Des milliards d'ennemis
La prochaine fois que je rouvre mes yeux, j'ignore combien de temps s'est écoulé, ni où je me trouve et ce qu'il s'est passé. Comme à mon dernier réveil, je bataille contre la fatigue qui pèse sur mes paupières. Je ressens un poids sur ma cage thoracique et m'inquiète pour mon cœur. Il palpite très vite et j'ai l'impression de ne plus respirer. Je me force à inspirer et à expirer profondément. Est-ce que je meurs ? Les rebelles me tuent-ils ? Peu importe.
J'éprouve une sensation inédite que je n'apprécie pas du tout : je sais que si j'ai le malheur de ne plus m'obliger à respirer, mon corps ne le fera pas pour moi. Je me bats de la sorte pendant une éternité ou peut-être plus. Mes yeux sont bel et bien ouverts, mais je ne vois rien. Soit je suis plongée dans le noir, soit ma vue a disparu. Une pique de panique rugit en moi et je commence à gigoter par automatisme. Mauvaise idée. Plus je bouge et moins je ne concentre sur l'oxygène qui s'engouffre difficilement dans mes poumons. Ma priorité revient à ma survie et j'improviserai plus tard un moyen de m'échapper, où que je sois.
Ce manège dure si longtemps que j'en perds toute notion de secondes. Bientôt, l'effort fourni pour me maintenir en vie n'est plus suffisant et le sommeil me guette. J'ai peur. Est-ce que je cesserais de respirer et suffoquerais, inconsciente ? Je n'ai guère le loisir de m'angoisser davantage, car déjà je me rendors dans la frayeur de ne plus jamais me réveiller. Mes quelques ultimes pensées, je les donne à ma mère. J'invente son sourire à partir de souvenirs lointains et je sombre encore vers un monde incertain et menaçant. Jamais je n'aurais imaginé mourir sans bagarre, ni fougue. Seulement une immobilité morbide et un rythme cardiaque qui diminue peu à peu.
— La patiente est stabilisée.
Je sursaute et me redresse brusquement, en alerte et les poings levés. Où suis-je ? N'étais-je pas sur le point de mourir ? Ah, je me suis probablement envolée vers la vie après la mort. Pourtant, les droïdes face à moi ont l'air réel, de même pour les deux sondes qui me bourdonnent aux oreilles. Je les chasse en agitant mes mains dans tous les sens.
— La patiente doit se recoucher immédiatement, la patiente ne doit pas se blesser.
Un des droïdes trottine jusqu'à moi et appuie respectueusement sur mon épaule pour que je me rallonge. Lui, il ne me connait pas ! Je lui envoie un coup de talon au niveau de son genou robotique et le déséquilibre aussitôt. Il part en arrière et n'arrive pas à se rattraper, s'écroulant sur une table de matériels. Cela ne l'empêche pas de me réprimander :
— La patiente doit impérativement se reposer, la patiente ne doit pas effectuer de larges mouvements.
— La patiente, elle aimerait bien savoir où elle a atterri ! grogné-je.
Un autre droïde vient le relever et déclare :
— La patiente se situe dans une chambre de séjour au centre médical 18 de Gorth 2021, la patiente doit coopérer pour son bien.
Je remarque des plaques d'immatriculation sur le côté droit de leur cou et je reconnais la marque de ces droïdes. Du moins, je me rappelle dans quelles circonstances j'en ai croisé. Les rebelles les apportent toujours avec eux où qu'ils se rendent afin d'être soignés efficacement en cas d'attaques de la République notamment. Il ne ment par conséquent pas. Thorrak et Xiao Liu ont réussi à m'amener sur Gorth 2021. Rien que d'avoir conscience de ceci, j'ai envie de vomir, de fuir et de retrouver Draark. Je regrette presque ma planète natale. Au moins, là-bas, le gouvernement est l'ennemi le plus pitoyable de la galaxie.
