Chapitre 6 :
LE LENDEMAIN je retrouvais donc Déotile au port, comme convenu. Ma mère avait tiqué en me voyant au pied de la porte mais n'avait protesté.
J'avais prévenu que je serais de retour dans l'après-midi sans trop savoir quand.
Et à mon arrivée, ma petite amie était en pleine conversation avec une petite brune joufflue au chignon mal fait.
« Euh, salut ?
— Salut. Émilie. »
Mon plan avait fonctionné et j'étais grandement soulagé. Déotile souriait. C'était mieux.
« Vous voulez que je vous laisse toutes les deux ? »
Ma copine me scruta, l'air de peser le pour et le contre. Émilie me fixa en plissant les yeux. Elle approuvait clairement ma proposition.
« Écoute, on a qu'à passer une heure en ville avec Em et ensuite tu viens manger à la maison. C'est près du port, ça va pas te faire trop loin.
— Ça me va. Amusez vous bien. »
Émilie m'adressa un vague signe de la main et quand je partis je l'entendis s'étonner :
« Tu l'as trouvé où lui ? »
Déotile ne répondit pas tout de suite et je fis mine de choisir ma musique alors que j'avais baissé le volume au minimum.
« Fais pas cette tête, je veux pas te le piquer ! Il est juste vraiment canon. »
Rires jaunes intérieurs et celui clair de Déotile qui montait.
« La plupart des gens me disent que pas tant que ça. Genre ouais moyen beau t'aurais pu trouver mieux mais y'a pire.
— Déo, on l'a dit que les gens étaient cons. Puis toi l'important c'est qu'il te plaise. Il te plaît ? »
À ce moment-là, je commençais à marcher avec ma musique dans les oreilles. Je ne voulais pas m'immiscer dans leur conversation, je ne voulais pas attirer l'attention.
Et au fond, j'avais un peu peur d'entendre la réponse. J'avais peur d'entendre "non il est vraiment con et nul je sors avec lui par pitié juste parce qu'il est amoureux de moi".
J'errais alors dans les rues en cherchant un cadeau pour Mélissa. Pas "le cadeau parfait" mais le cadeau qui la surprenne, la fasse sourire et me serrer dans les bras.
Au fond, je voulais juste rendre les gens heureux.
Après avoir étalé plusieurs traits de rouge à lèvres sur mon poignet, essayé plusieurs teintes de vernis, choisi un parfum avant de voir le prix et de le reposer, regardé les fleurs, les cadres photos, les livres, je commençais à capituler.
Puis un livre attira mon attention. Ce n'était pas le genre de Mélissa. Elle n'ouvrirait pas une page si je lui offrais. Mais il y avait quelque chose. Ce titre voulait tout dire. Ce titre était "comment construire une cabane dans les arbres". L'auteur ne s'était pas foulé et devait clairement s'ennuyer dans sa vie pour rédiger ça, mais sur le coup ça m'arrangeait bien.
Quand nous étions petits, notre objectif était tel, construire une cabane. Du haut de ses dix ans, Mélissa avait ramassé un petit fagot de branches, fourré des scoobidous dans sa poche et escaladé le prunier de son jardin.
Alors qu'elle croquait dans une reine claude pas assez mûre, elle a mimé un geste de dégoût, perdu l'équilibre et est tombée à la renverse. Deux jours plus tard elle avait le bras dans le plâtre, boudait les reines claudes et donnait de grands coups de pieds rageurs dans le prunier jusqu'à ce que sa mère la surprenne et l'envoie dans sa chambre.
J'achetais donc le livre ainsi qu'un petit pendentif en toc avec l'argent qui me restait, au cas où elle me frappe à grands coups de Comment construire une cabane dans les arbres.
Je regardais ma montre. J'avais quelques minutes de retard en théorie, mais comme nous n'avions pas fixé d'heure, on pouvait dire que j'étais tout à fait à l'heure.
