Chapitre 8 :

Strange birds ;; BIRDY.

DEOTILE SOMNOLAIT sur le matelas gonflable. Sa main appuyée sur mon torse, sa tête penchée vers moi, ses yeux clos.

La torpeur de l'été nous frappait ; il faisait chaud, beau, d'un de ces ciels bleu profond, sans nuages qui évoquaient le paradis et contrastaient avec les grands arbres aux feuilles d'un vert éclatant. On profitait de la chaleur de ce mois de juillet sans cours ni lycée, sans amis ni parents, pour prendre des couleurs en dormant dans l'eau.

Enfin, Déotile, du moins.

Après m'être amusé une bonne vingtaine de minutes à faire des vaguelettes avec mes pieds, je commençais à en avoir franchement marre. Détailler son visage apaisé, son corps reposé et son maillot coloré, ça m'allait mais c'était long.

« J'me sens bien, avec toi, genre vraiment bien, c'est fou. Je pourrais passer ma vie ici. C'est le paradis.

— C'est vrai qu'on est bien.

— C'est une des fois où j'ai été le plus détendue de ma vie. Je pense que t'y es pour quelque chose. Déjà, cet atmosphère est reposant, mais t'es le seul avec qui je sais qu'il se passera jamais rien. Le monde pourrait s'écrouler tu me protégerais. »

Elle recala sa tête contre le matelas avec un sourire apaisé et referma les paupières.

Une dizaine de minutes s'écoulèrent ; elle dormait, sternum exposé en plein soleil, dans cet infini cambré de danseuse qui la suivait même dans son sommeil. Le rouge de son maillot tranchait parfaitement avec son teint hâlé.

Mais là, je m'ennuyais.

Je pris mon élan et renversais le matelas d'un coup brutal, laissant Déotile sombrer et se réveiller d'un seul coup. Elle hissa la tête hors de l'eau en crachant de grandes gorgées d'eau puis prit une énorme respiration comme si elle avait manqué mourir.

« Gros con ! se plaignit-elle en m'aspergeant. J'ai dit que je te faisais confiance, me force pas à changer d'avis !

— Bronzer toute la journée c'est pas mon délire.

— T'en aurais besoin pourtant, t'es blanc comme un cul de fantôme.

— Tu veux qu'on compare ? C'est toi le fantôme ! »

Elle secoua la tête ruisselante d'eau chlorée.

« Pourquoi tu m'as réveillée ? Je dormais bien.

— Parce qu'on a mieux à faire que dormir !

— Ah oui, c'est quoi tes plans ? »

Un sourire hasarda ses fines lèvres et elle m'adressa un regard lourd de sens.

« Me dis pas que tu voulais faire le mec cliché à échanger des baisers dans la piscine. Tu veux pas qu'on prenne un snap de nous dans l'eau avec le filtre de la couronne de fleurs aussi ? Avec en légende bae coeur rouge coeur fléché cadenas ?

— Déo...

— Je t'ai percé à jour ? »

Je levais les yeux au ciel en ignorant ses remarques.

Et je tirais sur le fil de son maillot de bain, ce qui fit chuter son maillot de bain. Elle plaqua automatiquement ses mains sur ses seins pour retenir son haut.

« Alors ça, tu vas me le payer ! C'est pas du jeu !

— La mode c'est de bronzer topless de toute manière.

— Ta mode tu te la fous au cul, je porte un haut si je veux. Rattache moi ça !

— Déo, pourquoi tu t'acharner à mettre un soutif alors que t'as pas de seins ? »

Elle haussa un sourcil stupéfait.

« Pourquoi tu t'acharnes à vivre alors que tu sais que tu vas crever ? rétorqua-t-elle sur le même ton.

— Deux et deux régal chaussette rose ?

— La perspective de mourir t'empêche pas de vivre si t'as envie. C'est pareil avec les soutifs. T'en mets si tu veux, t'en met pas si tu veux.

- T'es quand même super tordue c'est chaud. »

Elle plissa le nez et fit une mimique presque hilarante si le contenu n'était pas outrant.