Ennemi qui m'a néanmoins laissé une trace douloureuse dans le dos. A cette pensée, je gesticule un peu plus, ce qui ne plaît pas aux droïdes me sermonnant. Je ne les écoute pas et réalise des rotations avec mon bassin pour vérifier l'état de ma blessure. A priori, je ne souffre plus. Me dépêtrant de cet amas de moralisateurs autour de moi, je saute du lit d'opération et me plante face à un miroir que j'abaisse pour visualiser la zone de mes lombaires. Rien. Une peau lisse et sans plaie apparente. Les sondes ont parfaitement fait leur travail en recréant des tissus humains. Voilà pourquoi ces maudits rebelles sont si durs à abattre ! Ils se sont entourés d'une technologie avancée et sacrément compétente.
— La patiente doit retourner à son lit, la patiente ne doit pas sortir avant d'avoir terminé ses quinze jours de repos, puis ses quinze jours de réhabilitation.
J'affiche de gros yeux qui leur indiquent clairement mon point de vue sur la question.
— Et mes quinze jours de repos se finiront dans...?
— Quinze jours ! répond le droïde que j'ai poussé. La patiente a tout juste été rapatriée et nous avons à peine guéri sa blessure.
Pause. Ils espèrent vraiment que je patiente tranquillement un mois, alors que ma blessure n'existe plus et que je me porte à merveille. Tout de suite, je soupçonne qu'ils ont reçu des directives des rebelles pour me garder enfermée, ce qui m'anime d'autant plus du besoin urgent de sortir d'ici. Je m'approche des deux sondes qui volettent dans la pièce et je les saisis agilement. Elles remuent dans mes mains. Sans leur laisser une chance, j'en fracasse une contre le long bureau rempli d'ustensiles et je piétine l'autre. Je n'y vais pas de main mort et me coupe la plante du pied. Du sang se répand sur elle et le sol. Quand je suis sûre qu'elles ne se relèveront pas, je fais volte-face vers les droïdes, leur lance un regard de défi et leur demande :
— Au final, la patiente doit-elle réellement passer un mois ici ?
Un droïde s'avance pour répondre, mais se défile.
— La patiente doit retourner à son lit, la patiente ne doit pas sortir avant d'avoir terminé ses qui...
Il m'agace celui-là et je m'élance sur lui en attrapant un scalpel au passage. Je le plante dans ses circuits, non loin de sa plaque d'immatriculation. Il fonctionne mal durant une seconde et se met en veille sûrement pour s'auto-réparer. Soudainement, leur bienveillance médicale se transforme en férocité et les cinq autres tentent de m'encercler en répétant cette phrase stupide. Ni une, ni deux, je bondis par-dessus le lit, empoigne la table de matériels et heurte de plein fouet un droïde dont la tête se décroche et roule par terre.
Ensuite, je pousse sur le lit pour bloquer l'un d'eux de l'autre côté de la pièce et m'occupe de ses copains. Je me munis de ciseaux, esquive une piqûre de sédatif et poignarde plusieurs fois le torse d'un droïde qui recule sous chaque coup. Je parviens à entrer mes doigts dans son torse robotique et atteins son processeur. Je l'arrache et il tombe raide, en veille également. Je sens à cet instant une légère douleur à mon bras. Me retournant, je note qu'une seringue est enfoncée dans ma peau. Je l'enlève rapidement, tout le liquide ne s'est pas infiltré dans mon système mais je crains d'être à cours de temps.
Je me dépêche et agrippe à la volée un plateau repas dont je balance toutes les assiettes sur un des deux droïdes restants. Le liquide de la soupe chaude le grille complètement, tandis que je cogne tellement fort l'autre que sa mâchoire robotique se détache de la partie inférieure de son visage. Cela engendre une réaction en chaîne qui le neutralise. Je n'oublie pas celui que j'avais coincé à l'autre bout de la pièce. Il s'est redressé et essaie de me rejoindre, mais je tape à nouveau dans le lit et son corps se casse en deux.
— Pratiques, mais fragiles !
