- Chapitre 50 -

Les yeux plantés dans ceux de son reflet, Jacob se demandait comment il avait pu en arriver là. Plus le temps passait, et moins il aimait la personne qu'il devenait.

« Meurtrier » semblait lui reprocher son double dans le miroir.

Il ferma les yeux, espérant pouvoir échapper à son propre regard inquisiteur, mais l'image de la fille sur qui il avait tiré s'imposa à lui. Il avait du mal à se souvenir de son visage, il savait juste qu'elle avait l'air jeune. Trop jeune.

Il ouvrit le robinet en face de lui d'une main tremblante et se passa un peu d'eau sur le visage.

Il ne pensait pas tomber sur Stella aussi facilement. C'était un coup de chance, au fond. Il avait marché longtemps dans la forêt, en direction du camp, quand il avait reconnu sa voix. Ses cris avaient résonné entre les arbres, et sa première pensée fut de croire qu'elle était en danger. Quand il était arrivé sur place... Il n'avait pas pris de réfléchir. Dans sa précipitation, il avait interprété la situation de travers. Persuadé qu'un homme était en train d'agresser celle qu'il aimait, Jacob avait tiré sans plus de réflexion.

Ce n'est qu'après, lorsque sa victime s'était écroulée par terre et que Stella s'était précipitée vers elle, qu'il avait compris son erreur. Ses cheveux courts l'avaient trompé, mais il s'agissait bien d'une jeune fille.

Une fois qu'il avait endormi Stella, elle l'avait regardé de ses yeux bleus envoûtants, débordants de larmes et de peur. Elle s'était probablement demandée s'il comptait l'achever. Il aurait dû le faire, par simple mesure de sécurité, seulement il avait été incapable de s'y résoudre. Aussi il s'était contenté de partir, Stella calée contre son épaule, laissant à la blessée une chance de s'en sortir si jamais quelqu'un la retrouvait à temps. Même dans ce cas-là, il doutait fortement que quiconque ait pu la sauver. Si elle avait été emmenée à l'hôpital, elle aurait peut-être pu survivre. Mais en pleine forêt et avec les moyens rustiques des Résistants ? Jamais.

Jacob poussa un long soupir. Il était à peu près sûr qu'il s'agissait d'une criminelle en cavale, ce qui signifiait deux choses : premièrement, elle était probablement plus vieille qu'elle ne lui avait semblé et, deuxièmement, elle aurait dû être morte depuis longtemps. Si elle était là, c'était qu'elle avait échappé à la peine capitale. Cependant, il avait beau se le répéter, l'idée qu'il avait pris une vie tournait encore et encore dans sa tête.

Ce n'était pas la première fois que Jacob tuait quelqu'un. En revanche, il avait toujours eu une bonne raison de le faire lorsque c'était arrivé dans le passé, qu'il s'agisse d'un ordre ou de légitime défense.

Il secoua la tête et tenta de chasser ces pensées de son esprit. Il devait se concentrer sur le positif : il avait réussi, il avait ramené Stella.

Il sortit dans le couloir et poussa doucement la porte de la chambre d'ami. Allongée sur le lit, la jeune fille dormait paisiblement. Il n'avait aucune idée de quelle serait sa réaction une fois qu'elle aurait repris conscience. Si elle avait été dans son état normal, il n'avait aucun doute qu'elle se serait emportée contre lui, lui aurait crié dessus et lancé à la figure n'importe quel objet qui lui serait tombé sous la main. Mais sous l'effet des sédatifs, comment serait-elle ? Est-ce qu'elle comprendrait seulement ce qu'il lui arrivait ?

Une part de lui espérait qu'elle ne se souvienne pas de ce qu'il s'était passé dans la forêt. La manière dont elle avait pleuré au-dessus du corps de la blessée ne pouvait signifier qu'une seule chose : elle ne lui pardonnerait probablement pas d'avoir tiré.

