Chapitre 4 :
LES CHOSES s'enchaînaient rapidement. Déotile sortait avec moi, embrassait mes lèvres le matin, l'après-midi et le soir en sortant des cours, on échangeait des messages au lieu de faire nos devoirs et réviser notre bac de français.
Ce soir-là, j'étais étendu de tout mon long sur mon lit, sur le ventre, échangeait avec Déotile des morceaux de musique.
Je lui envoyais quelques morceaux basiques, presque essentiels de ma playlist, Nirvana, Coldplay, Fauve ou encore Green Day.
Déotile, à l'instant
tu sais que Paradise c'est l'histoire d'une fille qui se suicide?
Je pinçais les lèvres et écoutais de nouveau les paroles de Paradise. L'histoire d'un monde décevant et d'une petite fille qui en attendait trop, qui a été déçue et a choisi de fermer les yeux.
moi,
tu savais que Blizzard c'était une chanson qui rendait vivant?
Elle m'envoya un smiley souriant. Pourtant je disais la vérité.
Puis, un nouveau message pour me dire qu'elle devait aller manger et que c'était très sympa de faire ça, ça lui faisait penser à autre chose. Je n'osais pas poser de question mais restais pensif toute la soirée. Les mots de Valérie retentissaient.
Le lendemain, je la retrouvais, ses écouteurs dans les oreilles, une clope dans la bouche, le regard dans le vide, le corps dans un sweat en coton noir trop grand pour elle.
« Ça a pas l'air d'aller, murmurais-je en m'appuyant à côté d'elle. »
Elle ne répondit pas, toujours avec son regard vague.
Je posais sa main sur son épaule et elle eut un mouvement de sursaut et se décala, avant de me regarder dans les yeux.
« Ça va ? répétais-je pendant qu'elle enlevait ses écouteurs.
— Ouais, t'inquiète.
— Bin, si, je m'inquiète, t'as pas l'air d'aller bien en fait.
— Je suis juste un peu fatiguée.
— Me prend pas pour un con, c'est l'excuse que tout le monde sort. Tu crois que j'ai jamais menti à mes parents en leur disant que j'étais fatigué ? »
Elle ricana et souffla une bouffée de son mégot, pensive.
« Non, t'as pas l'air.
— Du coup, je répète, est-ce que ça va ? »
Un petit sourire perça sur les lèvres de Déotile et elle secoua la tête.
« Un petit coup de blues, ça va passer.
— Tu me dis, si tu veux en parler, hein, tentais-je finalement.
— Continue d'agir comme tu le fais, et ça ira, conclut la brune avec un petit sourire. »
Elle me tendit son mégot à moitié consumé en me demandant d'un coup de tête si j'en voulais.
Je tirais quelques bouffées sans qu'elle ne me parle et que je n'ose le faire.
« Au fait, tes chansons que tu m'as envoyé hier...j'les connaissais. J'ai pas osé te le dire parce que t'avais l'air content de me faire découvrir des trucs.
— Tu vois, je suis encore plus content parce que ça veut dire que t'as d'excellents goûts musicaux. »
Elle laissa échapper un petit rire et fourra ses mains dans ses poches.
« Sérieusement, t'as mis pleins de musiques super connues.
— J'aurais pu t'envoyer Wesh Alors.
— Je connais aussi. Ça veut pas dire que j'aime. Mais je connais.
— Tu vois ce que je veux dire. »
Othilie nous passa devant et tourna la tête pour me jeter un regard pétrifiant. Elle me fixait de ses yeux bleus lavés avant de lâcher un maigre sourire.
« Qu'est-ce qu'elle veut celle-là ? grogna Déotile.
— J'en sais pas plus que toi.
— Si, bien sûr que si. C'est ta voisine de classe, vous parlez forcément !
— Comment tu sais ç-
— Bonjour les amoureux ! claironna Gloria. »
Un bandeau en tissu était glissé dans sa chevelure blonde ; aujourd'hui, elle portait un grand sweat rouge vif et un court short en tissu noir. Toujours plus voyante.
« Salut à toi aussi, Gloria.
— Quoi de neuf ?
— Rien de spécial, répondit Déotile avec légèreté. »
Elle esquissa un minuscule sourire et j'allais jeter mon mégot dans la poubelle que le lycée avait installé.
« Tu fumes, Augustin ? s'étonna Capucine, la pionne qui tenait la porte.
— Bin, non, mais...
— Mais tu viens de jeter un mégot, souligna-t-elle avec un sourire amusé.
— Tu peux fouiller j'ai aucun paquet sur moi ! »
Capucine éclata d'un rire joyeux.
« Tu crois que je t'ai pas vu ? C'est Déotile qui te l'a filée.
— Tu espionnes les élèves, je ne te félicite pas.
