Le Raffinement : Une raffinerie peu raffinée
Lorsque Monsieur et Madame A s'était installés près de ce petit parc, aux abords d'une forêt si charmante et tranquille pour le petit couple, ils s'imaginaient finir leur vie dans cette campagne aux environs de Dunkerque. Cependant, le destin décida de leur prouver le contraire.
Madame A, qui était habituée à vivre en ville, s'habillait comme pour aller à la messe tous les jours. Elle avait engagé des domestiques, et se comportait en héritière de royaume. Tous les habitants du village le plus proche, Saint-Jacques-Les-Bains, s'indignaient de cette femme.
Monsieur A, petit et rondelet, marchait lentement jusqu'à Saint-Jacques-Les-Bains tous les matins à pied, et chaque jour la route lui semblait plus longue. Il s'arrêtait à toutes les maisons, riait aux blagues des uns, versait quelques petites larmes à l'écoute des problèmes des autres. Le village entier l'admirait, et souvent les gens s'indignaient de voir un couple aussi mal assorti.
Mais tant que monsieur A serait aussi bavard et sociable, madame B serait aussi renfermée et bourgeoise. L'un ne pouvait exister sans l'autre, et vice-versa. Parfois, la magie d'un couple réside dans l'originalité de leur mélange explosif. C'était le cas du leur.
Puis, quelques années plus tard, une grande autoroute fut construite, reliant Saint-Jacques-Les-Bains à Dunkerque. Un vrai travail de titans, que tous les habitants du village dédaignèrent. Ils fuyaient la ville, mais la ville retrouve toujours les fuyards.
Aussi, monsieur et madame A eurent leur première dispute. Madame A voulait aider "ces pauvres hommes qui travaillent toute la journée, en plein mois de juillet", et Monsieur A voulait rester chez lui, voire partir dans une autre campagne plus isolée.
Mais comme toujours dans leur couple, ils se regardèrent l'un l'autre, virent leurs différences et sourirent. Aucun ne convainquit l'autre, mais ils étaient toujours heureux.
Quelques semaines plus tard, l'autoroute était déjà construite. Les hommes détruisent la nature plus vite que tout le reste, un vrai exploit. Monsieur A voulut partir, tandis que Madame A espérait en cachette que d'autres maisons seraient construites.
Madame A faisait autrefois partie de ces " raffinées", ces femmes aux gants blancs toujours immaculés, ce qui est dû non pas à leur absolu soin mais à leur manque d'occupation; et aux grands chapeaux laissant voir peu de visage et beaucoup de mystère. Les autres raffinées manquaient beaucoup à Madame A qui soupirait parfois, pensant à son ancienne vie.
Un an plus tard, d'énormes camions passèrent, transportant des dizaines de tuyaux et des quantités gigantesques d'acier.
Surexcitée, Madame A laissa passer un cri de joie, avant de poser la main sur sa bouche, comme une raffinée. Elle était persuadée que ces camions transportaient des tuyaux de plomberie !
Sans même penser à en parler avec son mari, elle démarra la voiture en trombe, un vieux 4×4 gris métallique, devenu gris foncé avec le temps. Celle-ci s'élança sur la route, et Madame A suivit les camions.
Une heure plus tard, elle était arrivée dans un entrepôt où nombreux tuyaux cohabitaient avec des autres bouts de fers ou de métal. Elle s'imagina des villas modernes, faites entièrement en métal, et arrêta la voiture, les mains tremblantes.
Enfin des voisins !
Elle sauta hors de la voiture, et finit par trouver le directeur des opérations. Sans même lui demander quoi que ce soit, elle annonça :
"Étant donné votre rude travail, je voudrais vous offrir ceci, de la part de tous les habitants du village de Saint-Jacques-Les-Bains et des ses alentours."
Elle sortit devant le regard ébahi du directeur son carnet de chèque, y indiqua une somme à sept chiffres, et tendit le chèque.
"Voici pour vous."
Le regard du directeur s'agrandit un peu plus en voyant le chiffre. Des milliards d'anciens francs, pour son chantier ? Il devait rêver...
Madame A remonta tranquillement dans sa voiture, et revint à la maison, prétextant avoir fait des courses devant son mari.
Le couple était à présent ruiné. Tout l'argent qu'ils avaient pu entasser pour leur retraite avait été dilapidé avec soin par Madame A. Celle-ci se sentait l'âme d'une femme généreuse, et souriait de plus en plus souvent, inquiétant même son mari.
Un mois plus tard, le chantier était terminé. Madame A y passa, et son regard s'assombrit.
Pas de maisons.
Pas de jardins.
Pas de voisins.
Pas d'avenues.
Pas de résidences.
Pas de maisons de vacances.
Pas de futurs amis.
Juste un immense champ, rempli de structures de métal.
Madame A eut brusquement envie de vomir. Elle venait de donner tout son argent à un chantier de raffinerie.
C'était ça son nouveau voisin... Une raffinerie. Pas très raffiné...
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