A la poursuite de la bête
Allongée sur son canapé, loin de la grâce et de l'élégance, j'observe Priam songer à ma prochaine mission. Il farfouille dans ses fiches d'intervention. Je suppose qu'il s'inquiète encore pour moi vu le temps que cela lui prend. S'il me privilégie et me choisit une quête aisée, je ne prouverai jamais ma valeur au Conseil. Il épluche une trentaine d'ordres sans en dénicher un qui ne nécessite pas de risquer considérablement ma vie. Je crois qu'il me sous-estime. Ou qu'il me porte trop d'estime justement. Il connait mes capacités, tous les contrats que j'ai remplis en tant que mercenaire. Ses sentiments me dérangent.
— C'est bon ! m'informe-t-il, alors que je perdais patience. Je ne suis pas très convaincu de l'utilité de cette mission, mais elle requiert de grandes compétences en combat et une agilité à la hauteur de ton adversaire ! Tu t'en sortiras.
Mon soupir, et mon roulement d'yeux qui le suit, lui arrache un sourire gêné. Il se sent coupable d'autant vouloir me préserver. Maintenant, je comprends pourquoi. Dans son esprit de vieillard au bord de la retraite forcée, je suis son unique véritable héritière. La seule qui honorera sa mémoire. Ne comptons pas sur sa fille pour marcher dans ses pas. Sans répit, il tente de m'inculquer les bonnes valeurs, de me diriger sur des chemins stables. Il ne cesse de me conseiller et de m'épauler. Je lui en suis terriblement reconnaissante. Mais, puisque je suis incapable de prononcer le moindre mot aimable, il ne devinera jamais ma gratitude.
— Ta mission ne devrait pas durer plus longtemps que la précédente. Sans aucun véhicule, tu te rendras dans les Terres Sauvages. Un Shagzum y a été repéré cette semaine par les villageois. Bien que la République n'aide pas les autochtones d'habitude, ils nous ont proposés des ressources minières qu'ils dissimulent dans leurs réserves. Nous ignorons sa position exacte, mais localise-le et détruis-le, ainsi nous serons récompensés. Rapporte ses crocs.
— Comme gage de ma victoire, présumé-je. Notre parole ne suffira-t-elle pas aux autochtones ?
— Ils nous croiront volontiers. Vois-tu, les crocs de ces créatures nous sont très précieux. Leur naturelle résistance nous permet de façonner des armes redoutables. Les meilleures dagues qui existent sur le marché ! C'est une petite mission, mais elle avantagera notre camp, ce qui est toujours bon pour les affaires.
J'opine du chef, docilement. J'avoue que ces bêtes me sont totalement inconnues. J'aviserais lorsque je me tiendrai devant elle. Je me lève sans tarder et rejoins la porte en le saluant. Toutefois, il m'interrompt.
— Les Shagzums sont féroces, m'informe-t-il, mais abrutis. Tu le vaincras facilement. A bientôt, ma chère.
J'acquiesce une dernière fois, puis je quitte l'Institut en me faufilant à travers les couloirs. A cette heure-ci, peu avant l'aurore, le hall d'entrée normalement bondé est vide. Je ne croise donc personne. Je descends la pente métallique à la hâte. Sur la place publique, une fontaine représentant un hideux monstre crache de l'eau. J'en profite pour remplir la gourde que m'a prêtée Priam. Je déambule dans la ville plus sereine ; contrairement à l'armurerie, la mission parait si simple. En outre, cette fois, je suis en pleine forme. Mon ventre ne crie pas famine et j'ai de quoi m'hydrater. Je suis assez rassurée quant à mon nouvel objectif.
Les Terres Sauvages se situent à la bordure sud de Draark. Il s'agit d'une petite planète qui a intéressée la République de par ses nombreuses ressources. Selon mes calculs, j'atteindrai cette zone dans moins d'un jour de marche. Seulement, bornée dans mon optique d'impressionner Priam, j'accélère l'allure et finis par trottiner. Quand j'étais enfant, je m'étais égarée au milieu d'une gigantesque plaine, sans vivres, sans couverture. Rien qu'un ridicule manteau déchiré. Durant plusieurs jours, j'avais erré, avant de retrouver ma route. Grâce à cette expérience malheureuse, j'ai appris à compter sur moi-même. Je remercie mon endurance.
Durant cette journée, je m'arrête seulement une courte demi-heure pour reposer mes jambes et pour chasser l'oiseau afin de remplir mon estomac. Je pénètre dans les Terres Sauvages très rapidement, à peine essoufflée. Le soleil ne m'a pas freiné un seul instant.