« Sauf que t'as pas interêt à avoir les tétons qui pointent parce que c'est pas décent, et gnagnagna. Frustrés de merde. »

   Je rattachais son maillot de bain en veillant à ne pas laisser échapper le tissu entre mes mains, sinon elle m'aurait accusé de pervers crétin.

   Des bretelles croisées et ramenées en ruban derrière la nuque, ce qui rendait le tout très facile à détacher. Couleur rouge coquelicot avec une bande élastique blanche bordées de pavots. Même son maillot était plus beau que moi.

   « T'es féministe ?

   — Ah parce que tu le découvres que maintenant ? Le soleil te tape sur la tête toi. C'est Dom qui m'a initiée quand j'avais douze ans.

   — Tu m'as jamais montré une photo de Domitille.

   — Pour que tu tombes amoureux d'elle, non merci. Elle est super bien foutue et elle a les mêmes goûts musicaux que toi, en plus elle sait super bien se maquiller, l'autre jour elle a fait un truc magnifique avec du rouge, du bleu et un eye-liner blanc. Moi je sais même pas me mettre du mascara sans me mettre la brosse dans l'œil.

   — Tu veux qu'on essaye de me maquiller ? »

   Elle me fixa, stupéfaite.

   « Hein ? T'as proposé qu'on te maquille ? fit-elle avec un sourire croissant.

   — Le maquillage c'est mixte, répondis-je en haussant les épaules. Et puis, j'ai toujours rêvé de voir à quoi je ressemblais avec du fard à paupière.

   — T'es vraiment le meilleur ! »

   Elle m'embrassa, s'excusa d'être clichée, lâcha que merde c'était bien les clichés et m'embrassa à nouveau.

   Nous nous regardâmes dans le miroir.

   J'arborais un eye-liner plus épais que mes sourcils, une tentative de smokey bleu pailleté, une dizaine de tâches de rousseurs dessinées sur mes pommettes et un rouge à lèvre vif.

   Elle avait tenté de mettre du khôl et ça avait bavé, Déotile s'était donc transformée en gothique combattante de guerre sexy (le sexy c'était pour lui faire plaisir) : des paupières sombres, du khôl effet panda, les joues creusées de poudre violette et des traces de gloss rouge foncé sur ses lèvres qui ressemblait en tout point à du sang.

   « Voilà comment j'imagine Bella de Twilight, fit-elle en regardant une énième fois le miroir.

- Euh, Kristen Stewart ressemble pas franchement à ça.

- J'ai pas vu les films, juste des extraits du un en me perdant sur YouTube. En revanche j'ai lu les livres et j'imagine Bella comme ça. Enfin, approximativement.

- Très très approximativement. »

Déotile haussa les épaules et passa son doigt sur mes lèvres pour le baisser sur mon menton. Elle se mit à rire stupidement en me regardant, sans que je sache pourquoi. Jusqu'à ce qu'elle me montre le miroir.

Du rouge à lèvres s'étalait sur mon menton d'imberbe. Elle riait à s'en éclater le ventre face à mon incrédulité. Puis, doucement, elle prit un coton, l'imbiba de démaquillant et me débarbouilla la face patiemment, comme je voyais ma mère faire avec Olivia qui avait joué avec son kit de maquillage Hello Kitty.

« Tu vas voir le feu d'artifice avec ta famille ce soir, je suppose ?

- Mon père est pas chaud mais ma mère et moi on y va.

- Mes parents veulent pas le voir. Ca pollue, ça coûte cher, qu'ils disent. Ils ont pas tort. Mais moi j'aime les feux d'artifices, quand je lève le menton vers eux, je me sens fière d'être française et ça arrive pas souvent. Et ça me rend vivante. Pas que je me sente morte, mais là, je me sens bien, je me sens moi, je me sens française. »

Elle sourit et prévint que ça pouvait piquer avant de frotter frénétiquement ma paupière gauche. Et ça piquait.

