La navette

Maintenant que le calme est revenu, je m'autorise à décrisper les muscles de mon corps et je jette un coup d'œil à ce nouvel environnement, tout en maintenant mon attention. Les gens autour de nous nous fixent étrangement ; un mélange entre l'envie de nous bondir dessus et nous rouer de coups pour nous montrer qui sont les chefs ici, et l'admiration face à des étrangers si bien équipés avec un désir presque viscéral de nous voler. Je vois la lueur dans leurs regards et je pivote vers Thorrak pour lui faire comprendre que nous ne devons pas traîner dans ce coin. 

Sans tarder, il se met en route et nous le suivons. Hormis la convoitise, quelque chose d'autre m'attire chez ces personnes. Leurs vêtements me paraissent sordides et bizarres au possible, mais pour eux ce doit être la dernière tendance. Couleurs ternes, casques sur la tête et lunettes de protection, gantelets en fer et cuissardes, ils sont clairement prêts pour n'importe quel assaut. Je distingue même des masques sur leur cou qu'ils ont baissé puisque cette zone n'a pas l'air nocive. Je devine que les Dothanides sont pleines de rejets de gaz et qu'ils n'ont que ces tissus pour se préserver des fumées asphyxiantes. 

Je n'imaginais pas vraiment les Dothanides et ses habitants ainsi ; dans mon esprit, ils étaient des êtres primitifs en haillons et avec des lames d'acier en guise d'armes pour massacrer le premier venu. La réalité est bien différente. Cet endroit de l'univers s'est apparemment industrialisé et a grandement évolué. Si Draark se trouve à la limite entre la ferraille, le bois et la pierre, ici seule l'acier existe. 

— Restez groupés, proches les uns des autres, ne vous éloignez pas et ne contestez pas mes ordres. 

Thorrak articule son dernier ordre et regarde en particulier Mira. Celle-ci acquiesce frénétiquement, bousculée par la précédente attaque.

— Que faisons-nous ? demandé-je.

— J'aimerais te répondre qu'il suffit de monter à bord d'une navette et sous-entendre que ce sera une tâche aisée, mais...le ton a été donné par les locaux. Tout d'abord, essayons de traverser la ville sans se faire découper en morceaux, puis nous prendrons cette navette.

— Le premier qui nous cherche des noises, je l'éviscère ! susurre Zora et elle toise les locaux non loin de nous. 

— Mauvaise idée, rétorque Thorrak. Baisse la tête, marche vite et ne t'intéresse pas à eux. Si nous sommes de nouveau attaqués, défendons-nous, mais ne les chasse pas. Moins nous les énerverons, plus longtemps nous survivrons. 

Sur ces mots, il imite ses mots. Les yeux rivés sur le sol, la nuque courbée et les pas rapides, il file tout droit sur l'avenue principale. Je le suis aussitôt, ne doutant pas de ses ordres. J'ai comme l'impression qu'il est déjà venu sur les Dothanides, alors je lui fais confiance pour nous guider à travers ce gigantesque guet-apens. Parfois, je repense à ce qu'il a fait à mes parents, ce qu'il m'a fait en les tuant et je ravale toute ma haine envers lui le temps que nous accomplissions la mission. 

De part et d'autre de l'avenue, des bâtiments hauts et immenses nous encerclent et devant chacun d'eux des marchands vendent des produits en tout genre. Les locaux sont réunis autour des étales et ne sont par conséquent pas sur notre route. Nous avançons dans l'espoir de ne pas attirer l'attention, cependant il n'y a que nous et un poids pèse sur nous, signe qu'ils nous scrutent sans relâche. Ce chemin s'éternise et je relève quelques fois la tête pour m'assurer que nous ne faisons pas du surplace. 

Mira redoute tellement une seconde attaque que ses tremblements lui font claquer des dents. Je me la représentais autrement dans mon imagination, plus brave, plus énergique et plus opiniâtre. Elle a l'air de vouloir abandonner, alors que nous en sommes à peine à notre début. Je n'ai pas besoin d'observer Thorrak pour connaître son état d'esprit. Il est déterminé et ne laisse aucun détail de côté. Son aura démontre sa force et pourtant sa docilité. Il annonce aux locaux qu'il est un tueur puissant, mais qu'il ne les approchera pas s'ils renoncent aussi à l'approcher. Quant à Zora, son voile cache à peu près ses expressions ; elle est davantage inquiète de respecter l'ordre de ne pas les chasser car elle a peur de ne pas résister à la tentation de leur botter l'arrière-train. 