Jacob prit une profonde inspiration. Tant pis si Stella lui en voulait, ce n'était pas ça le plus important. Ce qui comptait, c'était qu'elle soit en sécurité. Et si Marcus faisait bien son travail, elle serait définitivement hors de danger.

* * *

Lorsqu'elle émergea du sommeil, Stella eut du mal à ouvrir les yeux. Ses paupières lui semblait lourdes, et elle avait la sensation que son corps pesait une tonne. Quand elle se décida enfin à ouvrir les yeux, elle ne comprit pas ce qu'il se trouvait autour d'elle. Tout son esprit lui semblait brumeux et elle était incapable de se rappeler de quoi que ce soit.

La jeune fille cligna plusieurs fois des yeux, luttant contre l'envie de les garder fermés, et finit par distinguer une silhouette dans l'encadrement de la porte. Elle remarqua alors que sa vision était trouble, lui empêchant de discerner les traits de la personne en face d'elle.

—Qui est là ? s'inquiéta-t-elle d'une voix pâteuse.

La silhouette se rapprocha sans répondre et Stella comprit qu'il s'agissait d'un homme. Il s'accroupit à sa hauteur et elle put enfin apercevoir son visage. Elle avait le sentiment de le  connaître, mais le brouillard qui avait élu domicile dans son crâne lui empêchait de mettre un nom sur ce visage.

—Comment est-ce que tu te sens ? lui demanda-t-il.

Il lui fallut quelques secondes pour qu'elle comprenne le sens de ses paroles.

—Mal, répondit-elle dans un souffle. Pourquoi est-ce que je me sens aussi fatiguée ?

L'homme sembla ennuyé par sa question.

—Ce sont les médicaments qui font ça. Tu es malade, mais ça va aller, d'accord ?

Elle le regarda avec incompréhension pendant un long moment.

—Malade ? répéta-t-elle.

Elle s'efforça de se redresser sur ses coudes et jeta un coup d'œil autour d'elle. Elle se trouvait sur un lit deux places trônant au milieu d'une pièce aux couleurs chaudes.

—Où est-ce que je suis ?

—Dans... dans ta chambre, répondit-il d'une voix hésitante.

—Ah ?

Stella plissa les yeux. Est-ce que c'était vraiment sa chambre ? La pièce ne lui disait rien. D'un autre côté, elle avait du mal à se souvenir de quoi que ce soit.

—Stella ? l'appela doucement l'homme.

Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que c'était elle qu'il appelait. Stella. Oui. C'était bien son prénom. Elle tourna lentement la tête vers lui et se frotta les yeux d'une main.

—Je suis complètement perdue..., avoua-t-elle.

—C'est normal, ça ira mieux plus tard. Est-ce que tu peux te lever ?

—Je vais essayer...

Elle bascula ses jambes hors du lit et posa ses pieds sur le parquet froid. Son corps était faible et elle hésita à se mettre debout.

—Attends, dit l'homme, je vais t'aider.

Il passa un bras autour de ses épaules et l'aida à se relever. Il fit quelques pas avec elle dans la pièce jusqu'à ce qu'elle semble capable de marcher.

Il fit mine de la lâcher et elle s'agrippa à son bras pour le retenir. Épuisée, elle posa sa tête contre son torse et se laissa aller contre lui. Elle n'arrivait pas à se souvenir de qui il était exactement, mais elle savait qu'elle le connaissait et il paraissait s'inquiéter pour elle. Alors, elle pouvait lui faire confiance, n'est-ce pas ?

Il eut l'air surpris par son geste et mit quelques secondes avant de refermer ses bras autour d'elle. Elle resta ainsi un long moment, rassurée que de pouvoir s'appuyer sur quelqu'un au milieu de tout son chaos mental.

—J'ai faim, souffla-t-elle finalement.

Il l'écarta doucement de lui et hocha la tête.

—Je vais te faire quelque chose à manger. Tu devrais en profiter pour prendre ta douche.

Elle acquiesça et le suivit hors de la chambre sans poser de question. Il la conduisit jusqu'à la salle de bain et elle jeta un coup d'œil autour d'elle pendant qu'il réglait la température de l'eau. La salle lui semblait familière, mais aucun souvenir précis n'arrivait à percer le brouillard qui l'enveloppait.

