L'âme fragmentée, en sang
Où suis-je ? Quel est mon but ? Qui suis-je ? Des questionnements basiques aux réponses essentielles, et pourtant je ne parviens pas à y répondre. Les ténèbres me dévorent, elles se nourrissent de ma chair blessée et déchiquettent mon esprit torturé. Je suis engloutie par la terre, plus profondément encore que le noyau de l'existence. Je jongle entre les parois de l'univers, partout et nulle part à la fois. Je vois tout, du temps à l'espace et de l'espace au temps, mais je ne vois rien. Mes yeux ne sont pas capable de percevoir mon environnement. J'assiste au début et à la fin des galaxies, ainsi qu'au commencement de ma vie, mais pas à son terme. Toute une vie se crée devant moi, mais je ne prends conscience de rien. Je suis répartie aux confins des mondes. Je rassemble mes souvenirs et les éparpille là où mes pas m'ont mené.
Je comprends que je n'ai rien vécu. Alors que l'aventure m'appelait sur toutes les planètes, je ne me suis jamais libérée de mon sort de mercenaire. J'ai tué. Voilà le triste résumé de ma pitoyable vie. Je ne suis rien de plus qu'une meurtrière. Une tueuse habile certes, mais les crimes tâcheront mes os pour l'éternité. Où suis-je ? Quel est mon but ? Qui suis-je ? Je disparais.
J'ignore exactement jusqu'où j'ai pu me rendre, mais le résultat reste le même. Quelque part, mon corps repose sur une surface, paisible, immobile et froid. Ma peau devient blafarde au fil des minutes. Des coulées rouges tracent mon sillon. Mes jambes se transforment en plomb, mon estomac gronde, ma tête grésille et ma bouche souhaite implorer de l'aide, mais rien ne sort. J'avoue avoir grandement besoin de soins médicaux. Une poignée de minutes plus tôt, je toussais et crachais des perles ensanglantées, je me tordais de douleur, je roulais et rampais, je vivais encore. Maintenant, je n'en suis plus si sûre.
Je ne tousse plus et je ne ressens plus de douleur, je ne bouge plus car je ne détiens plus la force nécessaire, je meurs un peu. Je plonge dans l'inconnu, mes craintes envolées. Mon cœur bat toujours. Il attendra la dernière seconde pour cesser de palpiter. Mon cerveau, en revanche, ne transmet plus de directives. Il me laisse seule, il m'abandonne lentement. Il sait que je ne survivrai pas, il s'éteint. Mon système nerveux vrille. Tous les instruments qui actionnaient mon être explosent. Quoi qu'il en soit, le résultat reste le même : mon corps ne me supporte plus. Peut-être ai-je pris trop de risques cette fois.
— Une jeune femme ! C'est une jeune femme, regarde ! Madame, m'entendez-vous ? m'interpelle-t-on, gravement.
Enfin, je crois qu'un individu s'adresse à moi. A qui d'autre peut-il parler, de toute façon ? Perdue dans l'univers, un homme a voyagé jusqu'à moi et m'a rencontré... Quelle chance. Je vais bien, voudrais-je lui rétorquer, mais ma gorge nouée coince ma voix à l'intérieur. En réalité, je ne connais pas mon état, puisque je ne souffre plus. Est-ce que je vais bien ? Suis-je désormais en accord avec la mort ? Pendant ces méditations inutiles, des bras se glissent sous mon dos et sous mes cuisses. Je suis soulevée et ballottée dans les airs. Je me bats pour rouvrir les yeux sans le pouvoir. Mon calme, ma sérénité, ma déchéance, cette personne me prive de tout. Je m'apprêtais à m'endormir, mais dorénavant mon esprit combat le sommeil... Quelle injustice.
— Madame, tenez bon. Nous vous soignerons, m'affirme une soudaine voix féminine. M'entendez-vous, Madame ? Vous êtes blessée, mais nous allons y remédier.
— Elle n'est clairement pas parmi nous, Marla, suppose l'homme. Elle s'est probablement évanouie. Elle ne mourra pas entre nos mains. C'est déjà un miracle qu'elle respire. Elle semble téméraire. Elle luttera le temps qu'il nous faudra, j'en suis intimement persuadé.
A qui appartiennent ses voix et ses doigts qui parcourent ma peau, inspectant mes blessures ? Je me questionne, mais ne réfléchis bientôt plus lorsqu'une migraine me foudroie. La mort était bien plus accueillante que la vie. Toutefois, l'homme a raison, je compte bien réclamer mon existence. Tout à coup, un son de claquement retentit près de mes oreilles fragiles. Nous rentrons dans un endroit chauffé, puisque je ne sens plus les morsures de la neige.
Je suis déposée sur une surface molle. Mon dos se détend peu à peu, mais pas mon cou qui paraît se détacher de mon corps. La douleur m'attaque violemment de nouveau. Je grimace, regrettant finalement mon lit immaculé. Je suffoque et m'étouffe. Je refuse de tenir davantage. Sans me brusquer, je desserre ma prise sur ma vie et m'autorise à dormir, juste un court instant. Je sens que je ne me réveillerai possiblement pas, mais comment résister ?
