Le hangar principal
Nous nous dirigeons vers une zone de Draark que je connais particulièrement bien, puisque je l'ai analysé dès mon arrivée sur la planète. Il s'agit du hangar à vaisseaux. Le silence règne parmi nous, entrecoupé par les soupirs exagérés de Mira. Je suppose qu'elle cherche à nous faire savoir qu'elle est ennuyée par ce manque d'informations et qu'elle veut un éclaircissement sur sa situation. Elle me fixe de temps en temps et je me contente de l'ignorer. Puisque j'ai frappé Irann pendant qu'elle se déshabillait, elle présume que je serai une alliée ou au moins une personne en qui elle peut avoir confiance. Ce n'est évidemment pas le cas. J'ai mon objectif et elle découvrira bientôt le sien : survivre.
— Toi, interpelle Thorrak en me désignant, es-tu déjà montée sur de véritables vaisseaux ? Je ne parle pas des petits engins de transport que tu as utilisés pour venir ici en toute discrétion.
— Tu parles de quoi exactement, dans ce cas ?
— Des Croiseurs ?
Il demande et me regarde par-dessus son épaule, mais je réponds par un hochement de tête.
— Corvette ? J'imagine que tu es totalement étrangère avec des Destroyers ou des vaisseaux-mère ?
Thorrak soupire.
— Il faut que tu apprennes à les manœuvrer et à naviguer, c'est la base de toute opération. Quiconque dans mon équipe doit savoir démarrer et piloter n'importe quel vaisseau.
— Et moi ? intervient Mira. Devrai-je apprendre ?
— Quiconque d'utile et de valeur dans mon équipe, rectifie-t-il, tout de suite.
Je fronce les sourcils. Depuis quand me considère-t-il comme un membre de valeur de son équipe ? D'ailleurs, combien de personnes serons-nous ? Je ne peux m'empêcher de répéter son ordre dans mon esprit et ne le comprends pas. Un pilote suffit en temps normal. Je lui pose donc la question et il m'explique. Pour une fois, il ne marmonne pas sur un timbre méchant. A priori, ce doit être une règle d'or en travaillant avec lui, puisqu'elle semble lui tenir à cœur.
— Je sais piloter la plupart des vaisseaux, mais vous non. Disons que nous tombions en embuscade au retour de notre mission et que nous devions décoller au plus vite. Je suis le meilleur combattant parmi nous, je vais par conséquent me battre. Qui pilote le vaisseau à ma place ? Aucune de vous deux, parce que vous risqueriez de tous nous tuer au démarrage. J'ai déjà vécu ce genre de situations, un nombre incalculable de fois. De plus, je suis également un très bon tireur spatial, mais vous non. Que se passerait-il dans le scénario où nous nous faisons attaquer par un autre vaisseau et que je dois lâcher les commandes pour nous défendre au tir ?
— Plus j'en saurais, mieux je pourrais m'enfuir, marmonne Mira sans que l'assassin ne l'entende.
— Vous voyez ! conclut-il. C'est primordial que vous appreniez à piloter. Vous resterez dans le cockpit les premiers jours de vol et vous apprendrez le maximum de manœuvres.
J'opine du chef et suis d'accord avec l'ancienne détenue. Le savoir est la clef de tout, il ouvre toutes les portes et en referme aussi. Détenir des connaissances solides et variées sur divers sujets permet de vivre à son aise dans l'univers. Pourquoi les Seigneur sont-ils aussi puissants ? En dehors de leur talent en combat inné et de leur fortune alléchante qui achète les meilleurs assassins, ils portent l'histoire des différentes planètes au creux de leurs mains et la manipulent à leur guise pour recevoir des faveurs et déclencher des guerres.
Nous atteignons le hangar principal et celui-là, je le découvre pour la première fois. Je suis ravie de reparaître dans ce spatioport avec le menton haut et le visage à la vue de tous ; je n'ai plus à me cacher désormais.
Profitant de notre allure plutôt lente à cause des brûlures à la cheville de Mira, sûrement faites par Irann, j'examine ce nouvel environnement. Plusieurs vaisseaux s'alignent sous une gigantesque ouverture qui donne sur le ciel dégagé. A notre droite, nous passons devant un poste de contrôle en hauteur, afin d'avoir une vision d'ensemble. Sur notre chemin, nous contournons des bornes d'enregistrement où les arrivants doivent discuter avec des voix robotiques en remplissant un formulaire d'accueil.
Nos pas sont déterminés, nos dos droits et il n'y a aucun doute que notre vaisseau est juste face à nous, puisque notre trajectoire ne dévie pas. Je lève la tête, impressionnée. Pour traverser le vide spatial, je suis montée dans un cargo de transport classique, puis sur un aéronef. L'engin qui domine dans le hangar est cent fois plus beau. Il me semble neuf, vu l'état de la peinture irréprochable. Noir avec quelques touches de bleu nuit, je l'aime déjà.
Thorrak a parfaitement conscience que nous ne connaissons rien à ce type d'engin et il a l'amabilité de nous faire un cours rapide pour rattraper notre retard en la matière. Je comprends que ce n'est pas de la gentillesse de sa part, mais une passion. Il a l'air d'adorer les vaisseaux. Il nous informe que celui-ci est constitué de lignes angulaires et d'ailes fines pour booster la rapidité en vol et faciliter les passages intergalactiques. Toujours selon lui, c'est le modèle le plus vif et répandu de la République. Ses hyperpropulseurs et son matériel à la pointe de la technologie donnent un avantage lors d'attaques, et même pour se défendre. Il possède les mêmes caractéristiques qu'un intercepteur ou qu'un chasseur.
