Les ailes de la peur

En parcourant le tunnel, je trébuche souvent, je tombe presque et m'appuie contre la pierre. Je puise dans mes derniers retranchements. Mais je ne m'écroule pas. Je persiste à m'engouffrer sur ce chemin qui pourrait mener nulle part. Quoi qu'il m'en coûte. Une lumière attire mon attention. Mes yeux tiraillés par la fatigue fixent cette nouvelle lueur d'espoir. Je m'approche et un intérieur se dessine. Enfin, j'y suis parvenue ! Le soulagement s'empare de moi, tandis que je mets les pieds dans l'armurerie. Me contentant de sourire maladroitement, je repousse la joie qui souhaite me détourner de mon objectif et me concentre sur ce dernier.

Je sonde rapidement l'endroit. La pierre a laissé sa place à du métal, rouillé et mouillé par endroit, démontrant que cette zone n'est pas du tout entretenue. Une âcre senteur de pourri m'agresse les narines et je respire uniquement par la bouche pour ne pas régurgiter le contenu de mon estomac. De toute façon, il n'y a pas grand-chose à vomir. Je m'avance et atteins un couloir donnant sur un vaste hall duquel je compte trois étages. Le rez-de-chaussée où des bruits de machines se font entendre ; le second étage qui grouille de rebelles ; et puis, le premier. Là où je me situe. Je ne perçois pas de bruits par ici.

Mon instinct et ma raison me hurlent de concert que les biens de valeur ont été entreposés au deuxième étage, sinon il ne serait pas gardé avec une telle attention. Je profite de l'absence de rebelles autour de moi pour courir jusqu'à l'escalier et monte, puis me cache derrière un pilier en scrutant les dédales. Ils défilent à cinq le long du hall. J'attends qu'ils soient suffisamment loin pour m'élancer dans le couloir le plus proche de ma position. Aussitôt, je me jette dans une pièce qui me parait vide en un coup d'œil pour éviter des hommes qui arrivaient face à moi. Je ne ferme pas la porte pour ne pas éveiller leur soupçon et me colle au mur, rentrant par réflexe le ventre. Je maîtrise ma respiration.

Une fois qu'ils ont quitté le couloir, je m'y rue à nouveau. Je trottine sans produire le moindre martèlement sur le sol métallique et débouche dans une pièce de taille moyenne. J'y discerne tout de suite une partie des armures. Je n'aperçois que des brassards, des genouillères et des ceinturons. Je saisis un trio rougeâtre, selon mes goûts. Par la suite, je ne reste pas et cherche une nouvelle salle. Mieux vaut ne perdre aucune seconde. Cet entrepôt semble immense et labyrinthique, mais il possède l'avantage du silence. De ce fait, je peux me repérer aux sons. Les rebelles se sont postés aux entrées ou aux points stratégiques, ils patrouillent à l'intérieur. Ils ne viennent pas de mon côté, parce qu'ils ne s'attendent pas à ce qu'une personne soit déjà arrivée au butin. 

Un peu plus loin, je dégote tous les hauts. Un d'entre eux me plaît particulièrement, sans manche, une simple tunique, également rouge et en cuir dur, résistant. Je tente de planter une dague au travers, mais je ne réussis qu'à l'entailler en forçant. J'aime ! J'en saisis un autre en parfait état, puis je pivote vers les vestes et en dérobe une assortie, longue, à mi-cuisse. Je les enfile vivement, enlevant mes vêtements de mercenaire. La tenue me moule et se centre à la taille. Le tissu se fond sur mon corps. La veste me permet d'exécuter n'importe quel type de mouvement, très souple et flexible. Priam sera satisfait.

Je m'étonne de la qualité des matériaux. Les rebelles accordent une grande importance à leurs armures, malgré leur apparence plutôt désordonnée. Désormais, il ne me manque que le bas. J'en vole un dans la pièce adjacente. Je le choisis serré, en matière étanche et extensible. Je pousse ensuite une porte et déniche des bottes. J'attrape une paire et les essaie promptement. Parfaites ! Je les revêts avec le pantalon. Inutile de m'observer dans un miroir pour savoir que cette armure simple, efficace et légère me sied comme un gant. Entièrement équipée en termes de vêtements, je dois localiser les armes. 