« T'auras qu'à nous rejoindre, au pire. On mettra ça sous le coup du hasard.

- Ouais, le hasard ça va marcher parce que ta mère est pas ma plus grande fan.

- Si, elle t'aime bien. »

Ce n'était pas totalement vrai. Elle l'appréciait très légèrement mais gardait en travers de la gorge mon état léthargique et mes larmes. On ne touchait pas aux enfants d'une mère comme ça.

« Ouais, c'est pas le terme que j'emploierais mais bon, si tu le dis. J'ai déconné, tu voulais quoi, qu'elle fasse un temple à mon effigie ? Suffisait de voir sa tête quand elle m'a ouvert.

- Je croyais que c'était Méli qui t'avait ouvert.

- Non, j'aurais préféré d'ailleurs. Ta mère avait un de ces regards...alors que Méli, elle avait un air plus encourageant. Elle m'a demandé ce que je faisais là, et quand je lui ai expliqué, elle m'a sourit en disant you go girl.

- Sérieusement ? »

Déotile sourit en s'attaquant patiemment à ma paupière droite. La gauche m'irritait franchement.

« C'est qui, cette fille, déjà ? Elle est super canon.

- Ma cousine.

- Vous avez quoi dans vos gênes, ça m'intéresse ? Ou alors vous avez une marraine la bonne fée au dessus de votre berceau qui vous rend tous beaux, j'en sais rien, mais là faut partager.

- La beauté c'est subjectif.

- Ouais, enfin après j'ai pas rencontré une seule personne qui m'a dit qu'Emilia Clarke était moche.

- Et je ne serais pas l'exception à la règle. »

Déotile jeta le coton noir de maquillage à la poubelle et je pus relever quelques traînées noirâtres sur mes paupières. Comment faisait-on pour avoir le courage de se démaquiller jour après jour ?

« Donc je vous rejoins dans la discrétion la plus totale au feu d'artifice ce soir ?

- Totalement. Ramène ton plus beau sourire pour en mettre plein la vue à ma mère et ça se passera bien.

- J'ai comme un petit doute. »

Elle doutait toujours de tout. Des propos des autres, d'elle-même : elle n'avait confiance en personne. Sauf en moi, apparemment. Ce qu'elle venait de dire prouvait que ce n'était pas entièrement vrai.

« Fais moi confiance. »

Déotile leva les yeux au ciel et prit un coton pour essuyer ses lèvres sanguinolentes de gloss.

« Je te fais déjà confiance, c'est de ta mère dont je me méfie. Les mères sont généralement pareilles, super protectrices. Et si elle peut m'apprécier en tant que femme, elle va me détester en tant que mère.

— Comment ça ?

—J'ai beau être la plus gentille au monde avec elle, j'aurais fait du mal à son fils et elle ne m'aimera pas rien que pour ça.

— Alors donne toi une occasion de te racheter ce soir. »

Elle avala bruyamment sa salive, avec un petit gloups qui franchit sa peau.

« Je vais faire ce que je peux. »

Et elle doutait encore. D'elle-même, cette fois-ci.

Sans réaliser qu'elle pouvait être géniale, que si ma mère était sceptique parce que son petit Tintin avait une copine qui lui avait brisé le cœur de surcroît, au fond elle était contente que j'ai réussi à trouver une fille "aussi gentille, polie et jolie".

« Arrête de douter de toi.

- Tu dis n'importe quoi, protesta-t-elle.

- Bien sûr que si, je dis la vérité. Je détiens la vérité. Je suis maître de la vérité. »

Elle se mit à rire, encore. Essuya sa bouche avec son poignet et me plaqua un baiser sur le front.

« Je dois être comment ce soir ? Habillée en bleu blanc rouge ? En noir pour faire le deuil des impôts en fumée ? Critiquer ça parce que ça tue les bébés phoques ?

- Tu vois tout les trucs clichés que tu lis partout, qui te disent d'être toi-même ? Bin je vais te dire la même chose.

