La chaleur de l'Institut
J'acquiesce distraitement à l'avertissement de Priam, tout en pensant aux lois de Santaria. Je me les récite de tête. Je les ai apprises lorsque j'étais gamine, mon père m'y avait forcée afin de me préparer à toute éventualité. Avant d'être une mercenaire étrangère, perdue sur la planète indépendantiste Kapleeen, j'étais la fille de deux républicains. Cette nation a toujours été la mienne. En me basant sur ces textes officiels que je visualise très clairement dans mon esprit, je recherche une faille dans le système qui me permettrait de contourner la règle et de supprimer mon rival. Mais, rien ne me vient. Je devrai supporter Yoreck.
Je suis docilement Priam au travers de la ville. Je rabats mieux la capuche et range mes cheveux flamboyants derrière mes oreilles. Cette cité respire la prospérité avec une certaine humilité, ne donnant ni une impression de précarité, ni de fortune. A l'image du Président, toutes les villes de Santaria renvoient de la simplicité et de l'efficacité. C'est pourquoi les républicains s'entendent bien avec la noble Couronne de Zergra. Le principe étant que tout le monde soit nourri et logé. Tandis que je guette les tours de communication qui alimentent sûrement toute la zone de cette planète, mon mentor me tire le bras et me désigne une bâtisse face à nous. Une longue pente ancrée dans le sable s'élève jusqu'à l'entrée en arche du magnifique et colossal Institut de Draark.
— Prête ? me demande Priam, alors que je me suis stoppée nette.
— C'est ici que vivent tous nos vénérés Seigneurs de Santaria.
— Je ne t'ai jamais vu dans cet état. Tes mains tremblent.
— J'ignore si je suis digne de pénétrer dans cette bâtisse sacrée, mais je le serai pour sûr.
— Oh, tu sais ! Les Seigneurs ne sont pas les seuls à résider ici. Les chefs militaires et quelques membres de l'administration du gouvernement se partagent les bureaux. Et puis, tu te rendras compte que le plafond tient par miracle et que la moitié des salles doivent être rénovées de toute urgence.
Je pivote vers lui, sourcils froncés.
— Ne casse pas mon bonheur. Tais-toi, vieil homme !
Il lève les mains en signe d'excuse et je me plonge à nouveau dans ma contemplation. Il reprend sa route, pendant que mes yeux traînent sur cette interminable pente en acier. J'y pose un pied et puis l'autre ; mon corps se tend et je me remplis d'un espoir nouveau. Il s'agit de l'unique bâtiment en métal, et non en pierre, hormis le spatioport bien sûr. Sa couleur et sa taille de géant le distinguent de n'importe quelle bâtiment de la cité. Voilà le message : Santaria peut se montrer humble et sage, mais sa grandeur égale son pouvoir ; ainsi prenez garde, étrangers. Je suis assaillie par un sentiment d'accomplissement. Depuis mes sept ans, je rêve de fuir Kapleeen et de me jeter corps et âme dans les conquêtes républicaines, leur offrant tout de mon être afin d'avoir un but dans ma vie. Cet objectif se profile à l'horizon, je le perçois enfin.
Je monte et rattrape Priam, genoux fléchis. Plus nous avançons sur cette pente, plus ma poitrine se gonfle d'honneur et moins je discerne les silhouettes quelconques des passants. C'est comme si je valais mieux que ces gens lambda pour la première fois. Nous atteignons l'entrée. L'Institut est illuminé par des cierges tout le long d'un large escalier en colimaçon. Nous grimpons et l'énergie de Santaria semble couler à flot dans mon corps. Je respire le même air que les Seigneurs. C'est jouissif. Je me sens à l'aise, à ma place. Pourtant, il n'y a que du métal, de l'acier, du fer, quelques pierres, une apparence de forteresse à moitié délabrée, un temple pour les Ravageurs. Ma future maison.
Seulement l'élite de l'élite peut accéder à l'Institut – le gouvernement, le Conseil, les Seigneurs et leurs disciples, ainsi que les Ravageurs. Chaque année, cent concurrents se battent pour obtenir les faveurs d'un des dix Seigneurs. Ces derniers ne prennent qu'un élève, les autres meurent durant le processus ou sont tués pour incompétence. Tenter sa chance dans ce grandiose concours est un pari dangereux, suicidaire, dans lequel beaucoup n'osent pas s'aventurer. C'est avant tout accepter sa mort, sa défaite et son déshonneur. Les méritants en ressortent vainqueurs.