Déotile m'avait envoyé de nouveau son adresse par message. Comme je passais devant chez moi, j'en profitais pour poser les cadeaux de Mélissa, fit un baiser éclair à ma mère et partit en direction de chez Déotile en ignorant le cœur battant sous mes tempes.
Elle m'accueillit et me fit entrer avec un sourire, une vague odeur d'oignon flottait dans l'air et un bout de salade logeait entre deux de ses mèches.
« Je faisais une salade. Enlève tes chaussures je la met au frais.
— T'as eu le temps d'en faire une ?
— Bin ouais ça met pas hyper longtemps et t'as un quart d'heure de retard, fit-elle en en tapant des doigts contre le plan de travail.
— Quart d'heure de politesse, justifiais-je. »
Elle roula des yeux et indiqua la pièce au bout de la cuisine-salle à manger du menton.
« Mon père bosse juste là. Et ma chambre est en haut. Si tu te demandais.
— Intéressant. »
En réalité je ne savais pas quoi dire à part "ah cool" mais ce n'était pas la meilleure chose qui soit.
« Tu a fait quoi avec Émilie ? demandais-je alors pendant qu'elle alignait les condiments.
— On a parlé en marchant, tranquille mais pas super intéressant. Enfin c'était cool. Elle est marrante. Elle te plairait. Elle a complètement flashé sur toi c'était drôle.
— Ah ? Genre ? »
Elle laissa échapper un rire et sur le coup je la trouvais assez naïve. Pas que je sois le genre de copain à aller voir ailleurs, mais si jamais l'envie m'en prenait un jour je saurais où aller.
« Émilie trouve tout le monde beau. Sauf Gaëtan. Elle l'a vu elle a dit qu'il avait un aura de chacal. Comme quoi...
— Mimi, c'est quoi ce bruit ? Avec qui tu parles ? »
Un homme sortit de la pièce voisine. La quarantaine passée, mal rasé, des mocassins aux pieds et un tee-shirt marrant sur le dos.
« Augustin, je t'avais dit qu'il viendrait passer manger. Tu peux retourner travailler, t'en fais pas, répondit la brunette, l'air mal à l'aise.
— Enchanté, je suis le père de Déotile, fit il en s'approchant de moi. »
Cette dernière leva les yeux au ciel comme si elle n'avait pas envie de lui parler. Je serrais la main de son père avec une légère réticence. Il avait l'air gentil mais je ne m'attendais pas à le rencontrer aujourd'hui. Et ça ne me plaisait pas forcément.
« Je vais manger avec vous, j'ai besoin de faire une pause. »
Déotile fronça les sourcils, l'air très contrariée de la tournure que prenait le déjeuner. Son sourire avait disparu depuis l'apparition de son père.
Ce dernier alla caresser la tête du chat qui dormait sur un des sièges de la cuisine et Déotile me proposa rapidement d'aller visiter, toujours son air courroucé au visage.
« Tu as un problème avec ton père ?
— Décidément, toi et moi on a beaucoup plus de points communs qu'il n'y paraît.
— Ça me rassure.
— J'aurais préféré que nos points communs soient le fait de jouer la clarinette parce qu'être en froid avec son père ça craint.
— Tu sais quoi, Déo ? »
Elle me regarda, l'air curieux, les sourcils toujours froncés. Ses yeux bleus devenaient océans tempêtueux.
« Ça fait qu'on se comprend. Les gens te regardent et disent "mais t'aime pas ton père mais comment ça se fait tout le monde aime son père". Mais nous deux, on sait que c'est possible, et on va pas se dénigrer l'un et l'autre.
— C'est pas faux, murmura-t-elle. »
Elle étrangla un sourire et redescendit suite à l'appel de son père qui nous appelait pour manger.
Déotile venait de sortir une salade composée du frigo avec un grand sourire fier.
« C'est moi qui régale, pas le traiteur.
