- Chapitre 19 -

Nox se faufila par la fenêtre de la chambre de Stella. Il sut que quelque chose n'allait pas avant même que ses pieds ne touchent le sol. Une odeur régnait dans la pièce, l'odeur de quelqu'un d'autre.

Il tourna la tête vers le lit. Stella lui tournait le dos mais il remarqua qu'elle ne portait pas sa chemise de nuit blanche habituelle. Au lieu de ça, elle portait une robe bleue qui empestait l'odeur d'un homme.

—Il y a quelque chose qui va terriblement mal dans ce monde, dit alors Stella avant de se retourner vers lui.

Nox se rapprocha d'elle et s'accroupit à sa hauteur.

—Qu'est-ce qui s'est passé ?

—Je suis allée dîner avec quelqu'un.

Nox serra les mâchoires à l'idée qu'elle ait passé la soirée avec un homme.

—Je n'avais pas envie d'y aller, se défendit Stella comme si elle avait senti son énervement.

Nox l'observa quelques instants et se rapprocha un peu d'elle. Il sentait l'odeur de sang autour de sa bouche.

—Tu l'as mordu ? s'étonna-t-il.

—Il a essayé de m'embrasser. Il ne voulait pas me ramener chez moi et il faisait déjà nuit.

—Tu ne crains rien ici lors des Nuits Calmes.

—C'est marrant, c'est exactement ce qu'il m'a dit.

Nox resta silencieux.

—Que se passe-t-il lors des Nuits Calmes ? murmura-t-elle.

Nox baissa les yeux. Il n'avait pas envie de lui dire, mais il ne pouvait pas lui cacher plus longtemps. Il se devait de lui dire la vérité, même si elle risquait de le détester par la suite.

—On va chasser ailleurs, finit-il par dire. On va près des frontières... il y a toujours beaucoup de proies à cette période.

Nox leva la tête vers elle et prit le courage de la regarder dans les yeux.

—En temps normal, on chasse pour se nourrir. Mais ces nuits-là, on chasse pour tuer, Stella. Le fait qu'on soit tous ensemble... notre instinct animal se déclenche plus que d'habitude. On massacre tous ceux qu'on trouve. Certains le font par plaisir, les autres ne font que suivre. On en profite aussi pour récupérer leur affaires.

Stella fronça les sourcils.

—Quelles affaires ? 

—Tout ce qu'on peut trouver. On se contente de récupérer leurs sacs en général.

Stella avait les yeux un peu dans le vague.

—Tu penses que je suis un monstre n'est-ce...

Mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase car elle lui plaqua la main sur la bouche.

—Shhhh, fit-elle les yeux toujours dans le vague comme si elle réfléchissait. Nox... ce sont les gens qui tentent de quitter la Ville que vous attaquez. Ils profitent des Nuits Calmes pour s'enfuir parce qu'ils pensent qu'il n'y a aucun danger. Est-ce que tu comprends ?

Nox secoua lentement la tête en signe de négation.

—Ils pensent qu'il n'y a aucun danger parce qu'on a jamais vu aucune trace d'attaque ces jours-là. Nox, c'est un coup monté ! Quelqu'un se sert de vous pour se débarrasser des gens qui ne veulent pas rester !

Nox fronça les sourcils. Stella avait raison, il y avait quelque chose qui n'allait pas. Les Prédateurs se rendaient aux frontières parce qu'ils savaient qu'il y a avait des proies à cet endroit et les Hommes faisaient de même parce qu'ils pensaient qu'il n'y avait pas de Prédateurs dehors ces soirs-là. Mais il n'y avait pas que ça.

—Stella, commença Nox, il y a autre chose. Je n'y avais jamais fait attention avant que je ne te vois la première fois, mais il y avait quelque chose qui n'allait pas.

Stella lui lança un regard interrogateur, attendant la suite.

—À part lors de la Grande Chasse, la plupart des proies sont des hommes, plus rarement des femmes et presque jamais des enfants ou des jeunes.

Stella sembla réfléchir quelques secondes.

