La récompense

Nous retournons promptement à la garnison. Les tirs et les cris ont forcément attiré l'attention des villages voisins, de voyageurs ou de mendiants. Mieux vaut que nous ne soyons plus sur les lieux de cette tuerie lorsque les autorités découvriront les cadavres. Maintenant que Xiao Liu a obtenu ce qu'il désirait et que son plan s'est enclenché, il me doit des réponses. J'essaie de le questionner sur le trajet, mais il m'ignore superbement et commence déjà à célébrer avec les mercenaires présents. Couverts de sang, ils parient sur le nombre de bouteilles d'alcool qu'ils videront dans la nuit. Je prends d'ailleurs conscience que la fumée a dissimulé l'astéroïde synthétique qui nous sert de lune et que je suis épuisée. Il faudrait que je pense à dormir.

C'est triomphants que les mercenaires poussent brutalement les battants de la garnison en hurlant face à leur semblable figé. Ils répliquent par des braillements similaires et contre toute attente se prennent dans les bras. Je ne me remets toujours pas de cette proximité et décide de monter à l'étage pour rejoindre le bureau de Xiao Liu. Ce crétin me voit, mais il se détourne et reste auprès de ses acolytes. Je le laisse profiter, puisque le sort de cette alliance dépendait de la réussite ou de l'échec de notre opération. Mais, je ne compte pas patienter toute la nuit. Il a intérêt à se hâter.

Pendant que je marmonne des paroles incohérentes en le fixant méchamment du haut de l'étage, je perçois des bruits de pas à ma droite et je n'ai pas besoin de me tourner pour identifier la personne. Je reconnais les bottes et leur martèlement sur le bois. Thorrak s'assoit à côté de moi, adossé au mur. 

— Dès que nous obtenons nos informations sur Ko-Tsai, nous partons. 

Il l'affirme, pourtant je distingue la question sous-jacente. J'acquiesce et ainsi le rassure : je terminerai notre mission, même si ma place devrait plutôt être auprès de l'Alliance des Cent Mercenaires. Xiao Liu ne m'en voudra pas. Il sait que je ne cesserais de me battre jusqu'à mon ascension au titre de Ravageuse.

— Tu as tenté de me tuer.

Je ferme les paupières et garde la tête droite, malgré la lourdeur de son regard sur moi. Thorrak sort un de ses couteaux de lancer et me le tend.

— Fais-toi plaisir, tue-moi si ça te chante. Tu ne parviendras pas à finir la mission sans moi. Qui plus est, Gareli ne sera pas content.

— J'imagine, oui. Ne t'inquiète pas. Il s'agissait d'un simple moment de faiblesse durant lequel ma raison a chaviré. Cela ne se reproduira pas. Du moins, pas avant la fin de la mission.

— Je suis ravi de l'entendre !

Étrangement, il semble s'affaisser et arbore un air déçu. Quoi ? Aurait-il préféré que je m'empare de son couteau et que je le découpe en morceaux ? Il range sa lame et nous passons à autre chose. Plus ou moins. Je continue de songer à son comportement des derniers jours. J'en viendrais presque à croire qu'il s'est attaché à moi, théorie folle qui m'effraie plus qu'elle ne me réjouit. J'hausse finalement les épaules et nous attendons en silence.

Peu à peu, les conversations animées deviennent moins bruyantes et Xiao Liu grimpe quatre à quatre les marches menant à son bureau. Il affiche encore son sourire fier et gai qui m'agace. Sans le moindre coup d'œil vers nous, il la referme sans nous laisser le temps de nous lever. Je sais parfaitement à quoi il joue. Cet idiot se fait désirer ! Je bondis sur mes jambes et frappe dans sa porte si fort qu'elle vibre et s'ouvre. Thorrak me suit et nous entrons. Un long cirage à la bouche, il nous nargue.

— Il n'y a pas suffisamment de fumée dehors, raille Thorrak.

Xiao Liu ricane et nous invite d'un signe de main à prendre place face à lui. Nous nous exécutons et mes traits tirés lui indiquent de ne pas traîner.

— J'ai en possession beaucoup de renseignements au sujet de Ko-Tsai. Lesquels souhaitez-vous exactement ?

— Tous ! 

Thorrak choisit de se taire cette fois pour que je gère à ma façon Xiao Liu, ce qui ne fonctionne pas vraiment. Ce dernier étire de plus en plus ses lèvres à mon impatience.

— Allons, Krixia, puis-je réellement tout te dire ? Il est mon client, je ne peux le trahir.

