Réécrire, ça donne quoi ?
Hey ! Comme vous le savez peut-être, ces derniers temps, j'ai été plongée dans la réécriture de Tu ne me briseras pas (anciennement Barbe bleue et cheveux roses) en vue de sa sortie en librairies en 2021. C'est un travail assez ingrat contrairement à l'écriture du premier jet sur Wattpad car d'une part, il est solitaire (même si mes éditeurs me donnent des pistes à la base), et ensuite parce que le sentiment d'avancement n'est pas le même que lorsque je crée de toute pièce un nouveau chapitre !
Je me suis dit que certains d'entre vous seraient peut-être intéressés par un comparatif entre la version après et avant réécriture, sur un chapitre dont l'intrigue ne va pas bouger. J'ai donc décidé de poster ici le premier chapitre de Tu ne me briseras pas, tel qu'il était dans le premier jet datant de 2016 et tel qu'il est actuellement.
Vous constaterez que la principale différence, c'est surtout des coupes : le premier jet fait plus de 1300 mots, la nouvelle 1100 seulement. J'ai épuré un certain nombre de formulations qui me semblaient amusantes à l'époque, mais qui avec du recul sont en fait juste lourdes et pas très utiles. Je pense qu'ainsi, l'ensemble est plus fluide ! Mais je vous laisse vous faire votre propre idée.
Si vous avez des questions après lecture, n'hésitez pas, j'y répondrai avec plaisir !
PREMIER JET - 2016
Toute cette histoire ne serait jamais arrivée si je n'avais pas été complètement crevée ce mercredi-là.
Nous n'étions qu'en novembre, pourtant : mes partiels étaient encore loin, je n'avais repris la fac que depuis un mois... Si je n'étais pas en forme ou à peu près à cette période de l'année, qu'allait-il advenir de moi en janvier ?
En fait, en janvier, ma vie aurait pris un tour qu'au jour où a commencé cette histoire, j'aurais été incapable de prédire. Mais n'anticipons pas. Si je ne vous raconte pas les choses dans l'ordre, vous allez vous y perdre. Et moi aussi, par la même occasion.
Bref, pour débuter dans les règles de l'art : je m'appelle Sophie Glénan, et en ce mois de novembre, j'avais vingt ans. Si j'étais aussi crevée, c'est parce que je cumulais deux licences à la Sorbonne (philosophie et allemand), et que mes parents avaient décidé que pour ma troisième année d'études, il était temps que je contribue au loyer de mon studio et à mes divers frais : courses, livres pour la fac, métro, encore des livres, photocopies, électricité, et encore des livres, pour résumer mes dépenses principales.
Sur le principe, j'étais d'accord. Vivre deux ans sur Paris et gérer un budget m'avait permis de me rendre compte du poids financier que je représentais pour mes parents. Gagner quelques centaines d'euros pour les aider me permettait de ne pas me sentir à leurs crochets. J'avais donc trouvé un job au Fruits & Coffee, un petit café du Marais ; j'y servais expressos, jus pressés, cappuccinos et autres thés glacés trois après-midis par semaine : le lundi, le mercredi et le samedi.
La pratique était bien moins reluisante que la théorie. Avec ce job, mon emploi du temps était soudain devenu bien trop rempli pour être gérable sereinement, car en parallèle, le niveau des cours et la quantité de travail demandée avaient augmenté en troisième année, dans mes deux licences.
Ajoutons à cela :
- Deux heures par semaine de flûte traversière, un instrument que je pratiquais depuis l'école primaire. J'aurais vécu comme une défaite personnelle le fait de l'arrêter pendant mes études.
- Une demi-heure de course à pied tous les trois jours, me prenant dans les faits une heure en comptant préparation et douche. Indispensable pour rester en forme.
- Deux heures de tutorat bénévole à Alison, une élève de quatrième en difficulté, tous les samedis matins. Une activité trouvée via la fac pendant ma première année. Je n'avais plus autant de temps que deux ans auparavant pour m'occuper de cela, mais Alison était adorable, et à chaque fois que je songeais à la laisser tomber, j'avais mauvaise conscience en imaginant ses grands yeux soudain déçus.
- Des tâches et ralentissements du quotidien qui me tombaient dessus à intervalles réguliers de manière aléatoire : rendez-vous chez le médecin ; états d'âmes de ma colocataire, Coralie, nécessitant soutien de ma part ; appel de mes parents ; courses ; démarches administratives...
