La Valkyrie
Je viens tout juste de découvrir mon compartiment et ma bonne humeur a augmenté de manière considérable. Nous sommes à bord de la Valkyrie et je me surprends de la propreté du vaisseau ; il est évident que les sols et les parois sont nettoyés régulièrement et entretenus, toujours prêts à accueillir des passagers n'importe quand. Je m'assois sur le matelas incroyablement moelleux et fixe l'endroit où je passerai la majorité de mon temps durant les prochains jours. Hormis le lit pliant qui se relève contre le mur pour optimiser l'espace, j'ai un placard de stockage à disposition et je l'ouvre dans un but curieux de savoir si la poussière a également été enlevée.
A mon plus grand étonnement, des affaires s'y trouvent déjà. Trois piles de vêtements qui ressemblent à ceux que je porte, à l'exception de la veste et des armes. Je distingue aussi des manuels jaunis et qui tombent en lambeaux. Je suis sur le point de les saisir pour en lire les titres, mais je perçois de pas se rapprocher de mon compartiment. En pivotant, je croise le regard vif de l'exotique Zora. Il y a une certaine authenticité et un éclat lumineux dans ses yeux verts, lui donnant un air joueur, presque malicieux, mais sincère. Les deux à la fois la plongent dans une aura mystérieuse.
— Tu as déjà ouvert le placard ! s'exclame-t-elle, amusée. Tu es une fouineuse, toi ! Thorrak m'a envoyé une liste de choses à transporter ici, hier soir. Il ne m'a pas écrit de tailles. J'espère que les vêtements t'iront. Normalement, j'ai fait les bons choix ! Il a, en particulier, insisté pour les manuscrits, j'ai failli retourner toutes le bibliothèques républicaines de Draark pour les dénicher ! Il s'agit d'archives très anciennes. Tous les meilleurs atouts de Santaria les ont lus. Je suppose que Thorrak souhaite t'instruire.
— J'aurais de quoi m'occuper pendant le vol.
— En effet. Il ne devrait pas durer très longtemps, quelques heures, une journée tout au plus. Le Seigneur Gareli nous envoie très loin, à l'autre bout de l'univers. Avec mes hyperpropulseurs de dernière génération, nous irons vite.
— Quand Thorrak nous expliquera-t-il la mission, d'ailleurs ? Je commence à m'impatienter.
J'affiche des traits lassés pour appuyer mes propos et l'inciter à m'informer elle-même de notre mission, mais Zora pouffe et son voile ondule à son souffle.
— Je ne la connais pas non plus ! Je pense qu'il nous relayera les ordres du Seigneur et distribuera les rôles à la fin du voyage.
Je hoche de la tête. De toute façon, je ne peux rien faire pour le forcer à tout nous raconter. Zora tourne les talons et je me rassois dans le calme. Dans le compartiment, je repère des étagères vides sur la paroi du fond. En dessous de celles-ci, un tapis roulé sert probablement à s'étirer et se maintenir en forme. Je saisis pourquoi le lit est rétractable.
Puisque je m'ennuie et que la Valkyrie n'a pas encore décollé, je décide de pousser le matelas contre le mur et attrape ma nouvelle épée. Je ferme la porte et m'entraîne quelques minutes à la manier. J'aime sa légèreté et je note la possibilité de frappes fortes. Elle me convient totalement.
Au bout de nombreuses minutes, nous décollons enfin et je m'accroche aux parois pour ne pas chuter à cause des vibrations. Dès que les secousses diminuent, le silence se réinstalle dans la Valkyrie et mon ennui revient au galop. J'ai tellement accompli ces derniers jours, parcouru Draark de long en large et bataillé contre différents adversaires que je ne supporte pas la sérénité qui règne sur ce vaisseau. Je sens que le trajet sera interminable de mon point de vue.
Les premières heures, je reste dans mon compartiment, me divertis avec mon épée et analyse les courbures des dagues. Je m'intéresse à mon revolver et je finis par les connaître par cœur.
Au final, la faim me tiraille et je sors du compartiment. Ce à quoi j'assiste m'échappe complètement. Je traverse le couloir et arrive dans la salle principale du vaisseau où nous pouvons accéder à l'holocommunicateur, ainsi qu'à des canapés très confortables, à des rafraîchissements et aux rations de nourriture. La table au centre de ce lieu de vie commun possède même des options pour se divertir, d'un simple jeu de plateau à des hologrammes médiatiques pour se tenir au courant.