— J'ai côtoyé Domitille lorsque j'étais élève ici. Forcément, je m'y intéresse, à la deuxième.
— Domitille comme Domitille Taleyrant la sœur de Déotile ? »
Capucine hocha la tête et sourit.
« Allez, va en cours, tu vas être en retard. »
J'approuvais d'un hochement de tête en ignorant les milliers de questions qui me venaient à l'esprit.
En cours, Othilie jeta un regard féroce à Gloria qui voulait s'asseoir à côté de moi. Au final, ce fut la frêle blonde qui gagna le combat ; Valérie regarda tout ça d'un œil très amusé.
Elle écrivit sur le coin de ma feuille un petit Eh bin elles se battent toutes pour toi, tombeur en langage codé. Je souris, amusé, avant de répondre tu as des choses à m'avouer peut-être?
« Je vous ai vus, ce matin. T'as l'air d'avoir honoré ma requête, glissa Othilie.
— En effet.
— Vous allez bien ensembles. Sincèrement.
— Je sais que tu dis ça pour me faire plaisir.
— Vraiment pas. »
Elle eut un rictus moqueur.
« Crois moi, je suis bien assez occupée avec mon propre copain pour perdre mon temps à raconter des mensonges.
— Qui est ton copain, déjà ?
— Anthony. Le frère de Mathilda. »
Je déglutis. Cette fille, on aurait dit une fangirl : sa meilleure amie et son petit ami étaient frère sœur.
J'hochais la tête sans décocher un mot de plus.
*
C'était les vacances – officiellement ; Valérie s'était exilée en Nouvelle Zélande pendant un mois, faisant partie d'un échange. Elle était chez une correspondante et allait la recevoir en retour en août.
Quant à Gloria, elle avait articulé ces mots "je ne veux plus entendre parler de lycée et vous deux, j'vous connais, vous allez flipper de vos résultats et vous peloter pour vous réconforter, c'est niet, je traîne pas avec vous de l'été", ce qui m'avait fait poser de nombreuses questions sur la relation Gloria-Déotile.
Ma petite amie et moi étions sur le muret face au port, des limonades à la main, à regarder la mer scintiller.
« Dis, j'ai une question à te poser.
— Pose donc, indiqua-t-elle avec un ricanement nerveux.
— Je peux mettre de la musique sur ton téléphone ? Le mien est à plat.
— Ouais t'inquiète. »
Elle déverrouilla son portable et me le tendit, surveillant tout de même d'un œil prudent ce que je faisais.
« Je vérifie que tu fouilles pas mes conversations. Bien entendu, si t'as des doutes quant à ma fidélité, tu peux jeter un œil, mais mes échanges n'incluent que moi et l'autre personne.
— Si tu me trompes, le karma s'occupera de toi, j'ai confiance. »
Elle lâcha un petit rire en buvant une gorgée de citron. J'allais dans l'onglet musique et fut réellement surpris.
On aurait cru se retrouver dans la playlist que je lançais quand j'avais le moral aussi haut que ma moyenne d'histoire. Mais en pire. Des musiques hurlantes, des paroles déprimantes.
Entre Alice Cooper et Linkin Park, je retrouvais une chanson de Lana Del Rey, ce qui me rassura tout en m'inquiétant, la chanteuse n'étant pas connu pour les paroles joyeuses et ensoleillées. Fucked my way up to the top ?
Je fis face à des chansons inconnues comme des familières, que j'écoutais dans mes heures les plus sombres.
« Déo, est-ce que ça va ?
— Euh, oui ?
— Est-ce que ça va vraiment ? Du genre est-ce que tu pleures quand tu rentres chez toi et que t'es seule ou ça va ? Est-ce que t'as envie de mourir ? Est-ce que...
— Gus, je suis pas dépressive, t'emballe pas. »
Elle termina sa boisson en portant un regard mélancolique vers l'océan.
« Juste que c'est pas la meilleure passe de ma vie. Je commence à en voir le bout.
— De ta vie ?
— Mais non crétin, de cette mauvaise passe. Elle a commencé en novembre. J'ai été voir un psy et tout. Mais là, depuis genre, la fin mai, ça commence à aller mieux. »
Elle planta ses yeux bleus dans les miens et sourit.
« Je crois que t'y es pour quelque chose. Si tu savais comme ça fait du bien de voir qu'il y a quelqu'un qui peut pas t'aimer.
— T'avais pas Gloria ?
— Gus, sérieux, Gloria ? Ça se voit pas ? On traîne ensembles parce qu'on a personne avec qui être. Tu crois vraiment qu'elle m'estime, qu'elle m'aime ?
— Oui. J'y crois.
— Eh bien t'es vachement innocent.
— Justement, c'est ça la question que je voulais te poser. »
Déotile inclina la tête en faisant la moue.
« Est-ce que Gloria c'est ta meilleure amie ?
