusoire de me raccrocher à un fragment de réalité. Pendant quelques secondes, je reste là, à le contempler en silence, imprimant chaque courbe de son corps derrière mes rétines, m'attardant sur chaque détail qui en fait la spécificité : son grain de beauté au-dessus du nombril par exemple, ou cette cicatrice en Y sur son flanc droit, la ligne marquée de sa taille aussi, et l'os de sa clavicule gauche, plus saillant que celui de la droite. Je connais tout. Avec cette impression de ne connaître rien.

Sans m'en rendre compte, l'une de mes mains se lève et vient se poser sur son menton qui bleuit des coups qu'on lui a assénés plus tôt dans la soirée.

— Dis, murmuré-je d'un ton perdu, tu crois qu'on va se détruire ?

Hazel penche la tête sur le côté, l'air stupéfait, sûrement en train de se dire que je suis beaucoup trop dramatique. Perdu dans mes pensées, je continue à caresser son menton, remonte le long de ses joues encore imberbes et atteins sa tempe striée de coupures boursouflées. Ses yeux se plissent de douleur lorsque mes doigts appuient sur ses blessures, mais il ne réagit pas et se contente de me dévisager, attendant patiemment que je parvienne à la fin de ma réflexion.

— Je ressens des trucs, finis-je par articuler à voix basse. Des trucs que je connais pas. Que je maîtrise pas. Quand on est ensemble, c'est comme si tout allait de soi sans que rien n'ait de sens. Dis-moi Hazel... Pourquoi on est là ? Pourquoi on reste ensemble ? On a rien à faire ensemble, on est si différent... Parfois... Parfois j'ai l'impression d'être dans une immense pièce de théâtre, comme si tout le monde jouait un rôle, et nous les premiers. Alors, dis moi... A quoi on joue ensemble ?

Mes doigts dévalent à nouveau ses joues pour retrouver sa cuisse coincée près de ma hanche. Silencieux et concentré, Hazel a posé ses mains sur mon ventre et ne bouge pas. Pas d'un iota.

Je relève alors mon regard vers lui et le plante dans le sien.

— Parfois, je voudrais que tu sortes de ma vie, asséné-je sans émotion particulière dans la voix.

Il ne bronche pas.

— Je voudrais que tu dégages, insisté-je cette fois avec une certaine virulence. Que tu dégages loin de moi et que tu reviennes plus jamais. Je voudrais que t'aies jamais existé. Que nos chemins se soient jamais croisés. Je te jure, il se passe pas une semaine sans que je pense ça.

Les ongles de Hazel s'enfoncent dans mes abdos mais ses lèvres restent résolument closes. Son regard impassible.

— Je déteste ce que tu me fais ressentir, continué-je d'une voix forte, je déteste ça. Je me sens faible, je ne maîtrise rien et j'ai jamais voulu ça. Tu me mets dans des situations que je peux pas contrôler. Mais tu sais le pire ? C'est que j'arrive plus à m'imaginer revenir en arrière. J'arrive plus à m'imaginer un quotidien où t'es pas là. Et je te déteste encore plus pour ça. Parce que tu deviens ma faiblesse et que je t'ai jamais donné le droit de l'être.

Je ponctue mon discours en relevant la tête vers lui, le visage sûrement plus crispé qu'avant, mais le corps bien plus détendu. Enfin, la boule dans ma gorge semble avoir consenti à se résorber un peu.

Je décèle mal l'expression de Hazel au milieu des ombres inquiétantes qui dansent sur son visage. J'ignore s'il est blessé par mes propos tout comme j'ignore ce que cela engendrerait en moi si c'était le cas.

Et soudain, après de longues secondes qui me paraissent être des heures, ses doigts se referment sur mon poignet et le lèvent en direction de son cou. Là, il plaque la paume de ma main contre sa gorge et se penche légèrement en avant, m'obligeant ainsi à exercer une pression contre sa trachée.

— Alors maîtrise-moi, déclare-t-il avec sérieux. Me laisse pas partir et reprends le contrôle de la situation.