—Je t'ai préparé des vêtements propres et une serviette, dit-il en indiquant du doigt la pile qui reposait sur un petit meuble.

Stella hocha lentement la tête, les yeux rivés sur l'eau qui coulait en face d'elle.

—Je te laisse, je vais dans la cuisine. Tu n'as qu'à me rejoindre quand tu as fini.

Il sortit de la pièce et Stella attendit quelques instants pour se déshabiller. Elle laissa les vêtements retomber à ses pieds et se glissa sous la douche. Elle resta un long moment sous l'eau chaude avant d'entreprendre de se laver. Quand elle sortit, elle se sentait plus réveillée.

Elle enfila le jean et le haut noir posés sur le meuble à côté d'elle et se dirigea avec lenteur vers le miroir fixé au-dessus du lavabo. Bien qu'elle se sente toujours brumeuse et faible, elle avait l'impression de pouvoir réfléchir plus facilement.

Elle fixa son reflet un instant, espérant qu'il puisse répondre aux questions qu'elle peinait à se poser. Elle démêla distraitement ses cheveux humides à l'aide de ses doigts avant de finalement abandonner. Elle se sentait vidée de toutes ses forces et ce simple geste lui demandait trop d'énergie. Peut-être était-elle vraiment malade, après tout.

Elle s'apprêtait à quitter la salle de bain lorsqu'elle vit sa pile de vêtements sales sur le sol. Elle se pencha pour les ramasser et fronça les sourcils quand elle aperçut des traces de sang dessus. Inquiète, elle les examina de plus près. Ça ne pouvait pas être son sang, elle aurait remarqué si elle était blessée.

Son cœur s'accéléra alors que quelques souvenirs rejaillirent soudainement. Elle lâcha ce qu'elle tenait dans la main et recula en poussant un cri étouffé.
Jacob. Elle était chez Jacob. Elle ne devrait pas être là, elle avait quitté la Ville plusieurs semaines auparavant ! Elle attrapa sa tête à deux mains, désorientée.

Jacob l'avait enlevée. Et avant ça, il avait tiré sur quelqu'un.

Un vertige l'envahit et elle se laissa glisser sur le sol. Elle regarda son t-shirt taché de rouge avec horreur, tentant de se rappeler à qui appartenait le sang.

Elle sentit les larmes lui piquer les yeux, terrifiée à l'idée qu'il puisse s'agir de celui de Nox. Elle fouilla dans ses souvenirs, cherchant à se rappeler de ce qu'il s'était passé exactement avant que Jacob ne l'enlève. L'image de Nox la laissant pour partir avec Angel lui revint alors en mémoire. Ce souvenir la rassura quelque peu.

Jacob frappa à la porte, la ramenant à la réalité, et elle sursauta.

—Stella, est-ce que tout va bien ? lui demanda-t-il d'une voix étouffée.

La peur s'empara d'elle quand elle comprit l'ampleur de la situation. Elle était seule chez Jacob, prise au piège. Elle était trop faible pour se défendre ou pour même songer à s'échapper. Est-ce que Jacob l'avait droguée afin d'être sûr qu'elle ne puisse pas s'enfuir ?

—Stella ? insista-t-il. Je... je vais entrer, d'accord?

Elle s'éloigna le plus possible de l'entrée de la salle de bain et se recroquevilla sur elle-même.

La porte s'ouvrit lentement et Jacob jeta un coup d'œil à l'intérieur. Quand il la vit par terre, ses yeux s'écarquillèrent et il rentra précipitamment.

—Stella !

Il s'accroupit à ses côtés et la regarda d'un air inquiet.

—Stella, qu'est-ce qui se passe ?

Les yeux de la jeune fille s'embuèrent de larmes et c'est d'une voix tremblante qu'elle demanda :

—Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas laissée là-bas ?

Le visage de Jacob blêmit.

