Plus de ténèbres

— Regarde, elle se réveille.

Je suis enveloppée dans quelque chose de chaud, de confortable. Je suis dans une phase entre le sommeil et le réveil, cependant je n'ai pas envie de la quitter. Je sais que si j'en sors, je devrais affronter de nouveau la vie. Pour le moment, je désire juste profiter du tissu doux apposé délicatement sur ma peau, de la sensation d'être encerclée dans de la sécurité. Seulement, plus je prends conscience de tout cela et plus la somnolence s'évapore.

Instinctivement, tandis que je perçois une voix pousser des exclamations d'étonnement, je fais battre mes cils, des fragments d'une vive lumière apparaissent, il me faut quelques instants pour m'y accommoder. Enfin, mes paupières sont grandes ouvertes et mes orbes sont fixés au plafond. Blanc. Comme les autres murs. Tout est très clair. Mon regard se baisse au niveau du drap qui me couvre et il est également blanc. La table où je suis allongée l'est aussi.

Je commence un rapide tour de la pièce, quand mes yeux atterrissent sur une personne assise à mon chevet. Je dirais une femme au vu de ses longs cheveux blonds. Grande et fine, musclée. Elle pourrait avoir l'allure d'une guerrière. Surtout si l'on s'attarde sur son visage. Pâle mais ravagé de cicatrices affreuses. Certaines paraissent récentes, alors que d'autres ont l'air d'avoir toujours été sur ses joues. De l'autre côté, il y a un jeune homme. Il est tout l'opposé de la blonde. Lui est brun, ses cheveux sont courts et très sombres, comme son regard. Il a un corps frêle et bronzé. Dans ses yeux, pétille une lueur de pur intérêt. Il me scrute, lèvres entrouvertes avec attention.

— Pouvez-vous parler, Madame ? me demande la blonde.

Je tourne ma tête vers elle et m'apprête à l'interroger sur notre localisation. Toutefois, aucun mot ne franchit la barrière qu'est ma bouche. Ma gorge est ardemment sèche et tout ce que j'essaie de prononcer se termine en une vive quinte de toux. Le jeunot se précipite dans un coin de la pièce et revient en deux temps trois mouvements avec un verre d'eau dans les mains. La blonde appuie sur une manette et l'avant de ma couchette se relève. Je suis donc maintenant en position assise et sûre d'être dans un hôpital.

— Tenez, buvez. L'eau chaude vous fera du bien, me dit le garçon.

Il approche le contenant et j'ai le réflexe de vouloir le prendre entre mes mains. Mais je m'aperçois que je suis attachée par des sangles et qu'il m'est impossible d'user de mes bras. Ignorant l'étape de la frustration, je fronce automatiquement les sourcils et la rage déforme mes traits à tel point qu'il recule d'un pas, stupéfait par ma vive réaction. Les mouvements de mon visage renforcent mon mal de crâne, mais je n'en ai cure pour le moment. Avant de réellement m'énerver, je me calme en une longue inspiration et accepte volontiers l'aide du brun qui fait doucement glisser le liquide dans mon organisme. Effectivement, le bienfait est instantané. Un raclement de gorge plus tard et je me sens apte à parler.

— Où suis-je ? Que s'est-il passé ?

Ma voix déraille, mais elle s'impose. Si je n'obtiens pas mes réponses, je les tue tous ; voilà ce que je sous-entends sur un ton sourd et rocailleux. 

— Oh, elle ne se souvient de rien, Marla ! Crois-tu qu'elle ait perdu la mémoire ? Ce ne serait pas étonnant.

Faux, je me souviens de ce prénom. Marla. Ce qui prouve que ma mémoire fonctionne encore.

— C'est vous qui m'avez trouvés après l'explosion, n'est-ce pas ?

Le garçon pivote vivement vers moi.

— Une explosion ! s'exclame t-il. Je comprends mieux votre état. On vous a recueilli près d'un Sanctuaire. Nous ne pensions pas que vous survivriez à vos blessures, mais vous avez finalement tenu le coup jusqu'ici.

Il entreprend de défaire mes liens et je le gratifie d'un regard bref. Puis, je questionne :

— Où est-ce, ici ?

— Nous nous trouvons dans le Complexe de Cränos.

