23. Expiation


SETHY

Je suis tellement furieux que je crois que je pourrais m'étouffer de colère.

Lorsque mes yeux se sont posés sur Hazel passant sa main dans les cheveux de mon fils, j'ai cru que j'allais dégoupiller et le tuer sur place. Qu'est-ce que ce connard croit faire en se rapprochant ainsi de mon enfant ? Comment ose-t-il mettre à nouveau un pied dans ma vie et s'engouffrer aussi impunément dans mon intimité ?

Bon Dieu, je suis si énervé que j'ai envie de hurler comme un fou.

Non. Non. Non. Hazel n'a pas le droit. Pas le droit d'entrer dans ma vie comme ça. Pas le droit de souiller le seul être pur dans mon entourage. Pas le droit.

Le vent glacial me gifle le visage et les bourrasques de pluie s'infiltrent sous mon anorak. Pourtant, je ne faiblis pas. Depuis dix minutes, ma main broie l'avant-bras de Hazel que je tire derrière moi comme une vulgaire poupée de chiffon. Je ne sais pas ce que je fais. Le voir près de mon fils m'a fait vriller et j'ai vu rouge. Sauf que désormais, me voici en train de traverser le port avec l'homme que je déteste le plus au monde, le tout sans savoir ce que je cherche à faire.

Dès que mes yeux se sont posés sur cette scène qui m'a retourné l'estomac, je me suis précipité vers Hazel, l'ai brusquement pris par le bras et ordonné à Vic de rejoindre Hans. Est-ce mon regard noir de haine qui l'a dissuadé de protester ? Toujours est-il qu'il n'a rien dit, s'est contenté de couler un long regard sur moi, puis a rejoint mon collègue sans un mot.

Et Hazel ne s'est pas révolté lorsque je l'ai entraîné au milieu des bateaux.

Je marche si vite que je manque de trébucher contre chaque obstacle qui se dresse sur le quai. Mon pantalon trempé me colle à la peau et des mèches de cheveux me barrent la vue. Mais je ne m'arrête pas.

Finalement, je réalise que je nous ai entraînés dans la petite crique où tout à commencé. Cette crique où nous avions passé notre été à nous baigner et où nous avions échangé notre premier baiser. Et ce constat décuple ma colère.

Avec rage, je balance Hazel contre un rocher avant de l'attraper à nouveau par le col.

— Qu'est-ce que tu fous ? Hein ? Tu peux me dire ce que t'essaies de foutre ?!

Ses yeux bleus sont écarquillés par le choc, l'incompréhension et quelque chose qui se rapproche de la tristesse. Hors de moi, je resserre mon poing autour de sa veste et le secoue de toutes mes forces.

— Qu'est-ce que tu penses faire en te rapprochant de mon fils comme ça ?! T'essaies de m'atteindre à travers lui ?! C'est ça ? Bordel Hazel, réponds, je crois que je pourrais te tuer sur place !

Mais il n'obtempère pas et se contente de me fixer, le regard douloureux. La pluie redouble d'intensité et ses cheveux décolorés se plaquent sur son front. Il ouvre la bouche mais ne dit rien. Je le secoue une nouvelle fois.

— T'approche pas de Vic, c'est clair ? Ne lui adresse pas la parole ! Il est hors de question qu'il côtoie un fils de pute comme toi !

Face à moi, les yeux bleus s'assombrissent, se font menaçants. A la place de l'étincelle douloureuse qui y brillait jusqu'alors, une lueur inquiétante s'éveille. Mais je m'en fous. Qu'il s'énerve, jamais il n'atteindra mon niveau actuel de colère !

Alors que son regard semble me dissuader de continuer à l'invectiver, je le pousse une nouvelle fois contre le rocher et me recule d'un pas.

— Reste loin de lui ! Il n'a pas besoin d'une merde pareille dans son entourage.