—Tu sais ce qui est étrange aussi ? dit-elle. Le nombre de personnes qui meurent. Il y en a pas mal, plusieurs par soir. Et je n'en connais aucune. Personne n'en connaît jamais aucune... Et je pense savoir pourquoi.

—Pourquoi ?

—Parce que ce ne sont pas des gens qui vivent ici. Je ne sais pas ce qu'il se trouve derrière les frontières, Nox, mais quelqu'un tient à ce qu'on ne le découvre pas.

Le Prédateur resta silencieux quelques instants.

—J'ai quelque chose à te montrer, dit-il finalement en se relevant. Est-ce que tu me fais assez confiance pour me suivre dehors ?

Stella se leva de son lit et prit la main que Nox lui tendait sans la moindre hésitation.

—Est-ce que tu t'es déjà demandée  où vivaient les Prédateurs ? l'interrogea Nox alors qu'ils marchaient dans les rues sombres.

—Non, avoua Stella, je ne m'étais jamais posée la question. Où est-ce que vous vivez ?

—Il y a comme... comme une ville souterraine. Je ne sais pas trop comment l'expliquer. C'est comme si il y avait eu une ville avant celle-là et qu'elle avait été ensevelie pour en installer une autre par-dessus. La plupart des bâtiments se rejoignent par des souterrains, mais... pas tous.

Ils entrèrent dans le parc et Nox la conduisit à travers les arbres avant de s'arrêter devant ce qui semblait être un bloc de pierre.

—Tu sais ce que c'est ? lui demanda Nox.

—Un bloc de pierre ?

Nox rigola comme si elle ne pouvait pas être plus loin de la vérité. Il poussa la dalle du dessus de toute ses forces et celle-ci se décala pour laisser place à un trou béant.

—C'est une cheminée, expliqua-t-il alors.

—Une cheminée ?

Stella se pencha vers l'entrée et déglutit en essayant de deviner la profondeur.

—Je l'ai découverte il y a quelques années. C'est assez profond, la première fois que j'ai essayé de descendre, je me suis cassé quelques os. Maintenant, j'ai installé une échelle, c'est plus pratique.

Nox laissa Stella passer devant. Il sentait que son cœur battait plus fort que d'habitude, mais il n'était pas sûr si c'était dû à de l'inquiétude ou à l'excitation de découvrir ce qu'il avait à lui montrer.

Quand ils arrivèrent enfin en bas, il faisait trop noir pour pouvoir y voir quoi que ce soit. Nox alluma alors une lumière et la pièce s'éclaira.

—Il y a de l'électricité ? s'étonna Stella.

Elle observa la pièce qui se trouvait devant elle. On aurait dit un salon, et il y avait une montagne d'objets divers et de livres un peu partout.

—Est-ce que c'est ici que tu vis ?

—Pas vraiment. Je vis avec les autres, et parfois je viens ici en cachette. Personne ne sait que cet endroit existe, à part moi. Et toi, maintenant.

Stella marchait lentement dans la pièce, jetant des coups d'œil aux livres éparpillés sur la table.

—C'est là que je mets tous ce que je récupère qui me semble intéressant. Tout ce qui pourrait me donner des réponses.

—Des réponses à quoi ? demanda Stella.

—À toutes les questions que l'on a pas le droit de se poser.

Stella esquissa un sourire, comme si elle comprenait exactement ce dont il voulait parler.

Elle continuait de regarder les différents objets de la pièce quand elle se figea soudain et poussa un petit cri de surprise.

Nox se rapprocha d'elle pour voir ce qui avait attiré son attention.

—C'est un tourne-disque ! dit-elle. On en avait un avant, mais mes parents l'ont revendu avec tous nos vinyles à la suite de problèmes financiers. Ça me manque de ne pas pouvoir écouter autre chose que ce qui passe à la radio.

Nox la regardait d'un air amusé. Il n'avait jamais écouté de musique. Il en avait peut-être déjà entendu, mais il n'avait jamais vraiment prit le temps de vraiment écouter.

Stella fouilla dans le tiroir de la commode et en tira un grand disque noir. Elle l'installa dans le tourne-disque avant de le mettre en marche. Rapidement, une douce mélodie emplit la pièce.