D'ailleurs, je me rends compte que les Terres Sauvages sont encore plus arides que le territoire républicain. J'aperçois au loin un amas de maisons en bois et en chaume. Du moins, je suppose que ce doit être d'autres matériaux qui imitent cet aspect et cette couleur, car autrement ils s'enflammeraient à cause des rayons de la gigantesque boule de feu. Je décide de débuter mes recherches ici. Peut-être me renseigneront-ils sur le Shagzum.
En m'approchant, je note que l'apparence des autochtones n'est pas des plus propres et soignées. Des femmes poussiéreuses portent des sacs de blé. Des hommes ensanglantés ramènent le gibier. Ils possèdent bien du courage pour vivre dans ce désert caniculaire. Draark étant une minuscule planète, je me suis toujours interrogée sur sa géographie. Comment se peut-il qu'un désert cohabite avec des forêts tropicales, des plaines enneigées, des zones industrielles, des champs, des mers en un si minuscule espace ? En plus, elle ne manque pas de ressources. Voilà pourquoi Santaria souhaite tant la reconquérir pour de bon et expulser les rebelles.
Réprimant mes questionnements inutiles, je remarque qu'ils me scrutent tous de manière peu sympathique. Je saisis sans mal la raison de cette atmosphère hostile. Entre ma cape ténébreuse et les gouttelettes de sang parsemées sur les ourlets, mon armure rouge vive qui transparaît en dessous, l'épée à mon ceinturon et mes dagues coincées dans mes bottes, ils se préparent à me chasser, sur la défensive. Dès que je m'avance, ils se décalent. Les plus jeunes s'enfuient. Ceux qui restent et n'amorcent aucun mouvement baissent le regard, priant pour que je les épargne.
Dépitée par cet accueil, je ressens quelques vertiges. Le soleil cogne sur mon crâne et mes vêtements ne me protègent pas de lui. Je repère un coin à l'ombre et m'y glisse, m'écartant ainsi des peureux.
Je bois et pendant cette courte pause, je m'efforce de dénicher une personne qui ne me craint pas. Une paire d'yeux me scrute de l'autre côté de ce campement. Une vendeuse. Je le déduis à sa tenue et les bibelots disposés autour d'elle. Je gagne son baraquement et note qu'elle ne se détourne pas. Cela me surprend. Elle a du cran, à contrario des autres. Tout le village se tait et stoppe leurs activités. Ils contemplent la scène, aux premières loges. Assez proche de la marchande, je la questionne d'une voix calme et posée afin de les rassurer :
— Vous qui résidez sur ces terres, savez-vous où se terre la bête qui vous terrifie ?
Le souffle d'une brise me répond. La femme continue de me dévisager. Je produis un effort surhumain pour ne pas soupirer de lassitude et réitère la question. Derechef, elle ne m'accorde nulle parole. Je me répète de ne pas m'énerver, mais mon tempérament agressif menace de ressortir. Soudainement, de derrière elle, un petit garçon surgit et lui agrippe le tissu sale qui couvre sa jambe. Ils se ressemblent, soit son fils, soit un enfant de sa famille. Il ne tient pas compte de ma présence et s'adresse à elle normalement.
— Kleptoreped ! Yshivaseg, maral.
— Zeghaver, soloclargo. Kleptorepad al'saludid.
Des autochtones qui parlent leur langue d'autochtones... Ceci semble logique. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Je ressens une vague de stupidité m'envahir et rejette la faute sur ce fichu soleil. Pas étonnant qu'elle ne répliquait, puisqu'elle ne me comprenait pas ! Je peine à identifier correctement leur dialecte. Mais, tous les Nomades du désert ont une base commune de vocabulaire.
En constatant l'arrivée massive des empires coloniaux, ils ont commencé à chercher leurs semblables dans l'univers et ont formé des groupes dispersés sur plusieurs planètes. Le but pour eux était de pouvoir compter les uns sur les autres et de s'éduquer aussi. En devenant civiliser aux yeux des peuples nobles, ils s'évitaient la reconversion forcée. Le premier Président à avoir envahi Draark les a laissés tranquille pour cette raison.
Quelle que soit la planète où ils vagabondent, ils utilisent un idiome identique. J'espère qu'ils font partie de cette catégorie de Nomades. Le fils retourne à l'intérieur, tandis que la vendeuse me confronte de nouveau. Statique, elle semble s'être refermée sur elle-même à l'apparition de sa progéniture. Je médite longtemps sur mes futures paroles. Incertaine, je tente de lui réclamer de l'aide.
— Fargualud el'jhospel ir Shagzum ?