Rien n'aurait pu me préparer à ce que je distingue sous mes yeux ébahis.
Thorrak a lâché les commandes du vaisseau, je présume qu'il a enclenché le pilotage automatique. Il scrute Zora, les cheveux détachés, au-dessus de Mira. Toutes deux au sol, l'assassin pointe ses deux pics de cheveux aiguisés sur la gorge de l'ancienne détenue. Cette dernière transpire, ne faisant pas le poids face à une meurtrière professionnelle. J'entends en bruit de fond un droïde qui énumère ses différentes fonctions à l'entrée de la Valkyrie. Une d'elles l'a sûrement activé en plein combat.
Je fronce les sourcils et interroge muettement le seul homme dans cette pièce, bras croisés et nonchalant. Thorrak hausse les épaules et me répond de façon similaire. Il m'indique qu'elles se sont chamaillées pour une histoire de dominée et de dominante, puis elles sont parties dans un combat perdu d'avance pour l'une des deux. Mira a sûrement voulu prouver qu'elle n'est pas faible et inutile dans l'équipe, tandis que Zora a réfuté ceci. Je les regarde avec désapprobation. A cet instant, l'ancienne détenue se redresse en profitant que son adversaire m'ait adressé un clin d'œil par-dessus son épaule. Elle plaque l'assassin sur le ventre, contre le sol.
— Alors, qui est la plus faible ? hurle Mira dans ses oreilles.
— Je me doutais qu'elle ne garderait pas sa bouche fermée, marmonné-je.
— Et ça s'appelle une assassin ! Elles sont douées pour se vanter, mais pour se battre, c'est une autre histoire ! continue-t-elle.
— Je te laisse m'écraser par terre, parce que Thorrak te porte un intérêt pour la mission. Ne me cherche pas, gamine !
— Et qu'est-ce que tu vas faire, hein ?
Pour ma survie personnelle et parce que je n'ai pas envie de prendre la défense de qui que ce soit, ou de sauver cette idiote insolente, je m'éclipse avant que Zora ne réplique. En passant, je les contourne et ouvre à la va-vite un stock de boissons au nom étrange. J'en arrache une du paquet et trottine jusqu'au cockpit où Thorrak s'est réfugié. Il s'aperçoit aussitôt de ma présence et les battants de fer se referment à mon passage. Les bruits de grognement et de gémissement semblent loin, désormais. Je le rejoins et enjambe une caisse lourde pour m'asseoir sur le siège à côté du sien. Je peine à identifier tous les boutons et je ne comprends rien au tableau de contrôle, mais je devine qu'il a repris le vol manuel, puisqu'il tient les poignées de commande et dirige tranquillement le vaisseau.
— Tu n'as aucune idée de comment le piloter, n'est-ce pas ? s'enquiert Thorrak sans dédain. C'est plutôt facile. Du moins, en ce qui concerne les bases, tu devrais apprendre vite.
— Prions pour que nous ne rencontrons pas de champs d'astéroïdes pendant que je suis aux commandes, raillé-je.
Contre toute attente, il arbore un bref sourire en coin. Je l'observe sans gêne et sans discrétion. Il parait moins sérieux et grave qu'à l'Institut. Est-ce parce que nous nous éloignons de la pression de Draark et du Seigneur ou est-ce parce qu'il apprécie réellement piloter les vaisseaux ? Je ne pourrais l'affirmer avec certitude. Thorrak est compliqué à cerner. Peut-être qu'en le faisant parler, j'obtiendrai des réponses sur son attitude changeante selon les situations.
— Tu crois qu'elles vont s'entretuer ? Je parie sur Zora !
— Elles n'en feront rien et j'ai tout spécialement ordonné à Zora de se tempérer durant le voyage. Elle est à moitié folle et je te conseille de ne jamais lui offrir ta confiance, car elle est la plus grande manipulatrice à ma connaissance, mais elle obéit en général aux instructions de Gareli. Sa voix étant la mienne par dérogation, elle ne devrait pas nous causer de problèmes.
— Toutes les deux, sont-elles vraiment utiles à la mission ? N'aurions-nous pas pu nous en charger ?
Thorrak inspire profondément, réflexe qu'il a en réfléchissant.