- Qu'est-ce que ça m'aide, soupira Déotile. »

Et elle me faisait rire.

*

« Maman, j'ai un truc à te d-

- Laisse moi deviner, ça commence par Dé et ça finit par Otile ? répondit ma mère en nouant un foulard autour de son cou.

- Ouais... »

Elle me scruta, impassible. Ses yeux verts n'exprimaient rien que de l'intrigue. Du genre "qu'est ce qu'il peut bien inventer celui-là ?".

« Tu l'aimes pas ?

— J'en sais rien, Tintin, qu'est-ce que tu veux que j'en sache ? Je lui ai parlé deux heures et le lendemain je te vois en larmes à cause d'elle, on ne peut pas dire que je suis sous le charme, en effet. Pourquoi ?

— C'est bien ce qui lui semblait.

— Elle a le mérite d'être un peu plus objective que toi qui est persuadé que tout le monde s'aime, argua ma mère qui retouchait son rouge à lèvres. »

Ca faisait toujours plaisir à entendre.

« Donc, qu'est-ce que tu voulais me dire ? réitéra ma mère.

- Bin, en fait, elle va voir le feu d'artifice seule donc je lui ai proposé de se joindre à nous.

- Pourquoi je me doutais de quelque chose du style ? »

Je n'en avais aucune idée ; ma mère était décidément forte, très forte.

« Je suppose que c'est trop tard pour dire non, maintenant.

- Je peux toujours annuler, si tu veux ! me défendis-je précipitamment. Juste que je me suis dis qu'un feu d'artifice c'était pas très gênant et que vous pourriez un peu parler, quoi...

- Tant que vous ne me faites pas honte à vous lâcher des baisers en public, ça ne me pose aucun problème

- Tu es sûre ? »

Ma mère soupira et planta son regard dans le mien, les lèvres déformées par une moue.

« Si tu me le proposes c'est pour une bonne raison. Je ne tiens juste pas à voir cette Déotile incrustée partout même si c'est mal parti.

- C'est pour que tu réalises.

- Réalises quoi ?

- Que c'est une fille bien. »

Ma mère sourit, du même sourire que quand le petit Augustin de cinq ans demandait si les cerisiers pousseraient dans son ventre s'il en avait avalé un noyau. Le sourire patient de la tendresse maternelle.

« Je sais mon tintin, que c'est une fille bien. Ca se sent dans son visage, dans la manière qu'elle a de te regarder. Je me méfie juste de l'amour à votre âge. Ca peut mal finir. De pleins de manière. Et j'ai peur pour toi, j'ai peur pour vous, mais je ne me méfie pas d'elle. J'ai peut-être tort mais je suis persuadée que votre rupture était une erreur. »

Et mon coeur s'en sentait rassuré. J'avais peur pour les futures repas de famille, que ma mère n'aime pas ma copine, que ma copine n'aime pas ma mère, qu'elles se crachent dessus, que mon père frappe du poing, quitte la table en renversant du vin partout. Et que moi je reste assis, à voir le vin couler à flot sur la nappe blanche, leurs mots se heurter plus coupants que les couteaux à viandes entre leurs poings serrés.

« On part dans un quart d'heure. »

Lorsqu'on se rendit enfin près du port, je sentis presqu'aussitôt une main se glisser dans la mienne. Je regardais ma mère d'un air accusateur mais elle se battait avec ses cheveux coincés dans son foulard.

C'était Déotile. Qui d'autre? avais-je envie de demander.

Sous la faible lueur des lampadaires, je la trouvais rayonnante. Dans sa veste de cuir et sa robe en tissu, dans son sourire et ses iris pétillants.

« Désolée, s'excusa-t-elle l'air tout sauf désolée. Je devais m'assurer de pas vous perdre dans la foule. Bonsoir madame Favreau.

- Bonsoir, répondit posément ma mère. »

Déotile feint un sourire, l'air mal à l'aise. Elle avait l'air de se noyer dans les mots que son cerveau lui proposait sans savoir lequel dire.