La femme semble hésiter à continuer, mais elle finit par ajouter, tête baissée sans me regarder directement :

— Pendant que vous vous remettiez, l'hôpital a eu vent d'une explosion sur le territoire de la Résistance. Une équipe médicale y serait apparemment allée, mais n'aurait vu aucun survivant. Il paraîtrait même qu'une fortification entière aurait été détruite. Personne ne comprend ce qu'il s'est produit... J-Je présume que vous avez un lien avec cet incident.

— Pourquoi ? rétorqué-je, brutalement. N'ai-je plus le droit de me faire exploser le même jour qu'une base rebelle ?

Ils n'apprécient pas ma raillerie, surtout la femme qui prend un air offensif, mais je passe outre. Après la colère, je ressens désormais une fatigue immense qui pousse sur mes épaules pour m'endormir. Donc, je dois la combattre au plus vite. Je me redresse légèrement, mais me rassois aussitôt à cause de vertiges tumultueux. Le garçon se jette sur le verre et me redonne encore un peu d'eau. Il arbore une mine inquiète et ne me lâche pas une seconde. Dès que je bouge, ses yeux en font autant. Marla se détend en voyant le comportement de son homologue masculin et elle chuchote :

— J-Je ne vous accuse de rien, bien entendu. Mais,... Cränos est un endroit libre. Que vous soyez une rebelle ou que vous arriviez d'un autre système, vous n'avez rien à craindre.

— A Cränos, on ne juge pas, on soigne ! intervient le garçon pour imiter le slogan de l'hôpital.

Un silence s'installe durant lequel j'envisage de les assommer et de m'enfuir de cet endroit. Je connais parfaitement la politique de Cränos. Pratiquement toutes les planètes ont un hôpital de ce genre, suite au soulèvement de la Résistance lors du référendum pour la suppression des lieux neutres. Elle proclamait que tous les êtres humains avaient le droit à des soins, même payants. Après avoir incendié la moitié d'une Capitale, le projet de loi a été abandonné. L'établissement, de ce dont je me souviens, est à environ une quarantaine de kilomètres de l'Institut. Si je cours vite, je pourrais l'atteindre sans me faire capturer... Non, je secoue la tête en me moquant de ma propre suggestion : des rebelles ont dû se précipiter sur leur base calcinée en perdant le contact avec celle-ci, et sortir sans protection reviendrait à du suicide. Surtout dans mon état !

— Je m'appelle Kiran ! Et elle, c'est ma sœur. Marla. Nous sommes d'humbles sujets de la Couronne de Zergra. Nous vous avons sauvé la vie, pourrions-nous mériter une présentation de votre part ?

Je l'observe, interdite. D'abord, incrédule face à ses paroles courtoises, puis je réfléchis à sa nationalité qui ne me réjouit pas — mais ne me déplaît pas non plus. Même si je me répète qu'il est simplement innocent, je ne peux m'empêcher de le trouver idiot. Ils me suspectent visiblement d'avoir détruit la base rebelle, mais ce naïf garçon s'adresse à moi de ses manières les polies. Il devrait partir et me laisser à mes affaires ; mon regard le lui insinue, mais il ne capte pas l'évidence. C'est d'ailleurs ce que sa sœur doit penser, car elle réplique à la place :

— Je ne pense pas que cette jeune femme ait envie de se présenter, Kiran... Je vais aller chercher un médecin.

Sur ce, elle nous quitte, me laissant seule avec son petit frère dont les iris bruns sont braqués sur moi. Pitié, aidez-moi ! crié-je dans mon esprit. Il semble sur le point de me sauter dessus et m'attaquer de questions auxquelles je ne répondrais qu'avec un coup de poing dans la mâchoire. Toute mon aura le repousse, mais à nouveau il ne comprend pas. 

— Vous savez, commence Kiran, je vois bien que je vous mets mal à l'aise.

Pas du tout, je réplique en silence. Je le défie de mes yeux tempétueux, sans succès. Il reste hermétique à mon agressivité. Pourtant, je ne m'empêche pas de remarquer sa coupe de cheveux, coupe au bol et mèches ondulantes sur ses tempes, qui lui donne un air d'autant plus enfantin. Il est tout penaud et gigote nerveusement sur sa chaise, persistant dans sa lancée. 