Lorsqu'il termine son monologue, Mira glousse en se moquant de ces détails, tandis que je me rends compte qu'un corps est adossé au vaisseau près de son entrée. Au fur et à mesure que nous comblons l'espace, je distingue les courbes quelque peu volumineuse et voluptueuses d'une femme. Elle est légèrement potelée et nous formerions un total contraste l'une à côté de l'autre. Cela se voit qu'elle est bien entretenue et qu'un homme doit la nourrir correctement. Sa chevelure brune s'oppose également à la mienne rouge pétant et à la crinière blonde cendrée de Mira.
— Ce n'est que maintenant que vous arrivez ! s'exclame-t-elle, en s'adressant à Thorrak. J'ai longtemps patienté, j'espère que nous pourrons partir sous peu !
— Ne commence pas à rouspéter pour rien, rétorque-t-il. Tu as chargé tes bagages ?
— Oui, contrairement à vous, je me suis réveillée très tôt.
— J'ai dû récupérer la détenue et elle s'est chamaillée avec le geôlier. Si tu veux t'en prendre à quelqu'un, c'est à elle ! Je sens qu'elle va être insupportable, marmonne-t-il en montant dans le vaisseau.
Au lieu de s'indigner, Mira siffle à l'égard de la femme qui pivote dans sa direction et la jauge sans détour. Puisqu'elles se dévisagent toutes les deux, je les imite et détaille cette nouvelle membre de l'équipe. Sa tenue me perturbe. Ce n'est pas commun. Elle porte des vêtements qui sont certes à sa taille, mais amples, des plus confortables et légers. Ce qui attire le plus mon regard, c'est le voile qui dissimule la partie inférieure de son visage, ne laissant entrevoir que ses orbes verts. Pour finir mon inspection, je note que sa peau est bronzée. Je saisis quelque peu l'engouement de la détenue envers elle ; c'est une véritable beauté.
— Tu t'autorises à contempler les femmes de la sorte, toi ? m'enquiers-je abruptement auprès de Mira.
— Je contemple les belles choses, ce n'est pas pareil !
Sur ce, elle fait un clin d'œil à la femme exotique qui sourit sous son voile opaque. Nous ne discernons que le rouge de ses lèvres.
— Tu es la fillette qui a détruit une base rebelle récemment ! me lance-t-elle.
— La fillette, c'est elle ! répliqué-je en pointant Mira.
— Vous êtes toutes les deux des fillettes à mes yeux ! Dépassez les trente ans et nous en reparlerons !
— Tu as moins de trente ans, protesté-je.
— Oui, sauf que je suis une femme qui a connue les hommes.
Je capte son sous-entendu, au contraire de Mira qui n'a aucune idée de ce qu'elle raconte. Cette femme côtoie les hommes de près, notamment dans leur lit. Cette allusion m'évoque étrangement le nom d'une assassin dont les aventures m'ont souvent été contées. Ce ne serait pas étonnant qu'elle soit la personne à qui je pense. Si c'est bel et bien elle, je me trouve à trois mètres d'une légende pour les mercenaires comme moi.
— Tu me reconnais, affirme-t-elle.
— Zora. N'est-ce pas ? Est-ce un nom de code ou ton réel prénom ?
— Peu importe.
Ainsi, j'ai raison. Zora est née sur la même planète misérable où j'ai vécue, elle vient des cendres de Kapleeen. Cette planète désastreuse ne l'a jamais stoppée dans son ambition. Elle a conquis le cœur des hommes les plus puissants dans sa florissante jeunesse en tant que mercenaire. Ensuite, elle a rencontré le Seigneur Gareli, marié à deux femmes déjà. J'ai toujours rêvé de l'éjecter et de finir à sa place. Dorénavant, je ne vise plus son rang, je vise plus haut. Elle attend visiblement que je m'exprime et je l'interroge avec désinvolture :
— Le Seigneur, vous aime-t-il vraiment ?
— Il n'est pas question d'amour dans cette vie, mais d'influence. Pour mesurer mon influence, tu n'as qu'à compter le nombre de vaisseaux qui m'appartiennent dans ce hangar et demande-moi combien ses épouses en ont.
Je me penche en arrière et lis les noms des vaisseaux. La Concubine leur appartient à elle, c'est sûr, mais j'hésite pour les autres. Elle les liste pour moi :
— La Concubine en premier pour célébrer nos un an ensemble, la Valkyrie après que j'ai assassiné sa troisième épouse infidèle et la Dame de Sang pour mon dernier anniversaire.
— Combien en ont ses épouses ?
Elle illustre la réponse par un signe de main et un rictus narquois. Zéro.
— Il les couvre d'or et de diamants pour qu'elles soient belles et se la ferment. Moi, il me forge et me confère du pouvoir.
Je serre les dents en constatant qu'elle a réalisé mon rêve, alors que je suis encore clouée à cette existence de servitude. Libre et puissante, grâce à l'appui de Gareli, elle détient le monde à ses pieds. Je me questionne sur ce qui nous différencie et l'hypothèse la plus probable se révèle être la beauté. Elle affiche une élégance naturelle, une souplesse magnifique et son corps résume le fantasme des hommes, et même des femmes. Je dois décider si Zora est mon alter ego chanceux ou si elle est mon ennemie jurée.
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