« Ehm, bredouilla-t-elle les yeux baissés sur sa veste.

— Tu passes à la maison pour l'anniversaire d'Augustin demain ? demanda ma mère pour couper court aux balbutiements. »

Tiens, c'était mon anniversaire demain. Les moments avec Déotile me semblaient tellement hors du temps que j'en oubliais les jours qui passaient.

« Je ne voudrais pas déranger...

— Si je te le propose de mon plein gré c'est que ça ne me pose pas de problèmes, répondit ma mère. »

Elle avait le timbre froid comme la pierre et très courtois. Déotile acquiesça avec un maigre sourire poli.

« Avec plaisir, alors...

— Il n'y aura pas grand monde, Olivia sera là et Gene passera, si j'ai bien compris.

— Ouais, marmonnais-je. Valérie est en vacances. »

Nous fûmes coupés par une explosion rouge dans le ciel.

   Et si je fus diverti quelques minutes, le subterfuge ne fut pas bien long : je venais de réaliser que je n'avais pas grand monde.

Quelques potes au théâtre, des connaissances en cours, mais je n'étais pas attaché à beaucoup de gens. En fait, à Déotile. Puis Valérie, ma mère, Mélissa, Lilith, légèrement Gene.

Face à une copine qui faisait parler d'elle, qui sortait pas mal et qui était au centre du conflit le plus intéressant des gens de notre âge au village, je me sentais carrément seul.

« On te raccompagne, Déotile, c'est moins dangereux.

— Comme vous voulez, fit-elle avec un ton nerveux. »

Ce qui voulait surtout dire quelque chose comme "non pas comme vous voulez du tout laissez moi partir loin d'ici seule j'ai peur de vous parler".

« En toute honnêteté, commença ma mère sur le chemin du retour, je n'ai pas compris votre rupture. Il y a, généralement, une excuse, aussi ridicule soit-elle. Là, je n'ai rien trouvé.

— Ce qui veut dire que c'était une erreur qui n'avait aucune raison d'être, voyez, elle est corrigée à ce jour, tenta ma petite amie. »

Elle avait les joues rouges sous la lumière des lampadaires et triturait nerveusement ses doigts. Déotile mordilla sa lèvre inférieure en attendant une réponse de ma mère.

« Une erreur qui a duré une semaine. C'est long, une semaine, pour réaliser.

— J'avais peur. Ça justifie rien, je sais, mais j'avais peur. Je voulais venir mais je voulais pas avoir sa réaction. Je voulais pas assumer la conséquence de mes mots. »

Ma mère acquiesça sans rien ajouter, la bouche muette et les lèvres pincées.

« Je crois qu'on est chez toi.

— C'est vrai, répondit poliment Déotile. »

Elle me glissa un joli "à demain" à l'oreille, effleura mes lèvres et serra la main de ma mère avant de s'en aller.

« Honnêtement, je ne sais pas quoi en penser.

— Comment ça ?

— Elle a l'air très gentille. Mais... »

Sa voix se laissa mourir dans sa gorge. Les yeux de ma mère fixaient le vague et elle finit par articuler :

« Elle a l'air triste.

— Je crois qu'elle l'est.

— Fais quelque chose pour cette fille, ce serait dommage de la laisser se mourir alors qu'elle pourrait faire vivre le monde.

   — La personne qui pourrait le plus l'aider à se sentir bien, c'est elle-même. »

   Ma mère haussa les épaules sans abdiquer pour autant. 

   « Elle aurait juste besoin d'un petit coup de pouce. Juste que tu lui apprennes qu'elle peut s'aimer, c'est pas interdit. Comme quand je t'ai appris à faire du vélo, je te tiens, tu pédales. Aide la, tu verras. »

   Et ma mère, je lui faisais confiance. Je me suis couché le sourire aux lèvres, bercé par les explosions multicolores, les rires de Déotile et les paroles de ma mère. Dans ma bouche restait un arrière-goût d'amertume, bien vite effacé.

