Le tombeau d'Aerin La-rar
La cavité ne me dit rien qui vaille, mais vous commencez à me connaître. Entre ma curiosité et le mystère qui entoure cet endroit, je ne résiste pas longtemps. En premier lieu, je teste mes jambes. A priori, elles soutiennent plutôt bien mon corps. Tout en réprimant le tiraillement de mon ventre, je me rapproche à petits pas de ce renforcement et remarque qu'il ne s'agit pas d'une simple crevasse dans le sol, mais que des marches en pierre taillées par l'homme mènent quelqu'un part dans les ténèbres. Elles descendent si bas que je n'en distingue pas le bout. Un souffle d'air me parvient des profondeurs, comme un susurre, une douce voix qui m'appelle. Cette mélodie me séduit et je n'aspire qu'à joindre l'inconnu.
Happée par cette anomalie singulière, je m'introduis de plus en plus sous terre, à pas de loup et l'allure hasardeuse. Je m'agrippe aux parois naturelles et évite de glisser, la pierre étant humide. Après quelques mètres, elle disparaît, je n'ai donc plus rien pour m'accrocher. Je continue. De temps en temps, je manque une marche, mais je parviens toujours à me rattraper avant de chuter. Si je venais à tomber, cela pourrait me coûter cher. Possiblement la vie. Bien que ma conscience envisage tous les dangers et que cette grotte pleine de noirceur m'angoisse quelque peu, la voix m'attire tellement que je désobéis à ma raison.
J'ai l'impression de descendre ces fichues marches pendant une éternité et quand je n'en sens plus sous mes bottes, je fais quelques pas et mes muscles se décontractent enfin. Là, en bas, ni odeur, ni son ne trahit le calme ambiant. L'air ne caresse plus ma peau. Ai-je atterri dans le gouffre du diable ? Je ne peux me tenir à rien et je me rends enfin compte d'un détail inquiétant : je me suis trop éloignée des escaliers en tournant sur moi-même que je ne sais plus où ils se trouvent. Désorientée. Seule. Une anxiété pointe au fond de mon ventre, comme une rengaine que je n'avais plus rencontrée depuis si longtemps. Je sais qu'elle provient de cette atmosphère étrange qui m'ensorcelle.
J'inspire et expire. La peur ne doit pas me retenir. La peur ne doit pas me contraindre. La peur doit être une alliée, et non une ennemie. Par instinct, mon poing se referme sur le pommeau de mon épée. Au moindre bruit, je suis prête à dégainer. Alors que j'avance, mon souffle s'accélère. C'est la peur. Mais, je ne crains pas cet endroit. J'ai peur, car mon âme est apaisée. Pour la première fois de ma vie, je ne subis pas de migraine, je ne tue personne, aucun sang ne coule sur mes mains coupables ; je suis juste moi, ici, et maintenant. Ai-je connu une paix semblable à celle-ci auparavant ? Jamais. J'ai peur, parce que je n'ai pas peur.
Cela ne me ressemble pas du tout. Cet endroit change mon être profond. Je ne veux pas de cette paix. Je la refuse ! Tout en me battant avec la sérénité dans mon cœur et cette tranquillité qui s'impose à mes pensées colériques, j'essaie de rebrousser chemin, cherchant les escaliers. Je panique. Et pourtant, je ressens un calme absolu au sein même de mon âme, comme si deux personnes vivaient à l'intérieur de moi, l'ange et le démon. Mais, c'est le démon que j'ai toujours choisi. Fracassant le silence, les murmures recommencent. Un vent se lève et me pousse fortement vers une direction précise. Je pénètre dans une longue allée d'où une lumière transperce l'obscurité. La curiosité est vraiment le pire des défauts, pesté-je, mentalement.
— Ce n'était pas trop tôt !
