L'avant-poste E51
Avant que je ne puisse retourner dans le centre médical et patienter sagement qu'une personne m'attaque, m'interroge ou me tuer – ce qui serait quasiment préférable dans ma situation –, une ombre entrave mon chemin. Je ne relève pas la tête et la contourne, mais elle suit mes mouvements et persiste à me bloquer. Je serre les poings et soupire lourdement, mes pensées en pagaille et incapable de réagir avec logique. L'alliance Zergra-Rébellion me sidère et me bouleverse à un tel point que j'ai l'impression de m'être vidée de l'intérieur et de n'être plus qu'un patin regardant au loin l'échafaud.
Je me décale une dernière fois et perd complètement mon sang froid. Quiconque s'amuse à se jouer de moi risque de sentir ma frustration et ma colère. Mon regard se braque brusquement dans celui de l'importun et sans réfléchir je balance mon poing droit sur sa joue. Il ne peut esquiver, sûrement parce qu'il ne s'attendait pas à ce geste. Je profite de chaque microseconde durant lesquelles mes phalanges cognent durement Reddra Thorrak. Je ne suis même pas surprise de sa présence face à moi. Un peu pur plaisir et une douce vengeance, qui évidemment ne me satisfait pas. Il ne s'en sortira pas aussi facilement.
D'ailleurs, j'invente tout un tas de nouveaux enchaînements que je pourrais expérimenter sur lui maintenant, mais mon ouï est attirée par un élément important de ce décor cauchemardesque : plus aucun bruit. En me retournant vers la grande place et les rues environnantes du centre médical, j'ai le déplaisir de voir l'intégralité des regards posés sur ma personne, choqués, outrés et contrariés pour la majorité. Quelques-uns sont curieux, probablement ceux qui n'ont pas écoutés les rumeurs à propos de cette mercenaire rapportée ici. Je les fixe un par un avec rage et défiance.
Finalement, Thorrak règle le problème à ma place, ce qui augmente mon exaspération. Il se redresse, masse sa joue et lève la main en direction des rebelles pour leur assurer qu'il n'est pas blessé. Je suis à deux doigts de le frapper devant tout le monde afin de leur prouver, au contraire, que je suis dangereuse, furieuse et que je ne me laisserai pas malmener par eux. En fait, je décide de céder à cette pulsion et j'envoie mon pied en direction de son bassin. Il réagit instantanément, attrape ma cheville, me tire ce qui m'oblige à atterrir dans ses bras et il me traîne à l'intérieur du centre médical.
— Est-ce que tu peux arrêter de te débattre et de grogner, s'il te plait ? murmure-t-il dans mon oreille sans cacher sa propre irritation.
Je lui souris, geste qui le fait reculer car il sait que je prépare quelque chose. Aussi brutal que possible, j'effectue mon plus beau coup de tête. Mon front heurte si fort son nez qu'il se casse et Thorrak gémit en se tenant l'arrête. Je m'apprête à le combattre, quand je reprends enfin mes esprits. Je me rends compte que je perds du temps et de l'énergie avec lui, que je dois me ressaisir et ne surtout pas abandonner la bataille. La guerre semble tourner en faveur de l'ennemi, mais je ne lâcherai rien.
Puisqu'il est désarçonné à cause de la douleur qui se répand sur tout son visage, Thorrak essaie de me saisir le bras afin de me guider ailleurs, un endroit discret où il pourra réciter sa misérable propagande. Je ne cherche pas à comprendre comment il a prétendu être un assassin de la République toutes ces années, aux côtés de Gareli et en tuant mes parents qui soi-disant étaient des traîtres, donc des rebelles. Je me fiche de tout ceci. Je programme un nouvel objectif : fuir Gorth 2021, rejoindre le Conseil de Draark, faire mon rapport au Conseil et veiller à ce que le Président soit prêt à affronter la Rébellion.
— Attends, Krixia, il faut que...!
Je ne lui permets pas de prononcer un mot de plus. Sans détour, il se prend mon coude en pleine tête et je le pousse contre le mur pour ne pas qu'il me rende le coup. Une bagarre avec cet assassin serait inutile. Je me dépêche de ressortir du centre médical. Déboulant sur la place publique où Kiran se trouve toujours, je cours dans une direction inconnue. Avec un peu de chance, je trébucherai à un embronchement qui me mènera à un spatioport. Je n'y crois pas une seconde, mais l'espoir est ma seule option actuellement.
