12. Interrogatoires pluvieux

SETHY

 — Rien dans le portable de Leila ?

— Absolument rien. On a vérifié tous ses contacts, tous ses appels et tous ses messages : il n'y a absolument rien qui se rapporte à une quelconque tante.

— Niveau recherches internet ?

— Rien non plus. Ni sur un quelconque voyage, ni sur Prague, ni sur la Tchéquie. Soit elle a menti à sa patronne, soit ça cache quelque chose.

Je me laisse tomber contre le dossier de ma chaise et soupire en regardant le plafond. Cela fait déjà trois jours que nous sommes arrivés à Marbourg et j'espérais pouvoir en partir dès le lendemain. Ouais... Au vu des avancées de l'enquête, je peux toujours rêver.

Toutes les pistes que nous suivons ne mènent à rien et je commence à croire qu'ils se sont tous fait passer le mot pour nous emmerder.

Hier, nous avons interrogé la famille d'accueil de Leila ainsi que le foyer dans lequel elle est restée jusqu'à ses six ans afin de pouvoir retracer son arbre généalogique, mais rien n'indique qu'elle possède une tante à Prague. De plus, tous ses proches sont unanimes : c'était une fille douce et cultivée, qui n'a jamais eu de problème avec la justice et qui n'aurait jamais trempé dans des affaires louches de son plein gré.

Je veux bien les croire. Mais ça n'explique pas sa présence lors des soirées organisées à l'Ozone. Je suis persuadé qu'il y a là un élément qui m'échappe. A mon avis, Leila a voulu se dévergonder et, poussée par la curiosité, elle a décidé de participer à l'un de ces afters dont elle a dû entendre parler à l'Ozone. Une fois là-bas, elle a peut-être fait une mauvaise rencontre qui s'est terminée comme on le sait.

Plusieurs questions subsistent dès lors : comment a-t-elle été acceptée dans ces soirées ultra sélectives ? Quels sont les critères pour y entrer ? Y a-t-elle été seule ou était-elle accompagnée par des amies – qui pourraient, dans ce cas, témoigner de ce qu'elles ont vu ? Comment découvrir les participants de ces sombres afters ? Lorsque Hans a interrogé le propriétaire de l'Ozone, ce dernier a assuré qu'il ne tenait pas de liste de membres et il a refusé de nous donner les noms de ses « amis » avec qui il buvait apparemment des coups. Au vu du nombre trop peu important de témoignages que nous avions alors, mon collègue n'a pas insisté, mais la donne a changé. En plus de ceux des deux employés du chantier naval, j'ai désormais celle de la petite serveuse qui affirme avoir déjà vu Leila sur les lieux. Ce connard va nous filer la liste de ses membres ou je lui fais bouffer le mur de sa boîte.

— L'une des meilleures amies de Leila rentre aujourd'hui. Elle était en vacances chez sa grand-mère lors des faits, mais elle en saura peut-être un peu plus sur les fréquentations de son amie ou si quelqu'un lui voulait du mal.

Je hoche la tête en sortant une clope de la poche de mon manteau.

— Faut aussi creuser auprès des gars du chantier pour savoir comment ils sont sélectionnés pour ces soirées à l'Ozone.

Hans acquiesce.

— On ira après l'interrogatoire de la gamine. Tu t'en charges ? Je vais aller poser des questions à son ancien lycée et aux gens qu'elle côtoyait à la fac.

— Eh ben, bon courage !

— Mais tu te chargeras des gars du chantier !

Mon collègue me fait un clin d'œil taquin avant de se baisser précipitamment pour esquiver la bouteille d'eau que je viens de lancer dans sa direction. Il s'éclipse dans un petit rire tandis que je l'insulte dans son dos. Putain, je ne sais pas ce que cet imbécile cherche à faire, mais ça m'agace profondément.

J'allume ma clope et vais me poser à la fenêtre. Dès que j'ouvre cette dernière, le vent glacial me gifle le visage et déferle dans la pièce, apportant avec lui des relents d'algues et de sel qui me font grimacer.

Quand vais-je enfin pouvoir partir d'ici ?

***

— Bonjour Sarah, je suis l'inspecteur Lim et j'aimerais te poser quelques questions à propos de Leila. Est-ce que c'est bon pour toi ?

Assis face à moi, la jeune fille blonde semble épuisée et de profondes cernes creusent ses yeux bleus. Elle hoche la tête d'un air las, gardant sagement ses mains posées sur ses genoux.

— Bien. Pourrais-tu décliner ton identité et me raconter un peu ta relation avec Leila.

— Je m'appelle Sarah Darrell, j'ai dix-huit ans et je suis en première année de licence d'histoire. Leila et moi sommes... étions amies depuis la primaire. On a toujours tout fait ensemble. Elle... Elle était tout pour moi.

Sa voix se brise et ses yeux s'embuent de larmes. Je pousse la boîte de mouchoirs vers elle en priant intérieurement pour qu'elle ne fonde pas en sanglots ; j'ai toujours été mauvais pour consoler les gens. Surtout les gamines.

— Je comprends très bien ta tristesse, Sarah. Comment décrirais-tu Leila de façon générale ? Quel était son comportement, ses centres d'intérêt ?

La concernée renifle en attrapant un mouchoir.

— Elle était toujours joyeuse. Elle souriait tout le temps et on rigolait énormément ensemble. Elle était douce, gentille, altruiste... Elle n'aurait pas fait de mal à une mouche, vous savez ?

