Le commandant

— Je me demande à quel point tu m'as menti, toi aussi. Viens-tu tout juste de t'allier à la Rébellion ou es-tu avec eux depuis le début ? 

Xiao Liu me fixe, bras croisé, appuyé contre le mur à côté de la porte. Il arbore une attitude similaire à celle de Thorrak : renfermée, désolée et abattue à cause de mon obstination. S'attendaient-ils à ce que je saute dans les bras de l'assassin de mes parents pour le remercier de m'avoir épargné et que je m'unirais à leur cause ? Ils sont bien stupides dans ce cas-là. 

— J'ai pris ma décision au moment où lui et moi avons discuté le soir précédent l'assaut des usines. J'ai été extrêmement honnête avec toi, Krixia. C'est dommage que tu penses le contraire.

Je ris amèrement. Mes larmes n'ont pas séché et je ne peux pas les essuyer.

— Ah bon ? Je n'ai pas eu cette impression ! De mon point de vue, tu n'as jamais mentionné une seule fois que tu comptais renverser le gouvernement de Kapleeen en te servant des rebelles. D'ailleurs, l'arrivée de Thorrak t'a bien aidé ! Grâce à lui, tu as pu atteindre plus rapidement la Rébellion. As-tu passé un marché avec eux ? Les mercenaires, la planète, ainsi que ses habitants en échange des têtes du gouvernement sur des piques. Je me trompe ? 

Il ne répond pas. Je lis une certaine forme de déception mêlée à une compréhension qui m'agace. Il a l'air de m'en vouloir pour mon entêtement et de l'accepter également. Il me connait sur le bout des doigts, il était prêt pour une telle réaction. C'est pourquoi il ne m'a pas clairement décrit son plan. Dire qu'il me faisait rêver auparavant ! Xiao Liu évoquait à toute heure de la journée une fabuleuse idée qui révolutionnerait notre condition, qui nous sortirait de notre enfer et qui améliorerait les vies de tout le monde. Bien sûr que je me serais éloignée de lui s'il avait été précis et sincère. Je n'aurais pas permis d'associer mon nom à celui d'un rebelle. Contrairement à Thorrak, il n'a pas trahi la République ; en revanche, il m'a trahi, moi. 

— Puis-je te demander de ne plus me toiser et me laisser tranquille ? 

Toujours sans un mot, il s'approche pas après pas de moi et je lui lance un regard noir qu'il saisit parfaitement mais qu'il choisit d'outrepasser. Xiao Liu se plante face à moi et ses paupières s'abaissent avec regret. Quels hommes, tous les deux ! Remplis de remords, de honte et de désillusions. Ils n'assument rien et se morfondent dans leurs propres actions. 

— Où puis-je retrouver la Krixia qui pleurait parfois dans sa cabane bancale en cachette et que je consolais dès que je la surprenais ? Où est-elle ? Elle me manque. Tu agis comme une femme forte, colérique et furieuse, mais n'oublie pas que j'ai déjà vu ta vulnérabilité à des centaines d'occasions. Que tu m'y autorisais ou non, j'étais là pour toi. Tu n'as pas le droit de balayer toutes ces années d'un revers de main et me cracher à la figure.

Un réflexe me dicte de réellement lui cracher au visage, mais je ne peux m'y résoudre. Quelque part, il a raison. Il était présent quand la République me négligeait et quand la Rébellion me délaissait. J'ai utilisé Xiao Liu et sa compassion durant plus de dix ans. Si mon cœur est brisé à cause des révélations de Thorrak et de la confirmation que mon ancien allié rejoint bel et bien les rebelles, il ne mérite pas un traitement similaire aux autres. La fureur qui vibre habituellement en moi échange sa place avec deux autres sentiments, la tristesse et le dégoût. Ce nouveau mélange me force à le regarder dédaigneusement et à verser des perles salées en hommage à notre partenariat qui se termine aujourd'hui. 

— Elle a été tuée par cette balle dans l'usine, affirmé-je. Elle a été tuée par un garde du gouvernement et non pas un homme de Novak. En fait, elle a été tuée par des mensonges et des tromperies. 

— Arrête, Krixia. Arrête d'être sur la défensive tout le temps, arrête de nous repousser et arrête de te borner. Tes convictions...!