Prenant une profonde inspiration, je serre spasmodiquement mes poings le long de mes cuisses pour me calmer. Immobile, Hazel continue de me fixer, l'air de plus en plus menaçant. Son visage sombre ne m'aide en rien à calmer ma colère. Plus il se montre hostile, plus j'ai envie d'être brutal avec lui.

— Il est hors de question que tu pourrisses sa vie comme t'as pourri la mienne ! craché-je avec dégoût, mettant ainsi le doigt sur le réel problème qui a suscité cette réaction si vive de ma part.

Le vent est désormais si violent que des gerbes d'eau salée nous fouettent le visage. A quelques mètres, la mer s'agite et les vagues déferlent sur le grès.

Je songe soudain à l'image que nous renvoyons, là, isolés au milieu d'une crique, à nous toiser avec une telle violence qu'elle en serait presque palpable.

Ma colère ne se résorbe pas. J'ai beau serrer mes poings de toutes mes forces et inspirer longuement par le nez, rien n'y fait. Hazel me fait face, et j'ai envie de le détruire.

Je réalise avec ironie que cet affrontement que j'ai tenté de fuir ces derniers jours était en fait inévitable ; ce n'est pas tant son interaction avec Vic qui alimente cette rage terrible en moi, non, c'est cette rancœur que j'ai nourri pendant vingt ans et qui refuse de se taire plus longtemps.

Cette confrontation, c'est celle que nous aurions dû avoir il y a des années.

— C'est vrai que t'es bien placé pour me dire ce genre de trucs.

Je me pétrifie. La voix de Hazel, rauque et traînante, vient de percer le fracas des flots. Doucement, je remonte mon regard vers lui, livide.

— Qu'est-ce que t'as dit ? articulé-je d'une voix menaçante.

Les yeux bleus ne cillent pas. Au fond d'eux, la tempête fait rage. Un affreux rictus tord ses lèvres tandis qu'il fait un pas vers moi.

— J'ai dit que t'étais bien placé pour me faire la leçon sur comment traiter un gamin, toi qui es pas foutu de t'occuper du tien depuis sa naissance.

Le sang quitte mon visage avec une vitesse alarmante. Mon cœur tambourine si fort que c'en est douloureux et la colère me retourne les entrailles. Pourtant, Hazel ne s'arrête pas là. L'air désormais furieux, il avance à nouveau vers moi et pointe un doigt accusateur sur ma poitrine.

— T'es là, à jouer le père protecteur, alors que t'as jamais été foutu de t'occuper de ton gamin. Alors quoi, ça te fout la haine de voir qu'il est plus à l'aise avec moi qu'avec toi ? Qu'est-ce que tu crois, que c'est moi qui suis allé vers lui pour lui parler ? Non ! C'est lui qui est venu me trouver, un soir, alors qu'il était seul au milieu de la nuit. Et toi, tu foutais quoi à ce moment, hein ? Tu te penchais sur cette putain d'affaire que tu réussiras jamais à comprendre ! Qu'est-ce que t'aurais fait si ton gamin s'était fait tuer ? Est-ce que t'as seulement essayé de l'écouter un jour ? Putain, tu me dégou...

Hazel n'a pas le temps de finir sa phrase. Je ne le laisse pas faire.

Hors de moi, je balance mon poing vers son visage et le fracasse contre sa pommette. Sa tête part en arrière puis cogne contre un rocher, mais je n'en ai rien à faire. Aussitôt, je l'attrape par le col et le frappe une nouvelle fois dans la mâchoire, l'obligeant à pousser un grognement de douleur.

Je suis incapable de me contrôler. La situation entière m'échappe.

La haine est désormais si forte que j'ai envie de ravager ce visage méprisant qui me toise, ce visage que j'ai passé tant de temps à chérir et à guérir. Bordel, comment avons-nous pu en arriver là ?

Alors que je m'attends à ce que Hazel riposte, il se contente de me fixer avec cette rage qui ne parvient pas à dissimuler la souffrance dans ses yeux. Et ça me donne envie de hurler.