   Je n'étais pas seul, j'étais simplement très bien entouré et n'avais besoin de mieux.

*

« JOYEUX ANNIVERSAIRE ! rugit Lilith en sautant sur mon lit. »

Elle espérait me réveiller mais j'avais ouvert l'œil depuis un petit quart d'heure et profitait du rayon de soleil pile sur mes pieds et de la fraîcheur des draps.

« Merci Lili. »

Je la pris dans les bras mais elle se débattit en tirant de la langue :

« Non tu pues ! »

Elle me prit la main et me tira hors du lit. Ma mère avait acheté des viennoiseries, mon père était parti travailler mais avait laissé un petit mot manuscrit à côté de mon jus de raisin.

» Joyeux anniversaire à mon plus si petit Augustin,
je rentre à midi
papa.

Il avait gribouillé un bonhomme souriant à côté.

Et malgré tout ce que j'avais pu dire sur mon père, malgré nos échanges explosifs et les fois où je l'avais maudit, ce petit mot me réchauffa le cœur.

Lui qui avait une difficulté monstre à se rappeler des anniversaires le jour même, du prénom de ses collègues ou même de son anniversaire de mariage, il avait écrit exprès un mot pour le mien.

Entre Lilith qui me pressait la main, ma mère qui me souriait, la promesse de mon père et Déotile qui allait venir, ça ensoleillait mon cœur malgré le ciel gris.

Au moment où je mordais dans mon croissant, les yeux perdus dans le vide, je vis une brune au joli sourire entrer dans mon champ de vision.

« Ne réponds pas à mes messages, surtout. Moi qui me suis donné du mal pour t'en envoyer un à minuit !

— Je dormais probablement.

— Des gens dorment à minuit ? Va falloir que je te décoince un peu toi. »

Lilith tirait la langue d'un air dégoûté à côté de nous.

« C'est moi la première à lui avoir souhaité, nananère, fanfaronna ma cousine.

— Techniquement non, ricocha Déotile. »

Ma petite amie me regarda manger avec un sourire non retenu, Lilith gobait son petit déjeune et moi...j'essayais de ne pas faire tomber trop de miettes.

L'heure clignotante du four affichait 10h32.

Quand j'eus terminé de me préparer, je retrouvais Déotile allongée sur mon lit à observer mon plafond vide, les mains sur le ventre.

« Je suis fatiguée des relations amoureuses, lâcha-t-elle subitement.

— Tu me largues à mon anniversaire, là ?

— Du tout. Je réfléchis juste. Les gens en couple sont chiants. Ils se donnent des surnoms niais et s'offrent des cadeaux, s'empêchent de sortir avec une jupe trop courte ou avec une pote, voient de la jalousie partout et se lèchent le visage en public pour prouver qu'ils sont supérieurs. »

Je m'allongeais à côté d'elle et regardais mon plafond qui n'avait rien d'intéressant au final.

« Pour moi, un vrai beau couple, c'est celui qui se fait confiance, qui propulse l'autre vers le haut, qui n'a pas besoin de dire je t'aime pour que l'autre le comprenne et qui sont meilleurs amis. Un truc du style. Qui se connaissent tellement. Tu vois le délire ?

   — En gros tu es le genre de filles qui dit à son meilleur ami "c'est un mec comme toi qu'il me faut".

   — Bah, partiellement. Si y a aucune attraction, c'est pas la peine d'y penser. »

Sa main se faufila dans la mienne et elle pressa sa paume contre mes doigts.

« J'ai envie d'écouter de la musique, confessa-t-elle. Tu veux que j'aille chercher mon portable ? »

J'acquiesçais et elle se leva pour aller farfouiller dans son sac à main. Elle en sortit son téléphone et un paquet enrubanné.

« Même aux commentaires de français je fais pas d'aussi belles transitions. Joyeux anniversaire mon Gus, ouvre ça quand je suis partie surtout. »

Elle posa le paquet sur mon bureau et déposa un baiser sur mes lèvres avant de s'allonger à mes côtés et de me tendre un écouteur.