— Je ne crois pas, déclara-t-elle finalement. Un meilleur ami est sensé t'écouter parler. T'aider, te conseiller, te faire aller mieux. Si on en croit ces critères, mon meilleur ami, c'est mon psy.
— Pas Gloria ?
— Tu sais des trucs sur moi qu'elle ignore. »
L'amertume marquait chacun de ses mots mais cette lueur étrange brillait au coin de ses yeux quand elle me regardait.
Douce, chaleureuse, sa main vint se loger contre la mienne.
Et dans le silence, nos cœurs échangeaient tant de mots.
*
J'avais réussi à l'amener au théâtre ; Dan, le metteur en scène, l'avait vue arriver et ses lèvres s'étaient automatiquement fendues d'une moue sceptique.
« Les inscriptions c'est le deux septembre.
— C'est ma copine, en fait.
— Très bien, je suis content pour toi. Bonjour copine d'Augustin. Ça va ?
— Dan, la copine de Gene est venue pleins de fois, tu peux faire ça pour moi, non ? »
Mon prof leva les yeux au ciel en enlevant le crayon qu'il avait glissé à son oreille, tout en sortant un calepin de la poche de son jean.
« OK, elle peut entrer, à une condition.
— Qui est ? demanda Déotile avec le sourire le plus gentil qu'elle pouvait.
— Tu viens voir notre spectacle. »
Ma copine afficha un sourire réjoui pendant que mon visage se décomposait.
« Non !
— Pas d'entrée, dans ce cas-là.
— Dan, la copine de Gene...
— Tara sera là le jour du spectacle, elle a même proposé de servir au bar, répondit le metteur en scène d'un ton mordant. C'est pas négociable, ici c'est pas un moulin.
— Je serais là, promis. J'ai très envie de voir ce que ça donne. »
Dan lui fit un petit coup à l'épaule en ajoutant avec un clin d'œil :
« Hésite pas à nous faire de la pub. »
Il s'assit sur la chaise du jardin, allumant une cigarette et griffonna quelques mots sur son carnet.
Déotile entra et fit face à la salle, où quelques dizaines de chaises s'entassaient dans un coin. La grosse table en bois vernie au centre, la scène de bois noir dépourvue de rideaux, les trois projecteurs suspendus au plafond, l'escalier qui menait à la scène et les coulisses cachées par des rideaux de grossier tissu gris.
Heidi, la timide, était en train de revoir sa scène, murmurant son monologue du bout de ses lèvres mauves. Daphné marchait sur scène, tournant en rond ; quant à Gene, elle avait les pieds sur la table, le nez dans son script. Les autres, je les ignorais pas mal.
« Salut, marmonna Gene sans lever les yeux de son script. Dan est encore dehors ?
— Ouais. On en a pour sept minutes.
— Pile le temps qu'il me faut pour finir d'apprendre cette scène. »
Elle leva les yeux vers moi et aperçut Déotile, à mes côtés, l'air perdue dans ses pensées.
« Eh, salut toi. T'es nouvelle ? Oh, attends. Je t'ai déjà vue quelque part. Pas au lycée, euh, au concert de Ben ?
— Ben ?
— Attends. À la soirée de Julie. Eh mais vous étiez en train de conclure ! s'exclama-t-elle un peu trop fort. »
Heidi et Daphné tournèrent automatiquement le regard vers Gene, qui me fixait avec un sourire claironnant.
« Enchantée, Gene.
— Elle porte bien son nom, appuyais-je en mordant l'intérieur de mes joues qui avaient pris la couleur d'une pastèque.
— Déotile. »
Les deux se serrèrent la main pendant que Daphné arriva en lançant les pages de son script sur la table.
« Qui a ...quoi ? demanda-t-elle en appuyant ses mains sur le bois à la manière d'une prof.
— Rien, laisse tomber.
— T'es pas du cours toi, annonça Daphné en plissant les yeux sur Déotile.
— Laissez la tranquille ! »
Déotile cligna des yeux pendant que Daphné fronça les sourcils. Ses yeux noisettes me toisèrent et ses lèvres sifflèrent, se cognant à ses dents parfaites :
« Ne me parle plus jamais sur ce ton.
— Daph, c'est pour la scène cinq que tu dois être énervée, garde ton énergie pour plus tard. »
La langue de Daphné claqua dédaigneusement sur son palais et elle partit en me décochant un regard mauvais. Parfait pour la scène où on devait jouer les amants.
« T'inquiète pas pour moi. En passant, je trouve ça un peu suicidaire d'amener ta copine alors que toi et moi on joue dans une scène d'amour, cracha-t-elle.
— Laisse tomber, soupira Gene en pinçant les lèvres. Elle est super énervée en ce moment. Même avec Heidi elles se parlent plus. On est d'accord qu'entre elles, y a une tension sexuelle si palpable qu'on pourrait presque la toucher ?
