L'exotique assassin
Avec un dernier regard hésitant, Novak ordonne à son assassin de me rendre toutes mes armes. Il me prévient que Gareli résistera probablement et que je dois être prête à l'affronter ; je ne suis pas stupide, je connais son tempérament, je m'y attends aussi. Thorrak me ramène mon équipement, la mâchoire serrée. Il a passé beaucoup de temps avec moi et doute de ma soudaine résolution. Je dois avouer que la personne la plus dubitative dans cette histoire, c'est bien moi ! Je me pose mille questions à la minute, mon palpitant bat de plus en plus vite et je commence déjà à regretter ce marché.
Mon désir de me venger a dépassé ma raison. Gareli m'a tendu la main à l'époque, il m'a sorti des décombres et m'a offert une croyance, un lien auquel je me suis raccrochée pour survivre. Je n'ai cessé de me documenter sur Santaria afin de tout savoir sur le bout des doigts à propos de ma nation. Pendant une dizaine d'années, je me suis moi-même endoctrinée, je me suis aveuglée dans l'espoir de devenir sa disciple et ainsi obtenir mon titre tant mérité. J'enrage rien qu'à l'idée qu'il ait choisi Yoreck Qorel à ma place. Il m'a abandonné, comme mes parents et la Rébellion.
Je ne peux compter sur personne, ni sur les autres ni sur moi. Gareli m'a trahi. Il compte me berner et me rabaisser à la place de simple assassin, peut-être suis-je vouée à remplacer Thorrak dans son plan. J'ai patienté trop longtemps pour aucun résultat. Ma fureur dépasse tout entendement et si je dois un instant me séparer de mes convictions pour tuer cet homme infâme, alors j'accepte à contrecœur d'autoriser la Rébellion à m'utiliser pour ce jour unique. Dès que je l'aurais tué, notre union s'achève dans la seconde.
Coopérer avec eux revient à tromper ma loyauté envers Santaria, mais admettons qu'ils disent vrai et que Gareli soit réellement un danger pour ma nation. Dans ce cas, je n'ai pas de raison de refuser. J'agis pour mon peuple, pour mon Président. Qui plus est, nul ne peut nier l'ambition folle et démesurée de cet homme ; prêt à tout pour anéantir son adversaire, Novak, sa cruauté n'égale aucune autre. Dans l'avenir, au fur et à mesure des échelons grimpés, il pourrait se retourner contre le gouvernement ou du moins se proclamer leader suprême. La République prolongerait dans une anarchie, une violence et un désastre sans précédent, ce qui jouerait en faveur des rebelles. Je me répète donc qu'en le tuant je nous sauve de l'annihilation.
— N'essaie pas de nous entourlouper, grogne Thorrak.
Je ne lui réponds pas et me lève pour rejoindre Novak. Ce dernier transmet des ordres à ces maudits rebelles dans le couloir. J'ai presque oublié avec toutes les récentes révélations que Thorrak détient une haute position. Tandis qu'il regarde en direction du Seigneur, je le détaille quelque peu. Le commandant de la Rébellion, rien ne l'indique. Son attitude, sa tenue, sa façon de parler, je n'aurais jamais remarqué son double jeu et cela m'inquiète : ces misérables se cachent parmi les visages les plus familiers.
— Nous devrions annuler l'opération, murmure-t-il et il se tourne vers moi, l'air angoissé. Tu me fixes encore à la manière d'un vulgaire déchet dont tu dois te débarrasser. Tu nous dénonceras au Conseil, je le sens. Il faut tout arrêter maintenant.
Il fait volte-face et se rue vers Novak. Je bondis et lui attrape le bras pour le retenir. Rarement l'ai-je vu aussi anxieux, voire paniqué. Tout peut s'effondrer pour lui à cause de ma décision.
— N'est-ce pas toi qui souhaitais à tout prix respecter les dernières volontés de ma mère.
— Oh, ne cherche pas à m'amadouer ! Tu te fiches pas mal de ta mère !
Nous nous sommes inconsciemment positionnés très proches de l'autre et je cille en me rendant compte de cette proximité.
— Ne crois pas en moi, surtout pas. Souviens-toi de notre pacte tacite. Je te tuerai un jour, c'est certain, et tu devras te défendre. Mais, je ferai bien les choses. Te vendre au Conseil ne m'amuserait pas le moins du monde. En plus, je désire davantage abattre Gareli que toi. Je m'occuperai des rebelles plus tard.