— Régaler est un grand mot, Mimi.
— Qui ne tente rien n'a rien. »
Le père de Déotile éclata de rire, me servit un verre d'eau et proposa de me servir la salade pendant que sa fille mettait les couverts.
« Tu es un grand malade. »
Je fus choqué au début ; c'était stupide, mais je m'attendais à ce qu'il me vouvoie et me parle moins familièrement. Mais au final, c'était loin de me déplaire.
« Ah oui ?
— Supporter ma fille, franchement, chapeau.
— Tes filles. Personne n'a réussi à supporter Dom.
— Si, cette Johanna. »
Ma petite amie pâlit sévèrement et fit mine de ramasser un couvert – qu'elle avait fait tomber exprès.
« Votre femme ne rentre pas ?
— Elle a une réunion. Moi, je travaille à la maison la moitié du temps.
— C'est pratique.
— Je ne te le fais pas dire. »
Je piquais une tomate du bout de ma fourchette et Déotile s'assit à côté de son père, en face de moi, un peu plus de couleur au teint.
« Sinon, ne faites pas trop de bruit quand vous serez remonté, les murs sont fins et ça me déconcentrera.
— Papa ! protesta sa fille qui avait prit la couleur de la tomate que j'étais en train de mâcher.
— J'ai eu ton âge, Mimi, tu sais. Je sais ce que c'est que d'avoir dix sept ans.
— Arrête ! Arrête, je veux pas en parler ! Je veux pas entendre parler de ça ! Laisse moi tranquille ! »
Ses paupières étaient parsemés de petites tâches rouges, elle allait fondre en larmes et demandait à son père de se taire par n'importe quel moyen.
« Ne me parle pas comme ça, menaça son père. T'as été élevée avec les chiens ou quoi ? Je me suis pas tué à te donner une éducation correcte pour que tu parles comme ça !
— Arrête d'aborder ce sujet ! »
Une larme commença à couler sur sa joue. Je compris alors que Déotile était plus que ceux qui faisaient du sexe un sujet tabou. C'était comme si elle en avait peur.
« Jeune fille, je me parle pas sur ce ton, dernier avertissement.
— Mais écoute moi ! se plaignît la brune en un cri plaintif. »
Le coup était parti : la main du père avait filé, sifflante, sur la joue de Déotile. Je n'avais pas réagi, pétrifié.
Il avait instantanément quitté la table en attrapant le paquet de cigarettes sur le buffet et s'en alla dehors.
Quant à ma petite amie, elle tenait son visage entre les mains en sanglotant, recroquevillée sur elle-même, les épaules tassées.
Je me levais et m'approchais d'elle doucement, posant ma main sur son épaule.
« Ça va ?
— Toi me touche pas ! glapit la brune en faisant un bond.
— Déotile, c'est moi...
— Justement, me touche pas ! Casse toi !
— Je...
— Casse toi je te dis ! Ça t'amuse de me voir comme ça, hein ? T'es heureux, pauvre con ! Tu te dis que hoho ta famille est parfaite et géniale et que cette fille est totalement tarée.
— Tu dis n'importe quoi... »
Elle se leva, le visage souillé de larmes et la joue brûlante, marquée de rouge.
Son regard affronta le mien et jamais je ne vis une telle haine flamboyer dans des yeux.
« J'EN AI RAS LE CUL DE TA FAMILLE PARFAITE ET DE TOI MONSIEUR PARFAIT, OK ? hurla-t-elle d'une voix perçante.
— Déo... »
J'étais pétrifié et elle complètement instable. Ses yeux remplis de malheur ruisselaient de larmes.
« Arrête de te foutre de ma gueule. Tu m'as bien eue, hein, avec tes jolis mots, tes "je veux te rendre heureuse". Mon cul ouais !
