Le nouvel équipement
Nous atteignons très vite le cœur de la ville, c'est-à-dire là où les étals marchands laissent leur place à toute la débauche et au goût du luxe dont les Santarian sont capables. Érigés sur plusieurs étages, des bâtiments en ferrailles, semblables à toutes les infrastructures républicaines, sont contrôlés soit par des malfrats sans grande importance qui se contentent de semer le trouble parmi le bas peuple, soit par de véritables barons du crime qu'il faut à tout prix éviter, puisqu'ils bénéficient de la protection sous-jacente du Président.
La plupart des habitants sont au courant et contournent cette zone-ci, ou bien ils font preuve d'une prudence toute particulière en mettant les pieds dans ces quartiers chauds. Les meurtres barbares et les vols sournois s'enchaînent toutes les semaines, et ce sans la moindre réprimande.
Cela ne m'étonne pas du tout que Thorrak m'amène ici. Je suis pratiquement à mon aise dans cet environnement, il me rappelle la planète terrifiante où j'ai grandi. De ce que je vois de Draark, je peux aisément affirmer que Kapleeen est plus dangereuse et vicieuse. Rien ne peut m'effrayer et il s'en rend compte par lui-même en me jetant quelques regards à la dérobée qu'il pense discrets. Il essaie probablement de jauger mon taux de stress, mais mon calme olympien le fait froncer les sourcils. Je l'entends d'ailleurs pester, lorsqu'un homme bien éméché fonce sur moi dans le but de rassasier ses pulsions perverses et que je lui décoche ma plus belle droite, avançant comme si cet assaut brusque ne m'avait aucunement ébranlée.
— Tu viens ?
Je lui demande, alors qu'il s'est arrêté entre moi et cet homme ivre.
— Est-ce vrai ? Les rumeurs sur toi ?
— Il y a des rumeurs sur moi ? rétorqué-je. Tant que ça ? Je ne sais pas de quoi tu parles. Je te signale que je suis à peine revenue de Cränos et le Seigneur Gareli m'a immédiatement convoquée.
Il s'approche et se positionne très près de moi, si bien que je dois lever le menton pour me confronter à son regard d'acier.
— Il se dit que tu es une vulgaire traînée ayant réussi à obtenir les faveurs du Colonel Priam en...jouant de tes atouts physiques. Il se dit aussi que tu l'as ensorcelé afin qu'il t'ouvre les portes de l'Institut. Si tel est le cas, je m'interroge sur comment tu es restée vivante aussi longtemps.
Il constate le désordre tempétueux dans mes orbes, mais je le dissimule rapidement au plus profond de moi et retrouve un regard fermé qui ne laisse rien transparaître. Ce qu'il raconte me dégoûte et je me retiens de lui en coller une.
— Priam est un ami de la famille. Tu sais, Thorrak, la famille que tu as assassinée. Mais, je suppose que cela ne t'intéresse guère, pas plus que mon passé. Néanmoins, puisque tu poses la question, j'étais et je suis une mercenaire, pas une prostituée, et je suis extrêmement douée dans mon domaine. C'est dans mon sang, après tout.
Thorrak pouffe. J'ai usé de son nom, mais il ne relève pas.
— Que ta mère ait été une Ravageuse ne fait pas de toi une tueuse née. En plus, elle était plutôt mauvaise. J'étais jeune à l'époque, je commençais ma carrière et pourtant je n'ai pas eu de difficulté à l'abattre.
Après cet échange, il continue de marcher et me bouscule au passage. Je souris, mais il s'agit d'un sourire de frustration. Je m'empêche au dernier moment de taper dans un débris et je serre les poings pour absorber ma colère. Je suis parfaitement consciente que je ne tiendrai pas sur le long terme s'il persiste à m'irriter de la sorte, mais je le suis sans causer d'ennui. Pour me réconforter, je m'invente une douce histoire dans laquelle je suis enfin une Ravageuse et le Seigneur se lasse de son bras droit, m'ordonnant de le tuer. Je le torture de la manière la plus interminable et douloureuse, il finit par m'implorer de cesser mes tourments. Je me penche au-dessus de lui et lui plante une dague dans l'abdomen.
— Qu'est-ce que tu fiches ? Dépêche-toi ! hurle-t-il.
Son braillement attire l'attention de tous les saouls et les gangsters du coin, ce qui m'oblige à me concentrer sur Thorrak et ne surtout pas leur accorder un regard. Ces hommes sont des prédateurs. Si je me tourne vers eux, il y a de fortes chances qu'ils engagent un combat et je ne suis vraiment pas d'humeur. Je presse donc le pas et le rattrape, me sentant épiée de tous les côtés. Satisfait, il se dirige vers une enseigne que je ne connais pas. Le néon est tellement éblouissant que je peine à lire le nom. J'espère qu'il ne nous conduit pas dans la tanière aux loups, parce que je n'ai pas envie de m'amuser ce soir.
