Des bribes du passé
Ils se cramponnent tous à leurs armes. Ils m'attaqueraient sûrement si je ne renvoyais pas autant de haine et de détermination. Le bluff. Cela fonctionne presque tout le temps sur des esprits faibles. Ils se fixent les uns les autres, ne sachant pas comment procéder. Il suffirait de m'encercler ou de me tirer dessus. J'en déduis donc qu'ils me veulent vivante. Apparemment, mes résultats de ce test ridicule leur ont plu. Je patiente sagement jusqu'à ce que le plus courageux parle.
— Identifiez-vous. Nom, prénom, âge, planète natale et occupation. Tout de suite !
Je fais mine de réfléchir, un doigt posé sur mon menton. J'exagère quelques murmures en marmonnant. Ceci les force à tendre le cou, ne saisissant pas un traître mot de ce que je raconte. Ils se crispent en comprenant que je leur impose de nouvelles règles pour ce jeu. Leur attitude impatiente me révèle un détail crucial. Avec ce piège, ils cherchent à me soutirer des informations par le moyen de la coopération. Ils auraient pu m'enfermer et me torturer, mais ils ont choisi la manière douce. Espèrent-ils que je me détache de la République et je glisse gentiment dans leur camp ? N'importe quoi !
— Je ne possède pas de nom et j'ignore sur quelle planète ma mère m'a mise au monde. Je n'en ai connu qu'une durant toute ma vie. Mais, ça ne vous concerne pas. Ainsi, je ne m'identifierai pas.
— Vous vous exprimez très bien et votre équipement...
— Ne dites pas que j'ai l'air pleine aux as, car c'est totalement l'inverse ! grogné-je. Je me suis auto-éduquée à force de persévérance et de vols de manuels ! En plus, vous faites une fixette sur mon équipement, mais...ne le reconnaissez-vous pas ? Je vous signale qu'il vous appartient.
Leurs regards changent aussitôt. En particulier celui du colosse qui blêmit. Ils ont conscience de mon statut de concurrente, désormais. Ils comprennent pourquoi je me suis aperçue de leur piège pitoyable et pourquoi je me permets de les regarder avec tant d'audace, sans arme.
— Vous erriez seule dans le désert, blessée et avec ces artefacts. Pour quelle raison ? interroge le colosse. Etes-vous déjà devenue une Ravageuse ?
Si tel est le cas, ils se préparent à me tuer sur-le-champ. Je le lis dans leurs regards de plus en plus inquiets.
— J'y travaille ! Maintenant, si ça ne vous dérange pas, je vais prendre congé. Ceci me fend bien sûr le cœur et vous me manquerez beaucoup, mais nos chemins doivent se séparer. C'est le mieux pour nous tous !
Ma raillerie ne les amuse pas du tout, contrairement à moi qui me trouve très drôle. Humilité, Krixia, humilité. J'amorce un léger mouvement en avant, mais ils me barrent immédiatement la route en formant une ligne entre la porte et moi. Je note qu'ils ont décidé de leur sort : la mort. Ces hommes ridicules sortent épées et revolver, pensant m'effrayer. Ils auraient dû en conclure par mon attitude que je ne recule jamais devant rien. Je n'abandonne pas. Personne ne me contrôle ou me soumet. Je soupire toute en lourdeur pour leur montrer ma frustration et les avertir de ce qui va s'ensuivre. La mercenaire qui brûle en moi désire leur infliger une correction dont ils se souviendront pour le restant de leurs misérables jours.
Privée de mes atouts, ni cape, ni dagues, ni épée, je suis contrainte de contenir mes pulsions et d'agir avec prudence. J'esquisse un pas vers eux et m'immobilise une seconde en me rendant compte d'un objet fin dans ma botte. Je le sens à peine, si bien que je l'avais oublié. Mon couteau de lancer. Le deuxième est-il toujours à sa place ? Je bouge mon autre pied et conclus qu'ils n'en ont enlevé qu'un. Ne sont-ils pas au courant qu'ils vont de pair ? J'éprouverais presque une profonde pitié pour le Maréchal de la Rébellion qui doit gérer ces idiots ignorants.