— Tu le protèges ? Les mercenaires ne protègent pas, ils tuent ! J'ai l'impression de me trouver devant un homme différent, un étranger.

— Tu es la seule étrangère dans cette pièce, Krixia ! me rabroue Xiao Liu. Tu vois, ton problème majeur réside justement en ceci. Tu t'agites dans un monde que tu considères binaires. Tout n'est qu'une chose ou une autre à tes yeux. Par exemple, l'être humain naît bon ou mauvais. Tu estimes que de par ton sang de Ravageuse et ton statut de mercenaire, tu fais partie de la deuxième catégorie. Toujours selon toi, les mercenaires incarnent le mal, car ils répandent la souffrance. Alors, certes, les mercenaires ne sont pas de petits agneaux, mais tu es particulièrement bien placée pour te rendre compte que notre vie n'est pas binaire. Nous ne sommes pas le mal, nous avons en revanche été façonné pour produire des malheurs. Sans la pauvreté, sans notre situation actuelle, nous serions des personnes très respectables. En plus, ton point de vue ne marche pas dans mon cas ! Je suis née en tant qu'enfant unique d'une riche famille d'altruiste, mais j'ai suivi la voie des mercenaires. Qu'est-ce que je suis ? Bon ou mauvais, Krixia ? Réponds.

Cet idiot n'imagine pas ce qu'il a fait en refusant sa destinée. Tout son avenir était dicté d'après un plan fabuleux de la providence. Grâce à la fortune de ses parents, il aurait pu étudier, prétendre à des postes de ministres et jouir d'une existence sans encombre avec une gentille femme et de magnifiques enfants. Xiao Liu a tout détruit en embrasant la voie des mercenaires à ces douze ans. Si nous nous sommes rapproches au premier abord, c'est à cause de ma perplexité à son sujet. J'aspirais à percer à jour son secret, sa raison de ce changement brutal. Je n'ai jamais saisi. Il lit l'incrédulité sur mon visage et explique :

— J'ai tué un homme sans le faire exprès, j'y ai pris goût. J'ai accepté qu'une part de moi était appelée par le sang et la violence. Cela ne m'empêche pas de rêver de grandes choses et de courir après des objectifs qui me dépassent. J'agis avant tout pour le bien commun tout en étant honnête envers moi. Tu devrais essayer, cela pourrait te libérer des chaînes que tu t'es imposée !

Sur un point, il a tort. Le monde ne m'apparaît pas binaire. Je discerne les nuances. Par contre, il m'est difficile de concevoir le mélange du bien et du mal en une même personne. Je suis par essence mauvaise, tout comme Thorrak et Xiao Liu. Gareli l'est aussi. Aucun indice ne montre du bon chez moi. J'éprouve parfois des regrets et je prouve de temps à autre des fragilités dans mes convictions, mais je tue, j'aime cela et je suis la main du chaos en ce monde. Je l'accepte totalement. 

Toutefois, je chasse ces réflexions inutiles et jette un regard noir à Xiao Liu afin qu'il ne digresse plus. Thorrak écoute avec attention notre conversation et je refuse que cet homme, étant techniquement mon ennemi, en apprenne davantage sur moi. Mais, mon ancien allié fait sa tête de mule et se balance sur sa chaise, l'air de rien. J'empoigne la dague à mon poignet et il lève les bras, stoppe ses mouvements de bascule et se racle la gorge. Il daigne enfin nous informer :

— Ko-Tsai a atterri sur Kapleeen et s'est immédiatement rendu au marché noir. Il a exigé des vivres, des stocks pour entreposer ses effets personnels trop encombrants et surtout une protection. Un homme du marché noir m'a contacté et m'a proposé ce travail. 

— Que dois-tu faire précisément ?

— Je l'ai rencontré et nous avons convenu d'une stratégie. Nous avons créé de faux messages avec de fausses adresses et je devais intercepter tous les intrus qui le chercheraient pour les éliminer. 

— Je présume que tu ne peux révéler sa position.

— Tu présumes bien ! Néanmoins, je peux te donner une piste. Ko-Tsai n'est jamais reparti de Kapleeen.

Tout de suite, nous nous regardons Thorrak et moi avec une idée similaire en tête. Nous n'avons qu'à le traquer. Il ne pourra s'enfuir, car Zora garde la station orbitale. Le marchand d'arme est piégé sur cette planète et il ne nous échappera pas. Je lâche un rictus de contentement, mais Xiao Liu m'interrompt très rapidement. 

— A cause de ce contrat, je serai obligé de me battre contre toi et contre ton chien de garde.

Thorrak grogne pour toute réponse.