Il marque une pause et ses doigts incitent les miens à s'enrouler un peu plus étroitement autour de son cou. Mon bas-ventre se crispe.

— Montre-moi que je suis à toi, achève-t-il sans baisser le regard mais avec un certain tremblement dans la voix.

Aussitôt, une formidable vague de chaleur parcourt mon corps et je sens mon cœur battre à toute allure, visiblement emballé par le discours de Hazel. Sans que je l'explique, la sensation de son cou contre ma paume me fait trembler d'excitation et je dois me retenir pour ne pas refermer brusquement mes doigts sur sa peau si fine.

Le simple fait de le voir là, complètement dénudé sur moi et m'incitant à le soumettre à mon bon vouloir, me retourne l'estomac et éveille en moi des pulsions que je n'ai qu'en sa présence.

Lentement, je ressers mes doigts autour de son cou, observant sa bouche s'entrouvrir pour rechercher de l'air. Ses yeux ne quittent pas les miens et l'étincelle assurée que j'y vois me pousse à aller plus loin, toujours plus loin, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de nous.

Prenant appui sur mon autre main, je me redresse pour venir poser mes lèvres sur ses pectoraux, attrapant l'un de ses tétons entre mes dents pour jouer avec.

Hazel pousse un soupir étranglé par ma main et je sens son sexe prendre doucement forme contre mon ventre. Ce constat fait grimper ma propre excitation et je me recule un peu pour admirer son visage rougi par le manque d'air et ses yeux luisant de désir.

Un délicieux sentiment de supériorité m'envahit lorsque je comprends qu'il s'abandonne totalement à moi, que je peux en faire ce que je veux, que je suis le seul à pouvoir concrétiser cette envie qui dilate ses pupilles et crispe ses mains autour de mes épaules.

Un petit sourire en coin vient retrousser mes lèvres et j'approche mon visage à quelques centimètres du sien, juste assez proche pour sentir son souffle s'échouer contre ma bouche, mais pas assez pour que la sienne puisse rencontrer son homologue.

— Embrasse-moi, susurré-je sans me départir de mon sourire moqueur.

Une lueur traverse le regard de Hazel tandis que je l'observe se pencher pour tenter de joindre nos lèvres, freiné par la pression de ma paume contre sa gorge. Ses yeux s'écarquillent sous le manque d'oxygène et ses pommettes rougissent, me donnant envie de les colorer davantage.

Immobile, je le fixe d'un air moqueur essayer vainement de m'embrasser, la bouche entrouverte dans une recherche désespérée d'air.

Je ne peux m'empêcher de le taquiner en approchant mes lèvres des siennes, les effleurant à peine pour le frustrer, ravi de ses gémissements plaintifs qui trahissent son impatience.

Finalement, je cède à la tentation et unis ma bouche à la sienne, me délectant du frisson que je sens parcourir son corps entier et qui se répercute dans le mien. Sans perdre une seconde, nos langues se retrouvent et s'affrontent dans un combat qui s'annonce déjà vain.

Mes joues brûlent sous le plaisir qui me consume et je sens mon sexe se dresser contre les fesses de Hazel, cherchant à atteindre cet objectif qu'on ne lui a pas encore accordé.

J'essaie de repousser la pensée que nous n'avons jamais été aussi proches lui et moi, que nos corps ne se sont jamais emboîtés aussi parfaitement. Nous avons beau nous rapprocher chaque mois davantage, Hazel se refuse toujours à moi et s'écarte très vite lorsqu'il a l'impression que je cherche à aller plus loin. Cela me frustre, inutile de faire semblant, mais je comprends que ce passage à l'acte représente l'abattement d'une énième barrière qu'il ne se sent pas prêt à voir s'écrouler. Alors j'attends.

Pourtant, ce soir, Hazel ne se débat pas. Le cou enserré par ma main et les lèvres écrasées contre les miennes, il garde ses fesses nues collées à mon sexe et ses ongles plantés dans mes épaules. Le voir ainsi, offert à moi et abandonné à son plaisir, m'excite tellement que j'ai l'impression que je pourrais défaillir à tout moment.

