Épilogue
Mes cheveux n'ont pas survécu à l'humidité de Kercha et sont tout ébouriffés. Pour les dompter, je les attache avec une élastique en un chignon souple. Droïde 183 règle les derniers détails avant l'atterrissage. En gaine et simple pantalon, je décide de m'habiller pour ne pas perdre de temps. J'enfile une longue robe rouge bordeaux et referme le pan droit d'abord, puis m'enferme dans une ceinture qui cache plusieurs couteaux de lancer. J'ai bien aimé le style de Xiao Liu et l'ai donc imité. Étonnamment, cette tenue ne me gêne dans aucun mouvement, alors je l'ai adopté depuis quelques mois maintenant.
— Madame, préparez-vous à l'atterrissage.
Je m'exécute et me tiens à une rampe dans notre vaisseau. Les secousses durent une poignée de secondes jusqu'à ce que les moteurs s'éteignent. Au travers de la vitre du cockpit, je distingue le spatioport et un large sourire s'étend sur mon visage. Pour une fois, je ne viens pas sur Draark en cachette ou dans un vulgaire aéronef. Je possède désormais mon propre vaisseau, gentiment offert par Zora. Je l'ai baptisé Ravageuse. Simple, mais qui me ressemble parfaitement.
— Je ne reste pas longtemps, nous repartons dans la soirée. Fais le plein et attend-moi là.
— Oui, Madame, à toute à l'heure.
Je m'empresse de descendre. Dès que je croise son regard, je dissimule mon excitation de revenir sur cette planète et arbore un air nonchalant, voire hautain selon le point de vue. Je m'attendais à retrouver le Lieutenant-Général, mais je ralentis et jauge de haut en bas cet homme qui porte les couleurs d'un Général. J'essaie vraiment de ne pas sauter de joie pour lui et de retenir ma réaction. Depuis la mort de Gareli, je ne comprends pas pourquoi toutes mes émotions sont exacerbées. Selon Zora, je me sens libérée et éprouve beaucoup plus de sentiments qu'auparavant ; elle a probablement raison. Je souris et m'exclame :
— Général Priam ? Hum..., ça sonne bien !
Priam rit et s'élance pour m'étreindre. Pour le coup, je n'apprécie toujours pas les marques d'affection. Il le sait et se détache rapidement.
— Ton voyage a été bon ?
— Meilleur qu'avec ton aéronef à moitié défectueux, bougonné-je. Comment pourrait-il être mauvais ? Je possède un merveilleux vaisseau de guerre, vraiment pratique au passage en ce concerne les interceptions dans l'espace, et un droïde qui pilote à ma place ! Quoi rêver de plus ?
— Tu devrais apprendre à piloter par toi-même, me réprimande-t-il.
— Ne t'y mets pas toi aussi !
Je commence à avancer et l'entends soupirer. Il me suit et nous nous dirigeons vers l'Institut. A sa sortie de surveillance, il avait maigri, puait et était étourdi par la décision du Conseil. Personne ne l'a prévenu, mais il a deviné au fur et à mesure de son audience que la disparition de Gareli contenait un lourd secret. Que j'ai partagé à demi-mot avec lui. Il est au courant pour les rebelles infiltrés, mais je ne lui ai pas donné de nom pour son propre bien. La foule s'écarte en me remarquant. Pour une Ravageuse, je n'ai pas réussi à garder mon anonymat très longtemps. Tout le monde sur Draark connait la femme qui a vaincue le Seigneur dépravé.
— Tu rentres d'une mission sur Kercha ?
Je lui adresse un regard perplexe et marmonne :
— Tu l'as déduit à cause de mes cheveux ?
Il éclate de rire et je grimace. Sur notre chemin vers l'Institut, il exige que je lui raconte ma dernière tuerie. Cela ne l'intéresse pas vraiment, mais il adore que je lui raconte des événements de ma vie. Enfant, il m'obligeait à lui narrer chaque tuerie et il tentait de m'envoyer des vivres ou de m'amener sur Draark, mais il n'y parvenait jamais. A force d'en discuter avec lui, nous nous sommes rendus compte que la Rébellion l'empêchait systématiquement de me rejoindre d'une façon ou d'une autre. En l'occupant, en détournant son vaisseau, en créant des attaques sur la planète. D'ailleurs, cela me fait penser à une question que je voulais lui poser récemment.
— Savais-tu que ma mère était une rebelle ?