Une personne crie à mes oreilles et me détruit les tympans. Ma gorge s'embrase. Pourquoi suis-je encore réveillée ? Pourquoi ma voix me parvient-elle ? Suis-je celle qui pousse ce beuglement quasi-bestial ? En effet, plus ces sons stridents s'élèvent, plus je reconnais mes gémissements et mes braillements de souffrance. Je sors progressivement des vapes et aperçois des mains se démenant pour me soigner. J'ai pleinement conscience de leurs actions. Ils désinfectent mes blessures, les recousent, sans aucun anesthésiant. Ils s'excusent mille fois, mais cela ne suffit pas à enlever le mal.
Je constate les airs inquiets sur les visages de ce duo, mes sauveurs apparemment, chacun de part et d'autre. L'homme me saisit le bras et marmonne des paroles incompréhensibles à son homologue féminine. Immédiatement, comme pressée, elle hoche la tête et sans tarder, il pousse mon épaule vers le haut. Par la suite, un rugissement déchire le silence de la pièce. Je m'égosille pendant qu'elle continue de verser de l'alcool sur mes plaies piquées à vif.
— C'est bon pour son épaule ! confirme-t-il, me donnant une persistante envie de lui faire subir les mêmes tortures.
Je le repousserais, lui arracherais les doigts, lui ordonnerais d'arrêter, mais je ne le peux. Ma voix se bloque dans ma trachée, mes yeux roulent par moment, je tremble, convulse, je perds régulièrement connaissance. Ils traitent toutes mes blessures. A défaut de les guérir ou de les faire disparaître, ils me stabilisent. Ils détiennent ma vie entre leurs mains, ainsi que tous les souffles qui me restent. Je sens de l'eau ruisseler sur ma peau, je ne comprends pas ce qu'ils font, mais cela fonctionne.
— Elle ne tiendra pas, rétorque la blonde maigrelette, elle n'y arrivera pas ! Aide-moi à stopper l'hémorragie.
A peine consciente pour les percevoir s'agiter autour de moi, au-dessus de mon presque cadavre, mes guérisseurs se chamaillent sans interrompre les soins. Un tissu appuie fortement sur mon bassin droit, sûrement cette hémorragie qu'ils évoquent. La femme ne semble absolument pas croire en ma survie, pourtant mon esprit ne s'est toujours pas désintégré.
— Rhys revient avec un brancard et des secours. Elle doit tenir le choc jusque-là... Admets qu'une femme normalement constituée aurait rendu l'âme bien avant. Elle brave toutes les éventualités.
— Chut ! Regarde ! Et fichtre, ne me dis pas qu'elle est morte ! s'écrie-t-on.
Est-ce l'homme ou est-ce la femme ? Il est même possible qu'une tierce personne soit intervenue. Ce qui m'entoure disparaît subitement. Mes paupières s'ouvrent et se referment de façon irrégulière. Ma jambe est compressée, probablement une énième hémorragie. Mon sang désire s'échapper de mes veines avec ardeur. Mon propre corps se tue. Je ne possède plus d'énergie, plus aucun cri ne retentit, mais seulement des grondements de plus en plus faiblards. Le monde se soustrait à ma vue et c'est encore le trou noir.
— Non, son cœur bat toujours. Allez, ma jolie ! Bon sang, accrochez-vous, je vous en supplie ! Les secours arrivent.
— J'espère que nous n'aurons pas autant bataillé pour la perdre deux minutes avant qu'ils débarquent !
— Quelle compassion, Marla, merci !
Mes pensées se dispersent. Je retrouve mon néant, mais une force m'en tire encore et encore. J'ai tellement mal, ma souffrance ne cesse de croître. Pourquoi est-ce que je ne meures pas ? Le peu de colère que je réussis à canaliser se dirige instantanément sur mes soi-disant sauveurs. Ils retardent l'inévitable. La douleur dévore chaque parcelle de mon être. Je n'aspire plus à être sauvée. Mais, un vacarme m'oblige à relever mes paupières.
— Services médicaux ! Qu'a subi cette jeune femme ? Levons-la ensemble. A trois !
— Nous n'en savons rien. Elle se trouvait, seule, à proximité du Sanctuaire des Neiges Sacrées. Inconsciente. Nous avons effectué les premiers soins, mais elle est trop endommagée.
— Très bien, bon boulot ! Nous la prenons en charge à partir de maintenant. Un ! Deux ! Trois !
Ils me portent derechef et me déposent sur une surface dure et rugueuse. J'en gigote d'inconfort. Beaucoup de mains touchent ma peau. J'aimerais les chasser. Un tissu incroyablement doux, fin et plein de chaleur me couvre. J'ai l'impression de ne plus être nue et vulnérable. Je suppose être allongée sur le fameux brancard, cachée sous un drap. Celui-ci me transporte à l'extérieur où la neige salue mon visage une fois de plus. Quelques flocons atterrissent doucement sur mes joues brûlantes.
— Cränos la sauvera-t-elle ? s'enquiert l'homme.
— Nous ferons le nécessaire au bloc opératoire, monsieur.
Je ne tolère plus tout ce bruit, il me répugne. Alors, je me renferme dans la tranquillité. Je n'entends plus, ne ressens plus, ne vois plus. Parfait. Je me délecte de cette harmonie silencieuse.
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