Tandis que je reprends mon souffle, je perçois des martèlements à la porte. Je regarde la configuration de cette salle médicale afin de mieux me repérer. Un lit au centre – plus maintenant – et des bureaux plaqués sur tous les murs pour entreposer le matériel nécessaire, ainsi qu'une table mobile. Autrement dit, il n'y a aucune fichue cachette ! La personne toque derechef et s'enquiert :
— Est-elle habillée ? Puis-je la voir ? J'ai de nouveaux ordres du commandant ! Tout va bien ? J'ai entendu des bruits bizarres.
Très honnêtement, je n'ai pas beaucoup de chance et je ne peux pas prétendre au malentendu. Je viens littéralement de bousiller deux sondes et cinq droïdes de la Rébellion. Je réfléchis brièvement à une stratégie et choisis certainement la pire, mais il ne faut pas m'en vouloir. Je suis pressée ! Cherchant de quoi me défendre, je m'arme d'un piètre stylo à la pointe tranchante si je m'en sers bien et d'un...thermomètre... Non, en fait, je le repose et prends plutôt un autre scalpel.
J'inspire avec une intensité différente, n'ayant pas la moindre idée sur ce qu'il se trouve à l'extérieur de cette pièce. Lentement, je me dirige jusqu'à la sortie et la personne s'impatiente, déverrouillant la porte. J'en profite pour trancher le plus de doigts possible à leur apparition et il hurle instantanément. Je me précipite dehors et lui donne un coup aux tempes, ce qui désarçonne toujours. Me plaçant derrière lui, je tape violemment son front contre le mur et il s'évanouit.
Deux gardes étaient apparemment postés devant ma chambre de séjour et ils ravalent durement leur ahurissement, se ruant sur moi. Je mutile la gorge du premier et repousse le deuxième. Il dégaine un revolver, mais je transperce son poignet avec le scalpel, lui faisant lâcher son arme. Je pivote, ma jambe dressée, et défonce son menton. Le coup l'assomme. L'autre réitère son attaque. Je me baisse et le déstabilise aux chevilles. Il chute et j'abats mon poing dans son nez. Les trois ont rejoint le pays des rêves, je crois. Ou celui des cauchemars, tout dépend du point de vue !
Satisfaite, je ne tarde pas à courir dans les couloirs qui ne ressemblent en rien à Cränos. Plus petits et moins impressionnants, je me déplace avec une certaine aisance et quitte le centre médical sans véritable effort. D'ailleurs, ce n'est pas normal et je me doute que les rebelles m'ont autorisé volontairement à gagner l'extérieur. Ils sont maîtres dans l'art des tests. Ils m'étudient et m'attendent quelque part. Bien décidée à ne pas jouer avec eux, je me jette sur la dernière porte et me retrouve enfin à l'air libre.
Je découvre Gorth 2021, une planète très éloignée du soleil et froide. Dans ma tenue médicale constituée d'une ample robe blanche qui me couvre du cou aux pieds, je me frigorifie sur place, mais ne songe pas une seconde à me mettre à l'abri. Je constate sur-le-champ des dizaines de détails qui me perturbent autant qu'ils me laissent pantoise d'admiration.
Le sol a été intégralement recouvert de marbre et seules les zones de verdure sont formées de terre. La nature n'a pas été mise de côté, au contraire. Elle est omniprésente, fière et représente la moitié de la surface – l'autre étant de la roche à perte de vue. Je m'interroge. Est-ce uniquement la ville ou est-ce toute la planète ? Comment les rebelles ont-ils pu payer ? Aussi, tous les bâtiments sont sublimes. Chaque maison s'apparente à un manoir, spacieuses et absolument charmantes. Des chefs-d'oeuvre de l'architecture.
J'ai du mal à l'admettre, mais cette planète est magnifique. Ma raison m'ordonne de méditer avec logique sur cet espace très onéreux. Certes, les rebelles ne détiennent pas d'autres planètes et ne vivent que sur celle-ci. Toutefois, ils possèdent des bases militaires dans toutes les galaxies et doivent assumer leurs frais. Sans compter que leurs missions d'espionnage, de repérage ou leurs assauts leur coûtent énormément d'argent. Nous supposions même qu'ils abdiqueraient un jour par manque de moyen.