Il se retient de hausser le ton et déglutit péniblement.

— Tes convictions vont à l'encontre de tout. 

— Selon vous, mes convictions s'opposent aux volontés de ma mère, elles s'opposent au bon sens et elles s'opposent à des valeurs que je devrais avoir. Mais, que faites-vous de mes désirs ? Vous les jetez à la trappe et vous essayez de me brider, voilà ce qu'il se passe vraiment ! Vous ne souhaitez pas m'ouvrir les yeux ou je-ne-sais-quelle sottise ! Vous espérez me casser en mille morceaux pour ensuite me reformer à partir de vos convictions à vous ! Admettez-le, au moins ! Vous ne m'aidez pas, vous aidez la Rébellion ! Ma mère en faisait partie, je l'ai bien compris ! Je la respecte et j'aime le souvenir que j'ai d'elle. En revanche, je déteste ce qu'elle était derrière mon dos. Pas parce que j'ai rencontré Gareli à un moment de détresse et pas parce que je suis en colère contre l'univers. Je crois véritablement que les rebelles ont échoué dans leurs fameux principes, ils détenaient soi-disant des valeurs supérieures à celles de Santaria, mais les années m'ont prouvé le contraire ! 

Il tend silencieusement une main vers mon visage et je me décale par automatisme. Néanmoins, il ne recule pas et entreprend d'essuyer mes larmes. Mon expression affiche clairement mon envie pressante de le mordre en guise de vengeance, mais Xiao Liu s'en moque et continue calmement. Il n'a pas rattaché ses cheveux qui ondulent sur son front et ses tempes. L'homme que je remerciais intérieurement tous les soirs et que je trouvais si beau, si précieux sans l'avouer à haute voix, il est parti en même temps que la femme qu'il consolait. Lentement, il enlève ses doigts et les observe une seconde, comme pour vérifier que je suis encore capable de pleurer. 

— Dis-moi.

Soudainement, il semble s'illuminer et s'agenouille à mes pieds en m'adressant un regard faussement enjoué. Xiao Liu cherche à redevenir ce que nous étions et je refuse de coopérer. J'hausse les épaules, ne saisissant pas sa requête.

— Raconte-moi ta vision de la Rébellion. Tu clames que les valeurs ne te plaisent pas. Je veux savoir pourquoi tu restes loyale à Santaria. 

— Je n'ai pas à me justifier ! cinglé-je.

Cependant, il ne bouge pas d'un centimètre et ferme tellement bien ses traits qu'il dissimule sa peine. Mes mots et mon acerbité n'ont plus l'air de le toucher, foutaises. Mon avis sur la Rébellion n'a cessé de se préciser au fil des années et des histoires que j'entendais. Je pourrais lui citer un minimum de cent arguments démontrant ma répulsion pour ces personnes, mais je préfère ne pas m'énerver d'autant plus et me tempérer face à lui. Plus Xiao Liu entrapercevra ma faiblesse, plus il en usera ; il n'y a aucun doute là-dessus. Sourdement, je commence à lui lister tout ce qui ne colle pas avec leur éthique.

— Les rebelles prétendent effectuer une mission universelle pour le bien commun. N'est-ce pas ? Eh bien, c'est une fourberie sans précédent et le pire, c'est qu'ils n'en sont pas conscients. Ils pensent vraiment sauver tout le monde en les délivrant de l'emprise soi-disant néfaste de la République. Mais, est-ce que tu sais ce qu'ils critiquent à propos de la République ? Ils la blâme pour être un système colonial qui aspire toujours à s'étendre et à gagner du terrain. C'est vrai. Santaria est un système colonial et je ne peux le nier. Toutefois, les planètes qu'ils colonisent le demandent ou en ont besoin. Soit une planète coule à cause d'une guerre entre plusieurs régimes politiques ou est en guerre civile. La République met un terme au conflit et règle en maître. Soit une planète ne parvient plus à subvenir à ses besoins. La République les colonise et les préserve d'une fin inévitable. En plus, tous les territoires conquis par la République jouissent de tout, des richesses suffisantes, de la nourriture, des toits pour leur population. 