— Cela doit bien faire une semaine qu'on vous a sauvée. Pas un jour, je n'ai cessé de vous veiller. C'est un peu comme si je vous connaissais depuis une éternité, mais que vous veniez juste de me rencontrer.

— Tu ne me connais pas, gamin ! affirmé-je sur un ton plus doux que je ne l'espérais. Tu n'as aucune idée de qui je peux bien être.

— Bien sûr que si, Madame !

Quel crétin, je me moque, mais ne le prononce pas. Sa bouche se transforme en une moue bougonne et il croise ses bras sur son torse. En fait, il est assez mignon si on l'observe bien, mais il ne m'inspire que la violence. Je ne fraternise pas avec les êtres débordant de candeur et qui me rappellent sans cesse que je ne dois sous aucun prétexte devenir comme eux. Son cerveau turbine ; il s'est écrié sans vraiment d'arguments, il en cherche.

— Je sais que vous êtes très forte. Autant mentalement que physiquement. Lorsque Marla vous a découverte et que j'ai vu toutes vos blessures, je n'en ai pas cru mes yeux. Une personne ordinaire aurait succombé bien avant qu'on vous ramène chez nous. Et puis, vous étiez tellement accrochée à la vie ! C'en était presque désarmant. Tous vos cris fendaient l'air, vous refusiez de trépasser, vous vous rebelliez contre la mort tel un Krush sauvage. Vous avez supporté nos soins avec beaucoup de courage. C'était si impressionnant et effrayant à la fois.

— Je suis née pour faire peur, soufflé-je en essayant de me placer plus correctement.

— Pas du tout ! contre t-il. Vous ressemblez à une des créatures de Yosek. Dans notre culture, ce sont des femmes à la beauté sur-dimensionnelle. Elles ne tombent amoureuses qu'une unique fois dans leur vie et se reproduisent peu, elles sont si rares. Ceux qui se marient à elles sont très chanceux. Comment pourriez-vous faire peur, alors que vous êtes si belle ?

Au final, je m'apprête à vraiment appeler à l'aide ! Plus il parle, plus il se rapproche de moi jusqu'à se pencher au-dessus de mon visage. Ses doigts pendent dans le vide, il me touche presque. Mes yeux le dissuadent. Je sers les poings, tandis qu'il ne s'éloigne pas. Il a l'air brûlant de...désir ? Je suis à deux doigts de lui envoyer mon poing à la figure. Quelle arrogance de présumer que je ne me défendrais pas face à son courage stupide ! Mais, je me contrôle. Après tout, il m'a quand même sauvé.

— J'ai prié dans votre sommeil. Vous n'êtes pas une partisane de la Couronne de Zergra, vous ne devez donc pas être très reconnaissante, mais j'ai exigé des déités que vous vous remettiez rapidement. Et vous voilà presque prête à vous lever. Ils n'auraient pas accordé ce vœu à n'importe qui, c'est pourquoi je suis persuadé que vous êtes une bonne personne.

Je m'emmure dans le mutisme. Je n'ai rien à redire. Qu'il croit ce qu'il veut. Kiran m'a tout l'air d'être un garçon influençable. Je plains la Couronne de Zergra de l'avoir comme sujet. Enfin, tant mieux ! Au moins, il n'est pas au service de la République. Ce serait pire ! Un bon à rien ne peut exister dans ma nation, il n'y a que des combattants féroces qui s'écartent des sentiments au profit de leurs objectifs. Un sourire mauvais s'installe sur mes lèvres, mais je le chasse par respect pour son secours. En guise de remerciement, je lui dois au moins de cacher mon dégoût pour lui.

 — Au fait, qu'avez-vous fait de mes affaires ? De ma sacoche ?

— Nous l'avons confiée au médecin, qui a apporté votre sacoche au directeur de Cränos. 

Bon sang, rendez-moi ma sacoche !

— Si ma sœur a raison pour l'explosion de la base rebelle, vous devez surement être en état de choc. Ce doit être une lourde perte pour la Résistance et pour vous-même. Je sens vos larmes sur le point de céder. Vous devriez pleurer vos compatriotes défunts, cela vous ferait le plus grand bien. Cependant, souvenez-vous que tout s'arrange. La Résistance ne se laissera pas abattre pour si peu.

Je grimace. Il n'a rien compris...

— Et c'est bien dommage ! conclus-je tandis que Marla revient, accompagnée d'un médecin.

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