- Chapitre 24 -
Nox resta quelques instants sans bouger. Il n'avait pas le temps pour ça, il avait besoin de réponses maintenant.
Il fit craquer ses doigts et prit une grande inspiration. Il regarda les Femelles descendre une à une de l'estrade pour se diriger dans leurs appartements. Il traversa la pièce à grandes enjambées et attrapa par le bras la dernière qui allait franchir la porte pour la tirer à l'écart.
—Salut Sola, ça faisait longtemps.
La jeune Femelle blonde se dégagea vivement et lui lança un regard noir.
—Peut-être parce que tu n'as pas montré le bout de ton nez depuis des mois.
—Ça pourrait expliquer, en effet.
Du haut de ses dix-neuf ans, Sola était la plus jeune des Femelles et la manière dont la traitait ses sœurs avait tendance à la rendre assez amère et plus disposée à ne pas se conformer aux règlements. Et si Nox voulait des réponses, c'était par là qu'il fallait chercher.
Il haussa les épaules et indiqua la porte d'un coup de tête.
—Tu me laisses entrer ? demanda-t-il le plus naturellement possible.
Sola ouvrit ses yeux dorés en grands, faussement choquée.
—Tu as un sacré culot, Nox. Si tu me veux, vas te battre. À moins que tu ne te sentes pas capable de gagner ?
Nox se rapprocha un peu d'elle.
—Oh, Sola, je gagnerais haut la main, et tu le sais très bien. Mais tu as vu le nombre de Prédateurs ? Est-ce que tu vaux vraiment la peine que je me batte pendant des heures ? (Il ignora le regard noir qu'elle lui jeta et continua.) Si j'ai le choix, pourquoi toi plutôt qu'une de tes magnifiques sœurs ?
Sola plissa les paupières jusqu'à ce que ses yeux ne soient plus qu'une fente.
—J'espère que tu te fous de moi, Nox.
Il leva les yeux au ciel.
—Est-ce que tu prends vraiment la peine de demander ? Allez, Sola, tu sais que tu es ma préférée...
Nox connaissait assez bien Sola, et peut-être n'était-ce pas très louable de jouer ainsi avec ses sentiments, mais le temps pressait.
Sola semblait hésiter, comme si elle pesait le pour et le contre.
—Oh, s'il te plaît Sola, ne fait pas semblant avec moi. Tu n'as pas cessé de me regarder depuis que je suis rentré dans la pièce. On sait tous les deux que tu avais déjà prévu de me laisser entrer avant même que je ne te le demande.
Sola serra les mâchoires et ne répondit rien. Le silence se fit pendant quelques instants, mais Nox n'était pas inquiet. Finalement, elle poussa un long soupir.
—D'accord, dit-elle.
Elle vérifia que personne ne les observait aux alentours avant de lui prendre la main pour l'amener avec elle.
—Si quelqu'un nous surprend, on va avoir de sacrés ennuis, chuchota-t-elle alors qu'ils marchaient dans les couloirs blancs.
Ils marchèrent plusieurs minutes dans le dédale de couloirs avant que Sola ne finisse par ouvrir une porte, et Nox se demanda comment elle faisait pour se repérer alors que tous les couloirs et toutes les portes semblaient les mêmes.
Il entra dans la grande chambre et regarda autour de lui. Contrairement au reste du bâtiment, la pièce était assez mal rangée : des vêtements traînaient sur le sol, des bibelots recouvraient les étagères et le grand lit qui se trouvait au milieu de la pièce n'avait pas été fait.
—Nouvelle chambre ? lui demanda Nox.
Sola se contenta d'acquiescer et s'assit sur la commode en face de lui.
—On a fait quelques changements, expliqua-t-elle en cherchant quelque chose dans le tiroir en dessous d'elle. Je préfère cette chambre, elle est beaucoup plus grande.
Elle poussa alors un cri victorieux et sortit un paquet de cigarettes et un briquet du tiroir rempli de vêtements.
Elle colla une cigarette entre ses lèvres et fit signe à Nox de se rapprocher. Il se planta devant elle et attrapa la cigarette qu'elle lui tendait. Il l'alluma, prit une grande bouffée et fronça les sourcils quand il sentit la fumée et que celle-ci lui fit tourner la tête. Il regarda la cigarette pendant quelques instants puis porta son regard vers Sola.
—D'accord, donc ce n'est pas juste du tabac, n'est-ce pas ?
Sola rigola et tira une longue bouffée avant de répondre.
—Elles m'ont coûtées cher, alors savoure bien celle que tu as dans la main.