Je marque une pause pour reprendre mon souffle. Xiao Liu a perdu la lueur dans son regard et  plisse le front, car il médite sur mes paroles. Je les prononce sur un ton posé et assuré.

— Maintenant que j'ai énoncé cette base, passons à la Rébellion et à son objectif. Pour une raison qui me dépasse, elle désapprouve totalement la République et son système colonial. Mais, répond honnêtement à cette question, Xiao Liu. Que comptent-ils faire, eux ? Hein ? 

— Eliminer la République pour la remplacer.

— Comment ?

Il s'apprête à répliquer, mais en vient à la même conclusion que moi. Je confirme son raisonnement :

— En la remplaçant, tu as tout dit ! Ils dénoncent un système colonial en se battant pour imposer un autre système colonial. Bien sûr, ils crient de partout qu'ils débuteront un régime nouveau et égalitaire, annihilant le pouvoir unique du Président pour que le peuple ait une voix plus puissante. Or, qu'il y est un homme en haut du pouvoir ou un groupe d'hommes répartis sur divers planètes, une élite omnipotente existera encore ! Supposons que la Rébellion gagne et que Santaria soit entièrement éradiquée. Supposons aussi que les rebelles possèdent assez d'argent pour soutenir et financer chaque planète qu'ils auront obtenu durant la guerre, ce qui est impossible avec ou sans l'aide de la Couronne Zergra. Dans cette hypothèse, ils deviendront un pouvoir colonial ou fédéraliste, peu importe. Ce qui est important, ce sera la réaction de tous les partisans républicains ou les autochtones des planètes ou peut-être des sujets royalistes qui n'étaient pas d'accord pour ce renversement. D'innombrables personnes s'opposeront à la Rébellion qui ne vaudra pas mieux que Santaria ! Que crois-tu que ces gens feront ? Ils se rebelleront à leur tour et une nouvelle Rébellion naîtra. 

L'histoire se répète et plusieurs exemples appuient mes propos. De l'expansion de l'être humain à la conquête spatiale, une nation en conquiert une autre, cette dernière se rebelle et elle gagne ou perd. Les empires se créent ainsi. Sur les cendres d'une opposition, dans les flammes de l'ambition par des êtres animés par une motivation suprême. Autrefois, l'homme se querellait au nom d'une divinité, pour l'argent ou pour des terres ; de nos jours, il persiste à se battre pour des puissances célestes, pour la fortune et désormais pour la domination de l'univers. Rien ne change, une évolution qui stagne et ne se renouvelle pas depuis des millénaires. 

Xiao Liu ne peut me contredire, mes arguments reposent sur la logique et le savoir. Il a lu des livres similaires aux miens, il est au courant du passé de l'humanité et est doté d'une intelligente cohérente. Il se redresse subitement et me contourne sans un mot. Je fronce les sourcil, étonnée de son comportement. Brusquement, je sens mes bras être libérés et les chaînes tombent lourdement au sol. Il finit de me détacher et revient face à moi. Suis-je délivrée ? Puis-je regagner Draark ? M'aidera-t-il à m'échapper ? Un espoir s'infiltre au milieu de ma raison. 

— Ils reprochent à Santaria de bafouer les règles de la démocratie à cause d'un Président qui gère mal la situation avec les rebelles, les royalistes ou les indépendantistes. Il a fait preuve d'une une lenteur déconcertante notamment avec l'exemple de la pandémie sur Mako qu'il a confinée avec des aides sanitaires déplorables. Malgré le relativement bon traitement de son peuple, il privilège ses ministres et son élite, ignorant les plus démunis. La Rébellion promet de tout mettre en oeuvre pour financer n'importe qui, de n'abandonner personne sur le chemin et d'accorder une importance égale à tous les peuples. 

Ceci ne représente pas son opinion, il résume seulement les pensées actuelles. J'éclate d'un rire aigre en me massant les poignées. Son regard m'invite à débattre sur cette vision. Je me lève souplement, mais n'avancent pas, mes jambes étant engourdies.

