La mélodie de la fatalité
Le bâtiment tourne au rouge à cause des lumières clignotantes des plafonniers et je perçois de l'agitation dans les dédales environnants. Je ne détecte aucune menace qui ne m'oblige à me battre, hormis la dizaine de gardes non loin de moi. Les sirènes résonnent et tous se mettent à ma recherche, à l'exception des hommes à la porte principale. Ces derniers me posent un problème de taille ! Avant de soupirer pour la énième fois, seule la lassitude imprégnant mon être, je choisis un couloir qui me parait vide. Je me dépêche. Dans ma course effrénée, je glisse et rentre dans quelques murs, mais n'y prête guère attention. Je sillonne la base avec autant de vélocité que mes muscles épuisés me le permettent. Des pas précipités me pourchassent.
Deux rebelles me font soudainement face et derrière moi, une dizaine d'entre eux sont sur le point de me rattraper. Pour les éviter, je me précipite dans un couloir perpendiculaire et cours plus vite encore. Je n'ai nullement le temps de me stopper et de m'en débarrasser. Alors, je continue ma course. Ils appellent leurs compères grâce à des radios. Une porte bloque mon unique chemin possible. Obligée de tenter le tout pour le tout, je l'enfonce d'un violent coup d'épaule et referme hâtivement derrière moi à l'aide d'une chaise à l'apparence rigide. Mes deux poursuivants se cognent à ce verrou improvisé, mais il ne tiendra pas. Je ne dois pas traîner.
Mes yeux scrutent la pièce de manière brève et circulaire, n'y dénichant pas grand-chose d'intéressant. Sauf peut-être un élément. Je me saisis de cet objet et me dirige vers une seconde porte. Je prie intensément pour localiser une sortie, sinon je ne donne pas cher de ma peau. Jamais je n'ai combattu contre plus de huit adversaires. Si tous les rebelles me tombent dessus, je ne sais pas ce qui adviendra de moi. Me tueront-ils ? Essaieront-ils de me laver le cerveau ? Dans ce flou, j'accélère encore plus.
A nouveau, je parcours le repère de la Résistance de long en large. Rien ne me permettrait de m'évader. Je ne pourrirai pas ici. Il en est strictement hors de question. Je traverse un vaste couloir. Des sons retentissent à ma droite. A bout de souffle, la respiration plus que haletante, je quitte cet espace délabré en déboulant dans une zone du bâtiment propre, entretenue, repeinte et optimisée. Il s'agit-là de ma chance. Je crie presque victoire en apercevant une merveilleuse issue. Une porte ? Une fenêtre ? Non, bien mieux ! Une énorme baie vitrée qui a l'air bien moins solide que celle de la salle des contrôles.
Je sors l'objet que j'ai dérobé, ravie de ma trouvaille, et le place sur la paroi du mur près de la baie vitrée. Puis, je l'active et fonce vers mon issue, sourire aux lèvres. Je pivote de profil, replie mes bras contre mon visage et percute le verre de plein fouet. Vu l'élan que j'ai pris, il se fissure aussitôt. Des bouts éclatent tout autour de mon corps et se glissent dans mes vêtements, lacérant ma peau. J'ignore autant que possible cette sensation douloureuse. Je chute. Longtemps. Plus longtemps que je l'imaginais. Tout se produit en une poignée de secondes. Je compte les étages. Au minimum cinq. Et je n'affronte pas un choc avec du sable, ainsi que je le présumais, mais de la neige. La chaleur provenait en réalité de leur chauffage mis à la température maximale. Le désert est à des kilomètres des montagnes de glace.
L'impact est imminent, je me recroqueville sur moi-même et attends. Brutalement, écrasée par une puissance de l'univers, je ressens l'entièreté de mon corps entrer en collision avec le sol. La neige n'amortit en aucun cas mon atterrissage très douloureux. J'ai terriblement mal, à un tel point que j'en pleurerais et hurlerais si mes forces ne m'abandonnaient pas déjà. Quelques-uns de mes os se fracturent en mille morceaux, et deux ou trois ligaments se rompent à l'intérieur de moi. Un bourdonnement aigu vibre dans mon esprit. Je vois trouble durant plusieurs minutes.
Allongée par terre, incapable de bouger, je ne tente même pas de me relever, car je ne réussirais pas. Détruite, je contemple mon sang s'écouler des différentes blessures ornant ma chair. Mes oreilles grésillent, mais je distingue au loin la détonation d'une charge explosive, celle que j'ai accrochée au mur. Toutes les vitres éclatent au palier d'où je me suis jetée. Les étages s'affaissent sur eux-mêmes et les flammes s'embrasent dans une magnifique danse macabre.