— Je le pense vrai-
— Arrête de mentir, si tu le voulais vraiment tu m'aurais défendue ! Casse toi, je veux plus voir de traître chez moi ! »
Je baissais la tête, comme pour que le ciel me brise la nuque.
« Je suis sûre que tu veux rompre !
— Mon dieu, Déo, arrête tes conneries.
— Bah tu sais quoi ? C'est moi qui romps ! C'EST MOI ! »
Je ne dis rien, complètement sous le choc. Son visage était ravagé de larmes.
« Tu dis rien, ça prouve bien que t'en as rien à foutre ! Pourquoi j'ai fait confiance à un mec comme toi, pourquoi je suis tombée amoureuse d'un mec comme toi ? Et même, pourquoi t'es encore là ? Casse toi ! »
J'affrontais son regard, dans l'espoir qu'elle m'annonce un canular, une mauvaise blague. Mais il restait trempé et sa lèvre tremblait, elle avait le visage crispé et ses épaules voulaient fusionner.
Ça ne pouvait pas être fini. Pas maintenant. Pas maintenant...
« T'as pas compris ? Disparais bordel ! »
Sur ces mots, j'attrapais ma veste, claquais la porte et traversais la rue d'un pas vif, sans entendre ses supplications, sans l'écouter qui me courait après, elle pouvait bien aller se faire foutre.
Je rentrais chez moi, claquais la porte de ma chambre et m'effondrais sur mon lit en larmes. Je pleurais comme je n'avais jamais pleuré pour quelqu'un ; comme je n'avais jamais pleuré tout court.
*
« Tintin ? murmura ma mère d'une voix douce. »
Je grognais en enfonçant ma tête dans l'oreiller un peu plus.
« Je t'ai entendu rentrer et claquer la porte. Poussin, tu vas bien ? »
Elle s'assit à côté de mon corps et caressa mes cheveux avec tendresse.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? murmura-t-elle. »
Disparais bordel. Jamais des mots ne m'avaient fait aussi mal. Les larmes avaient coulé d'elles-même sans que je n'arrive à les retenir, j'avais juste eu le temps de tourner le dos.
Je ravalais un sanglot et tournais le visage vers ma mère. Elle le trouva sûrement horrible, ravagé de larmes.
« Non.
— Tintin, pleure pas... »
Évidemment, c'eût l'effet inverse. Les larmes remontèrent. Disparais bordel. Elles coulèrent, ces traîtresses.
« Qui t'a fait mal ?
— Personne.
— Je te parle pas de blessure physique, je sais très bien que tu ne pleurerais que si tu t'étais fait tabasser et je ne vois aucune marque de sang sur toi. Je parle des blessures au cœur. Qui t'a fait ça ?
— À ton avis ? grinçais-je. »
Les épaules de ma mère s'affaissèrent et elle baissa les yeux.
« Je suis désolée pour toi, poussin. Je vais te laisser tranquille.
— Maman...
— Si tu as envie d'en parler, ta vieille mère est là, tu sais. Je sais que tu as toutes tes amies mais, tu sais, je pourrais peut-être t'aider. »
Ce qui me fit encore plus mal à constater, c'était que je n'avais personne. Plus de Déotile avec qui j'avais consacré tout mon temps. Résultat, j'avais perdu Gene, Othilie et je m'étais considérablement éloigné de Valérie.
J'étais seul, putain de seul, maintenant que Déotile était partie.
« Au fait, Lilith arrive demain. »
Elle ne réussit même pas à m'arracher un moindre sourire.
« Je t'aime poussin. Je t'aimerais toujours. »
Je la pris dans mes bras et je me mis à pleurer. Des gros sanglots de bébé qui étouffaient, où on ne pouvait reprendre son souffle tant que les larmes recoulaient déjà. Et en moi les morceaux de mon cœur brisé devaient flotter sur l'océan de pleurs que j'avais versé.
y a pas de raison qu'on pleure pas aujourd'hui today is a good day to cry <3
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