— Oh non ! s'écrie-t-il.
Son élan me trouble et il s'explique aussitôt.
— Si je l'avais su, je l'aurais dissuadé bien sûr. Au départ, j'étais l'ami de ton père. A son mariage, j'ai découvert une femme exquise en tout point et j'ai d'autant plus soutenu ce couple, surtout à ta naissance. Je n'aurais pas songé un seul instant qu'elle faisait partie de la Rébellion. Elle n'en montrait aucun signe.
J'hoche de la tête. Nous arrivons enfin à l'Institut et passons devant les statuts des premiers Ravageurs. Je me courbe légèrement par réflexe. Priam ne le voit pas et nous grimpons directement à ses appartements. Je les découvre, puisqu'il a de nouveau changé d'aile de par sa promotion. Bien plus spacieux, quatre pièces au lieu de deux et une vue sur toute la ville avec d'immenses baies vitrées. Lui qui détestait son ancien bureau et n'y restait pas souvent, il doit se plaire ici et s'y cloîtrer à longueur de journée.
— Comment va ta fille ?
Il pousse un gémissement plaintif et je ricane.
— A ce point ?
— Horripilante au possible ! De toute façon, ils croient tous que tu es ma fille et honnêtement j'envisage de mettre ton nom sur mon testament. Cette gamine ne cesse jamais de m'importuner et en plus elle te jalouse, ce qui n'arrange rien ! Quand tu auras du temps devant toi, tu me feras la faveur de calmer ses ardeurs. Je n'en peux plus !
Rien d'étonnant, sa fille est une boule de nerf importée des enfers. Nous conversons un moment sur les dernières semaines, nos missions respectives et nous dérivons automatiquement sur le passé. Il me donne des nouvelles du Conseil et de leurs récentes propositions de loi. Machinalement, je l'interroge sur Novak et ce dernier se rapproche toujours plus du titre d'Inquisiteur. Je ne l'avoue pas à Priam, mais je compte tuer ce Seigneur un jour ou l'autre. S'il atteint ce poste, il deviendra un confident proche du Président et je ne peux le permettre. J'improviserai bientôt une solution.
— Je détiens des informations qui vont surprendre ! déclare-t-il, subitement.
Il fait référence aux renseignements que j'exige à chaque retour sur Draark. Je lui ai dressé une liste de personnes à propos desquels il s'informe pour moi, parce que je n'ai pas le temps. Mes contrats m'obligent à courir dans tout l'univers constamment et je peine à me poser plus de deux jours sur une planète.
— Tu te souviens de ce que je t'avais dit sur Mira ?
Bien sûr. Cette petite insolente a rejoint l'hôpital de Cränos en tant qu'infirmière. Elle aurait apparemment supplié Sens-Meyer à un stade de quasi-harcèlement et il aurait cédé pour lui donner ce poste. Mira n'a pas très bien supporté le voyage à bord de la Valkyrie et toute la violence des tueurs l'a tellement perturbée qu'elle a juré de s'éloigner de ce monde cruel. Je fais signe à Priam de continuer.
— Eh bien, une femme de ta connaissance a également proposé ses services d'une manière, ma foi, peu correcte !
Hormis Mira, il ne reste que Zora.
— Qu'a-t-elle encore fait ?
Cette femme rôde toujours autour des ennuis, malgré la mort de son maître. Elle a renoncé à la loi du Talion. En revanche, elle s'est vengée du coup de Thorrak. Elle l'a poignardé à son tour dès son réveil à l'infirmerie et l'a battu jusqu'à ce que les os de son nez se brisent. Tous les deux se tiennent dorénavant à l'écart l'un de l'autre.
— Elle a éjecté Sens-Meyer en le menaçant et s'est proclamée Directrice de Cränos.
Je ne réagis pas tout de suite, mais m'esclaffe subitement en imaginant la scène. J'ignore pour quelle raison, mais Zora suit Mira où qu'elle aille. J'ai émis plusieurs hypothèses, dont une qui me parait évidente. La plus jeune préfère les femmes, je m'en suis aperçue avec tous ses regards insistants sur moi ou sur notre aînée. Cette dernière, malgré sa relation avec Gareli, un homme, ne semble pas du tout répugnée par les sourires se voulant charmeurs de notre benjamine. Quelque chose se trame entre elles et il me tarde de savoir le dénouement de leur histoire. Je ne manquerai pas de leur rendre visite avant de repartir.