Un nouveau chant s'élève dans les airs. Des débris s'échouent tout autour de moi. Je crois en recevoir un, d'ailleurs. Cependant, mes paupières se ferment lourdement. Je ne peux plus résister. Je n'ai pas peur, l'esprit trop faible pour penser à quoi que ce soit. Les ténèbres me rappellent à elles, me revendiquant pour un ultime voyage.
Pourtant, le froid mordant me ramène sur terre.
La noirceur décide de m'épargner aujourd'hui. Je suis frissonnante. Mes mains tremblotantes s'accrochent à mes épaules, quémandant un peu de chaleur, mais ma peau demeure glacée. Je ne me réchauffe pas, bien au contraire. Ma tête bourdonne toujours et elle semble prête à imploser. Ma vision se stabilise petit à petit. J'identifie un crépitement qui provient d'au-dessus de moi. Couchée sur mon flanc droit, je déploie mes bras et pousse sur ceux-ci pour me retourner. Lorsque mon dos touche le sol, je lâche un gémissement et une ribambelle de jurons dont le son odieux ne se propage pas, bloquer dans ma gorge.
Mes yeux se posent immédiatement sur le ciel. Il est en feu. Le bâtiment brûle. Il se consume sous des braillements d'agonie. Il n'y aura pas de survivants. Le parquet s'est embrasé et a répandu les flammes dans toute la base. Le vent y a participé. Mon esprit embrouillé par la chute m'interdit de me souvenir tout de suite de ce qu'il s'est passé. Ils m'ont kidnappée, assommée... Le piège ! Ils me testaient... La fuite. L'explosif. Je contemple le repère enflammé. J'ai provoqué cette scène morbide. Et j'en suis fière. Mon cœur se gonfle de soulagement. Je respire encore et un nombre considérable de rebelles périssent en cet instant.
Pourquoi suis-je encerclée d'un tas de neige qui fond peu à peu ? Un silence intérieur me répond. Mon cerveau ne fonctionne plus aussi bien qu'une dizaine de minutes auparavant. Ce dernier redémarre progressivement, s'étant mis en veille au moment de l'impact. Cela m'apprendra à sauter dans l'inconnue, tiens ! Je me redresse sur mes coudes, mon corps tiré en arrière par la gravité trop forte. Fébrile, je me laisse bercer quelques minutes par le vent qui sifflote. Je regagne peu à peu ma plus grande alliée dans cette bataille contre la mort : ma détermination.
Je roule et me positionne avec difficulté sur les genoux. J'éprouve une souffrance si immense que mes yeux s'humidifient et des larmes perlent sur mes joues sans me demander mon avis. Des sanglots tremblent à l'intérieur de ma gorge. Je songe un instant à me recoucher et m'autoriser à mourir. Seulement, je préfère lutter et garde les yeux ouverts. La mort me supplie de la rejoindre. Elle me happe, elle me harponne de promesses, me jure que je n'aurais bientôt plus à pâtir de cette vie misérable, elle me désire ardemment. Je refuse de me faire prendre dans ses filets.
Alors, enhardie par mon implacable instinct de survie, je soulève mon bassin, une jambe, l'autre jambe et je me grandis, encore et encore, jusqu'à être debout. Vacillante, troublée par des vertiges, mais bel et bien sur mes pieds.
Brusquement, l'air s'insuffle dans mon être meurtri, ce qui engendre un souffle de souvenirs qui m'assaille et me paralyse un instant. J'étais venue pour le croc de Shagzum et j'avais volé les reliques d'Aerin La-rar. Tout a été anéanti par l'explosif. Je suis écœurée. Puis, je me rappelle que c'est un peu de ma faute. Toutes ces heures a risqué ma peau pour rien.
Je ne retournerai pas à l'Institut sans mon objectif.
Je veux pleurer. Mes larmes dévalent mes joues une à une sans tarir. Par rage, désillusion ou honte, je me replie sur moi-même. Une peine infinie s'agrippe à mes entrailles, causée par la douleur tiraillant chaque membre de mon corps. Cependant, une idée désespérée me calme. Le cristal. Il protège des attaques. Peut-être a-t-il préservé mes affaires dans l'explosion ? Je dois à tout prix fouiller et rentrer avec. Hors de question que j'ai fourni tous ces efforts pour finir sur un échec cuisant.