— Lorsqu'il faudra réagir à une crise sur une planète et qu'une autre se plaindra, qu'une autre exigera une aide et qu'une autre aboiera pour une réponse de leur part, autrement dit lorsqu'ils seront débordés, qu'adviendra-t-il de leur égalité ? Le Président ne favorise pas une planète plus qu'une autre, il résout les problèmes les uns après les autres. L'élite n'est pas mieux payée, elle reçoit son salaire en fonction de son travail. Un marchand ne peut pas gagner autant qu'un ministre qui s'occupe de l'administration et l'organisation de plusieurs planètes simultanément.  En conclusion, ce que Thorrak nomme le bon sens et que je suis censée suivre à la lettre n'est que futilités et points de vue ! 

Ressentant de plus en plus de sensation dans mes jambes, je tente un pas qui se solde à réussite. Donc, je continue jusqu'à me poster à un mètre de lui. Xiao Liu ne se détourne pas et affronte mes yeux d'ambre sans hésitation. Il dresse ses mains pour les poser à nouveau sur mon visage. Cette fois, il n'y a pas de larmes, uniquement de la détermination. Il encadre mes joues et s'approche jusqu'à ce que nos souffles se mêlent.

— Tu ne sortiras pas d'ici, Krixia. Pas avec cet état d'esprit.

Je souris amèrement.

— Te moqueras-tu de moi encore longtemps ?

— A quoi fais-tu référence ?

— J'ai ouï dire qu'un commandant m'avait amené sur Gorth 2021 et tu te comportes exactement comme un commandant.

Il tique et hausse un sourcils.

— Ce n'est pas moi le commandant. C'est Reddra Thorrak. J'étais profondément choqué, quand il me l'a confié. Au complexe de Samario, tu as failli le tuer et j'étais prêt à t'encourager. Quelle erreur. 

Quel malheur plutôt. J'aurais dû lui trancher la gorge. Alors Thorrak symbolise davantage qu'un double agent converti par une mystérieuse rebelle envoyée par ma mère. Il pèse énormément dans la hiérarchie de la Rébellion. Un commandant. Je pouffe sèchement, ce qui inquiète Xiao Liu. Il devine aisément mon cheminement et me tire délicatement à lui pour attirer mon attention. Nos nez se frôlent. Cette proximité l'apaise et ses paupières s'abaissent. Je détaille une dernière fois la finesse de sa mâchoire et la légèreté de ses cheveux noirs avant de passer à l'acte.

Je frappe violemment ses coudes par dessous pour qu'il me lâche et il se décale instinctivement. Je croise son regard blessé, mais lui donne un coup de pied dans le thorax qui le propulse au sol. Sans qu'il ne puisse se relever, je saisis la chaise et essaye de l'abattre sur lui. Il roule et bondit habilement sur ses pieds. Je la lance, mais il l'esquive. Tant pis, j'attrape une des chaînes et l'enroule autour de mon poing.

— Tu plaisantes ! s'exclame-t-il. C'est moi qui t'aies appris ça ! 

Effectivement. Je me précipite dans sa direction et il ne peut m'éviter. Mon poing cogne brutalement sa pommette et il bascule sur le côté. En se remettant droit, je remarque l'entaille sur sa peau et le sang qui s'en écoule. Il l'étale avec le dos de sa main et se positionne pour un combat. Je mime un second coup de poing, mais m'arrête au dernier instant et le tape avec mon table dans sa rotule. Puisque je n'aspire pas à faire durer cet échange, ni à lui procurer de la souffrance pour le plaisir, j'opte pour des zones stratégiques. Lui, il cherche à me maîtriser, ce qui m'offre un avantage. 

Je vise instantanément un endroit critique du corps. Le diaphragme. Je le heurte de plein fouet et sa respiration se bloque, il tousse et perd complètement l'équilibre. Passant derrière lui, un coup de genou dans le bas de son dos l'achève. Ni une, ni deux, j'en profite pour faire volte-face et foncer jusqu'à la porte. Mais, la providence se joue de moi et a décidé de me résister. 

La porte s'ouvre à la volée et je me la prends en pleine tête. Je vois des étoiles une seconde et m'écroule en arrière. Le temps que je me ressaisisse, deux mains me plaquent au sol pendant que deux autres m'enchaînent derechef. Je reconnais la voix de Thorrak qui réprimande Xiao Liu pour m'avoir libéré. 

— Je vous déteste tous les deux, grommelé-je, à bout. 

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