— Trêve de bavardage ! s'écrie le colosse. Passons aux choses sérieuses.
Il est évident que les rebelles souhaitent éviter le combat. J'ai eu vent de ces stratégies de recrutement. Ils kidnappent des gens aux profils intéressants pour eux, les mettent à l'épreuve et tentent de les embrigader. La Résistance est désespérée pour le recrutement des personnes compétentes et s'appuient sur des méthodes parfois radicales. Vous vous en doutez, mais hors de question que je me joigne à ces mécréants. J'abaisse quelque peu mon centre de gravité, prête à attraper le couteau de lancer dissimulé dans ma chaussure. Seulement, le colosse prononce une phrase à laquelle je ne m'attendais pas.
— Avez-vous déjà vu un reconnaisseur facial ? Une machine brillante, développée par un de nos ingénieurs ! En réalité, nous détenons une flopée d'informations à votre sujet, Krixia Abraax. Votre vie et celles de vos parents n'ont aucun secret pour nous. Fille de la courageuse Jelena Abraax !
Mon cœur rate un battement de rage. Je me retiens de lui envoyer mon poing à la figure. Sa prétention et ses paroles engendrent une frénésie mortelle en mon être déjà agacé. Qu'il continue ! Je le déchiquetterai en morceaux plus tard. Cet endroit sera annihilé, je le jure. A quoi aspire-t-il ? Une médaille ? Dois-je les féliciter pour leur trouvaille ? Je me retrouve bouche bée, éberluée, par leur constante stupidité. Comment les rebelles font-ils pour vivre avec de tels cerveaux défectueux ? Clairement, ils ont choisi le mauvais jour pour m'énerver.
— Jelena Abraax était une traître, contredis-je. Et je n'ai aucun lien avec elle !
Ils ne me croient pas, bien sûr.
— En tout cas, je vous offre mes plus sincères congratulations ! scandé-je, un rictus méchant aux lèvres. La Rébellion dispose-t-elle de dossiers sur chaque agent de la République ? J'adorerais rencontrer votre fournisseur...pour lui trancher la langue, lui couper les mains et lui arracher les yeux !
— Ne soyez pas offensée, voyons ! Nous discutons simplement, affirme-t-il, inconscient du danger qui plane sur sa tête. Nous avons piraté les serveurs de Santaria une fois et avons volé un maximum de fichiers. Votre visage a été reconnu par notre formidable machine. Elle ne se trompe jamais.
Il se tait un instant et s'approche, en se postant à moins d'un mètre de moi. Le colosse me susurre sur un ton faussement peiné :
— Après avoir lu votre dossier, il m'apparaît logique et juste d'affirmer que l'existence de Ravageuse n'est pas pour vous. Votre destinée appelle à bien plus ! Jeune Abraax, savez-vous ce que votre mère a fait pour la cause ? Savez-vous l'héritage qui coule dans vos veines ? Vous voyagez en plein désert, empoisonnée et hallucinante. Vous portez des crocs de Shagzum, la bestiole impitoyable que tous les locaux fuient. Vous dénichez comme par hasard un cristal précieux et des reliques que nul ne se serait risqué à dérober par crainte des représailles. Vous débusquez notre leurre à la première seconde. Par-dessus tout, vous n'hésitez pas à faire de vous-même une cible, parce que vous avez parfaitement conscience de vos talents... C'est un vrai cauchemar pour nous d'assister à la destruction de talents pareils par la République. Elle se sert de vous sans exploiter votre potentiel. Que deviendrez-vous une fois sacrée Ravageuse ? Vous tuerez pour des riches corrompus qui pourront s'offrir vos services ! Une vie bien triste et solitaire ! J'espère... Non, la Résistance espère et prie pour que vous la rejoigniez. Vous, dans nos rangs, nous obtiendrions un indéniable avantage. Vous nous aideriez à chasser Santaria de Draark, nous conquerrions territoires et planètes et si vous prouvez votre loyauté, vous pourriez même commander nos bataillons à la guerre. Une Ravageuse infiltrée parmi les républicains, de notre côté, souffle-t-il, vous deviendriez un des atouts majeurs des rebelles. Tout comme Jelena à l'époque... Vous méritez tellement. Votre don inné mérite sa gloire !