Au bout de cet escalier en spirale, nous sommes accueillis par un long corridor de plus en plus ténébreux et à l'aspect solennel où deux statues trônent de part et d'autre. Elles représentent deux hommes, vêtus de capes sombres et armés de fines épées tranchantes dans leurs mains jointes. En général, les Ravageurs apprécient ce genre de tenue pour la discrétion. Ils choisissent l'ombre et s'y terrent, tout en arborant fièrement leurs lames au ceinturon. D'un côté, ils préservent leur identité en dérobant leur visage à la vue de tous ; d'un autre, ils annoncent tout de suite le type de personnes qu'ils sont.
— Le concept de l'Ordre des Ravageurs est né ici, sur Draark, expose Priam. Notant l'intérêt grandissant du peuple pour ces individus féroces et mystérieux, le Président a chargé les Seigneurs de sélectionner les meilleurs parmi les meilleurs pour les honorer de ce titre. Ces deux hommes ont été les premiers Ravageurs promus à l'Institut. Mais, je suppose que tu connais déjà leur histoire.
— L'un d'eux est devenu un serviteur proche du Président à l'époque. Un peu comme son ombre, mais il s'est détaché de lui et a accepté des contrats de tous les camps, optant pour une neutralité plus ou moins biaisée par son appartenance à la République. Disons qu'il tuait pour tous ceux avec une bourse d'or, mais il préférait toujours le Président au final. Nous avons perdu sa trace, mais les historiens affirment qu'il est à l'origine de nombreux meurtres en série qui ont d'ailleurs fait scandale. Le second a reçu l'ordre du Conseil de démanteler tout un réseau de rebelles, les prémices de la Résistance. Il a réussi et il a assassiné les grosses têtes. Quelques-uns se risquent à l'accuser d'attentats sur la Couronne de Zergra, mais le Président assure que nos deux nations n'ont guère été en guerre par le passé et qu'elles ne le seront pas dans l'avenir. Des hommes essentiels, honorables et formidables.
— Tu les envies trop. Regarde, tes mains tremblent encore. Garde ton sang-froid, Krixia.
— Tu te répètes !
— Parce que tu ne m'écoute pas.
Priam me dirige vers une immense salle vide où je constate d'innombrables va-et-vient et une vingtaine de dédales à emprunter. Cet endroit est dangereux, car je croiserai trop de personnes. J'en trouverai un autre passage pour me faufiler en dehors de l'Institut. Nous prenons un plus petit escalier. A l'étage, nous traversons plusieurs couloirs et nous nous enfermons dans une pièce assez sombre. Celle-ci est spacieuse avec un bureau dans le fond, des chaises haut de gamme autour, des placards sur les côtés et un sol recouvert d'une moquette bleu violacé. Je me doute que nous nous trouvons dans les appartements du Colonel Priam et me demande à quoi ressemblent les quartiers des Seigneurs, si les siens sont déjà si grands.
— Pour un Colonel, tes appartements privés en feraient pâlir plus d'un !
— Très honnêtement, je n'ai pas compris pourquoi les Seigneurs m'ont attribué cette zone-là de l'Institut, mais je ne me plaindrais pas ! Après tout, j'exécute tous leurs ordres et leurs basses besognes. Je mérite au moins cette récompense. A tout instant, tu pourras te reposer ici. Que penses-tu de débuter les épreuves sur-le-champ ? A moins que le voyage ne t'ait fatiguée.
— Non, commençons dès à présent. Si je ne me trompe pas, la saison des épreuves a été ouverte avant-hier. J'ai du retard.
— Tu le rattraperas sans peine. Néanmoins, pour maximiser tes chances et éviter que le Conseil ne te repère sans que tu n'ais terminé les épreuves, tu les enchaîneras autant que possible. Rentre à l'Institut à chaque fin de mission, repose-toi le temps qu'il faut, mais ne reste pas longtemps en vue. Ni à l'intérieur, ni dans la cité. Plus tu auras des prouesses à leur montrer, moins ils voudront t'éliminer.
Je demeure silencieuse. Je n'ai rien de plus à ajouter, alors Priam contourne son bureau, s'assoit et sort un parchemin d'un de ses tiroirs. Il le déroule et dévoile une carte détaillée de Draark. Je reconnais tout le territoire dominé par la République délimité par un large trait noir, puis un espace moindre dans les montagnes enneigées occupé par la Couronne de Zergra, et une zone entourée de blanc où vivent les autochtones qui se sont repliés dans le désert. Je remarque aussi une étendue non-répertoriée, là où se dissimulent la Résistance.