Après avoir casé tout cela, il ne restait plus le moindre trou dans mon planning hebdomadaire, en tout cas si je bossais mes cours convenablement, ce qui était tout de même ma priorité pendant mes études.
Cela n'était peut-être pas si insurmontable, finalement. Le problème principal était sans doute que j'apprenais à gérer une vie autonome, et que du haut de mes vingt ans, je n'étais pas encore experte en la matière. Je n'étais plus une adolescente, ni tout à fait une adulte, et la période de transition avec l'inexpérience du premier stade et les responsabilités du second m'épuisait.
Mon équilibre en la matière est moins précaire aujourd'hui, même s'il n'est pas idéal.
Toujours est-il que, pour toutes ces raisons que j'ai déjà passé bien trop de temps à vous expliquer au lieu de démarrer mon histoire (déformation professionnelle d'étudiante en philosophie), j'étais crevée ce mercredi 9 novembre. Il était 16h, je n'avais pas assez dormi la nuit précédente, et mes pieds me faisaient mal : j'étais de service au Fruits & Coffee depuis trois heures et les clients n'arrêtaient pas de défiler. Impossible de prendre une pause ou ne serait-ce que m'asseoir pour soulager ma voûte plantaire.
J'en ai un peu honte, mais quand je suis fatiguée, je m'énerve facilement. Intérieurement : je me contiens de l'extérieur. Je suis une fille plutôt timide de manière générale. Pour soulager un peu la pression qui m'habite dans ces cas-là, je peste contre le monde.
Et en l'occurrence, pendant mon service au Fruits & Coffee, le monde, c'était les clients.
Une dame indécise trop longtemps ; une autre qui cherchait sa monnaie pendant des heures ; un monsieur qui me reluquait un peu trop ouvertement : tout était prétexte à marmonner en mon for intérieur. Ça me faisait passer le temps. Ça me défoulait. Et ça m'empêchait de penser à mes vrais problèmes.
Je n'aurais clairement pas gagné le badge de l'employée la plus souriante du mois, mais de toute façon, il n'y avait personne pour me surveiller le mercredi. Le café était plutôt petit et les patrons estimaient qu'en semaine, une seule salariée suffisait pour le tenir, ce qui expliquait mon rythme d'enfer. Le samedi, heureusement, j'étais en binôme avec Sarah, et le lundi, il y avait effectivement moins de monde.
J'étais dans cet état d'esprit quand il est rentré dans le café. Je ne savais pas quelle importance il allait prendre dans ma vie par la suite. Pourtant, je l'ai tout de suite remarqué. Pas parce qu'une aura l'entourait, que mon instinct s'est réveillé, ou toute autre bêtise du genre. Non : parce que de toute évidence, il cherchait à se faire remarquer.
Il avait les cheveux et la barbe teints en bleu. En un beau bleu turquoise, assez élégant, surtout porté par un jeune dandy bien fait de sa personne, mais très déconcertant.
La moulinette énervée dans ma tête s'est mise à tourner plus vite que jamais, et j'ai pensé quelque chose comme :
— Bleue ? Une barbe bleue ? Mais quelle drôle de couleur, sérieusement... Quel genre de mec se teint volontairement en turquoise, et arrive à avoir une classe folle malgré cela ?
Par hasard, le flux de clients s'était tari dans les minutes qui avaient précédé l'entrée de cet énergumène dans mon café, et je n'ai pas eu de temps pour me remettre du choc provoqué par une telle fantaisie capillaire : l'homme s'est aussitôt présenté à mon comptoir pour passer sa commande. Mécaniquement, j'ai débité les formules de mise au Fruits & Coffee :
— Bonjour Monsieur, qu'est-ce qui vous ferait plaisir aujourd'hui ?
Je n'ai écouté sa réponse que d'une oreille, en mode pilotage automatique : la vision de sa barbe bleue juste sous mon nez me perturbait, et je devais me concentrer pour ne pas laisser échapper un sourire en coin. Heureusement, j'avais déjà assez d'expérience pour embrayer directement sur la question suivante :
— Ce sera à quel prénom ?
— Octave.