Ils apprécient vraiment la vantardise et la manipulation mentale. Deux choses que je méprise. Je note dans le coin de mon esprit que le Conseil devrait mieux protéger ses bases de données. Nos réseaux foisonnent de renseignements en tout genre qui nous détruiraient en un claquement de doigts, s'ils arrivaient entre des mains ennemies. Ceci me contrarie énormément. Ils ne supposent pas une seconde que je m'apprête à me venger. L'ère de la Résistance s'éteindra sous mes yeux. Je ne mourrai avant d'avoir assisté à leur déchéance suprême. Un spectacle triomphal et légendaire qu'il me tarde de contempler. Commençons par eux.
— Par tous les dieux ! Je ne pensais pas un jour entendre un discours aussi désolant !
Sans qu'il ne puisse me stopper, je projette mon front vers l'avant et le cogne contre le sien. Le colosse tombe à la renverse en un cri rauque. Ses mains se posent instinctivement le haut de son visage en grognant de douleur. Je n'ai pas tapé si fort. Que des chochottes, bon sang ! Mes yeux roulent de désespoir. Les cinq autres se précipitent pour le relever et amorcent une attaque en simultanée que je déjoue sans peine. J'en prends un par le bras pour parer son coup de poignard, pendant que j'en heurte un autre dans l'estomac avec mon talon. Je balance celui que je tiens sur un troisième et ils chutent, entraînés par le poids l'un de l'autre. Avant que je ne puisse m'en prendre au quatrième, le chef de cette joyeuse troupe se redresse et leur ordonne de s'écarter de moi, l'arcade en sang.
— La République se trouve au bord du gouffre ! hurle-t-il. Que ce soit la Rébellion, ou les autres systèmes, Santaria s'effondrera sur elle-même et elle amènera tous ses fidèles avec elle. Pourquoi s'entêter, alors que votre mère a toujours rêvé que vous combattiez ensemble avec nous ? Viendra un temps où nous nous soulèverons pour anéantir cette puissance révolue et vous opterez pour le bon camp, le nôtre. J'en suis sûr !
Une envie de meurtre m'agrippe les tripes. Comment peut-il parler au nom de Jelena Abraax ? Nul ne la connaissait vraiment. Deux vies en une, sauf qu'elle a fait l'erreur de se placer aux côtés des rebelles. Je ne la suivrai pas dans sa folie.
— J'en ai assez de supporter vos braillements absurdes ! Je tire ma renverse et adieu à tous ceux qui essaieront de m'en empêcher.
Je ne laisse pas l'occasion au colosse de me neutraliser avec son revolver et esquive la balle qu'il tire et qui me frôle de peu. Tout en effectuant une vive rotation sur ma droite, j'aperçois du coin de l'œil qu'il se relève et que les autres se jettent sur moi. Ni une, ni deux, j'empoigne son arme à deux mains et fais en sorte qu'elle ne me vise pas. Il appuie convulsivement sur la gâchette, trop en colère contre mon obstination pour ne pas vouloir me blesser. Je lui casse les noisettes d'un bref coup de genou et il se plie en deux. J'en profite pour me décaler au moment où une lame s'abat droit sur moi. Au lieu de me toucher, elle s'enfonce dans l'épaule du chef qui beugle de douleur.