Dans tout l'univers connu et classifié, les répartitions sont plus ou moins celles-ci : la République, la Couronne, des natifs et les rebelles qui nous harcèlent dans la folle idée de détruire Santaria. Il arrive que certaines soient dirigées par des gouvernements indépendantistes, telle que Kapleeen. Toutefois, la Rébellion prend de plus en plus d'influence et nous vole des territoires, voire des planètes entières. Ils s'allient parfois aux autochtones et nous chassent. Zergra, quant-à-elle, ne se mêle pas de nos affaires. Se revendiquant paisible et neutre, elle s'installe sur des terres grâce à la négociation et au partage de profits. Puisqu'elle ne symbolise pas de menace directe, nous la laissons tranquille.
— Ici, c'est l'Institut. Tu dois te rendre là-bas. L'ancienne armurerie Santarian. Quelques décennies auparavant, les rebelles nous ont repris du territoire et nous avons dû abandonner notre armurerie, mais elle fonctionne toujours. Nous y envoyons les concurrents pour exécuter ce que l'on surnomme entre entraîneurs la première sélection. Les plus faibles sont tués par l'ennemi. Pratiquement la moitié des recrues périssent. Avec ton niveau, tu devrais revenir rapidement.
— Dis-moi ce que je dois faire.
Il sourit tristement à mon ton impatient. Je comprends pourquoi. Il était un ami de mon père au début, puis de ma mère lors de leur union. Il me considérait comme sa filleule. A la mort de mes parents, il m'a cherché dans toute la galaxie jusqu'à me localiser sur Kapleeen grâce à la venue du Seigneur Gareli sur cette planète maudite. Il n'a eu de cesse de m'envoyer des lettres en quémandant de mes nouvelles. Je les haïssais de ne pas me sortir de ma misère et ensuite j'ai pris conscience de sa raison. Je suis la fille d'une traître et je devrais assumer ce rôle jusqu'à la fin de mes jours. Si la République passe au-dessus de mon outrecuidance et accepte mes talents, il me faudra me présenter.
— Tu lui ressembles énormément.
— A mon père, j'espère ?
Il me lance un rictus désolé et mon visage s'assombrit. Je me renfrogne et lui tourne le dos. A sa fenêtre, j'aperçois toute la cité et l'étendu de sable au loin qui mène sur une vallée de dunes et des montagnes à perte de vue.
— Tu ne trahirais pas Santaria. Mais, tu ne peux nier votre point en commun.
— Qui est ?
— Votre désir de bien faire. Elle combattait pour la Rébellion et toi pour la République.
Je lâche un gloussement amer.
— Ainsi donc je suis l'ennemie de ma propre mère ! Heureusement qu'elle est morte, sinon je devrais la vaincre.
— Ne réfléchis pas de cette manière, Krixia !
— Peu importe. Qu'est-ce que je dois faire ? Répond !
Il ne répond pas, mais je lis dans ses yeux des reproches, et du désespoir. Il finit par céder et explique :
— L'équipement d'un Ravageur est essentiel. Il y tient à la prunelle de ses yeux et y tire puissance, vélocité et stratégie ! Les Seigneurs ont placé cette mission en numéro une pour cette raison. Tu t'introduiras dans l'armurerie, dénicheras une tenue complète, l'enfileras et tu retourneras à l'Institut. D'habitude, les concurrents meurent ou sortent les armes pour s'extirper de l'armurerie. Quelques-uns, les plus prometteurs, n'ont même pas à se battre. Ils se glissent à l'intérieur, puis à l'extérieur incognito. Les Seigneurs ont disposé des espions tout autour de l'armurerie. Tous les concurrents qui ressortent avec une ribambelle de rebelles à leur trousse sont châtiés par le Conseil. Je n'attends pas de toi le prestige de furtivité absolue, mais contente-toi de ne pas mourir et de ne pas te dévoiler aux espions.
— C'est tout ? questionné-je, interloquée. Récupérer une armure, la mettre, décapiter quelques rebelles au passage sans que les républicains soient au courant et courir jusqu'à l'Institut ?
— C'est exactement ça. Connaissant ton tempérament, tu souhaiteras plus. Retiens-toi ! Suivre les ordres fait partie de l'épreuve.
— J'obéirai aux directives, Colonel Priam.
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