Mon exclamation soulagée fait écho à ce que je vois : des traces de civilisation et ces chuchotements qui s'effacent. Je me tiens droite dans une caverne à la taille colossale. Un étroit chemin où le vide menace de part et d'autre conduit jusqu'à une immense statue. Je traverse avec prudence et ne m'approche pas davantage, sur la défensive. Le bronze représente une femme à la chevelure volumineuse qui ondule quasiment sous ses genoux, vêtue d'une armure très épaisse et recouvrant tout son corps, lui offrant un air peu aimable. Je remarque aussi une noble lame à sa main droite. Sculptées avec une grande précision, je discerne des armoiries que je reconnais sans peine. Celles des Conquérantes. A ses pieds, gît une forme humanoïde et avachie.
Je me tourne vers l'objet dans le coin qui émet de la lumière. Il s'agit d'un cristal de couleur argentée qui brille de mille éclats. Il est éblouissant. Je n'avais jamais contemplé une telle merveille. J'hésite à le dérober. Toute cette situation ne m'inspire pas confiance. Je me concentre derechef sur la forme allongée en-dessous de la Conquérante. Plus je m'aventure dans la salle et plus je comprends que c'est un homme et un homme vivant, enveloppé dans une cape qui arbore une couleur similaire au bronze.
Je me fige sur place, le poing refermé sur le pommeau de l'épée. Cet homme dispose de matériels basiques de survie. C'est-à-dire, de nombreux copeaux de bois, de quoi les transformer en flammes ardentes, un approvisionnement de nourritures, plusieurs habits, des tas de couvertures et des manuscrits. Un ermite aurait-il élu domicile dans ce lieu lugubre ? Je me demande aussitôt s'il a été attiré ici par un enfant et par les voix enchanteresses comme moi, ou s'il est au courant de quoi que ce soit à propos de cet endroit.
J'aurais bien cogité longuement sur cet événement inattendu et établi des hypothèses sur ce qu'il se passe dans cette cavité. J'aurais aussi préféré un plan de repli. Seulement, l'homme ouvre les yeux. Brusquement. Et tout de suite, il les braque sur moi. Très vite, plus bref qu'un éclair, il saute sur ses pieds et fonce sur moi, une hache pointée sous ma gorge et le regard menaçant. Il observe sous mon capuchon et fait glisser son arme contre mon menton, m'obligeant à lever la tête.
— Pourquoi une femme entrerait-elle dans ce domaine sacré ? interroge-t-il avec un ton bourru et empressé.
Sa voix est cassée, habituée à ne plus être utilisée. Il ne doit pas recevoir de visiteurs tous les jours. De plus, sa barbe proéminente confirme ma théorie. Aucune hygiène. S'il vivait avec quelqu'un ici, il prendrait un minimum soin de son apparence et il y aurait plus de vivres. Je présume que nous ne sommes que tous les deux, ce qui me rassure. Au moins, je ne me confronte pas à un groupe de pirates cachés sous terre ; oui, j'ai fait l'expérience d'un combat avec ce genre de personnes... Je me rappelle encore de leur attaque surprise. Peu importe. L'homme se détend, ne redoutant probablement pas une femme. Il baisse finalement son arme sans que je n'aie eu à piper mot.
— Vous êtes-vous égarée ? ajoute-t-il, en jetant la hache au sol, qui rebondit bruyamment. De temps à autre, de pauvres voyageurs dévient leur route et débarquent dans cet abîme sans s'en être aperçus. Ou une pilleuse, peut-être ? Ces gens-là ne ressortent pas d'ici. Du moins, pas vivants.
— Je ne me suis pas perdue. J'ai volontairement mis les pieds ici, mais il est vrai que des voix m'ont forcé la main. Une explication à me donner ?
Il se méfie à nouveau et lance des coups d'œil indiscrets à sa hache. Promptement pour qu'il ne puisse pas me contrer, je me débarrasse de ma cape et saisis mon épée. J'échange nos positions et me retrouve dos à la statue. Toutes ses armes se trouvent derrière moi.
— Qui êtes-vous ? Répondez-moi ou je risque de me fâcher. Et vous n'aimeriez pas ça.
L'ermite soupire plusieurs fois, sans daigner me répondre. Cela ne me plaît pas. Je dresse mon arme contre lui et il se crispe.
— Eh oui ! Moi aussi, je peux vous menacer ! Maintenant, parlez !
Je colle davantage la pointe de l'épée sur son torse et il coopère, résigné.
