33. Le chat et la souris


NDA : Les dialogues en italique sont en anglais. Je n'ai pas voulu vous mettre les phrases dans leur langue originelle + la traduction de peur de trop alourdir le texte.


SETHY

La dernière gorgée de mon café me brûle l'œsophage mais je profite de cette sensation désagréable pour me jeter à l'eau. Il va bien falloir que je le passe, ce foutu coup de fil.

J'attrape le téléphone qu'Ivan me tend puis m'assois à ses côtés. Le jeune informaticien hoche la tête, me signalant qu'il est prêt à enregistrer la conversation, et mes doigts composent alors rapidement le numéro maudit. Les tonalités qui se mettent à résonner dans mes oreilles se répercutent dans ma cage thoracique.

— Maria Krausová, grésille simplement une voix féminine contre mon oreille.

— Bonjour madame, inspecteur Lim à l'appareil. Pourrais-je vous poser quelques questions ?

— Bonjour inspecteur, reprend l'inconnue d'un ton plus affable. C'est à quel sujet ?

— Connaissez-vous une certaine Leila Amari ?

— Puis-je savoir pourquoi vous me posez la question ?

— On a retrouvé votre numéro dans son téléphone. Et il semblerait qu'elle soit déjà venue vous rendre visite. Comment la connaissez-vous ?  je m'enquiers en rejetant mon dos contre le dossier du fauteuil.

— Je ne suis pas tenue de révéler des informations sur mes clients, monsieur, répond mécaniquement la voix. Veuillez au moins m'avancer une raison valable pour que je le fasse.

— Elle est morte, asséné-je.

— Oh mon Dieu, pauvre petite ! Que lui est-il arrivé ?

— Elle a été assassinée, madame. Allez-vous me dire comment vous la connaissez maintenant ?

— C'est assez délicat...

— Il s'agit du meurtre d'une adolescente, y a-t-il encore lieu de prendre des pincettes ?

— C'est-à-dire que... Comment dire ? Leila est venue vers moi parce qu'elle avait besoin de mes compétences.

— A propos de quoi ? m'impatienté-je.

— C'est que, monsieur, il est délicat de vous révéler tout cela.

— Madame, il faut me dire la vérité.

Je me pince entre les sourcils pour réprimer un soupir agacé. Je sens bien que la femme tente de faire durer un faux suspens et cela m'exaspère au plus haut point.

— Bon, je vais vous le dire, abdique-t-elle faussement. Leila est venue me voir parce qu'elle a appris, je ne sais comment, que j'aidais les enfants abandonnés à retrouver leurs parents.

— Que voulez-vous dire par là ? m'étonné-je en échangeant un regard incompréhensif avec Ivan qui continue d'enregistrer la conversation.

— Disons... que je possède une agence qui aide les gens à retrouver des membres de leur famille. Je travaille avec beaucoup de foyers et d'orphelinats à travers l'Europe et j'utilise les contacts que j'ai pour aider les orphelins à retrouver leurs parents.

— Et Leila vous a contacté à ce propos ?

— Oui, elle voulait savoir qui était son père.

— Mais son père est en prison, précisé-je de plus en plus perdu.

— Non monsieur, réfute la femme dont je sens le sourire dans la voix. L'homme qui est en prison n'est pas son vrai père.

— Qui l'est dans ce cas ?

— Un certain Marco Jacomino.

Sa réponse me laisse sans voix et je manque de faire tomber le téléphone de mes mains. Ivan me lance un regard stupéfait auquel je réponds en fronçant les sourcils, l'air perdu. Frustré, je me pince l'arrête du nez pour tenter de rester concentré. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

— Vous êtes sûre de vous ?

— Absolument, monsieur. Mes renseignements sont toujours avérés.

— Puis-je vous demander qui vous a révélé cette information ?

— Je m'excuse mais je préfère ne pas révéler le nom de mes partenaires, répond la femme d'un ton désolé un peu trop exacerbé à mon goût. Cela pourrait compromettre leur carrière. Vous comprenez, ils mènent des enquêtes quelque peu...controversées

— Avez-vous révélé à Leila le nom de son père ? je m'enquiers avec précaution.

— A dire vrai, je n'en ai pas eu le temps. Elle devait m'appeler la semaine dernière mais elle ne l'a pas fait. Je comprends mieux pourquoi maintenant... Pauvre petite.

Krausová semble réellement attristée mais je ne parviens pas à compatir avec son ton navré. J'ai l'impression qu'elle essaie de me lancer sur une fausse piste. Putain, on ne va pas me faire croire que Leila, clairement impliquée dans un trafic de drogue à l'échelle européenne, ait contacté cette femme, elle-même suspectée comme étant l'une des organisatrices du trafic, pour lui demander qui était son père ! C'est clairement du foutage de gueule. Les membres du réseau ont dû réfléchir à cette version longtemps avant que je les appelle, se doutant que me parler de Marco me donnerait envie de prioriser immédiatement cette piste et me ferait me détourner d'eux. Mais je ne suis pas stupide.