Sa main contre la mienne qui traçait des cercles dans ma paume, sa jambe qui s'enroulait à la mienne et son souffle contre mon cou, la voix de Lorde dans nos oreilles, elle s'interrogeait sur les endroits parfaits et j'avais envie de lui dire qu'il était là.

Ce moment ne dura pas éternellement – même si j'avais fini par somnoler, et ma mère nous appela, avec son regard inquisiteur, à la cuisine. Elle voulait qu'on décore le gâteau avant le retour de mon père et le laisser hors de portée de Lilith qui voulait dessiner des Minions au cure-dent.

Je revins dans ma chambre au pas de course, ayant oublié mes lunettes de correction nouvellement acquises et que j'oubliais tout le temps d'enfiler devant mon ordinateur. La porte d'entrée claqua lorsque je chaussais la monture noire sur mon nez.

Mon père était rentré. Cette perspective me faisait moins plaisir qu'elle aurait du.

   « Que ça ? »

   Mon père vit Lilith qui faisait des dessins en tirant la langue, Déotile et son joli sourire et eut un mauvais regard. Il ne savait pas que je l'entendais. Que j'étais juste à côté.

   « Marcus, je suis persuadée que ses amis lui ont envoyé un message, tenta ma mère le ton marqué de pitié.

   — Te voile pas la face, Sophie. »

   C'était le mot de trop. Je sentis la colère remonter lentement en moi et ma gorge serrée. Mes paupières papillonnaient partout dans l'espoir de me raccroche à un sourire.

   « Il arrive pas à se faire des amis, tenta ma mère. »

   Bien sûr que si j'y arrivais. Évidemment que si. Pas vrai ?...

   Je rebroussais chemin et fit tomber ce que je tenais dans les mains par terre. Ma mère dut se rendre compte que j'avais tout entendu mais je fus le plus rapide et claquais la porte de ma chambre avant de la barricader avec une chaise.

   La vérité c'est que j'étais qu'un putain d'incapable.

   J'avais personne.

   Je me laissais tomber au sol, le regard hagard et errant, la respiration pantelante. Et, d'un coup, tout vint. Le fracas des mots sur mon cœur.

   Je fondis en larmes subitement. La lutte avait cessé. La solitude me hantait. Connasse.

   J'étais un incapable et un abruti.

   Au bout de quelques minutes, mon téléphone vibra.

Déotile
laisse moi entrer je suis devant ta porte. J'ai dit à ta mère que je venais la défendre parce que c'était le seul moyen que j'avais de rentrer (mais c'est pas vrai)
Ouvre moi Gus je jugerais pas promis

   Je cédais alors et la laissais pénétrer dans ma chambre avant de la verrouiller à nouveau.

    « Gus, t'as pas le droit de te faire ça, soupira-t-elle en regardant mes yeux pleins de larmes. Merde quoi, t'es sensé être le roi de la journée. Tu veux que je sois ton bouffon attitrée ? Je peux même mettre un chapeau à clochettes si tu veux...

   — Pourquoi tu fais tout ça pour moi ?

   — Bin, à tout hasard parce que je suis ta copine et que si y a bien un truc qui me brise le cœur c'est de te voir pleurer ?

   — Pourquoi tu sors avec moi ? Tu pourrais en avoir des tas, des mecs populaires et beaux, ils rampent à tes pieds. Pourquoi moi ?

   — Eh, t'es en train de me faire une crise parce que t'écoutes tes parents ? On les emmerde tes parents ! Moi j'ai très envie de sortir avec toi et je pourrais te donner une raison tout les jours, alors tu arrêtes d'écouter des croûtons qui connaissent rien à ta vie. »

Elle me vit, les bras ballants et eut un faible sourire.

« Je t'ai jamais dit mais je trouve les gens à lunettes vraiment moins séduisant. Je revois mon jugement, là. »

Tentant le tout pour le tout pour me faire sourire, elle se releva du plus haut qu'elle le pouvait et plaqua un baiser sur mon front.