—C'est... c'est pour ton bien, balbutia-t-il.

—Menteur ! gémit-elle. C'est pour toi que tu l'as fait ! Tu ne penses qu'à toi, Jacob !

—Stella, je te jure que c'est faux ! Je sais que tu ne voulais pas revenir mais tu es en sécurité ici et...

Elle explosa en sanglot et n'entendit pas la fin de sa phrase. En sécurité ? Jacob était la seule personne dont elle ressentait le besoin d'être protégée et c'était avec lui qu'elle était piégée !

—Stella... Tu sais que je ne te ferai jamais de mal, n'est-ce pas ? Je ne te forcerai jamais à quoi que ce soit, si c'est ce qui t'inquiète. Je te le promets.

La jeune fille le regarda sans rien dire pendant un moment avant de lâcher :

—Il viendra me chercher. Il ne me laisserait jamais tomber. Il viendra me chercher, et si tu essaies de l'en empêcher, il te tuera.

Le visage de Jacob se durcit instantanément.

—Tu parles de ton Prédateur, c'est ça ? dit-il d'un ton amer.

Elle ne répondit pas.

—Si tu tiens vraiment à lui, continua le jeune inspecteur, alors tu ferais mieux d'espérer qu'il reste là où il est. Parce que s'il vient, je saurai l'accueillir. (Il fit une pause.) Que tu le veuilles ou non, tu fais partie de la Ville. Et il est hors de question que tu repartes.

Le sang de la jeune fille se glaça. Jacob se redressa et lui tendit la main. Son expression s'était adoucie, comme si tout allait bien.

—Tu viens ? On va manger.

Stella referma ses bras autour de ses jambes et posa sa tête contre ses genoux.

—J'ai pas envie.

Jacob poussa un soupir.

—Tu m'as dit que tu avais faim. Viens.

Elle secoua la tête. Elle était affamée mais il était hors de question qu'elle se laisse faire. À défaut d'être en état de se battre, elle pouvait au moins refuser de lui obéir.

—Non. Je ne veux pas manger. Je veux rentrer.

—Stella, s'impatienta-t-il, ne fais pas l'enfant.

Elle devina au ton de sa voix qu'il était excédé. Elle ferma les yeux et serra un peu plus ses jambes contre elle.

Va te faire foutre, pensa-t-elle sans oser le dire à voix haute.

—Tu comptes rester sur le sol de la salle de bain toute la journée ?

Silence.

Il souffla bruyamment quand il comprit qu'elle ne comptait pas répondre.

—Ton père et Vera voulaient passer te voir tout à l'heure. Est-ce que je devrais leur dire que ce n'est pas nécessaire puisque tu refuses de décrocher un mot ?

Stella releva brusquement la tête vers Jacob. Son père ? Vera ? L'idée de les revoir lui réchauffa le cœur tout en la rassurant : jamais son père ne la laisserait seule avec Jacob. Il la ramènerait avec eux à l'appartement et elle pourrait s'enfuir. Si elle n'en était pas capable, Nox pourrait au moins la retrouver sans difficultés et la ramener au camp. Et, dans tous les cas, elle serait loin de Jacob. Elle s'accrocha à cette idée de toutes ses forces. Cette lueur d'espoir lui redonna un peu d'énergie, et elle se remit debout avec plus de facilité qu'elle n'en avait eu jusque-là.

Jacob esquissa un sourire en voyant qu'il avait réussi à la convaincre, ce qui lui valut un regard noir de la part de la jeune fille.

Stella n'avait pas dit son dernier mot. Elle sentait déjà ses forces revenir petit à petit, et elle comptait bien quitter la Ville au plus vite. 

🌙


Stella s'est réveillée et va bientôt pouvoir revoir son père et Vera. À votre avis, comment vont se passer leurs retrouvailles ?

Qu'avez-vous pensé des remords de Jacob d'avoir tiré sur Venus ?

Comme d'habitude, n'hésitez pas à me donner vos impressions et réactions en commentaire ! 😊

Des bisous et à la semaine prochaine 😘

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