20. Chapelle aux merveilles

SETHY

28 Octobre 2003

Année de terminale


Peu de choses ont changé depuis ce baiser que Hazel et moi avons échangé sur la plage. Comme à notre habitude, nous nous rejoignons à la fin des cours puis traînons ensemble jusqu'à ce que la nuit tombe, errant dans les rues comme des âmes en peine ou crapahutant dans les falaises escarpées.

Parfois, nous grimpons jusqu'à la chapelle des marins située au-dessus de la ville, d'où nous observons les lueurs scintillantes de cette dernière déchirer l'obscurité de la nuit. C'est justement ce que nous avons fait aujourd'hui, à peine sortis de cours.

Depuis deux semaines, le froid s'est abattu sur Marbourg et le vent s'engouffre avec fracas dans les maisons. Ce soir-là, les fenêtres de la chapelle ne tiennent pas, laissant passer de violentes rafales qui nous frigorifient.

Affalés sur une couverture que nous avons étendue au milieu de l'allée principale, nous profitons de la vue imprenable que nous avons ainsi sur la nef. Mon anorak remonté jusqu'au menton, je suis à moitié allongé par terre, les avant-bras appuyés au sol pour me redresser un minimum. Entre mes jambes, Hazel fume paisiblement son énième clope de la journée en avançant toute sorte d'histoires improbables à propos des vitraux qui nous surplombent. Ses cheveux broussailleux me chatouillent le visage et la fumée âcre de sa cigarette me fait froncer le nez.

— Et là, c'est une sirène qui savait pas nager. En fait, elle aimait pas du tout l'eau et passait tout son temps sur un rocher. Tout le monde se foutait de sa gueule parce qu'elle était ridicule dans l'eau alors que... bah c'est un demi-poisson quoi. Du coup elle a prié le dieu des océans de lui donner des jambes pour pouvoir devenir pêcheur et niquer toute sa famille. Le bol qu'elle tend vers le ciel, c'est tous ses frères et sœurs transformés en poisson pané.

Un petit ricanement s'échappe de mes lèvres et je secoue la tête face à l'absurdité de mon ami.

— Si j'avais su que le christianisme était aussi amusant, je me serais converti plus tôt.

Je devine le sourire de Hazel puis le vois pointer du doigt un nouveau vitrail.

— Et là, c'est...

Mais je ne le laisse pas finir sa phrase. Soudainement, je décide que j'en ai marre d'entendre ses idioties et attrape sa mâchoire entre mes doigts pour tourner son visage vers moi. Sans plus de cérémonie, je plaque mes lèvres sur les siennes pour avaler ses derniers mots – sûrement fort intelligents !

L'odeur de tabac froid s'échoue sur ma langue, me faisant froncer les sourcils. J'ai horreur de ça. Le corps de Hazel se détend contre mon torse tandis qu'il passe une main derrière ma tête pour m'attirer un peu plus vers lui.

J'entoure sa taille de mon bras gauche puis faufile mes doigts sous son sweat délavé. Je le sens frissonner contre moi et il approfondit le baiser lorsque je commence à retracer ses abdos naissants.

Depuis trois semaines, nous avons pris l'habitude de nous embrasser, comme ça, quand l'envie nous vient. Nous n'avons mis aucun mot sur cette étrange relation, nous contentant de profiter de ces moments passés à deux. D'ailleurs, je ne saurais expliquer ce que je ressens en sa présence. Comme avant, il m'insupporte tout autant qu'il me fait rire ; j'ai envie de le serrer contre moi et de le balancer à la mer plusieurs fois par semaine.

Chaque jour, nous apprenons un peu plus à nous connaître et à apprivoiser nos personnalités diamétralement opposées. Là où je suis calme et mesuré, Hazel est exalté et passionné, là où je suis sévère et discipliné, il est rétif et provocateur. Quoi que nous fassions, nous finissons toujours par être en désaccord sur quelque chose et pourtant, cela ne nous empêche pas de trouver un terrain d'entente et d'écouter les arguments de l'autre. J'aime traîner avec Hazel, justement parce qu'il est si différent de moi et m'ouvre des horizons de pensées que je n'aurais jamais soupçonnés. J'ai beau détester certains pans de sa personnalité, je le trouve fort, courageux et déterminé. Il n'a pas peur de dire ce qu'il pense et ne recule jamais face à l'adversité, ce qui ne peut que me rendre admiratif.

J'ignore encore ce qui fait que nous nous supportons si facilement. Quand j'y pense, trois mois auparavant, il était la personne que j'exécrais le plus sur Terre. A-t-il réellement suffi qu'il vienne disputer un basket avec moi pour que je change d'avis sur lui ? L'absurdité de cette situation m'échappe. Tout ceci n'a aucun sens et je ne parviens pas à savoir si je suis en train de me faire avoir.

Dans tous les cas, je n'ai jamais été du genre à m'appesantir sur mes émotions. Tout se passe bien avec Hazel, alors pourquoi devrais-je me prendre la tête à déterminer notre relation ? Cela me semble futile et inutile ; tant que le positif l'emporte sur le négatif, je resterai avec lui. Point.

Vient maintenant la question de ma sexualité. S'il y a bien un élément indéniable au milieu de ce foutoir qu'est notre relation, c'est que j'aime l'embrasser. J'aime embrasser Hazel. Plus que tout.

J'aime sentir ses lèvres craquelées contre les miennes, son corps nerveux collé à mon torse, ses doigts calleux enfouis dans mes cheveux. J'aime le picotement de son menton mal rasé contre ma mâchoire, son souffle brûlant sur ma joue, ses soupirs de bien-être dans mon oreille.