Cependant, ces nouvelles informations parasitent mes pensées et je peine à y faire le tri. Je dois me concentrer. La pote de Hazel m'a clairement dit que Leila servait de mule pour écouler de la drogue jusqu'à Prague et que le numéro enregistré dans son petit téléphone était celui de leur correspondant sur place. En tout logique, Maria est donc un pseudonyme utilisé par plusieurs membres du réseau. Dans ce cas, qui est cette femme que j'ai à l'appareil ? S'appelle-t-elle seulement Maria Krausová ? Bon Dieu, cette affaire me rend complètement dingue.

Je dois la jouer fine. Si je mets la femme directement au pied du mur en l'accusant de trafic de drogues, ne va-t-elle pas simplement m'échapper entre les doigts ? Le fait qu'elle accepte de me parler est déjà énorme : résidant dans un autre pays, elle aurait très bien pu m'ignorer et j'aurais eu beaucoup de mal à obtenir un mandat d'arrêt à son nom auprès des autorités locales. Je dois réussir à lui soutirer des informations sans éveiller ses soupçons et en rentrant dans son jeu. Mais me pense-t-elle aussi naïf ou a-t-elle anticipé mon raisonnement ?

— Leila est-elle venue vous voir souvent ? je reprends d'une voix que je m'efforce de rendre calme et assurée.

— Seulement deux fois. Une fois l'année dernière et une fois cette année, pendant l'été.

— Et vous avez immédiatement accepté de l'aider ? relevé-je d'un ton suspicieux.

— C'était une jeune fille très déterminée, vous savez ? répond la femme d'une voix douce. Elle s'est présentée toute seule à mon bureau, m'a dit qu'elle savait ce que je faisais et qu'elle était prête à tout pour obtenir les informations qu'elle cherchait.

— Combien vous a-t-elle payé ? rétorqué-je dans l'espoir de la décontenancer.

— Je vais être honnête, inspecteur, répond Krausová dans un petit rire, je me suis prise d'amitié pour cette jeune fille courageuse. Elle a traversé l'Europe pour me rejoindre et pour solliciter mes services plutôt que d'autres. J'ai alors décidé de l'aider gratuitement.

— Vraiment ? raillé-je. Vous aidez gratuitement la moindre personne pour laquelle vous avez un peu de compassion ?

La femme émet un nouveau gloussement.

— Je peux me le permettre, inspecteur. Et puis, il y avait une véritable relation de confiance entre nous deux.

— Si tel était le cas, vous a-t-elle confié, d'une façon ou d'une autre, qu'elle se sentait en danger ?

— Non, je ne me souviens de rien... Mais c'était une fille adorable, je ne vois pas qui aurait pu avoir envie de lui faire du mal... Comment est-elle morte ?

— Elle a été assassinée, confié-je en restant allusif.

Persuadé qu'elle ne me dit pas la vérité, je reste sur mes gardes et refuse de lui donner davantage de détails. Qui sait ce qu'elle pourrait en faire...

— Oh mon Dieu, mais c'est affreux ! s'exclame Krausová d'une voix blanche. J'espère que vous trouverez son meurtrier, inspecteur.

— Je ferai de mon mieux, madame, acquiescé-je de mauvaise grâce, intimement convaincu qu'elle se fout de moi. Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Merci pour votre coopération. Je vais juste vous demander de rester disponible au cas où j'aie d'autres questions à vous poser dans les jours à venir.

— Pas de problème, inspecteur. Bon courage pour votre enquête !

— Merci madame

La tête remplie de doutes, je raccroche avec la sensation d'avoir été mené en bateau. A mes côtés, Ivan reste silencieux et fixe sans le voir l'écran de son ordinateur. Je sais qu'il est aussi perdu que moi, mais cela n'a rien de rassurant.

— Alors, les gars ? Du nouveau ?

La tête de Hans apparaît dans l'embrasure de la porte et sa voix déchire le silence qui s'était installé dans la pièce. Ses yeux vagabondent d'Ivan à moi puis ses sourcils se froncent d'incompréhension.

— Oulà, ça s'est pas bien passé, pas vrai ?

— J'irais pas jusqu'à dire ça, nuancé-je en croisant mes doigts derrière ma nuque. Disons que ce n'était pas du tout ce à quoi on s'attendait.

— Développe, m'exhorte mon collègue en tirant une chaise face à moi avant de se laisser tomber dessus.

— Cette fameuse Maria... Elle prétend que Leila l'a appelée parce qu'elle était à la recherche de son père.

Le visage de Hans se tord d'incompréhension.

— Pardon ?

— Ouais, apparemment, Maria tiendrait une sorte d'agence spécialisée dans la recherche de personnes disparues. Elle aiderait les gens qui viennent solliciter ses services à retrouver des membres de leur famille.

— Mais Leila sait qui est son père !

— Justement. Maria me dit que ce n'est pas son vrai père. Et que le vrai serait Marco.