— Thorrak ! Je n'imaginais pas te revoir de sitôt ! Tu as déjà bousillé ton équipement ?
— On peut dire ça.
Il sort de sa manche un couteau presque coupé en deux et un revolver brûlé de sa veste.
— Il me faut aussi un kit pour elle !
Il me pointe de la tête et je soupire à ces piètres présentations. Je fais un signe de main à l'homme à qui appartient l'échoppe et il me répond par un sourire qui sert de salutation. Lui, au moins, il est poli.
— Depuis quand as-tu besoin d'une partenaire ?
— Crois-moi, je n'en avais pas besoin !
Le marchand rigole à plein poumon ; il est probablement habitué au sarcasme de Thorrak si ce dernier est un client régulier et il passe facilement outre. Il se colle à lui et chuchote à son oreille assez fort pour que je perçoive ses mots :
— Est-ce que je lui fournis du bon matériel ou est-ce que le but est de la perdre en chemin ?
Thorrak me regarde sans expression.
— Sois le destin, choisis à ma place.
— Dans ce cas, s'exclame le marchand, je prépare le meilleur du meilleur ! Ce serait dommage de gaspiller un jeune talent. Tu es d'accord, Thorrak ?
Celui-ci hausse les épaules et n'est absolument pas intéressé par le marchand. Il s'assoit sur table plus loin et examine chaque arme posée dessus. L'homme au large rictus m'attrape gentiment le bras et me tire dans l'arrière-boutique. C'est à cet instant que je m'aperçois avec consternation que je suis encore pied nue et sans manteau. J'essuie nonchalamment le sable qui tombe sur son sol et il grimace, mais ne m'en empêche pas. Pendant la demi-heure suivante, je fais face à un défilé de vêtements qui me rendent tous de marbre. J'ai beau lui répéter que je m'en moque, il insiste pour que je reparte avec ma tenue préférée.
— Une dame doit être bien apprêtée si elle veut s'emparer des cœurs !
— Je ne suis pas une dame, grogné-je et Thorrak glousse dans mon dos. Et je ne veux pas m'emparer des cœurs, j'ai autre chose à faire !
— Vous emparer des cœurs pour les détruire ensuite ! persiste-t-il.
— Bien ! m'écrié-je, de plus en plus incommodée par la tournure de cette soirée. Vous n'avez qu'à me soumettre vos pièces maîtresses et je jugerai de leur qualité.
Tout content, le marchand court dans tous les sens et soulève de nombreuses piles. Il m'apporte une tenue complète et ses revolvers les plus coûteux. J'en identifie quelques-uns et m'interroge sur leur provenance. Certains ont été créés dans des galaxies éloignées et il n'est pas plausible qu'il les ait simplement importés ici. Soit il les a volés à des étrangers, soit ses clients les ont troqués pour d'autres pièces. Il n'est pas rare que les échoppes fonctionnent sur ce principe d'échange.
— Je les prends !
En fait, ils ne me plaisent pas réellement, j'ai mal aux jambes à force de me tenir debout devant lui et j'aimerais quitter cet endroit au plus vite, ayant hâte que Thorrak m'explique notre mission. Le marchand, ravi, sautille et me laisse enfin seule pour s'occuper de l'assassin. Je me cache derrière une sorte de paravent métallique et me déshabille entièrement. J'enfile un bas et un haut fabriqués dans une matière similaire, un cuir moins résistant que le silka, mais qui fera l'affaire. Il est dix fois mieux que le tissu que je portais avant.
Je n'oublie pas les épaulettes sombres aux arabesques étranges qui élargissent le haut de mon buste et me procure une aura plus militaire et sérieuse. Par la suite, je revêts la longue veste bicolore qui m'arrive en dessous des genoux ; le flanc gauche est d'un rouge sobre, agréable et strié, le droit est tout de noir. En me retournant, je remarque le dernier élément de cette tenue. Des bottes simples, sans talons. Dès que je les mets, j'ai une impression de légèreté et d'agilité. Elles ne pèsent pas grand-chose, mais ont l'air robuste et efficace. Les bouts sont renforcés pour permettre des coups forts. Elles ne ressemblent en rien à celles de Thorrak, mais je les apprécie déjà.
— Nous n'avons pas toute la nuit ! J'ai bientôt un rendez-vous, bouge !