Si je dois être honnête, je dirais même que j'en ai jamais assez. Lorsque ses lèvres se posent sur les miennes, je rêve de faire glisser ces dernières le long de son torse. Lorsque nos mains empoignent nos vêtements, je meurs d'envie d'arracher les siens pour explorer sa peau. Lorsqu'il se blottit contre moi, mon estomac se contracte étrangement et une douce chaleur se diffuse dans mes veines. Et je bande. Parfois.

J'ai dix-sept ans et je n'en suis pas à ma première relation, je sais ce que tout cela signifie : je désire Hazel.

Pourtant, encore une fois, le sexe n'a jamais été une obsession dans ma vie. La première fois que j'ai couché avec une fille, j'ai vu ça comme une expérience, et les deux suivantes, comme un moyen efficace de me détendre après les examens. Mais c'est tout. Je ne me retourne pas sur les filles – ni sur les mecs d'ailleurs – dans la rue, je ne rêve pas de grosses paires de seins sautillant sous mon nez et je ne manque pas de m'évanouir lorsque la prof d'histoire se penche un peu trop et dévoile la dentelle de sa culotte. Bref, je ne suis pas un fan inconditionnel des relations charnelles.

Hazel en revanche éveille en moi de nouvelles pulsions lubriques. Lorsqu'il se moque de moi, j'ai envie de mordre la ligne provocatrice de sa mâchoire, lorsque son corps en sueur saute dans les airs en plein match, j'ai envie de le dévêtir et de le dévorer de baisers, lorsqu'il s'allonge innocemment contre moi comme il le fait ce soir, j'ai envie de faufiler ma main entre ses jambes pour voir ses pommettes rougir de plaisir.

C'est d'ailleurs ce que je me retiens de faire depuis de longues secondes et Hazel ne me facilite pas la tâche. Durant le baiser, il s'est retourné de sorte à s'allonger sur moi et ses mains fourragent désormais assez violemment mes cheveux.

Je peux sentir son bassin plaqué contre le mien et je dois me faire force pour ne pas soulever mes hanches et venir à la rencontre des siennes. A la place, je glisse une de mes mains sous son sweat pour apprécier la douceur de son dos, retraçant les muscles qui saillent sous sa peau et mordant affectueusement sa lèvre inférieure.

Lorsque j'ose descendre ma deuxième main plus bas pour empoigner ses fesses, il cesse le baiser et se redresse légèrement.

— Tu fais quoi là ?

Son ton a beau être faussement réprobateur, je vois l'étincelle de désir et d'amusement au fond de ses iris. Je souris en coin avant d'embrasser son menton.

— Je profite de ce que j'ai sous la main.

Hazel semble perturbé car son air joyeux se détériore légèrement. Il m'adresse un sourire crispé et se relève avant de s'asseoir face à moi. Ses mains fouillent dans ses poches à la recherche de son paquet de clopes tandis que son regard fait tout pour éviter le mien. Je n'aime pas ça.

Alors, j'attrape son avant-bras et le tire vers moi pour qu'il consente à plonger ses yeux dans les miens.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Rien, grommèle-t-il en fixant le sol.

— Vas-y, lâche le morceau.

— Rien j'te dis ! C'est juste que... Ben je sais pas quoi... C'est bizarre.

— De quoi ?

— Que tu me touches comme ça...

— Hazel, on se roule des pelles depuis un mois et tu trouves ça bizarre que je te frôle le cul ?

Mon ton est plus sarcastique que je l'aurais souhaité. Sans que je ne puisse l'expliquer, sa réponse m'agace et son regard effaré me donne envie de me foutre de lui. Mais je me retiens.

— Tu sais que je ne vais pas te forcer à quoi que ce soit, alors pas la peine de prendre un air aussi horrifié, précisé-je en soupirant.

— A faire quoi que ce soit ? Attends, quoi ? Parce que tu veux me faire des trucs ?

Cette fois, je n'essaie même pas de cacher mon regard narquois, attendant que Hazel baisse les yeux, gêné. Je le vois triturer son paquet de cigarettes et se mordre l'intérieur des joues. Soudain, il semble avoir perdu l'usage de la parole et franchement, je ne m'attendais pas à ce qu'il soit aussi décontenancé par ma révélation – qui, en soi, n'en est pas une.

Doucement, j'attrape son menton entre mes doigts pour l'obliger à relever la tête et me faire face.

— Arrête de te prendre la tête, soufflé-je doucement. Je vois bien que t'es en train de réfléchir à des conneries. Tu m'attires, OK ? C'est un fait, je vais pas te le cacher. Mais je vais rien te faire si tu veux pas.

— J'suis pas PD...

Hazel parle si bas que je peine à l'entendre. Poussant un profond soupir, je tente de ne pas laisser transparaître mon exaspération.

— Oui, si tu veux. Moi non plus je suis pas PD. Il n'empêche que ce qu'on fait depuis un mois, c'est pas très hétéro, désolé de te l'apprendre.

A ces mots, deux émotions se battent en duel sur le visage de Hazel. D'un côté, le coin de ses lèvres se soulève brièvement, trahissant un certain amusement, mais de l'autre, ses yeux s'assombrissent pour lancer des éclairs dans ma direction.

Amusé, j'ébouriffe ses cheveux puis pince son nez pour le plaisir de le voir grogner.

— C'est bon, on passe à autre chose. Respire, tu vas imploser.

Je m'assois à mon tour en rabattant la capuche de mon anorak sur ma tête. Au moment où je m'apprête à me lever, une main entoure mon poignet et le visage penaud de Hazel me fait face. Ses yeux bleus cherchent les miens alors que sa lèvre inférieure se coince entre ses dents.

— T'as... envie de moi ?

Je souris puis m'accroupis devant lui. Une nouvelle fois, j'attrape son menton entre mes doigts et effleure ses lèvres des miennes.

— A ton avis ?

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