Où est le Shagzum ? Une question si basique qui nécessite une réelle concentration pour la dire de façon plus ou moins correcte. Par miracle, la femme réagit enfin et hésite sur la réponse à me donner. A-t-elle bien compris ma requête ? Je n'aimerais pas générer un quiproquo. Elle amorce un geste buccal pour me transmettre des informations et je tends l'oreille. Penchée en avant, la bouche entrouverte, je rassemble toute mon énergie pour déchiffrer sa réponse.
— Ir Shagzum se plago ak garigal Rodhek malaiona. Oka te vervolgo ir Shagzum.
Je retiens un soupir. Je crois disposer de sa position la plus récente, mais sans conviction. Je la gratifie d'un sourire maladroit et attrape ma bourse, prêtée par Priam en même temps que la gourde. Je dépose de l'or pur sur son présentoir.
— Au moins, votre fils ne mourra pas de faim.
Pas besoin de traduire dans sa langue, ses yeux s'humidifient et elle se courbe d'innombrables fois pour bénir ma bienveillance. Je ne paie pas son aide, mais plutôt j'offre un coup de pouce au garçon. J'ai suffisamment côtoyé la sensation de faim intense pour ne l'envier à personne. Sur ce, je me rue vers l'endroit indiqué. C'est-à-dire la grotte de Rodhek. Si je me souviens bien, elle se situe non loin d'ici. Je marche lentement, les bottes recouvertes de sable. Lorsque j'y parviens, le soleil entame sa descente. J'ai été rapide.
Je ne réfléchis pas une seconde et entre dans la grotte. Au début, les ténèbres m'engloutissent et je progresse à tâtons. Ensuite, mes yeux s'habituent et je distingue la majorité des formes. Je garde une main tendue à l'avant et l'autre sur la garde de mon épée. Une éternité s'écoule sous mes yeux sans que je perçoive une quelconque créature. Aurais-je mal interprété les mots de la vendeuse ? Ou me suis-je trompée de grotte ? Je doute, quand deux chemins s'imposent à moi.
Ne sachant lequel suivre et ne voulant perdre mon temps davantage, je décide d'user d'un moyen plus radical. J'inspire et pousse un hurlement à en faire trembler les parois rocheuses. Il suffit de patienter trois secondes. Le Shagzum me rétorque en rugissant. Il est tout près. Satisfaite, je dégaine ma lame et l'attends, prête à tout. Une minute passe sans qu'il n'apparaisse, mais je perçois ses pas lourds autour de ma position. Il court en rond. J'en déduis que cette grotte est constituée de galeries et qu'il pourrait autant venir de devant moi que de derrière. Je ferme les paupières et écoute.
Je canalise mes pensées et ignore le bruit de ma respiration, me concentrant sur la sienne. Mes muscles crispés se détendent. Tout à coup, je n'entends plus rien. Ce qui signifie qu'il a sauté. Ce silence subsiste moins d'un battement de cœur. Je lève ma main armée et en effet, jaillissant de la noirceur, une forme massive se projette sur moi. Je l'esquive sans grande difficulté en me plaquant contre la paroi rocheuse. La créature atterrit souplement dans mon dos et j'en profite pour l'examiner. Je repousse le fou rire qui saisit mes tripes et je vous confirme que les Shagzums ne font pas peur. Du tout. C'est une longue bestiole courte sur patte, munie d'une grosse tête et d'un corps très fin, comme un lézard géant et poilu.
En revanche, je prends note de sa rapidité et de son agilité à rebondir. Il m'attaque et je ne me déplace pas à temps, le laissant me percuter de plein fouet. Erreur fatale. De ses pattes rugueuses et ses ongles acérés, il me laboure le flanc droit. Une sensation de picotements lancinant parcourt tout mon ventre. Son assaut provoque instantanément ma mauvaise humeur, coupe mon amusement et renfrognée, je refuse de me prêter à ce jeu aujourd'hui.
Contrairement à la créature de l'armurerie dont la fougue m'avait donné du fil à retordre divertissant, je préfère couper court à ce combat. Je lui envoie ma lame au même endroit et me relève d'un bond. De nos deux flancs, coule un liquide rougeâtre pour moi et visqueux pour elle. La bête se propulse à nouveau, je pare en tailladant toute sa gueule puante. Elle chute au sol en soulevant une poussière qui me fait tousser.
Ni une, ni deux, je ne lui octroie aucune chance, me rue sur elle et abats mon épée sur son museau que je détache du reste de son corps. En un coup précis sur sa nuque, je la décapite. Le Shagzum n'a pas le loisir de brailler une dernière fois et s'écroule, séparé en deux. Un vrai jeu d'enfant !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top