— Donc tu ne nous rejoindras pas ?
Je réplique par une large grimace et il pouffe tristement. En me mettant à sa place, je saisis parfaitement à quel point je représente un total échec à ses yeux. Non seulement il n'a pas réussi à me protéger de Kapleeen et des choix de la Rébellion, tout comme Novak, mais il m'a également perdu et a déçu les espérances de ma mère. Au final, Thorrak m'inspire de la pitié. Le meurtre de mes parents l'a profondément traumatisé et le hante encore aujourd'hui, il a suivi les indications à la lettre pour qu'une Abraax survive et il a fallu que celle-ci tombe aux mains de l'ennemi. Avec cette vision-là de cet assassin tourmenté, je ne parviens plus à vraiment le détester. Néanmoins, je ne lui pardonnerai pas.
— Eh, ne vous embrassez pas, hein ! hurle une voix reconnaissable. C'est mon rôle, ça !
Xiao Liu semble outré et nous scrute avec horreur depuis la porte. Il se dépêche de nous rejoindre, m'empoigne le bras et me tire à sa suite à l'extérieur. Les sourcils froncés et une moue sur les lèvres, je l'observe me traîner à l'écart des hommes de Novak et se stopper dans un couloir vide. Qu'est-ce qu'il fait là ? Apparemment, il a prévu de m'accompagner jusqu'au bout de cette opération. Muni de son éternel sourire goguenard, il chuchote, ravie de m'avoir écartée de Thorrak :
— Alors ? Je t'ai libéré du monstrueux rebelle à temps ?
Je garde quelque peu le silence sous ses yeux luisant de malice et finit par m'exprimer d'une voix monotone.
— Premièrement, il est évident que je ne m'apprêtais pas à l'embrasser. Plutôt mourir. Deuxièmement, qu'est-ce que tu veux dire par ton rôle ? Troisièmement...
Je lui donne un violent coup à l'épaule et il recule par automatisme en me lançant un regard noir.
— Pourquoi ?! crie-t-il.
— Parce que j'en avais envie.
Sur ce, je tourne les talons et regagne le couloir rempli de rebelles. Xiao Liu ne lâche pas l'affaire et se divertit de la meilleure façon à son goût, c'est-à-dire en se jetant des fleurs.
— Tu pourrais vouloir l'embrasser, ce serait complètement normal. Après tout, il incarne la masculinité rassurante et possède des atouts non-négligeables d'un point de vue féminin. Mais, je trouve ton choix très judicieux ! Tu as raison, Krixia, je suis cent fois mieux que lui !
Il glisse son bras autour de mes épaules et je me dégage instantanément sous ses ronchonnements. J'avance plus vite et il se tait au niveau de Novak. Celui-ci nous informe qu'une instance du Conseil commence dans une poignée de minutes et nous interviendrons sur ce créneau. J'acquiesce et leur emboîte le pas. Le regard de Thorrak ne me quitte pas, ce qui m'agace toujours autant. A une intersection, les rebelles partent avec le Seigneur vers l'entrée qui lui est dédiée. Il m'explique que je dois passer par les grandes portes afin de ne pas éveiller les soupçons.
Thorrak se charge de nous guider et Xiao Liu ne peut s'empêcher quelques boutades déplacées. D'un côté, je rêve de lui enfoncer la tête dans un mur pour qu'il se la ferme, parce que l'appréhension monte progressivement et j'aimerais du silence ; d'un autre, il me détend et donne à cette situation une ambiance moins stressante. Plus nous nous approchons du Conseil et plus un mauvais pressentiment se développe dans mon esprit jusqu'à ce que je ne puisse plus me détacher de cette sensation désagréable. Toute mon expression faciale la reflète, mes muscles se contractent et je reste à l'affût. Vient-elle de l'assassin, du mercenaire, des rebelles ou suis-je simplement en train de m'alarmer pour rien ?
Je réfléchis longuement sur notre chemin et finalement quand je découvre la pièce manquante du puzzle, celle-ci apparaît devant nous, armée et en colère. Nous avions négligé un détail important. Zora. La favorite de Gareli, l'homme que nous aspirons à tuer. Thorrak s'arrête brutalement et dresse instinctivement ses bras pour que nous demeurions derrière lui. Voilée, ses yeux renvoient toute sa frustration. En me voyant parmi eux, elle en déduit sûrement que j'ai changé de camp. Les deux assassins font un pas l'un vers l'autre, mais je refuse d'assister à un combat entre eux, parce que je sais qu'il sera le vainqueur.