— Elle a un copain, Gene.
— Laisse tomber, laisse moi revoir mon texte. Qu'est-ce qu'il fout, Dan ?
— Vous voulez que j'aille voir ? Comme ça vous pourrez réviser vos textes. »
Gene leva en l'air un pouce rongé en baissant ses yeux bleus sur ses feuilles.
Déotile se leva d'un bond, remettant une mèche châtain derrière son oreille.
J'allais entamer la discussion avec Gene mais celle-ci me devança.
« Ne me parle pas, je dois apprendre.
— T'es une mauvaise menteuse, t'avais tout le temps d'apprendre avant.
— Non, justement, j'avais des problèmes à régler. Pour ça que j'étais pas là au cours dernier, siffla-t-elle. »
Elle plongea définitivement la tête dans le texte et je fus forcé de l'imiter. Je relus en boucle la même phrase sans réussir à la mémoriser vraiment et fut tiré de mes pensées tumultueuses par Dan qui arrivait triomphalement.
« J'espère que vous savez tout vos textes sur le bout des doigts, parce qu'on attaque les choses sérieuses aujourd'hui. Vous deux, fit-il en pointant Daphné et moi du menton, sur scène. Gene, prépare toi dans les coulisses. »
Déotile s'assit donc sur une pile de sièges dans le fond de la salle et me fit un petit signe encourageant de la main.
Je montais sur scène, la gorge sèche et Daphné qui me regardait fixement ; j'avais la nette impression qu'elle voulait me détruire.
« Gus, tu rentres et tu la serres dans tes bras, puis tu dis ta phrase. Daph, tu attends, là, près du banc. On aura calé le projecteur sur toi.
— Est-ce que c'est vraiment obligé, la séance câlin ? s'offusqua Daphné.
— Tu as signé pour jouer, right ? Si tu veux, l'année prochaine, je te met dans le cours de neuf-dix ans et tu n'auras pas à faire ce genre de scène.
— J'ai un copain, Dan !
— Très bien je suis ravi que ta vie sentimentale se porte mieux que la mienne. Si il ne réalise pas que ce n'est que de la comédie, change de petit ami. Maintenant, arrête tes fausses excuses qui vexent Augustin et serrez vous dans les bras bon Dieu ! »
Elle me planta un regard assassin et passa ses bras autour de mon cou comme si j'étais une mygale.
« Tu te fous de ma gueule, Daphné ? On dirait que tu veux l'étrangler ! Et c'est quoi ces hanches à dix kilomètres de lui ? Met-y un peu du tien ou tu ne joues pas. »
Dan était donc de super mauvaise humeur. Après deux bonnes minutes de galère pour faire une étreinte convenable, je devais parler.
Et en fixant mon metteur en scène avec des yeux de poisson mort, la gorge desséchée et le cerveau à moitié déconnecté, j'étais incapable de prononcer la moindre phrase.
Dan, au bord de la crise de nerfs, vociféra :
« Attends, tu sais pas ton texte ? Mais bon dieu vous vous foutez bien de ma gueule vous deux ! Allez en coulisses je veux plus vous voir sur scène tant que vous savez pas votre texte par cœur ! Gene, désolé pour ta scène mais...
— Je la sais pas non plus, lança-t-elle négligemment. Je t'en veux pas.
— VOUS TROIS, FOUTEZ LE CAMP D'ICI ! cracha-t-il très en colère. Pour amuser la galerie et jacasser vous êtes là mais vous savez même pas jouer une scène correctement ! Allez, cassez vous de là et revenez la semaine prochaine.
— Bonne journée Dan, lança Gene avec un sourire impertinent. »
Déotile nous rejoignit à la sortie, riant aux larmes. Daphné lui décocha un regard assassin.
« Au moins y en a une que ça fait rire, pesta la blonde en tirant une cigarette de sa veste en cuir.
— Désolée, c'est juste qu'il s'énerve encore plus vite que moi, c'est presque ridicule.
— Gus, c'est pas toi qui m'engueulait parce que je savais pas mon texte ? reprit Gene. »
Les trois filles avaient une cigarette allumée dans les lèvres. J'en demandais une à Déotile et l'allumais avant de répondre :
« J'ai eu un trou. Un truc abyssal.
— Et si on allait prendre un verre tous ensembles au lieu de rentrer chez nous ? proposa Daphné subitement adoucie.
— Bon Dieu, j'ai vraiment trop envie d'une bière, je te suis Daph, fit Gene qui singeait Dan.
— Vous venez, vous deux ?
— Avec plaisir, sourit ma copine. »
C'est ainsi qu'elle entrait peu à peu dans ma vie, laissant son empreinte dans mes relations, mes loisirs et mes rêves.
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