— Tu sais ce que Vic m'a dit, la première fois que je l'ai vu ? siffle-t-il entre ses dents.

— Ferme ta gueule ! hurlé-je et le secouant plus fort.

Mais il m'ignore et son visage se fait exalté, méchant.

— Qu'il fuyait son père. Que son père n'a jamais été capable de lui donner un soupçon d'amour.

Cette fois, ma main s'enroule autour de sa gorge. Hazel écarquille les yeux sous ce geste que j'ai tant fait, mais jamais dans ce genre de situation. Mes doigts s'enfoncent dans sa peau et j'observe avec une sorte de satisfaction grisante sa bouche s'entrouvrir pour chercher de l'air et ses pupilles se dilater sous la pression artérielle.

— Qu'est-ce que t'essaies de faire ? grondé-je en resserrant ma prise. Me faire me sentir mal ? Tu crois que tes paroles ont un quelconque effet sur moi ? Tu crois que je vais prendre des conseils de ta part ? T'es rien pour moi, Hazel, absolument rien, alors ferme ta gueule et retourne crever dans ton coin.

Les yeux du concerné se voilent de tristesse mais il ne baisse pas le regard. A la place, il enroule ses doigts autour de ma main qui serre toujours sa gorge et grimace lorsqu'il reprend la parole.

— Pourquoi... Pourquoi t'es comme ça ?

Son ton, plus abattu, me surprend. Je m'attendais à une escalade de colère mais il n'en est rien. J'observe quelques secondes ses cheveux trempés qui collent à son front et les mille tâches de soleil sur ses pommettes, me demandant comment de si petits détails peuvent autant me bouleverser.

— Pourquoi tu te comportes comme ça avec ton gamin ? Si c'est à cause de moi... Je t'ai dit, je suis désolé. Je...

Hazel peine à parler sous la pression que j'exerce contre sa trachée.

— Je suis tellement désolé, Sethy... J'ai pas cessé de m'en vouloir et je...

— Ferme-la !

Ma voix menaçante siffle entre mes dents et je contracte la mâchoire de toutes mes forces. Qu'il se taise. Qu'il ne dise pas un mot de plus. Je ne veux pas l'entendre, je ne veux plus jamais l'entendre...

Pourtant, au lieu de m'écouter, il se redresse et glisse une main le long de mon bras pour attraper mon coude.

— Je suis désolé... Putain Sethy, tu dois me croire, je suis déso...

— Et après ?

Hazel se fige, comme foudroyé. Ses yeux bleus cherchent les miens mais je suis incapable de lui renvoyer autre chose que de la haine à l'état pur.

— T'es désolé et après ? continué-je d'une voix glaciale. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? J'en ai rien à foutre de tes excuses, je me contrefous de ce que tu peux dire Hazel, on ne reviendra pas sur le passé. Tout ce que je veux, c'est que tu restes loin de moi et de mon enfant.

— Et si moi je ne veux pas ?

Mon air violent le force à se reprendre.

— Et si moi je ne veux pas rester loin de toi ? Et si je voulais arranger les choses ? Je... Je sais que je pourrai pas rattraper ce que j'ai fait mais je veux juste... je veux juste te prouver que je t'ai pas menti et que...

Une nouvelle fois, je ne le laisse pas finir sa phrase et le balance contre le rocher, retirant ainsi ma main de son cou. Il faut que je me casse. Chacune de ses paroles fait enfler des vagues de colère en moi et je crains d'imploser si je l'écoute plus longtemps.

Je tourne les talons, prêt à fuir le plus loin possible, mais une main se referme autour de mon avant-bras. Horrifié, je tourne le regard vers Hazel et le vois penché vers moi, les yeux suppliants, le visage déterminé.

— Arrête de fuir et écoute moi ! Tu m'as jamais laissé l'occasion de m'expliquer ! Bordel Sethy, je veux réparer mon erreur !