— Vous me vaincrez peut-être, mais vous ne sortirez pas vivants en affrontant une centaine de mercenaires. Je vous suggère une meilleure stratégie. N'attaquez pas Ko-Tsai et permettez-moi de vous révéler quelque chose de plus important que sa vie !

Sur ces paroles prononcées avec son habituel ton charmeur, il tire d'un placard une carte de Kapleeen. Il me désigne un endroit et me demande si je le connais. La Vallée Instable, aussi nommée la Vallée de la Folie. J'hoche de la tête et Xiao Liu me met un second plan sous le nez, représentant cette zone de la planète. Il saisit un crayon et encercle deux bâtiments. Apparemment satisfait de lui, il pointe ses deux gribouillis et déclare :

— Deux vieilles usines à l'abandon ! Le gouvernement les a cédés pour un prix généreux à un riche homme d'affaire. Les terres ne leur appartenant plus, il ne s'y rend plus et ne sait pas ce qu'il s'y passe. Ko-Tsai m'a confié l'identité du propriétaire. 

Statufiée, je comprends aussitôt là où il veut en venir. Deux usines. Notre cible finale. Thorrak s'est levé et s'est avancé vers les cartes. Il les examine minutieusement et pivote vers moi afin d'obtenir une confirmation. Tout ce que Xiao Liu a dit ressemble à la vérité. Bien des terres ont été vendues à des systèmes extérieurs, y compris ces deux usines désaffectées. Ko-Tsai s'en serait servi sous les ordres de Novak pour construire ses vaisseaux de guerre. Une armada spatial sur Kapleeen.   

Thorrak et moi échangeons des regards longs et insistants, surveillés par la moue de Xiao Liu. Si nous parvenons à abattre les deux usines, annihilant la flotte, ce serait déjà pas mal. Cependant, il manque des preuves pour détruire Novak. Notre manœuvre se révélera vaine et les conséquences pourraient retomber sur Gareli. Pour cela, le mieux serait de recevoir l'aide de Ko-Tsai. Il témoigne devant le Conseil de Draark, démontre la culpabilité de son commanditaire et je suis honorée de prestige. Pour que cette vision idéale se produise, il faut que le marchand accède à la requête et ne se cache plus. Ce qui implique de livrer son ami de longue date. 

— Xiao Liu...

Il me coupe instantanément.

— Je ne tromperai pas mon client pour tes beaux yeux, Krixia ! Ne te fatigue pas à me corrompre.

Je soupire, mais il persiste à me sourire bêtement.

— Je visualise très clairement un projet, clamé-je. Un projet gigantesque qui contribuera pour toutes les diverses démarches ! Tu nous prêteras tes mercenaires afin que nous prenions d'assaut les deux usines et les fassions exploser. Ensuite, tu plaideras notre cause auprès de Ko-Tsai. Sa vie en échange de celle de Novak. Tu appuieras sur le fait évident que Novak se préservera toujours lui et son but en priorité et qu'il n'hésitera pas à sacrifier ses amis pour que la Rébellion gagne. Contrairement à lui, je promets de m'interposer lors de son procès. Je lui sauve de la condamnation du Conseil par le biais de Gareli. 

— Dans ce projet, récapitule Xiao Liu, Novak meurt dans le déshonneur et tu brilles aux côtés de ton maudit Seigneur, tandis que Thorrak revient sur Draark avec une nouvelle mission d'accomplie. Ko-Tsai survit avec ton intervention. Mais, ce projet ne me plait pas ! En quoi m'arrange-t-il ?

Thorrak se pose la même question, puisque les deux me scrutent avec curiosité. J'aimerais d'abord en discuter avec lui, mais le temps nous est compté et de toute façon il n'existe pas d'autres moyens pour que Xiao Liu coopère. Je lui certifie sous la grimace déconfite de l'assassin :

— Lui et moi jurons de ne pas dénoncer tes futures activités illégales au Conseil. 

Le visage de Xiao Liu s'illumine et je m'empresse de le ramener sur terre.

— Le jour où Kapleeen sera récupérée par la Rébellion, Santaria réagira et je ne t'aiderai pas ! Souviens-toi bien de cela, quand tu te assumeras ton côté rebelle !

Peu importe, tous mes avertissements ne suffiraient pas à le convaincre de s'écarter des avantages de la Rébellion. Xiao Liu opine vigoureusement du chef, signant notre accord. Thorrak n'a pas l'air bougon, approuvant de manière tacite ce marché. Bien. Maintenant que les objectifs de chacun se sont reliés, nous pouvons passer à l'acte.  

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