Je bouscule tous les passants qui s'écartent par réflexe de moi. Rappelons que je suis encore en robe blanche et que j'ai l'air d'une folle. Personne ne m'approche jusqu'à ce que Thorrak s'extirpe du centre médical, retenu par des droïdes qui insistent pour le soigner, le nez et la bouche en sang. Il hurle mon nom et fixe mon avancée dans la foule. A partir de là, certains entreprennent de me ralentir en s'immobilisant ou en tentant de me capturer. Bien sûr, je sprinte à une vitesse incroyable, accoutumée à fuir les mécréants et arnaqueurs sur Kapleeen. Le marbre lisse facilite ma course effrénée.
Le centre médical n'apparaît plus dans mon champ de vision et je me stoppe dans une ruelle très étroite, essoufflée. Si ma rapidité est une force, l'endurance est ma faiblesse à une allure pareille. Sans oublier la petite dose de sédatif qui engendre des vertiges et cette robe agaçante. Je préférerais être nue et prompte qu'habillée et lente ; cependant, je possède une once de dignité qui m'implore de ne pas m'humilier outre mesure face à des rebelles.
J'envisage une stratégie risquée et difficile, mais qui pourrait me faire gagner du temps. Je connais par cœur les coordonnées universelles de Bureau du Président, un lieu sordide où des bonhommes s'agitent dans tous les sens pour recevoir des plaintes des républicains. Je n'ai pas besoin de regagner Draark. Il se suffit de leur envoyer un message. Puisqu'ils les lisent tous, ils feront forcément remonter l'information aux hauts gradés. J'opte aussitôt pour cette tactique et termine de calmer les battements affolés de mon organe vital.
D'abord, ne plus avoir une dégaine d'échappée de l'asile. Je quitte mon maigre refuge et trottine vers une rue peu bondée. Je choisis une cible et la suis sur quelques mètres. Alors que cette femme amorce un mouvement pour entrer dans une boutique, j'empoigne sa taille et plaque ma main sur ses lèvres. Je les sens bouger et elle marmonne, mais je l'entraîne à l'abri des curieux, l'assomme d'un coup à la nuque – mon favori, au cas où vous auriez des doutes à ce sujet – et je lui vole tous ses vêtements. Pour sûr, elle n'est pas une rebelle. Comme la plupart des personnes sur cette planète. Ils sont des sujets de Zergra.
Je dépose la robe ample sur son corps dénudé et me mêle à la foule incognito. J'espère que Thorrak n'arrive pas à me traquer parmi tous ces passants et qu'il ne publie pas d'une façon ou d'une autre une annonce avec mon visage placardé dans toute la ville. J'ai vu trop de fuyards être dénoncé par les gens pour ne pas me méfier. Je garde la tête baissée et cache à peu près mes cheveux rouges sous une longue casquette que je dérobe à une étale.
Les minutes jouant contre moi, je marche dans les rues promptement et scrute chaque passant pour déterminer lequel pourrait porter un communicateur universel. Ce n'est pas commun, seuls les riches en possèdent et puisque ces personnes font partie de Zergra, je ne me fais aucun souci. Quelqu'un en détient obligatoirement un. J'en trouve un, mais malheureusement il passe un ballon à son ami en plein centre de l'avenue marchande.
— Réfléchis, Krixia, réfléchis, marmonné-je à voix basse.
Finalement, je m'illumine à une idée et fonce. Déterminée, me dressant de manière hautaine, je m'approche de ce duo et tapote l'épaule du garçon où dépasse de sa poche de manteau un communicateur. Il pivote avec un sourire imprimé sur son visage et me détaille de haut en bas. Je ne suis pas certaine d'avoir parfaitement enfilé ces habits complexes, je dévie immédiatement son attention :
— Excusez-moi, jeune homme. Je réside dans une autre ville et suis venue dans celle-ci pour visiter. Mais, je n'ai malencontreusement pas apporté mon communicateur universel. Serais-tu aimable de me prêter une minute le tien ?