J'ai saisi mon marqueur et indiqué ce nom aussi inhabituel que son porteur sur un gobelet vide, puis j'ai entamé la préparation du smoothie du mois, aussi bleu que celui qui l'avait commandé : un spécial myrtille, avec des fruits complets à l'intérieur (et un peu de colorant loin du regard du client, pour la couleur, impossible à obtenir naturellement).
Trente secondes plus tard, j'ai posé la boisson sur un plateau, en annonçant :
— Et un smoothie myrtille pour Octave !
Ce dernier m'a jeté un regard froid, et a lâché :
— À vrai dire, mademoiselle, j'avais commandé un macchiato.
Honteuse, j'ai senti ma gorge se nouer brutalement. Fatiguée et focalisée sur la couleur des cheveux de ce type, j'avais fait un amalgame étrange dans ma tête... Adieu l'énervement : je ne me sentais plus que confuse et déçue de moi-même. Pourvu que cet Octave ne comprenne pas d'où venait mon erreur ! Ce serait bien trop gênant... J'allais m'excuser et lui préparer un macchiato, gratuitement bien évidemment, quand il m'a demandé :
— C'est parce que ma barbe est bleue, c'est ça ?
À ce moment, j'ai eu envie de disparaître sous mon comptoir.
VERSION ACTUELLE - 2020
Toute cette histoire ne serait jamais arrivée si je n'avais pas été complètement crevée ce mercredi-là.
Nous n'étions qu'en octobre, pourtant : mes partiels étaient encore loin, je n'avais repris la fac que depuis quelques semaines... Si je n'étais pas en forme ou à peu près à cette période de l'année, qu'allait-il advenir de moi en janvier ?
Je le sais à présent : en janvier, ma vie aurait pris un tour que j'aurais été incapable de prédire trois mois plus tôt. Mais n'anticipons pas. Si je ne raconte pas les choses dans l'ordre, je vais m'y perdre...
Bref, pour débuter dans les règles de l'art : je m'appelle Sophie Glénan, et en ce début de semestre universitaire, j'avais vingt ans. Si j'étais aussi fatiguée, c'est parce que je cumulais deux licences à la Sorbonne (philosophie et allemand), et que mes parents avaient décidé que pour ma troisième année d'études, il était temps que je contribue au loyer de mon appartement et à mes divers frais : courses, livres pour la fac, métro, photocopies, électricité...
Sur le principe, j'étais d'accord. Vivre deux ans sur Paris et gérer un budget m'avait fait ouvrir les yeux sur le poids financier que je représentais pour ma famille. Gagner quelques centaines d'euros pour les aider me permettait de ne pas me sentir à leurs crochets. J'avais donc trouvé un temps partiel au Fruits & Coffee, un petit café du Marais. J'y servais expressos, jus pressés, cappuccinos et autres thés glacés trois après-midis par semaine : le lundi, le mercredi et le samedi.
Le problème, c'est qu'avec ce job, mon emploi du temps était soudain devenu bien trop rempli pour être gérable, car en parallèle, le niveau des cours et la quantité de travail demandée avaient augmenté. Ajoutons à cela, chaque semaine :
- Deux heures de flûte traversière, un instrument que je pratiquais depuis l'école primaire. J'aurais vécu comme une défaite personnelle le fait de l'arrêter pendant mes études.
- Deux fois une demi-heure de course à pied, indispensable pour rester en forme.
- Deux heures de tutorat bénévole à Alison, une élève de quatrième en difficulté – une activité trouvée via la fac pendant ma première année. Je n'avais plus autant de temps qu'à l'époque, mais Alison était adorable, et à chaque fois que je songeais à la laisser tomber, j'avais mauvaise conscience en imaginant ses grands yeux soudain déçus.
Et ça, c'était sans compter les aléas du quotidien : soirée organisée par des camarades de la fac ; états d'âmes de ma colocataire, Coralie, nécessitant que j'y prête une oreille attentive ; rendez-vous chez le médecin ; appel de mes parents, de ma grand-mère ou de ma tante ; courses ; démarches administratives...
Après avoir casé tout cela, il ne restait plus le moindre trou dans mon planning, en tout cas si je voulais réviser mes cours, ce qui était tout de même ma priorité.
Le problème principal était sans doute que j'apprenais à gérer une vie autonome, et que du haut de mes vingt ans, je n'étais pas encore experte en la matière...