— J'aurais préféré ne pas les avoir dans les parages. Trop de fierté et d'arrogance mènent à ce cirque ! Malheureusement, notre mission représente tout pour le Seigneur. C'est une opération primordiale pour son ascension au pouvoir et pour démontrer ses atouts au Président. Il ne pense pas que tu réussiras. Au contraire, il s'est convaincu que tu mourras au cours de la mission. Dans cette hypothèse, je ne peux pas terminer sans plan de secours. Il a choisi Zora pour te remplacer et moi, j'ai discerné quelque chose en Mira. Elle est douée pour enrager les gens, ce qui constitue une force dans certains cas, aussi étonnant que cela puisse être. Elle se faufile avec une aisance impressionnante de partout de par sa petitesse et son agilité. Des rumeurs prétendent qu'elle était une espionne prometteuse avant d'être incarcérée par Santaria. Elle n'a techniquement commis aucun crime.
Mon front se plisse immédiatement à cette phrase et il éclaircit :
— Ses parents auraient raté un vol à mains armés, donnant lieu à la mort d'une dizaine d'individus sur une autre planète en partenariat économique et politique avec la République Santaria. Le Conseil de Draark était censé la déporter là-bas pour l'interroger et localiser ses parents, mais ils les ont appréhendés la semaine dernière. Néanmoins, je suis sûr qu'elle n'est pas innocente. Après tout, elle a été élevée par des criminels et elle sait à peu près se battre. Nous ne savons pas encore quels sont ses crimes.
J'opine du chef et me rends compte que nous sommes tous des criminels ici, sauf que deux d'entre nous en ont le droit. Mira et moi nous cachons et tuons pour survivre, Thorrak et Zora brillent par leur talent et se pavanent à la vue de tous sans craindre les représailles. Je souris en me demandant quel serait le résultat d'une violente dispute. A nous quatre, nous détruirions sûrement la Valkyrie. L'assassin remarque mon rictus et me questionne à ce sujet. Je lui expose mes pensées et il me toise bizarrement, ce qui me fait rire.
— N'essaie pas de débuter une bagarre entre nous quatre. Premièrement, tu ne gagnerais pas. Deuxièmement, penche-toi sur la mission, c'est le plus important.
— Je me dédierais corps et âme dans la mission si j'en savais un minimum.
Il soupire. Mon ton effronté ne lui plaît pas.
— Des combats, quelques explosions, des négociations et un travail de recherches. Voilà à quoi tu dois t'attendre.
— Bref, la routine ! T'es-tu habitué à cette existence ? Parfois, je me mets à douter et j'ai l'impression de ne pas être à ma place. Je me dis que l'aisance et le soulagement viendront en recevant mon titre de Ravageuse. Mais, est-ce que travailler tout le temps dans le sang et sous les ordres d'une autre personne n'est pas fatiguant à la longue ?
Il n'imaginait pas que j'évoquerais ce sujet-là et il ne dissimule pas sa perplexité. Il médite sur mes mots et acquiesce.
— En revanche, il y a une différence entre mon existence actuelle et celle que tu désires vivre. Les Ravageurs possèdent des avantages, le droit de refus notamment. S'ils détestent quelqu'un, ils déclinent leur offre. Dans l'ombre, ils maîtrisent entièrement le flot de leur vie. Moi, ou Zora, nous ne contrôlons rien du tout. Nous nous sommes rattachés à un Seigneur et nous le servons. C'est tout.
— Vous êtes piégés ?
— Nous serions piégés si nous n'avions pas le Seigneur à nos côtés. Il nous donne protection, foyer et matériel, de la reconnaissance aussi et une réputation. En échange, nous lui donnons tout le reste.
J'ai toujours tenté de différencier les tueurs. Il en existe plusieurs catégories et j'avais du mal à séparer les caractéristiques de chacun. Avec l'explication de Thorrak, je saisis mieux les diverses situations. Je conclus donc que les mercenaires ont le pire destin : hors-la-loi, sans soutien, traqué par les autorités, sans argent et une paye sans véritable valeur. Dans le meilleur cas, je deviendrai une Ravageuse ; dans le pire, j'accepterai d'être une assassin affiliée à un Seigneur. Je ne chuterai pas plus bas. C'est la promesse que je me fais à moi-même et je compte bien la respecter.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top