Cette fois, Hans me fixe comme si je venais de lui annoncer que la Terre était plate.

— Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? grommelle-t-il en se frottant la tempe.

— Justement, je pense que c'est un énorme ramassis de conneries. Ils avaient dû prévoir cette version au cas où la police appellerait, histoire de reporter nos soupçons sur Marco. Je suis certain que Marco n'est pas le père de Leila, mais vu que son nom est connu de tous, il est facile de l'ériger en suspect principal. Et ça expliquerait pourquoi Leila avait le contact de Maria dans son téléphone.

— Putain, ils se sont vraiment tous passés le mot pour nous prendre la tête, grogne mon collègue.

— T'as interrogé Bariva à propos de Baranov ?

— J'ai essayé, mais ce connard s'est dégoté un sacré baveux* qui le laisse pas en placer une.

— T'as convoqué le petit Jakob ?

— Ouais, il passera demain soir, il est en pleine période de partiels en ce moment, sa mère voulait pas le laisser partir.

— Ils commencent vraiment à tous me faire chier dans cette putain de ville pourrie ! m'énervé-je en frappant le bord de mon bureau.

Hans esquisse un rictus amusé avant de s'enfoncer davantage dans le dossier de la chaise.

— J'espère qu'il aura des informations utiles... J'en peux plus de tourner en rond. J'ai l'impression qu'on a toutes les pièces du puzzle mais que le lien entre elles nous échappe.

— Le lien, c'est Baranov, affirmé-je d'une voix dure. J'en suis certain. Je suis sûr que c'est lui qui a tué la gamine.

— Tu vas peut-être trop vite en conclusion, Seth... Je te rappelle que le sperme retrouvé sur Leila ne correspond pas à son ADN.

— Elle a peut-être tiré son coup avant de se faire buter.

— A propos de ça, j'ai reçu les résultats ADN de Bartels...

Mon cœur s'emballe et je me redresse d'un coup, les traits figés par l'inquiétude. Mon collègue m'adresse un regard compatissant qui me donne envie de lui crever les yeux.

— Ils ne concordent pas non plus.

Malgré moi, je laisse échapper un soupir de soulagement et retombe contre le dossier de mon fauteuil.

— Ça veut simplement dire qu'il n'a pas couché avec elle, se croit nécessaire de préciser Hans. Mais on ne sait pas si le meurtrier et l'homme avec qui elle a couché ne font qu'un.

Mon regard noir le frappe de plein fouet et il ricane comme un imbécile.

— C'est fou comme tu es susceptible lorsqu'on aborde son sujet, me charrie-t-il.

— Ne commence pas, le menacé-je en pointant vers lui le taser qui trônait dans un coin de mon bureau.

Cet idiot rigole de plus belle avant de s'étirer en baillant ostensiblement.

— Qu'il soit le meurtrier ou pas, il semblerait bien qu'il n'ait pas menti en disant qu'il est gay. T'aurais pas pu me le dire d'ailleurs ?

— Et comment j'étais censé le savoir ? grincé-je entre mes dents.

— Ben parce que tu te l'es clairement tap...

Mon doigt appuie sur la gâchette et mon collègue se précipite vers la sortie en éclatant de rire. Sa tête blonde disparaît derrière l'embrasure et j'entends encore son gloussement résonner contre les murs alors qu'il se dirige vers son bureau.

Désormais seul, je repose le taser sur le bureau puis passe une main fatiguée sur mon visage. Hans a raison, je me précipite trop vite sur la piste de Baranov. Mais bordel, on ne va pas me faire croire que sa présence dans un bled aussi paumé que Marbourg est une coïncidence ?

Dès lors, une question subsiste, une question qui me brûle la gorge et me tord les entrailles : comment Hazel le connaît-il ?


*baveux : avocat (péjoratif)


NDA : Bon, je ne vais pas vous cacher, je n'aime pas ce chapitre. Je trouve qu'il ne s'y passe rien et qu'il ne fait que brouiller un peu plus les pistes. En soi, ce n'est pas forcément dérangeant, mais je commence à réaliser que le récit comporte certaines longueurs et mériterait d'être épuré.

Je m'excuse donc si tous les chapitres ne sont pas parfaits. Je ne peux pas pas ignorer certains détails (par exemple, après avoir teasé sur Maria Krausova pendant plusieurs chapitres, je ne pouvais pas juste passer sous silence cet appel de peur de recevoir des commentaires du genre " mais pourquoi il l'a pas appelée vu qu'il avait son numéro ? ") mais du coup ça débouche sur ce genre de chapitre " de transition " où il ne se passe pas grand chose...

Enfin bref, encore désolée, je rappelle que ce n'est qu'un premier jet et que je ferai une réécriture euh...un jour...quand j'aurai le temps, snif

En tout cas, encore merci de me lire, même si cette histoire est longue, elle est la plus travaillée que j'ai jamais écrite et ça me fait chaud au cœur de voir qu'elle plaît à quelques personnes :) J'vous aime fort !

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