C'est la phrase de trop. Si jusque-là je parvenais à résorber un minimum ma colère, ces mots brisent ma dernière once de volonté et je me jette sur lui. Ma main empoigne ses cheveux et je le retourne d'un coup sec, ignorant son visage qui s'écrase contre la roche. Là, je tire ses cheveux en arrière et enserre sa gorge de mon autre main.

— Ferme-la ! Je sais pas ce que je pourrais te faire alors ferme-la !

La fureur se déverse dans mes veines comme un tsunami et je suffoque sous un tel afflux de rage. Mes mains tremblent autour de Hazel et une petite voix me hurle d'enfoncer mes doigts toujours plus profondément dans sa peau, jusqu'à ce qu'il cesse de respirer.

Pourtant, il ne réagit pas. Il ne se débat pas.

Hazel reste parfaitement immobile et se contente de haleter sous la pression de ma main contre sa trachée.

— Se...thy.

Hors de moi, je lâche ses cheveux pour agripper la ceinture de son pantalon que je serre de toutes mes forces dans mon poing.

— C'est ça que tu veux, Hazel ? craché-je en glissant ma main pour empoigner l'une de ses fesses. C'est pour ça que tu me cours après comme un putain de chien errant ? C'est pour ça que tu refuses de me lâcher ? Tu veux que je te baise ? C'est ça qui te manque ?

A ces mots, je baisse son pantalon d'un coup sec, exposant son cul dans le froid glacial. Puis me fige. Littéralement.

Estomaqué.

Comme si ma conscience consentait enfin à faire son retour, la réalité me frappe de plein fouet, impitoyable.

Horrifié, je retire brusquement mes mains et me recule, les yeux exorbités par l'atrocité de ce que je m'apprêtais à faire. Toujours dos à moi et le visage écrasé contre le rocher, Hazel ne bouge pas. De là où je suis, j'aperçois son profil et ses yeux fermés, et l'infamie de mes actes m'apparaît d'autant plus fort.

Que fait-il ? Pourquoi ne réagit-il pas ? Pourquoi ne m'a-t-il pas repoussé ? Pourquoi s'est-il laissé violenter ainsi ?

Les mains tremblantes, je recule un peu plus, incapable d'arracher mon regard de ce corps immobile et de ce visage hâlé qui n'exprime rien que de la résignation.

A-t-il pensé que me laisser faire serait une bonne façon d'expier ses fautes ? Qu'il méritait cela ?

Une boule douloureuse se forme dans ma gorge et je constate avec effroi que les larmes me montent aux yeux. Qu'ai-je fait ? Qu'étais-je prêt à faire ? La haine m'a-t-elle aveuglé à ce point ? Aurais-je pu aller jusqu'au bout ? Hazel m'aurait-il réellement laissé faire ?

Soudain, ce dernier remue et se retourne lentement. Cette simple action suffit à me sortir de mon affreuse torpeur et l'angoisse me retourne les entrailles. Terrifié, je refuse de faire face à mes actes et n'attends pas de croiser les yeux bleus dont je n'aurais pas supporté le regard.

Sans demander mon compte, je fais volte face et m'enfuie en courant, insensible au vent qui me fouette la peau et aux bourrasques de pluie qui tentent de me stopper. Je refuse de me retourner et remonte à toute vitesse le chemin qui descend vers la crique. Une fois en haut, je suis pris d'un violent haut-le-cœur qui me tord en deux, le cœur au bord des lèvres.

Bon Dieu, mais qu'ai-je fait ?



NDA : Bon, j'espère que ce chapitre ne vous aura pas trop choqués... Je sais que la réaction de Sethy est abominable donc j'espère que je ne vous ai pas heurté. J'avais prévenu que cette histoire serait sombre...

En tout cas, n'hésitez surtout pas à donner votre avis sur ce chapitre (et sur tous les autres). Promis, on va progressivement commencer à y voir plus clair dans cette histoire de passé. La rage et le comportement inexcusable de Sethy ne sont pas gratuits, je tiens juste à le rappeler.

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