— Qui d'autre ?
— Malheureusement personne, se lamente-t-il. Je raffole autant que toi de ragots, mais toutes les tensions se sont apaisées et les gens ont maintenant tendance à faire profil bas.
Nous débattons de tout et de rien jusqu'à l'arrivée fracassante de sa fille. Je choisis ce moment pour m'éclipser, bien qu'elle me stoppe deux ou trois fois sans que je ne puisse me défaire de ses paroles acérées et envieuses. Qu'elle crève de jalousie à mon égard, peut-être qu'elle se rendra compte de son pathétisme et qu'elle se transformera. Par le suite, je parcours lentement les couloirs de l'Institut et marche le long de la pente en ferraille, inlassablement impressionnée par ce magnifique bâtiment. Je déambule quelque peu dans les rues en quête d'un équipement à la mode ou une babiole qui m'attirerait.
Aux alentours du marchand de transports, où je m'apprête à louer de quoi gagner promptement Cränos, je ressens une présence familière dans mon dos. Je traverse l'allée et ne regarde pas les véhicules. Je marche en direction d'une zone avec moins de passants et me glisse derrière un mur. L'individu tombe dans le piège et avance tout droit. J'observe les larges épaules de Reddra Thorrak et ses cheveux mal taillés.
Sans crier gare, je m'élance et bondis sur lui en levant une dague. Il m'évite de justesse en se retournant à temps et sort également un poignard. Nous échangeons quelques coups féroces que nous braquons aisément. Mes compétences se sont davantage améliorées et les siennes stagnent. Un jour, je le dominerais complètement au combat. Soudainement, je cogne ses chevilles, il perd l'équilibre et chute lourdement dans le sable de Draark. Thorrak grogne et pouffe simultanément, ressemblant à un chiot qui éternue. Il tend la main pour que je l'aide à se relever, mais n'esquisse pas le moindre mouvement, les bras croisés.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? D'après mes sources, tu as disparu de la circulation. J'ai présumé que tu avais regagné Gorth 2021 pour t'y cacher.
— J'ai conscience de tes sources, autrement dit Priam. Je fais attention à ce qu'il n'entende rien à mon sujet !
J'hausse un sourcil et ne lui prête toujours pas main-forte. Il se lève tout seul et affiche son éternel air neutre.
— J'ai été prévenu d'une victoire qui n'a pas encore été célébrée dans l'univers et qui te fera plaisir, j'en suis sûr.
— La conquête de Kapleeen ?
Il perd son sourire fier et me toise durement. Comment le sais-tu ? Il me questionne silencieusement et je réplique sur le ton de l'évidence :
— Ce n'est pas parce que je ne réponds pas à Xiao Liu que je ne lis pas ses messages !
— Dans ce cas, pourquoi l'ignorer ? Tu ne devrais pas détester un ami d'enfance pour des broutilles !
Premièrement, je ne le déteste sûrement pas. Mon communicateur s'est brouillé et je ne pouvais que recevoir les messages. Je le réparerai bientôt. Deuxièmement, s'unir à la Rébellion représente bien plus que des broutilles. Néanmoins, je comprends les motivations de Xiao Liu et j'ai fait le choix de ne pas le condamner. J'admets que l'annonce de cette conquête m'a comblée d'un bonheur dont j'avais secrètement besoin. J'espère maintenant que l'Alliance des Cent Mercenaires maintienne à flot cette planète et que son peuple soit enfin délivré.
— C'est tout ?
Il hésite et cherche une autre révélation à me dévoiler, mais il est à court de nouvelles. Je glousse discrètement et recule pas à pas de lui.
— Tu ne me tues pas ?
— Il faut créer du suspens ! Tu es trop sur tes gardes. Dans quelques années, tu auras oublié !
Thorrak essaie de jauger la véracité de mes propos, mais abandonne très vite.
— Bon vent, Reddra Thorrak !
Sur ce, nous nous séparons à nouveau jusqu'à notre prochaine rencontre. La Rébellion persiste à se révolter, la République règne en maître et puis il y a moi dans cet univers, une Ravageuse prometteuse aux multiples contrats qui assassinent tous les opposent de ma nation. Je me suis évidemment promis de me battre bec et ongles contre les rebelles. J'ai mis Xiao Liu tout en bas de ma liste et Thorrak en avant-dernier. Je perçois au loin le cri du double agent et je souris instinctivement.
— Au revoir, Ravageuse !
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