Dans le couloir jouxtant celui où je me tiens, j'entends des cris et des tirs qui se taisent bientôt. Je me fige et tends l'oreille. A priori, un concurrent s'est faufilé jusqu'ici pour être tué à quelques mètres des armures. Tant pis pour lui. Cependant, les rebelles décident de venir vers moi pour vérifier les alentours. Je me cache derechef dans la salle des bottes et prie pour qu'ils ne fouillent pas tout le bâtiment. La demi-douzaine d'hommes ricanent du sort tragique du républicain et retournent à leur patrouille. Ni une, ni deux, je cours dans le dédale le plus long. Généralement, si une salle est éloignée, ce qu'elle contient de la valeur. 

Je pousse la dernière porte en fer qui grince. Je me pétrifie une minute, mais nul ne m'encercle ou n'a même eu conscience de ma présence. Je découvre des dizaines et dizaines d'épées. Une à une, j'admire ces trésors. Je remarque une arme tranchante à souhait, ornée d'un onyx sur le pommeau, un manche en paracorde et constituée d'une seule lame d'acier où des écritures étrangères sont gravées. Je ne comprends pas les mots, mais ce style me plait. Elle est très maniable et d'une longueur convenable, et est accompagnée de deux couteaux de lancer. Je les dissimule dans mes nouvelles bottes et adopte l'épée. Je la range dans son étui, au préalable attaché à ma taille.

Réjouie de mes trouvailles, je m'apprête à partir, quand j'entends des voix se rapprocher de moi. Pour le moment, les rebelles ne m'ont guère surprise et je compte bien tenir cet objectif jusqu'à ce que je sois revenue à l'Institut. Je patiente quelques secondes, mais ils demeurent immobiles. Curieuse de ce que ces vermines se racontent,  je me colle à la paroi métallique derrière laquelle ils piaillent et des bribes de leur conversation me parviennent.

— ....infernales ! Deux apprentis Santarian ont été capturés en l'espace d'une heure ! râle un homme à la voix aiguë et ridiculement courroucée.

— Combien depuis avant-hier, au total ? questionne un autre qui a l'air plus tempéré.

— Une douzaine. Enfermés dans les geôles ! Ils affirment tous qu'ils ne sont pas des apprentis, mais de simples voleurs sans intérêt, répond le troisième. Une flopée a été abattue en tentant de pénétrer dans l'armurerie. Nous surveillons attentivement les alentours et aucun n'a réussi à entrer.

Ah bon ? Pourtant, un candidat a été abattu tout à l'heure dans vos murs. Pourtant, je vous écoute. Je suis juste derrière vous, bande de crétins, songé-je, hilare. Apparemment, je me débrouille très bien. Suis-je la seule à passer inaperçue ou d'autres sont-ils entrés sans que ces mécréants ne les remarquent ? 

— Quand leur session d'entraînement ici se terminera-t-elle ? se lamente le premier.

— Dès demain, nous ne les croiserons plus. Jusqu'à l'année prochaine.

— Cela suffit ! vocifère soudainement le rebelle. 

Je sursaute, ne pensant pas qu'il braillerait tel un animal en colère. Cet homme haït réellement les concurrents. Ou déteste-t-il tous les gens de ma nation, de manière générale ? Sûrement les deux. Je le comprends en un sens. Défendre une armurerie qui est traitée comme un terrain de jeu par les Seigneurs, éliminer un maximum de futurs disciples, mais incapables de tous les exterminer. Si le Conseil n'avait plus personne à nommer Ravageur, le Président abandonnerait définitivement l'Ordre. Sans eux, Santaria deviendrait plus faible et vulnérable. Même avec une si puissante armée, elle s'autodétruirait dans sa folie des conquêtes. La Résistance est frustrée. S'ils parvenaient à abattre tous les républicains, ils gagneraient plus vite cette guerre. C'est pourquoi l'homme continue de cracher sa fureur :

— Les Santarian s'amusent, ils se moquent de nous ! Ils envoient leurs apprentis sur nos terres ! Comme si les frontières ne représentaient rien du tout ! Il faut un moyen de les stopper. Chaque année, ils reviennent, ils agissent à leur guise. Inadmissible ! Ils se sentent forts en ressortant de nos murs. Ils triomphent, car ils se convainquent de leur supériorité. Le Maréchal tolère leur comportement immonde !