— Ennemi à cinq heures, chuchote Zora.

C'est-à-dire derrière moi. Je tends l'oreille et à la seconde où je sens un souffle dans mes cheveux, je me retourne, attrape la barre de fer, virevolte pour bloquer le bras de l'assaillant, tire son arme et je me l'approprie. Ni une, ni deux, je le frappe trois fois, n'y allant pas de main morte. Quand j'ai fini, il s'écroule avec le nez et les lèvres en sang. La foule s'écarte des étales et je me remets à marcher. 

 — Eh bien, eh bien, raille Zora, c'est une féroce celle-là ! Faut pas t'emmerder !

— Je suis loin d'être à ta hauteur, ou à la hauteur de Thorrak.

— Allons ! pouffe-t-elle. Ne te gêne surtout pas pour nous flatter, c'est toujours agréable !

Je ne réponds rien et presse le pas, ressentant les regards haineux dans mon dos. Quelques minutes plus tard, nous atteignons enfin le bout de l'avenue et Thorrak nous entraîne dans des rues plus étroites avec moins de locaux. Nous nous détendons et j'en profite pour respirer correctement. Je me rends compte que mon souffle était chaotique depuis la sortie du spatioport. Pendant ce temps, je confirme que l'assassin a déjà foulé le sol des Dothanides, puisqu'il se repère facilement et n'hésite pas une seconde pour tourner dans ce labyrinthe qui nous est méconnu. 

— Thorrak, l'interpellé-je. As-tu réalisé une opération de repérage avant notre mission ? 

— Je me posais la même question ! s'exclame Zora. Tu connais bien cet endroit ! 

Mira soupire bruyamment et marmonne :

— Vous vous posez trop de questions. Est-ce important ? Peut-être qu'il passait par là et qu'il s'est arrêté pour se frotter à une prostituée pas chère !

Je fronce les sourcils, et c'est Zora qui interroge l'ancienne détenue.

— Comment sais-tu que ces anneaux abritent des prostituées ? 

Mira lui adresse une grimace disgracieuse.

— Franchement ? Je ne suis pas stupide, hein ! J'ai fait le rapprochement entre les histoires de mes parents sur un lieu rempli de criminels et ces attaques vicieuses ! 

— Ce qui ne me donne pas de réponse !

Je hausse la voix pour que Thorrak soit sûr de m'entendre, mais il fait mine de m'ignorer. Son aura mystérieuse m'horripilait une semaine plus tôt, m'intriguait à bord de la Valkyrie et désormais elle m'agace, puisqu'elle lui permet de dissimuler ses vraies pensées. Je n'insiste pas et mets de côté cette question. J'y reviendrai au moment opportun. 

En attendant, je discerne un bruit qui sort de l'ordinaire et je me concentre sur celui-ci. Je souris en identifiant le vrombissement discret du moteur d'une navette de transport. Nous nous rapprochons de notre objectif, sauf que Thorrak nous a dirigé dans une partie de la ville complètement déserte. En quittant une rue d'habitation, nous passons sur une ombre. Nous levons le menton et apercevons des rails suspendu dans les airs. Bientôt, nous arrivons sous un préau, grimpons les marches et nous patientons. Mira est essoufflée, n'ayant probablement pas l'habitude de cette allure qui est celle des gens pressés, tels que nous.  

Thorrak tapote sur la borne et achète quatre tickets. Ses mouvements sont précis et machinaux, je sais qu'il est venu ici, mais sa connaissance des lieux dépasse la simple mission de repérage. Je n'ai pas le temps d'y réfléchir, car la navette se profile sur ses rails, à toute vitesse. Elle ralentit à cet arrêt et se stoppe lentement. Nous montons en silence et nous enregistrons. Je constate instantanément qu'elle est entièrement vide. Aucun siège n'est occupé. 

— C'est à cause de l'heure et de la zone de la ville, m'indique Thorrak à mon plissement de front. D'habitude, peu de personnes prennent cette navette-là, parce qu'elle mène dans un coin reculé. En plus, ils sont tous chez eux en train de dîner. 