Je me rue au milieu des deux et pousse brusquement Thorrak. Il se demande probablement ce que je fais ou si je me range aux côtés de Zora, mais je le rassure en un hochement de tête. En fait, je constate qu'elle et moi avons plus de similitudes que nous le pensions. Hormis notre origine, nous avons été bercées d'illusions par Gareli, piégées par son emprise et obligées à l'idolâtrer inconditionnellement dans un besoin d'appartenir à quelqu'un et d'avoir un but. Il n'est pas trop tard pour qu'elle se distance de lui et qu'elle vive à sa guise. Avec une puissance pareille et une telle beauté exotique, elle pourrait obtenir le monde.
— Mira était tellement préoccupée pour toi qu'elle m'a suppliée de revenir. Lorsque la bombe a explosé dans le spatioport, elle t'a entendu implorer Novak pour qu'ils nous épargnent. Elle a résisté pour que nous ne t'abandonnions pas et j'étais préparée à me battre avec toi pour sortir de l'Institut...tout ça pour que tu te sois moquée de nous.
Elle parle lentement en se maîtrisant, mais son énervement gronde.
— Tu peux me faire confiance, Zora. Ma cible n'est pas Santaria.
— Oui, j'ai bien compris ! Gareli...!
— Gareli n'est qu'un monstre que tu méprises ! Toute ton attitude le prouve ! Ton amour, c'est le sang et la rage, pas lui ! Ne le soutiens. Juste pour aujourd'hui, ne réagis pas en tant que la guerrière républicaine, mais en tant que la femme qu'il a achetée au fil des années par des cadeaux superficiels dans le seul but de te retenir dans sa couche !
Malgré son discret hochement de tête approuvant mes mots, elle continue de me dévisager. Figée, elle a été conditionnée pour aider coûte que coûte Gareli et ne parvient pas à céder facilement. Poursuivant un cheminement semblable au mien, elle redoute de tromper Santaria en nous laissant la voie libre. Je m'approche pas à pas d'elle et de son arme. Je ne cache pas ma volonté de saisir sa lame, une main tendue face à moi. A moins d'un mètre, je la touche presque et elle n'oppose pas de résistance.
Pourtant, une autre lame entre brutalement dans mon champ de vision et transperce Zora. Je contemple avec effroi et impuissance la dague de Thorrak se retirer de son abdomen. Elle chute d'abord à genoux, un filet de sang s'écoulant de sa bouche. Puis, elle s'écroule par terre. Xiao Liu réprimande immédiatement le commandant et leurs braillements me paraissent très lointains. Mes oreilles bourdonnent et je tombe près d'elle. J'appuie fermement sur sa plaie, pendant que l'on exige de moi de partir.
Zora me toise et prend faiblement mes mains pour les chasser. De par ce geste fébrile, elle me prie de terminer l'oeuvre qu'elle n'a jamais osé débuter. Exécuter Gareli et venger toutes les jeunes femmes qu'il a leurrées et dont il a abusé. J'explose, me relève promptement et cogne sans ménagement la joue de Thorrak. Je le frappe si fort que son corps se déséquilibre et il lutte pour ne pas trébucher. Il amorce un mouvement pour s'écrier, mais j'agrippe les pans de sa veste et m'égosille, brûlante de reproches :
— Amène-la tout de suite à l'infirmerie ! Si elle meurt, j'anéantis votre misérable Rébellion !
Thorrak ne rétorque rien et me sonde pour déterminer mon sérieux. Il note rapidement que je suis capable de le saigner sur place en cas de refus et il opine du chef. Il se risque quand même à m'avertir :
— C'est une menace.
Je ne l'écoute pas et le secoue pour le presser. Il sort une pochette de sa veste et me la donnesans explication. Thorrak soupire lourdement, mais la soulève et la conduit, j'espère pour lui, à l'infirmerie de l'Insitut. Je n'arrive pas à me calmer et Xiao Liu n'interfère pas. Telle une lionne en cage, je frappe violemment dans le mur et la douleur m'apaise peu à peu. Je m'accroupis pour respirer et il tapote mon dos. Zora ne mérite pas de perdre la vie, ni pour Gareli ni pour la Rébellion.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top