Un élément me trouble davantage. Le nombre de personnes dans les rues. Le centre médical est surélevé par rapport à la ville et je distingue les rues sur des kilomètres. Elles sont bondées et personne ne fait attention à moi, habitués à ce que des patients déambulent aux alentours vêtus de ces robes ridiculement blanches. Je ne pensais pas que Gorth 2021 serait à ce point peuplée. Ma vision de la Rébellion change drastiquement ; tandis que je les présumais peu et terrés dans des bases militaires, ayant investi une minuscule planète, je me rends compte que leur population est dense et leur planète majestueuse. Elle paraît assez similaire aux territoires de la Couronne Zergra.
— Oh, les rumeurs disaient vraies ! Vous êtes là !
Je pivote brutalement au moment où un individu m'enlace avec joie. Je me fige et observe ces cheveux. Sa voix et cette tignasse ne me sont pas inconnues, mais je ne l'identifie pas. L'énergumène se sépare et arbore un immense sourire heureux. Lui. Comment se nomme-t-il déjà ? Je fronce les sourcils pour me remémorer ; il le voit et ricane.
— Je n'ai pas arrêté de rêver de vous et en échange vous ne vous souvenez plus de moi, mercenaire !
— Premièrement, gamin, n'avoue jamais à une femme que tu as rêvée d'elle, c'est étrange et terrifiant !
Il glousse bêtement.
— Deuxièmement, je me souviens ! C'est ton nom qui ne me revient pas.
— Kiran, Kiran, Kiran ! crie-t-il, tout sourire et excité.
Bon sang, sur quoi suis-je tombée ? Il me terrorise. Ce garçon se montre bien trop sociable et enjouée pour moi. J'envisage un repli tactique, mais je suis au milieu d'une planète dangereuse et subis sa gaieté afin de bénéficier de sa sécurité. Normalement, les rebelles ne m'attaqueront pas en présence d'un innocent. En tout cas, il ne m'a pas manqué ! Même si je lui dois ma reconnaissance pour m'avoir conduit de Cränos à l'Institut.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ? m'exclamé-je. Tu me suis ? Espèce d'obsédé !
Mon insulte le fait rire. Grotesque, ce garçon. Extravagant et agaçant.
— La Couronne Zergra a appelé toutes les communautés proches d'un territoire républicain à rejoindre différentes adresses, dont Gorth 2021. Cela m'arrangeait, puisque ma sœur m'a expliqué que le directeur de Cränos traque la mercenaire Abraax sur tout Draark et qu'il recherche également la personne qui l'a aidé à partir. J'étais curieux de cette planète et je suis ravi de mon choix ! Les rumeurs racontaient que le commandant rentrait d'une mission avec une mercenaire du nom de Krixia Abraax. Je campe devant le centre médical depuis hier pour vous revoir !
Ne prenant en compte qu'une partie de son discours, je me retiens pour ne pas exploser de colère. Ce qu'il affirme n'a pas de sens et je scande, les dents serrées :
— Pourquoi la Couronne Zergra inviterait ses sujets à fuir la République sur une planète rebelle ? Ne me trompe pas, gamin ! La Rébellion a exigé que tu viennes me parler, n'est-ce pas ?
Il secoue vigoureusement la tête.
— Pas du tout, mercenaire ! La Couronne Zergra et la Rébellion ont formé une alliance politique. Vous n'étiez pas au courant ?
Il comprend à mon expression de plus en plus sombre que je n'étais effectivement pas au courant. Zergra et la Rébellion associées ? Il m'annonce la plus effroyable de toutes les hantises de la République. J'en déduis où les rebelles ont dégoté l'argent pour financer cette planète et comment ils ont survécu toutes ces années. D'autres systèmes nous trahissent-ils en secret ? Mon peuple est-il abandonné de tous ? Nous sommes condamnés. Le Président doit être averti. Mon adrénaline se dissipe progressivement et les effets de la seringue de tantôt se déclenchent. Toutes ces problématiques à l'esprit, au bord de la crise de nerf, mais calmée par une dose insuffisante de sédatifs, je me traîne jusqu'au centre médical, sans émotion.
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