—C'est beau, murmura Nox.

Stella hocha lentement la tête et se tourna vers lui.

—On danse ?

Ce n'était pas vraiment une question. Sans lui laisser le temps de répondre, elle plaça ses bras autour de son cou et se colla contre lui. Nox plaça maladroitement ses mains sur sa taille et se laissa guider par Stella.

Il ferma les yeux un instant. Ce moment avait quelque chose de plus intime que ce qu'ils avaient l'habitude de partager. C'était plus intense que toutes les fois où il l'avait prise dans ses bras et plus fort que toutes les nuits où il l'avait observée dans son sommeil.

Cette fois-ci, Nox n'était pas sûr qu'il pourrait se retenir de l'embrasser. Il n'aurait qu'à pencher la tête vers elle et poser ses lèvres sur les siennes. Il n'avait même pas de doute que Stella lui rendrait son baiser, seulement il ne pouvait pas se le permettre, pas encore.

Il décolla finalement la jeune fille de lui, la repoussant un peu plus brusquement qu'il ne l'aurait souhaité.

Stella recula d'un pas, un peu surprise par sa réaction.

—Désolée, murmura-t-elle avant de couper la musique.

Nox s'en voulut de l'avoir repoussée ainsi. Mais pour le moment, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'ils venaient tous les deux de mondes différents. Il n'y avait pas de place pour leur amour dans cette ville, et il doutait qu'il y en aurait jamais. Peut-être y en avait-il ailleurs, mais il n'était pas certain de savoir jusqu'où Stella le suivrait. Il ne voulait pas l'arracher à sa vie actuelle si elle ne le souhaitait pas.

Nox s'éclaircit la voix.

—Je... Je voulais te montrer quelque chose en particulier.

Il poussa alors tous les livres qui se trouvaient sur la table pour faire de la place et alla chercher quelque chose dans une commode.

—J'ai lu pas mal de livres, expliqua-t-il alors qu'il fouillait. Je ne pense pas que ce soit des livres que l'on puisse trouver comme ça. Ils sont très vieux et parlent de choses très intéressantes.

—Comme quoi ?

—Comme de lieux autre que la Ville. Je ne savais pas s'ils étaient réels, au départ. Mais les noms revenaient souvent dans différents livres. Et puis un jour, j'ai trouvé ça.

Il sortit un tube en carton du tiroir d'un air triomphant. Il extirpa ce qui se trouvait à l'intérieur et déroula le papier sur la table.

—Qu'est-ce que c'est ? l'interrogea Stella.

—C'est une carte, dit Nox avec un grand sourire. Une carte du monde.

De toute sa vie, Nox n'avait jamais cru pouvoir trouver quelqu'un qui pouvait penser comme lui. Quelqu'un qui se serait rendu compte que quelque chose n'allait vraiment pas dans ce monde. Quelqu'un qui osait se poser des questions. Et pourtant il l'avait trouvé.

—Ça, continua-t-il en indiquant les parties de la carte de couleur beige ou marron, ce sont les terres. Et ça, (Il indiqua les parties bleues de la carte.) c'est de l'eau.

—De l'eau ? s'exclama Stella. Comme des grandes flaques ?

—Exactement, souria Nox. Comme des grandes flaques. J'ai lu quelque trucs dessus, on appelle ça des océans, ou des mers selon la taille.

Stella observa la carte d'un air songeur.

—Et nous ? On est où dans tout ça ?

—Je ne sais pas trop. Quelque part sur une des terres. Je n'arrive pas vraiment à savoir qu'elle est l'échelle, toutes les unités de mesures que j'ai pu trouver sont différentes des nôtres. Mais c'est au moins... (Il fit courir ses doigts sur la carte.) cent fois plus grands que la Ville, je pense.

—Cent fois plus grand ? s'étrangla Stella. Je n'arrive même pas à imaginer !

Ils restèrent silencieux quelques instants.

—Je me demande à quoi ça ressemble. Derrière les frontières.

Nox lui jeta un regard en coin.

—Moi aussi. Mais qui sait ? Peut-être qu'on pourra le découvrir un jour.

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