Il termine sa tirade en tapant brutalement contre une paroi du couloir. J'en ai froid dans le dos. Tant de colère l'anime. Tant de haine. Il me rappelle moi-même. Je saisis tout à fait la nature de sa rage. Si leur cher Maréchal ne restait pas aussi passif face à nous, la Rébellion aurait déjà vaincu depuis longtemps. Je pensais la conversation finie, mais le plus pondéré argumente d'une petite voix.

— Le Maréchal ne réplique pas, car il a sa raison. Ne la conteste pas. La Résistance vivra, si le Maréchal est soutenu.

Un nouveau silence s'installe. Je présume que le colérique réfléchit à ces mots. Je suis d'accord. Une nation surmonte tous les obstacles à condition de consolider le gouvernement avec un chef engagé, suivi, robuste et résolu aux sacrifices. Un véritable meneur. Toutefois, quelqu'un interrompt les rebelles et exclame des paroles bégayées, après avoir salué ses camarades. Dans la noirceur des couloirs, je ne bouge pas d'un centimètre.

— E-Etes-vous allés dans l'aile gauche ces derniers jours ? Ceux qui s'y sont aventurés prétendent que les créatures s'agitent ! Certains proposent une pétition pour faire en sorte que le Maréchal nous prenne au sérieux et nous autorise enfin à les liquider une bonne fois pour toutes !

— Nous en discutons de plus en plus. L'unique moyen de les détruire serait de pénétrer en plein cœur de leur tanière et lâcher des bombes. Personne ne s'est porté volontaire. C'est beaucoup trop dangereux. En fait..., un de nos camarades de patrouille en avait assez et il a tenté le coup. 

— Est-il vivant ? 

— Il est revenu, oui. Mais, ses jambes avaient été digérées par ces choses ! 

— C'est une catastrophe ! pleurniche le dernier arrivé. Et si elles sortent de l'aile gauche, hein ?! Il faut les supprimer ! Le destin de cette fichue armurerie ne tient plus qu'à un fil, ces choses ne tarderont pas à nous dévorer et j'ai une famille à nourrir, bon sang ! 

— Demande une réaffectation.  Tu t'en sortirais mieux sur le front qu'ici !

— Tu as raison et je l'ai déjà demandé, mais elle sera refusée. Je le sens. Le Maréchal s'en fiche !

— En effet, chuchote le frustré. Cette base ne sert plus à rien et le Maréchal l'a compris. Il ne nous aidera plus.

Le rebelle est complètement dépité par sa conclusion, il vient de réaliser le pétrin dans lequel ils sont fourrés et sa désillusion l'anéantit. Le chagrin se perçoit dans ses paroles et dans sa voix chevrotante. Pour les effrayer autant, ces créatures doivent être monstrueuses et sauvages. A leur place, nous les aurions domestiquées afin de les utiliser en chiens de garde, mais ces résistants n'explorent pas assez les voies du danger. Ils se cantonnent à repousser autant que possible ces bêtes sans apprendre à les cerner. N'importe quelle chose dans cet univers peut être domptée. Il faut trouver un moyen. Ou du courage pour les faire exploser !

—  Envoyez-lui un rapport et racontez-lui nos difficultés. Peut-être que le Maréchal se rendra compte de notre détresse et changera d'avis ! murmure le paniqué. 

— Non, je ne crois pas. Faisons-le si ça peut te détendre, mais n'y porte pas trop d'espoir. Il ne nous sauvera pas. Je quitterai cette armurerie maudite. Avant d'y crever ! Ce poste ne nous apportera que des ennuis. 

— Tu ne peux pas ! La base doit être gardée ! D'autres prendront la relève, c'est tout.  

Ils me peineraient presque. Il doute encore, mais la question ne se pose plus. Soit il part, soit il terminera dans le ventre d'une de ces bêtes ou gisant parmi les victimes de la République. A cet instant, des bruits de pas résonnent. Ils s'en vont. Qu'ils fuient l'armurerie ! Leur abandon toucherait grandement leur réputation de tête-brûlée. Qu'ils se ridiculisent eux-mêmes. Les rebelles se laissent submergés par la peur. Elle les dévore. Les précepteurs enseignent aux jeunes républicains ce qu'est la souffrance et l'effroi pour qu'ils ne la subissent jamais. Voilà pourquoi j'ai confiance en mon camp. Nous grandissons avec la hargne de survivre. Pour l'éternité.

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