—Quand est-ce que tu es devenue si rebelle, Sola ? lui demanda-t-il en écrasant sa cigarette dans le cendrier.
Sola grimaça et lui souffla une nouvelle vague de fumée dans la figure.
—Je ne sais pas. Quand est-ce que tu es devenu si ennuyeux ?
Nox ne répondit rien et se contenta de la fixer. Sola secoua la tête et enlaça ses jambes autour de sa taille pour l'attirer vers elle. Il lui enleva la cigarette de la bouche et l'écrasa à côté de l'autre. Il posa ses mains sur les genoux de Sola et les fit glisser lentement le long de ses cuisses avant de passer ses bras autour de sa taille et de finir de l'attirer contre lui. Il resta quelques instants ainsi, son visage à quelques centimètres du sien, avant de finalement poser ses lèvres contre les siennes. Il l'embrassa et Sola le repoussa alors brusquement.
—Oh, merde, Nox ! Qu'est-ce que tu as mangé ce soir ? C'est infect !
Elle descendit de la commode et alla chercher quelque chose dans un placard.
—La nourriture se fait rare, répondit Nox en haussant les épaules.
—Et donc ? Vous avez ressorti les restes de vos proies du mois dernier ?
Elle secoua la tête et lui lança une bouteille qu'il attrapa au vol. Il retira le bouchon et but une longue gorgée. L'alcool lui brûla l'intérieur de la bouche et de la gorge, mais au moins le goût amer du sang de Stella avait disparu.
Sola s'approcha de lui et lui prit la bouteille des mains pour boire à son tour.
—Qu'est-ce qu'il se passe avec les proies, Sola ? demanda-t-il finalement.
Sola ne répondit rien et l'attira contre elle pour l'embrasser.
Il fut un temps où Nox pensait que ce qu'il ressentait pour Sola était de l'amour. Puis il avait rencontré Stella et avait oublié jusqu'à l'existence même de Sola. Peut-être que Sola était moins froide que les autres Femelles. Peut-être qu'elle ne le jetait pas hor de sa chambre dès qu'elle avait eu ce qu'elle voulait, comme le faisait les autres. Peut-être qu'elle prenait parfois le temps de parler avec lui après en grillant une cigarette. Mais, il le comprenait à présent, jamais ce qu'il avait ressenti n'aurait pu être de l'amour. Et ce n'en était même pas proche.
—Qu'est-ce qu'il se passe avec les proies, Sola ? insista-t-il en se décollant d'elle.
Sola le poussa et il s'écroula sur le lit.
—Tu n'es pas censé me poser ce genre de questions. Ta mère ne t'a donc jamais appris à rester sage et à la fermer ?
—Ma mère m'a appris à me poser des questions et à trouver les réponses par moi-même.
Sola s'installa au-dessus de lui et l'embrassa dans le cou.
—J'ai beaucoup de questions. (Il la décolla difficilement de lui.) Et tu as des réponses, n'est-ce pas ?
Sola poussa un long soupir.
—Pourquoi est-ce que ça t'intéresse autant, Nox ? Tu es un bon chasseur, ce n'est pas comme si tu avais réellement des problèmes pour te nourrir.
—J'ai deux frères à nourrir Sola.
—Oh, pauvre Nox, se moqua-t-elle. Qu'est-ce qui se passe, tu as la fibre paternelle maintenant ?
Nox haussa les épaules. Il la regardait fixement, attendant toujours une réponse. Sola leva les yeux au ciel quand elle comprit qu'il ne comptait pas laisser tomber.
—Je ne sais pas ce qu'il se passe avec les proies, Nox. Mais j'ai ma petite idée sur le sujet. Et si tu n'es pas stupide, tu te doutes de ce qu'il se passe.
—Alors imaginons une seconde que je sois stupide.
Sola sembla hésiter un instant.
—Les humains n'ont pas un système très différent du nôtre. Tu sais ce qu'il se passe quand quelqu'un enfreint les règles, ici. C'est à peu près pareil chez les humains, sauf qu'au lieu de faire une exécution publique, ils nous les donnent en guise de pâture.
Nox acquiesça.
—Alors rapidement les gens arrêtent d'enfreindre les règles, continua-t-elle. Ce qui pourrait être bien, à moins que tu n'aies besoin que des gens le fasse. Parce qu'ils ne peuvent pas vraiment nous donner des innocents, n'est-ce pas ? Ce serait une sorte de sacrifice. Alors, que fait-on dans ce cas-là, à ton avis ?
—On ne dit plus ce qu'il se passe quand on enfreint les règles, devina Nox.