Je lâche un discret soupir et ne réplique pas. Qu'il apprenne la patience ! Je saisis la première arme sur la table du fond. Une épée avec son fourreau et le ceinturon qui convient. Je l'empoigne et la fais tourner dans mes mains. A mieux l'analyser, je note que c'est un sabre, fin et au long manche. Convaincue par son aspect pratique, je l'attache immédiatement à mes hanches et observe la seconde partie de mon équipement. Un pistolet à gros canon, mais transportable de par sa légèreté. Je le coince à l'opposée de la lame.
— C'est bon, j'ai terminé !
Je suis apparemment différente à leurs yeux, puisque Thorrak hoche la tête en applaudissant non pas mon allure de guerrière mais le travail du marchand, et ce dernier pétille de joie. Je le calme tout de suite en l'ignorant et en scrutant le nouvel équipement de l'assassin. Il a eu droit à un revolver lourd, mais très ergonomique. L'utilisation est grandement facilitée par la prise sur le manche. Il possède également une deuxième arme à feu qui ne lance pas de balles. C'est un canon à impulsion électro-magnétique. Insuffisant pour tuer, mais avantageux pour assommer l'ennemi en moins d'une seconde. J'affiche une mine surprise, car je m'attendais à plus, à de l'artillerie digne de répandre le sang et le chaos.
— Tu comprendras que, dans certaines situations, il vaut mieux que ton adversaire ne meurt pas. Ce peut être pour des raisons politiques, pour t'en servir d'otage ou pour l'interroger. Il est plus intéressant de l'endormir que de gâcher un temps précieux à se battre et le blesser.
Pour la première fois, il ne s'exprime pas pour me rabaisser, mais pour m'exposer son point de vue. J'opine du chef et poursuis mon inspection. Il détient deux armes supplémentaires aux bras. A son poignet droit, il porte un gantelet où sont fixés quatre couteaux de lancer ; à son avant-bras gauche, une gaine est rattachée par deux tubes à un réservoir accroché sous son épaule. Je distingue une ouverture sur cette étrange gaine et il me faut une bonne minute pour mettre un mot sur cet équipement. Un lance-flammes portatif. J'en suis jalouse.
— Tu ne sembles pas très familière avec cette technologie, commente le marchand. Regarde, c'est un véritable bijou ! Le réservoir se renouvelle instantanément à chaque fois qu'il se vide trop. Il filtre l'oxygène et là, cette chambre transforme les particules pour les rendre inflammables. Dès que Thorrak actionne le mécanisme, le gaz voyage à travers les deux tubes et passe par cette ouverture qui engendre une brève flamme. La gaine au poignet assure que la peau est bien protégée. N'est-ce pas merveilleux ?
J'acquiesce distraitement et détourne mon regard. Je n'ai pas envie que Thorrak se fasse des idées et présume que je suis captivée par lui ou par son équipement. Je cherche seulement à lister les armes de mon adversaire, ce n'est pas pareil. En silence, il enfile sa veste grise sombre – elle est épaisse au point de masquer la présence de son lance-flammes. Nous sommes finalement prêts à partir, mais le marchand nous interpelle à la dernière seconde.
— J'ai encore quelque chose pour toi, petite !
Je n'aime pas ce surnom, mais ne bronche pas. Il trottine jusqu'à un placard et ramène trois nouvelles dagues, ainsi que des attaches qu'il enroule autour de mes deux bottes, et une à mon poignet.
— Celle-là, dit-il en la montrant, est une classique. Utilise-la en combat au corps à corps.
Il la glisse à ma botte gauche.
— La deuxième explose ! Actionne le mécanisme, lance-la sur l'ennemi et boom ! Compte précisément trois secondes avant la détonation.
Il la range à la botte droite, cette fois, et la dernière à mon poignet.
— Elle est spécialisée dans le lancer, sa portée est plus étendue que les précédentes et elle vole beaucoup mieux. Si tu le peux, arrange-toi pour la reprendre sur la cadavre de ton ennemi. Elle est très fonctionnelle, ce serait bête de la perdre au premier affrontement.
Maintenant, je suis plus ou moins à égalité avec Thorrak. Je pivote pour exhiber cet équipement de grand luxe, mais il n'est plus là. L'assassin s'est éclipsé pendant l'explication et je me retrouve face à un marchand qui attend d'être payé. Face à mon agacement mélangé à mon embarras, il ricane et m'affirme qu'il n'y a pas un sou à dépenser dans son échoppe. Je demeure perplexe, mais décide de ne pas traîner et je pars à mon tour, impatiente de tester mes armes.
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