C'est dans cette optique que je m'introduis à nouveau dans le lieu que j'ai voulu quitter à tout prix quelques minutes plus tôt. Tout a brûlé du bois au sol à la pierre des murs. Le parquet rongé par les flammes révèle un sol en béton. Toutes les parois ont noirci. Je m'arrête au milieu de ce décor aussi époustouflant que morbide. Est-il impossible pour mes jambes de me porter jusqu'en haut ? Dois-je craindre que les plafonds s'effondrent sur moi? Je m'inquiète des deux. Les corps carbonisés jonchent mon passage. Le feu s'est atténué et je devrais être en mesure de me frayer un chemin.
Je monte à l'étage où j'étais, tremblante du crâne aux orteils. Je rampe dans les escaliers, vacille et redoute la chaleur de fournaise qui pourrait me tuer en un instant. La peur, Krixia, use de ta peur pour continuer d'avancer. Je croise de nombreux morceaux de murs ou de plafonds qui se sont décrochés de leur structure d'origine. J'entends les craquements de la pierre, les grincements du métal et les ricochets de ces ruines dégringolant à chacun de mes pas. Il manque certaines marches et je dois quelquefois escaladés. Entre l'angoisse qui menace de pétrifier mes muscles et les blessures qui s'aggravent au fil des secondes, je sens que je meurs. Mais, je ne peux pas abandonner. De toute façon, je perdrai la vie que je sois dehors à trépasser dans le froid ou ici à me battre.
Selon mon expérience, les objets de valeur sont constamment dissimulés dans un coffre, proche de la salle du commandant en chef. Celle-ci ne devrait pas être loin de la pièce où ils m'ont tendu leur piège. En déambulant sans énergie, je m'agenouille, reprenant mon souffle. Ma poitrine souffre et mes plaies saignent. J'en viens à hurler à tous mes mouvements. Je suis en lambeaux. Je ne tiendrai pas le chemin du retour, mais je persisterai jusqu'à m'évanouir et partir en silence. Je songe à nouveau à mes parents. Lors de mon dernier souffle, je ne leur accorderai pas une seule pensée. Contrairement à Priam. Je suis désolée de le quitter avec ma mort sur la conscience. J'aimerais lui parler une dernière fois pour lui assurer que ce n'est pas sa faute.
Larmoyante, je dois faire une énième pause et pleure autant que mes yeux asséchés par le feu le permettent. Au bon étage, je vacille de salle en salle. L'une d'entre elles m'apparaît plus spacieuse que les précédentes, très proche des commandes. Elle se situe à proximité de la baie vitrée qui m'a servi d'échappatoire et a donc été plus impactée.
J'ai trouvé. Du moins, je pense. N'ayant pas l'idée de m'en réjouir, je fouille chaque recoin, quasiment avachie au sol tant mon corps ne me soutient plus. Mon regard se dépose sur une boite métallique, isolée mais éventrée par l'explosion. La serrure est brisée.
J'ouvre le battant calciné. A l'intérieur, mes objets personnels ont survécu, hormis ma cape dont une partie a brûlé. Le cristal brille de mille éclats et il m'aveugle. Grâce à son champ protecteur, mon épée, ma veste, le croc et les reliques sont saufs et en excellent état. Je souris tristement et les récupère. Je suis abattue à la pensée de tout redescendre et envisage de sauter pour achever mon agonie tout en mourant avec mes biens de valeur dans mes bras.
Mes pieds butent sur le béton. Je résiste de moins en moins à mon désir de sommeil. Le gaz commence à comprimer mes poumons et je ne réprime plus les quintes de toux. De retour, je trébuche sur toutes les marches, exténuée. Je dévale des dizaines d'escaliers, à genoux ou la tête la première dans une dégringolade douloureuse. Je n'en peux plus. Un pied dans la tombe, je suis consternée par cette fin. Néanmoins, je me console en me félicitant pour mon acte à l'encontre de la Rébellion.
Vulnérable, je rampe parmi les quelques flammes inébranlables et ressors, en laissant une traînée rouge sur la neige. Baignant derechef au centre de cet amas blanc et glacial, je ne me débats plus. Il suffit. Si les ténèbres me veulent à ce point, qu'elles m'engloutissent. Elles m'enlacent dans une étreinte fatale. Je sers contre moi mon épée et le cristal sans prière. Je ne désire aucune absolution et ne regrette rien. Au moins, j'aurais combattu pour Santaria à mon dernier moment.
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