A la place, je me décolle légèrement de lui et retiens un sourire lorsque ses sourcils se froncent de frustration.

Pour l'empêcher de protester, je resserre ma poigne autour de lui et mords brièvement sa lèvre inférieure.

Bouge pas, ordonné-je.

Ses pupilles se dilatent d'excitation et il ne bronche pas, me laissant me pencher sur le côté pour atteindre le tiroir de la table de nuit. J'en sors un tube de lubrifiant commandé un mois plus tôt pour faciliter nos ébats et qui sait... peut-être les approfondir.

Je devine plus que je ne vois le regard de Hazel sur la petite bouteille que je serre dans mon poing, mais aucune réaction de réticence de sa part ne me parvient. Je tente de résorber le sentiment d'euphorie qui vient de faire bondir mon cœur en me mordant la langue. Calme et mesuré. Je dois rester calme et mesuré.

Mais cette résolution vole en éclats lorsque Hazel frotte impatiemment ses fesses contre mon sexe érigé. Je me prends la décharge de plaisir de plein fouet, m'obligeant à planter mes ongles dans ses cuisses pour ne pas réagir brusquement.

A travers la lueur blafarde, j'aperçois le sourire narquois de mon ami et me décide alors à lui rendre la pareille en enserrant son sexe de mon autre main. Son petit gémissement est étranglé par ma paume et il se mord la lèvre inférieure avant de se pencher en avant pour poser son front contre le mien.

Je profite de sa soudaine obéissance pour ouvrir la bouteille de lubrifiant et en verser une dose généreuse dans ma main que j'applique ensuite sur mon sexe qui tressaute dès que je l'effleure. Bordel, est-ce que j'ai déjà été aussi excité ?

Mes deux mains se referment ensuite sur les fesses de Hazel que j'écarte pour glisser mon sexe entre elles, me contentant de la friction engendrée par sa peau contre la mienne.

Sa respiration se coupe lorsqu'il comprend ce que je fais et ses lèvres viennent chercher les miennes, sûrement pour se rassurer. Je me perds dans ce baiser qui m'embrouille autant qu'il me réconforte.

Le brasier dans mon ventre ne cesse de prendre de l'ampleur au fur et à mesure que ses hanches ondulent sur mon bassin. J'ai délaissé sa gorge pour presser ses fesses contre mon sexe et je m'y frotte sans la moindre pudeur, submergé par le plaisir qui coule comme du plomb fondu dans mon aine.

D'une main, Hazel s'appuie sur mon torse tandis que l'autre s'active autour de son sexe. Ses yeux bleus sont larmoyants à cause de la pression que j'ai exercée contre sa trachée et sa tête roule sur son épaule sous les assauts de mes reins contre ses fesses. Je suis obnubilé par cette vision de son visage tordu par le plaisir, de ses lèvres fines entrouvertes pour laisser échapper ses gémissements, de son torse luisant de sueur qui brille sous la lumière fade de ma lampe de chevet.

Alors que mon bas-ventre se crispe de plus en plus, mes yeux restent rivés sur lui et il me paraît soudain gigantesque. Pas temps en taille, non, Hazel reste un petit gabarit malgré sa moue agacée lorsque je le lui rappelle, mais plutôt en aura. Il me semble tout à coup qu'il dégage une aura incommensurable qui m'enveloppe et me blottit contre lui, une aura qui me laisse pantelant et qui s'infiltre jusqu'aux tréfonds de mon âme. Une aura qui, en dépit de nos différences incontestables, me rappelle que personne n'a jamais su se faire une place aussi imposante dans mon cœur. Une aura qui me chuchote que c'est peut-être ça, aimer quelqu'un à la folie.

Et c'est sur cette pensée que le plaisir ravage les dernières parcelles de ma raison et que la voix de Hazel ricoche à travers les murs de la pièce. Puis que son corps vient se lover contre le mien, parfaitement inconscient du tourbillon d'émotions qu'il vient d'y engendrer. Et que mon coeur continue de battre de façon anarchique jusque tard dans la nuit.

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