Pour toutes ces raisons, j'étais crevée ce mercredi-là. Il était 16 h, je n'avais pas assez dormi la nuit précédente, et mes pieds me faisaient mal : j'étais de service au Fruits & Coffee depuis trois heures et les clients n'arrêtaient pas de défiler. Impossible de prendre une pause ou ne serait-ce que m'asseoir pour soulager ma voûte plantaire.
J'en ai un peu honte, mais quand je suis fatiguée, je m'énerve facilement. Enfin, dans ma tête seulement. À l'extérieur, je me contiens pour présenter une façade neutre. Mais parfois, pour soulager la pression, je peste silencieusement contre le monde.
Et en l'occurrence, pendant mon service au Fruits & Coffee, le monde, c'étaient les clients.
Une dame indécise, hésitant entre deux boissons en bloquant la queue derrière elle ; une autre qui cherchait sa monnaie pendant dix minutes entières ; un homme qui me reluquait un peu trop ouvertement... Tout était prétexte à marmonner en mon for intérieur. Ça faisait passer le temps. Ça me défoulait. Et ça m'évitait d'exploser vraiment.
Je n'aurais clairement pas gagné le badge de l'employée la plus souriante du mois, mais de toute façon, il n'y avait personne pour me surveiller le mercredi. Le café était plutôt petit et les patrons estimaient qu'en semaine, une seule salariée suffisait pour le tenir – on voyait bien qu'ils n'avaient jamais essayé eux-mêmes. Le samedi, heureusement, j'étais en binôme avec des collègues, Sarah et Liam alternativement. Et le lundi, il y avait effectivement moins de monde.
J'étais dans cet état d'esprit quand il est rentré dans le café. Je ne savais pas quelle importance il allait prendre dans ma vie par la suite. Pourtant, je l'ai tout de suite remarqué. Pas parce qu'une aura l'entourait, que mon instinct s'est réveillé, ou toute autre bêtise du genre. Non : parce que de toute évidence, il cherchait à se faire remarquer.
Il avait les cheveux et la barbe teints en bleu. En un beau bleu profond, assez élégant, surtout porté par un homme aussi bien fait de sa personne. Un bleu que j'ai surtout trouvé déconcertant, et sur lequel j'ai bloqué jusqu'à ce que ce nouvel arrivant se présente au comptoir. Par hasard, le flux de clients s'était tari dans les minutes qui avaient précédé, et je n'ai pas eu le temps de me remettre du choc provoqué par l'arrivée d'un tel original dans mon café avant de devoir le servir. Mécaniquement, j'ai débité les formules de mise au Fruits & Coffee :
— Bonjour monsieur, qu'est-ce qui vous ferait plaisir aujourd'hui ?
Je n'ai écouté la réponse de l'homme que d'une oreille : la vision de sa barbe bleue juste sous mon nez me perturbait. Les poils teints autour de sa bouche s'agitaient à mesure qu'il me parlait, et ce mouvement m'hypnotisait. Je me souviens m'être demandé la fréquence à laquelle ce client devait entretenir sa couleur : pour que ses racines soient si impeccables, il devait en prendre grand soin. Un travail méticuleux... pas comme mon job de serveuse à cet instant. Un peu honteuse d'avoir laissé divaguer mes pensées ainsi, j'ai embrayé sur la question suivante :
— Ce sera à quel prénom ?
— Octave.
J'ai saisi mon marqueur et indiqué ce nom aussi original que son porteur sur un gobelet vide, puis j'ai entamé la préparation du smoothie du mois, d'un bleu aussi remarquable que celui de la barbe de l'homme qui me faisait face : un spécial myrtille, avec des fruits complets à l'intérieur (et un peu de colorant loin du regard du client, pour la couleur, impossible à obtenir naturellement).
Trente secondes plus tard, j'ai posé la boisson sur un plateau, en annonçant :
— Et un smoothie myrtille pour Octave !
Ce dernier m'a jeté un regard étonné, et a lâché :
— À vrai dire, mademoiselle, j'avais commandé un macchiato.
J'ai senti ma gorge se nouer brutalement. J'allais m'excuser et lui préparer la bonne boisson, gratuitement bien évidemment, quand il m'a demandé :
— C'est parce que ma barbe est bleue, c'est ça ?
À ce moment, j'ai eu envie de disparaître sous mon comptoir.
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