« Arrête de t'en faire pour eux, ils se rendent pas compte qu'on a pas tous trois milliers d'amis.

— C'est facile, pour toi, de dire ça. »

Elle fronça les sourcils, peu convaincue.

« Je ne pense pas. Si je fêtais mon anniversaire, comme toi, bah y aurait pas grand monde. En fait, tu connaîtrais tout les invités. Y aurait que toi.

— Arrête de me mentir, vraiment.

— Gloria ? Je lui confie plus rien. Tu es de loin celui qui en sait le plus sur moi. »

Prise de panique devant une nouvelle montée de larmes, elle embrassa mes lèvres du bout des siennes. Avant d'essuyer le coin de mes yeux du bout de ses deux pouces.

« Tes parents ont sûrement pas compris la valeur d'une véritable amitié.

— Je veux me casser d'ici.

— Ce serait pas raisonnable.

— On s'en fout, on prend nos économies, nos sacs à dos et nos grosses chaussures et on part. Qu'est-ce qui est raisonnable ? Je veux vivre et voir le monde, pas me sentir étouffer dedans. »

Elle haussa les épaules. La bretelle de sa robe glissa sur son épaule. Elle ne la replaça pas et plongea ses yeux bleus dans les miens.

« On s'en ira un jour si tu veux, mais pas aujourd'hui. T'es trop saoulé au malheur, comme dirait une amie. L'ivre qui n'a pas conscience. Un jour si tu veux, on pars pour la nuit avec de l'argent, un appareil photo et un carnet de croquis. Mais quand t'auras décuvé. Promis. »

   Elle caressa ma joue et essuya les quelques larmes qui glissaient encore. Je les ravalais intérieurement, conscient de la chance que j'avais de pouvoir pleurer devant quelqu'un sans entendre "mais t'es un mec, tu dois pas pleurer". Valérie, par exemple.

   Son sourire désespéré me donnait envie de pleurer encore plus, pourtant.

   « Tu sais quoi ? Pleure un bon coup, tu te sentiras mieux après. Je m'en vais, si tu veux. »

   C'était l'idée la plus stupide qu'elle avait jamais eue. Je lui retins automatiquement le poignet en lui intimant du regard de ne pas partir.

   « OK, je reste. Tu as ton téléphone ? »

   Je lui indiquais mon smartphone d'un coup de menton. Elle alla le chercher, entra le code – 0107, avant de me tendre un écouteur.

« Tu as reçu pleins de messages.

— Va dire ça à mes parents. »

Elle sourit et me força à me coucher avant de se caler contre moi.

   Allongé à même le sol, sa tête blottie contre mon cou, les paroles de Nickelback nous berçaient.

   If you can hear me now, I'm reaching out, to let you know that you're not alone.

   Je sanglotais en silence, au gré des paroles.

   Et quand la musique se tut, j'entendis mes parents s'engueuler pour je ne savais quelle raison et fondis en larmes en serrant dans les bras ma petite amie. 

   Ses yeux scintillaient mais pas de bonheur.

   « Je suis désolée que ton anniversaire se passe mal, murmura-t-elle.

   — J'sais pas si c'est le meilleur ou le pire. »

   Son front se barra d'un pli soucieux.

   « On va faire en sorte que ce soit le meilleur, hein ? souffla-t-elle. »

   Et cet anniversaire fut le pire de ma vie à cause de mes parents, mon père capricieux qui me rabaissait constamment par petites piques basses et Lilith qui faisait semblant de piailler pour faire diversion.

  Mais de ce fiasco j'en tirais une conséquence notable : je pouvais toujours compter sur Déotile sans qu'elle me rabaisse.

désolée de la publication tardive j'avoue que ce chapitre était long et que j'avais légèrement la flemme de corriger

december vibes still better than november ones. (PLUS QUE DEUX SEMAINES AVANT LES VACANCES)

sinon si quelqu'un est expert en dissert de philo je suis preneuse sinon

bises bises
AM.

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