Sans mal, je m'accapare son arme et vise immédiatement l'autre assaillant, sauf que le colosse a tellement tiré qu'il ne reste plus de balles. J'utilise le manche du revolver pour frapper l'homme qui tente à nouveau de me taillader. De ce fait, il titube et je lui vole son poignard. Sans perdre une seconde, je lui entaille la gorge si bien qu'il en est déboussolé. Il tombe raide, le sang se répandant sur le vieux bois du sol. Ses camarades m'encerclent et raffermissent leur poigne sur leurs dagues. Confiante, je m'engage dans un combat que je prédis décevant.
Techniquement, me battre contre un groupe d'adversaires fait partie de mes spécialités. J'ai appris à ne pas redouter le nombre, à ralentir mon rythme cardiaque pour ne pas m'emballer ou paniquer et à ne surtout pas manquer la moindre occasion. J'esquive les assauts et les blesse un à un. Tantôt je m'en prends à leurs artères principales, tantôt à des organes vitaux. Je ne leur autorise ni répit, ni pitié. Je repense à ma mère, à toutes les rumeurs et les histoires sur sa trahison, à comment elle a traîné le nom des Abraax dans la boue. Ma rage implose enfin et je finis couverte de sang de la tête aux pieds.
Les deux derniers m'attaquent en même temps et parviennent à me faire perdre l'équilibre en associant leur force. Le poignard m'échappe, mais je ne me décourage pas pour si peu. Je projette ma jambe en l'air en me soulevant légèrement avec mes bras et réussis à heurter la mâchoire du rebelle, tout en exécutant une roue parfaite et atterrissant sur mes deux bottes. Le second résiste, coriace. Il pare mes coups, mais oublie de protéger ses membres inférieurs. D'une balayette, il dérape et s'écroule sur le parquet. Je dégaine mon couteau sous son visage palissant et le lance en plein cœur. Il se dégage un dernier souffle d'entre ses lèvres .
— Je vous en prie, ne faites pas ça...
J'avais oublié le colosse. Il n'aurait pas dû l'ouvrir à nouveau. Je récupère mon couteau et marche à pas lents vers lui, le regard foudroyant. Je m'accroupis, le corps et l'âme ensanglantés.
— Vous ne vous êtes pas doutés que si je n'avais toujours pas rejoint la Rébellion malgré la position de ma mère, cela voulait dire que je vous haïssais, vous et tous vos idéaux ? Que cela m'enragerait de recevoir votre pittoresque moral ? Mourez dans le regret.
Sur ce, je l'égorge petit à petit pour qu'il ressente la souffrance. Cette vengeance n'aura pas été amusante du tout. Vidée d'énergie, je demeure plantée au milieu de ce bain de sang un instant. Je distingue des munitions dans la veste du colosse et je recharge le revolver. Puis, je sors de la salle de contrôle en me demandant ce que cette fichue base me réserve encore. Je m'élance dans les couloirs, blessée par le Shagzum et déboussolée par le labyrinthe de dédales qui dupe mes sens. Je passe plusieurs fois dans les mêmes endroits, face aux mêmes panneaux et devant les mêmes portes. Toutes mes pensées se mélangent et constituent un méli-mélo de fureur. Je me maîtrise du mieux que je peux.
Des minutes intolérables s'écoulent sans que je ne déniche un escalier ou une porte de sortie. J'en ai ma claque de tourner en rond. Gardant tant bien que mal mon sang-froid, l'énervement m'emporte irrémédiablement dans une instance de transe qui me pousse à poursuivre ma route et à supprimer quiconque se placerait entre l'Institut et moi. Je me retiens de crier de soulagement en distinguant deux immenses battants de fer, sûrement l'entrée principale du bâtiment. Pourtant, la déception fait retomber mes lèvres. Je me cache à toute vitesse dans le dédale d'où je viens, puisqu'elle est protégée par une dizaine de rebelles armés jusqu'aux dents. De plus, l'univers m'en voulant encore, l'alarme de sécurité se déclenche et une cacophonie déplaisante retentit dans toute la base.
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