—Exactement. Peut-être que les humains qui vivent dans la Ville savent ce qu'ils leur arrivent s'ils sortent la nuit, mais ils n'ont aucune idée qui leur arriverait exactement la même chose pour n'importe quel crime. Et je ne te parle même pas de ceux qui vivent à l'extérieur de la Ville.
Nox se redressa brusquement. À l'extérieur de la Ville...
—Qu'est-ce qu'il y a à l'extérieur de la Ville ?
Sola balaya la question d'un coup de main.
—Maintenant, dis-moi, continua-t-elle, que penses-tu qu'il se passerait si certain humains venaient à apprendre que leurs dirigeants ont un accord avec nous ?
Nox réfléchit quelques secondes.
—Ils se rebelleraient contre le système ?
Sola hocha la tête.
—Ils se font appeler « La Résistance ». (Elle leva les yeux au ciel.) Je n'ai pas de preuve que ce sont eux qui font que la nourriture vient à manquer. Mais si tu veux mon avis, ils ont quelque chose à voir là-dedans.
Nox resta songeur un instant.
—Qu'en dit Hera ? lui demanda-t-il.
—Elle ne dit rien. Elle est morte.
Le cœur de Nox rata un battement. Hera était celle que l'on pouvait considérer comme leur chef. Nox comprenait à présent pourquoi ce n'était pas elle qui avait parlé aux Prédateurs.
—Ce n'est pas la seule, continua Sola en avalant difficilement sa salive. Toutes les dernières Mères sont mortes ces derniers mois.
—Que... qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Sola haussa les épaules, comme s'il s'agissait de quelque chose d'anodin, mais son visage exprimait de l'inquiétude.
—Je ne sais pas, Nox. C'est le cycle de la vie. Les gens meurent.
—Mais la plus vieille avait trente-deux ans !
—Je sais, la plus jeune en avait vingt-cinq. (Elle fit une pause.) Ça dégénère, Nox. Minae a prit la place de Hera, mais pour combien de temps ? Elle a déjà vingt-six ans.
Nox regarda Sola d'un air inquiet. Les Prédateurs n'avaient jamais vécu très longtemps, autour d'une quarantaine d'années, rarement plus. Mais leur espérance de vie semblait avoir brusquement chuté ces dernières années.
—Et si ça empire, continua Sola qui semblait vraiment nerveuse à présent, combien de temps est-ce qu'il me reste ? J'ai dix-neuf ans, Nox... je ne devrais pas avoir l'impression d'avoir atteint la fin, non ?
Nox avala difficilement sa salive et regarda Sola se lever sans rien dire. Elle se dirigea vers la commode et alluma une cigarette d'une main tremblante.
—Ce n'est pas tout, tu sais. Il n'y a pas d'enfants.
—Qu'est-ce que tu veux dire ?
Sola laissa échapper un petit rire nerveux.
—On arrive pas à avoir de gosses, Nox. Les rares qui tombent enceinte font des fausses couches. Minae en est à sa cinquième. Moi, deux.
Nox se leva et la rejoignit. Il se demanda alors comment l'inquiétude de Sola et des autres avait pu lui échapper jusque-là.
—Sola...
—On a une pression de fou, Nox, tu ne te rends pas compte...
—Sola, de qui tu parles ?
—Notre espèce est en train de s'éteindre, continua-t-elle en ignorant sa question. Et je ne sais pas... je ne sais pas ce que l'on est censés faire et...
—Sola !
Il l'attrapa par les épaules puis passa ses mains dans ses cheveux. Les yeux écarquillés, les pupilles dilatées, Sola le regardait d'un air inquiet.
—Sola, j'ai besoin que tu m'aides, d'accord ? Les gens dont tu m'as parlé, la Résistance, est-ce qu'ils savent comment sortir de la Ville ?
Sola secoua la tête, un peu confuse.
—Je ne sais pas, peut-être. Pourquoi est-ce qu...
—Est-ce que tu sais où ils se trouvent ?
—Peut-être près des frontières. Nox, pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
Silence.
Nox la lâcha et se dirigea vers la sortie.
—Nox ! cria Sola. Tu... tu ne comptes pas quitter la Ville, n'est-ce pas ?
—Au revoir, Sola, dit-il simplement.
Sola ouvrit grands les yeux.
—Nox, si tu franchis cette porte, je serais obligée de le dire à Minae.
Nox la regarda quelques instants puis secoua la tête.
—Et qu'est-ce que tu vas lui dire ? Que tu m'as laissé entrer sans permission et que tu m'en as trop dit parce que tu étais défoncée ? Bonne chance.
Et il quitta la pièce.
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