— Cade La-rar. Satisfaite ?
Je hoche négativement la tête et pointe la cavité d'un geste circulaire du doigt.
— Parlez un peu plus et je serai satisfaite !
— Vous vous êtes engouffrée dans le tombeau d'Aerin La-rar et voici les derniers vestiges de son ère glorieuse. Étrangère qui pénètre ainsi dans ce lieu sacré, soyez certaine de provoquer la fureur de la superbe Aerin.
Mes lèvres se plissent et je m'efforce de ne pas rire. L'ermite me fait penser à un ancien charlatan de Kapleeen avec qui je conversais fréquemment et qui m'avait enseignée l'art de la manipulation. Je note une différence de taille entre eux ; l'un mentait à la perfection, l'autre non. Il veut m'effrayer. Quel idiot ! Les menaces ne fonctionnent pas sur moi et il le comprendra bientôt.
— Si nous nous trouvons dans son tombeau, comment m'atteindrait-elle ? Son fantôme ? Voilà des années que je ne crois plus en ces superstitions ! Le but d'un tombeau est de garder le cadavre d'un mort. N'est-ce pas ? Mais, c'est vous qui semblez le surveiller. Tel un protecteur ! Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous pour Aerin La-rar ? Je ne me répéterai pas !
Son visage s'assombrit, visiblement pas enchanté par ma réplique. Cade La-rar. Son époux, son frère ou un membre plus récent de sa famille ? J'opterai pour la troisième hypothèse. En fait, les Conquérantes ont cessé d'exister décennie après décennie. Cette Ordre féminin servait à localiser et exploiter de nouvelles terres en dénichant des planètes. Si Aerin est enterrée sur Draark, alors elle a participé à sa découverte. Cet homme anticipe déjà mon raisonnement. Il tire une tête de six pieds de long et je m'en amuse grandement. Il espère sûrement se battre avec moi, mais ne peut attraper une arme à temps.
— Votre défunte ancêtre ? questionné-je, et il rétorque par un son guttural d'affirmation. L'estimiez-vous au point de vivre si proche de sa tombe ? Ou est-ce une question d'héritage familial à respecter ?
— Aerin fut la plus splendide Conquérante que Draark n'ait jamais connue ! tonne-t-il, d'humeur massacrante.
Une Conquérante. Ces guerrières surdouées qui ne travaillaient pour le compte de personne. Ni du côté de la République, ni de la Rébellion, ni d'aucun autre régime politique. Elles demeuraient neutres et cela ne réjouissait pas les gouvernements. Elles ralliaient beaucoup trop de partisans à leur cause : la liberté totale. Les dirigeants commandèrent leur exécution. Plus aucune ne respire encore à ce jour, éteintes à jamais, perdues dans l'histoire de notre univers. Leurs descendants parcourent les galaxies, se dissimulant, oubliant l'ascendance qui coule dans leurs veines. En revanche, je n'ai guère entendu parler de cette Aerin La-rar. Je doute qu'elle soit si magnifique qu'il le prétend, mais les ossements d'une femme de cet Ordre valent bien un ou deux lingots d'or.
— Ses saintes reliques resteront inviolées ! s'écrie-t-il, suivant mon cheminement, outré. J'y ai veillé toutes ces années ! Songez une seconde à les voler et je vous couperai en morceau !
— Une menace ? Tiens, c'est nouveau ! raillé-je. Je félicite votre loyauté, Cade La-rar. Mais, n'êtes-vous pas celui avec l'arme sous la gorge ?
Je fais mine de me retourner et l'entend respirer profondément, soulagé. Le laisser en vie, je le pourrais, mais il me poursuivra à vie si je dérobe les reliques de son ancêtre. Je décide de le libérer de sa tâche qu'il s'est efforcé d'accomplir, lui ôtant ses chaines invisibles. D'une frappe horizontale et énergique, je lui lacère une de ses jambes, taillade l'autre, puis tranche sa jugulaire. L'effroi dansant dans ses iris, il s'écroule, répandant son sang visqueux sur la pierre. Contrairement à lui, ma menace était sincère.
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