— J'imagine, oui. Est-ce qu'elle s'entendait bien avec les gens ?

— Oh oui, très bien ! Elle était très sociable, elle avait beaucoup d'amis.

— Des ennemis ?

La jeune fille hausse les sourcils et me fixe comme si je venais d'affirmer que la Terre était plate.

— Non, finit-elle par répondre, incrédule. Certainement pas.

— Est-ce que tu l'as déjà vu se disputer avec quelqu'un ? Est-ce que tu connais des gens qui auraient pu être jaloux d'elle ou lui faire du mal ?

— Je...

Alors qu'elle s'apprêtait visiblement à défendre vivement le contraire, Sarah se fige, un éclair d'hésitation traversant ses iris. Je saute sur l'occasion et ne lui laisse pas le temps de se retrancher derrière un mensonge.

— Il faut que tu me fasses part du moindre soupçon que tu pourrais avoir, même s'il te paraît insignifiant. La seule chose que je souhaite, c'est trouver le coupable et faire en sorte que ton amie repose en paix. C'est également ce que tu veux, n'est-ce pas ?

Je n'aime pas jouer avec les sentiments comme cela, mais la situation l'oblige. La gamine en face de moi est au bord de la rupture et je dois parvenir à tirer subtilement parti de cet état limite sans la faire basculer dans le désespoir.

— Il y avait bien ce gars...

Ses paroles sont si basses que je les ai à peine entendues.

— Ce gars ?

Sarah triture ses doigts et ravage sa lèvre inférieure de ses dents.

— Il y avait un gars... Un gars qui était au lycée avec nous. Il... aimait vraiment bien Leila. Il insistait tout le temps pour l'aider, pour se mettre avec elle dans les groupes de travail... Et ensuite, quand on a quitté le lycée, il s'est mis à l'attendre devant sa boulangerie, à vouloir l'inviter au restaurant... Elle avait beau lui dire qu'elle avait un copain, il ne la lâchait pas. Et quand elle lui disait ça, justement, il s'emportait et se mettait à crier qu'il n'allait rien lui apporter de bon et que c'était un connard.

— Est-ce de ce garçon dont vous parliez à l'Ozone ? Une serveuse qui travaille là-bas m'a dit avoir entendu des amies de Leila parler d'un garçon et du fait que ça allait mal se finir si ça continuait comme ça.

— Oh, je ne m'en rappelle plus vraiment, mais oui, c'était certainement de lui dont on parlait.

— Quel est son nom ?

— Thomas Koch. Il travaille au garage à la sortie sud de la ville.

— Bien. Je te remercie Sarah, ce sera tout pour le moment. N'hésite pas à nous contacter si tu penses à un détail qui pourrait nous intéresser.

— Oui monsieur...

Je me lève, prêt à la raccompagner dehors, mais elle ne bouge pas. Étonné, je me tourne vers elle et la vois tête baissée, les yeux rivés sur ces baskets.

— Sarah ?

La concernée ne lève pas le regard et serre fort ses poings entre ses genoux. Puis elle prend la parole, d'une voix brisée par l'émotion.

— Vous savez... Vous savez si elle a beaucoup souffert ?

Je me fige. En quinze ans de métier, j'ai l'habitude d'entendre l'entourage de la victime poser cette question. Et je le comprends, au fond, ce besoin viscéral de savoir si la personne aimée a subi une mort violente ou non, ce besoin de rechercher le moindre petit détail, même infime, qui permettrait d'alléger sa peine. La certitude que la victime est morte sur le coup, sans voir la chose arriver, est un triste soulagement pour ses proches. D'un autre côté, que dire lorsque ce n'est pas le cas ? Lorsque vous avez devant vous des gens qui vous supplient de leur dire ce qu'ils veulent entendre et que vous pouvez briser à la moindre phrase de travers ? Pourquoi prendre le risque de poser cette question quasi-masochiste qui pourrait annihiler leur dernière étincelle d'espoir ?

Je l'ignore. Mais je ne peux définitivement pas briser la gamine qui me fait face, avec ses longs cheveux blonds tombant tristement sur ses yeux et son visage ravagé par la tristesse.

Alors, je lui adresse un petit sourire, le plus rassurant dont je suis capable.

— Ne t'en fais pas, elle n'a pas souffert.

Sarah renifle et je vois une larme couler le long de sa joue. Hochant calmement la tête, elle se lève pour me suivre hors du commissariat.

Je la regarde s'éloigner, frêle silhouette dont les contours évanescents sont brouillés par la pluie, et je me dis que cette gamine est bien courageuse. Les prochaines semaines vont être compliquées pour elle.

Pensif, je sens mon portable vibrer dans ma poche et le sors par réflexe, le regard toujours porté au loin. Pourtant, lorsque mes yeux glissent sur l'écran, mon cœur rate un battement et un juron sonore franchit mes lèvres.


De : Vic

Je débarque demain.



NDA : Et voilà, dernier chapitre de la semaine. Je vous posterai peut-être la suite dimanche soir mais tout dépend de l'heure à laquelle je rentre.

J'espère que l'histoire vous plaît, n'hésitez pas à donner votre avis, ça m'aide à y voir plus clair :)

Update : dans les prochains chapitres, le personnage de Thomas Koch porte le nom de Thomas Lavie. Je suis en train de progressivement tout corriger, mais c'est bien le même homme !

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