— Dans quel quartier nous as-tu conduit ? questionné-je, curieuse.

— Le quartier étranger. Ils ont intérêt à rester planqués s'ils veulent survivre sur cet anneau. 

Zora, ayant effectué son petit tour de la navette pour vérifier je-ne-sais-quoi, se poste face à Thorrak, les poings sur les hanches et les sourcils relevés. La mission ? a-t-elle l'air d'exiger. 

— La navette met très exactement quinze minutes pour rejoindre le prochain arrêt, deux minutes se sont déjà écoulés. A mi-chemin, nous devons faire en sorte qu'elle ne bouge plus.

— Il faut être plus clair, déclaré-je.

— C'est le conducteur que nous voulons, éclaircit-il sans broncher. Une fois que la navette aura atteint le prochain arrêt, elle se dirigera vers un endroit bien plus populaire et nous aurons du mal à enlever le conducteur. Nous avons environ quatre minutes pour que la navette survole la campagne artificielle. Nous l'arrêtons, nous ouvrons le cockpit et nous capturons le conducteur. Ensuite, nous avons sept minutes avant que la navette suivante ne débarque et qu'elle alerte les autorités. Suffisamment de temps pour nous dénicher un abri sûr où nous pourrons soutirer des informations au conducteur. 

— Plus que trois minutes, fait Zora. 

Automatiquement, l'assassin réagit et il s'accroupit au fond de la navette. Thorrak pointe son lance-flammes sur la porte et il nous expose son plan : le but est de brûler les joints et de ébranler la structure, puis de donner un grand coup. La navette est censée couper tout son système en cas d'attaque. Il nous prévient aussi que le choc pourrait nous surprendre et qu'il faut s'accrocher. Mira et moi nous asseyons sur les banquettes et serrons les appuis. Zora attrape la rampe, tandis qu'il commence à projeter le feu sur le fer. Ce dernier ne fond pas assez vite et les minutes défilent. 

Nous sommes déjà en retard d'une minute, lorsque l'assassin ordonne à Zora de pousser la porte de toutes ses forces. Il se redresse et se tient à la rampe opposée. La femme ne doute pas le moins du monde et donne un ample coup de pied. Ses bottes cognent durement le fer qui, fragilisait par le feu, cède. Sur-le-champ, une alarme retentit et l'arrêt brutal de la navette nous fait partir en arrière. Mira ne parvient pas à gainer son corps et à serrer la banquette. Elle chute et glisse, mais Thorrak la rattrape agilement avec sa jambe.

— Tu étais pas obligé de m'enfoncer ta botte dans le ventre ! crie-t-elle en se relevant grâce à la rampe.

— Tu n'avais qu'à pas tomber. 

La navette cesse complètement de bouger et nous nous mettons dès lors en mouvement. Je dégaine mon épée et la lance sur le verre qui sépare le conducteur de nous. Je cours et tape sur le manche avec mon talon pour le briser. Des morceaux tranchant s'éparpillent de partout sous les braillements effrayés de l'homme. Il nous dévisage tour à tour en reculant contre le tableau de bord. Il reconnait Thorrak et hurle d'autant plus fort. Je déverrouille la porte en passant ma main et je laisse à Zora le soin de l'assommer. Elle cogne ses tempes et le pauvre s'évanouit en un pathétique gémissement. Cette mission commence bien. 

— Et maintenant ? s'enquiert Zora.

— Descendons de là.

Il décale la brune et soulève le conducteur pour le porter sur son épaule. Nous regagnons le bout de la navette et il ouvre un boitier où un mot est gravé, secours. Il en sort deux cordes. Zora s'en empare et comprend ce qu'elle doit faire. Je lui en prends une des mains pour que nous fonctionnons plus efficacement. Nous utilisons les rampes pour les attacher solidement. Contre toute attente, Thorrak ne s'embête pas avec l'homme inconscient et il le balance dans le champ au dessous de nous. Ce n'est pas très haut, certes, mais mieux vaudrait qu'il ne soit pas blessé. 

Je secoue la tête en désapprobation et je descends la première avec Mira à ma suite. Les deux autres atterrissent peu après et je note la présence abondante de boue. Il a dû pleuvoir récemment. Thorrak remonte le conducteur sur son épaule et il se met en route sans aucun mot. Définitivement, il connait les Dothanides comme sa poche. 

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