Il hésite une seconde, mais acquiesce sans un mot et me tend l'appareil. Je le prends en le remerciant et clique aussitôt sur l'icône de la messagerie. Son ami nous rejoint et m'analyse. Je l'ignore et commence à rédiger mon message.
— Ce n'est pas une ville !
L'ami a parlé. Je le regarde distraitement.
— C'est un avant-poste, tout le monde sait ça !
Est-ce qu'il me soupçonne. Peu importe, je songe à mon objectif. REBELLES TROP NOMBREUX. Les communicateurs universels ne permettent que l'envoi de trois mots par trois mots. GUERRE EN APPROCHE. Que c'est long ! NOVAK DANGER ATTENTION. Je récapitule et m'empresse de rajouter deux autres messages. THORRAK DANGER ATTENTION. ZORA INNOCENTE CRÄNOS. Je prie pour que le Bureau du Président saisisse ces informations et qu'ils agissent au plus vite. Ai-je manqué un élément important ? Pendant que je repasse les récents jours dans ma tête, le crétin continue à nasiller :
— Nous sommes bien sympathiques de vous accueillir ici, mais ayez au moins la décence d'apprendre à vivre selon notre système. De toute façon, dès que Santaria sera réduite en cendre, vous tous sujets de Zergra repartirez sur vos planètes et nous retrouverons notre espace. Vous prenez toute la place !
A nouveau, je ne réponds rien. Je note également PRÉSIDENT EN DANGER et ZERGRA NOUS TRAHIT. Je suppose que cela leur offre une vue globale de la situation.
— J'ai hâte que cette vermine cesse de pulluler ! s'écrie l'autre.
— Quelle vermine ? demandé-je sourdement.
Je ne suis pas vraiment intéressée et entre les chiffres du Bureau dans l'appareil.
— Les républicains, pardi ! Tu n'es pas une futée, toi ! ricane l'ami. Ils ne méritent même pas de vivre !
— Avant de faire de grandes phrases et de haïr des personnes dont tu ne sais rien, tu devrais te taire et pleurer dans les jupons de ta mère !
Cette phrase dite sur un ton délicat a le don de le calmer. Au moment où j'appuie sur la touche d'envoi, je distingue Thorrak et plusieurs hommes armés qui se précipitent sur moi. L'assassin ralentit et engage un contact visuel avec moi. Je ne me détache pas de cet échange et finis par sourire sincèrement cette fois. Il fronce les sourcils et baisse les yeux sur l'appareil dans ma main. Il blêmit et ordonne aux gardes de m'encercler. Je ne fuis pas, heureuse d'avoir accompli mon devoir.
— Bande de crétins, vrombis-je.
Les deux gamins se sont figés et me toisent méchamment.
— La vermine, elle vous anéantira ! Vous n'aurez plus aucun endroit en cet univers où vous terrez. Nous vous débusquerons les uns après les autres, nous vous égorgerons et embraserons chacune de vos maisons.
Sur ces mots et pour donner un exemple à tous ces rebelles, je fracasse le communicateur par terre, récupère un morceau et heurte le visage du garçon. Son ami braille de peur et pivote pour décamper, mais j'empoigne sa manche, le retiens et abats mon poing sur sa mâchoire. Tous les passants s'écartent et créent un cercle autour de moi. Les gardes parviennent à se faufiler et me plaquent au sol. Thorrak s'accroupit en faisant claquer sa langue contre son palais en signe de désapprobation.
— Tu es insupportable, affirme-t-il.
— Vous ne gagnerez jamais !
Deux hommes me maintiennent comme si j'étais virulente et remuais pour me soustraire à leur prise, tandis que je n'esquisse pas le moindre geste. Thorrak enclenche un émetteur portatif et commande :
— La mercenaire vient d'adresser un message à une personne quelque part dans l'univers, le communicateur n'est plus opérationnel. Ordre à tous les infiltrés de se tenir prêt à réagir. Interceptez et détruisez le message.
Un doute s'installe en moi à ces phrases. Ils sont si nombreux ; ils auraient pu placer des espions partout, y compris au Bureau du Président. Je prie intérieurement pour que ces informations atteignent les bonnes personnes.
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